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INTRODUCTION
Les dépenses publiques et privées au titre des établissements d’enseignement représentent un peu plus de 6 pour cent du PIB total des pays Membres de l’OCDE, soit grosso modo 1 550 milliards de dollars chaque année1 . Ce chiffre sous-évalue le coût réel d’opportunité des investissements éducatifs dans la mesure où il ne tient pas compte du manque à gagner. Globalement, il faut bien comprendre que les services éducatifs représentent un volume important de ressources engagées au sein des pays de l’OCDE et qu’il importe donc d’évaluer les avantages qui leur sont associés du point de vue du bien-être.
L’un des objectifs de la présente étude est d’examiner les données dont on dispose sur les avantages de l’instruction dans les pays développés. Le champ de cette étude se limite aux effets, indirects il est vrai, de l’éducation sur la productivité de la main-d'œuvre, thème qui a fait l’objet de très nombreux ouvrages. Je m’inspirerai des recherches faites dans deux domaines particuliers : l’économie du travail et les travaux empiriques internationaux sur la croissance économique. L’idée de base est que si les ouvrages traitant de l’économie du travail témoignent d’un travail impressionnant d’évaluation du rendement privé de l’éducation, il n’en demeure pas moins que les études macroéconomiques ont un rôle complé- mentaire à jouer.
Dans tout le document, l’accent est très précisément mis sur l’éducation plutôt que sur telle ou telle notion plus générale du capital humain. Je n’aborde pas du tout la formation professionnelle, ce qui reflète non pas l’opinion que j’ai de son importance relative, mais plutôt le fait que la présente étude est centrée sur des données internationales. La formation professionnelle de par sa nature varie considérablement d’un pays à l’autre et, dans le secteur manufacturier, elle est étroitement liée à des stratégies de production (Broadberry et Wagner, 1996). Il est difficile de saisir ces différences selon des modalités qui se prêtent à un exercice de modélisation empirique. En d’autres termes, lorsqu’il s’agit d’expliquer les écarts de productivité d’un pays de l’OCDE à l’autre, les données internationales ne révèlent pas grand-chose au sujet du rôle de la formation professionnelle en dépit de son importance potentielle2 . Dans ce domaine, les réponses se trouveront plutôt dans des études sur l’économie du travail et dans des comparaisons détaillées des pratiques dans les différents pays que dans les travaux empiriques internationaux passés en revue ici.
Autre thème de la présente étude, le lien entre la croissance et ce qu’on appelle désormais le « capital social ». Il est difficile de définir cette expression précisément et j’approfondirai cette question plus loin. Pour l’instant, on peut considérer qu’elle renvoie par exemple au degré de crédibilité, aux normes sociales et à la participation à des réseaux et à des associations. Ces toutes dernières années, quelques grands universitaires et spécialistes ont affirmé que ces qualités des sociétés peuvent être précieuses non seulement en soi, mais aussi parce qu’elles contribuent à la prospérité économique. C’est là un autre domaine dans lequel les données internationales pourraient apporter un concours utile et plus loin dans le présent document, je passerai en revue les publications rares mais en nombre croissant sur les corrélations entre les indicateurs du capital social et les performances économiques.
Les travaux empiriques sur le capital social et la croissance sont très récents et c’est pour tenir compte de cette nouveauté que je consacre la plus grande partie de l’étude aux recherches sur l’éducation et la croissance. La seconde section jette les bases théoriques et montre que des modèles récents donnent quelques bonnes raisons de considérer que l’éducation est un déterminant primordial de la croissance économique. La troisième section porte sur les données empiriques. Elle commence par un bref compte rendu des recherches consacrées à l’économie du travail, étape essentielle pour comprendre dans quels domaines les données internationales peuvent être relativement utiles. Le reste de la section, qui constitue peut-être le cœur de l’étude, porte sur les données provenant d’analyses causales et d’analyses de régression de la croissance, les dispositifs récemment mis en place pour tenter de mesurer les externalités de l’éducation, et certains travaux sur les avantages plus vastes.
La deuxième partie du document porte sur le capital social et la croissance. La quatrième section examine la définition du capital social, passe en revue les données macroéconomiques révélant ses effets sur la croissance, et analyse brièvement les perspectives d’une poursuite des recherches dans ce domaine. La dernière section se termine par quelques projets de conclusions possibles.
LES EFFETS DE L’ÉDUCATION SUR LA CROISSANCE : THÉORIE
La présente section a pour objectif d’examiner si les modèles classiques confortent quelque peu l’idée selon laquelle l’éducation joue un rôle primordial dans la croissance3 . Est-il possible de donner au rôle de l’éducation un fondement théorique solide du point de vue économique ? Dans quelle mesure les hypothèses nécessaires sont-elles plausibles ? Les modèles permettent-ils de saisir les effets de l’éducation tels que l’on entend et définit généralement cette notion, ou d’un autre facteur, sur la croissance ?
L’une des contributions les plus importantes et l’une de celles qui font le plus autorité est celle de Lucas (1988) qui, elle-même est liée aux travaux antérieurs de Uzawa (1965). Dans ces modèles, le niveau de production est fonction du stock de capital humain. A long terme, la croissance ne peut être durable que si le capital humain peut se développer sans limites. Il est dans ce cas difficile d’interpréter la notion du capital humain selon Uzawa-Lucas par rapport aux variables traditionnellement utilisées pour mesurer le niveau de formation, telles que le nombre d’années d’études. La notion de « capital humain » dans leur esprit semble plus étroitement liée aux connaissances qu’au savoir-faire acquis grâce à l’éducation. Pour rattacher le modèle Uzawa-Lucas aux données, on peut par exemple laisser entendre que la qualité de l’éducation peut s’améliorer avec le temps (Bils et Klenow, 2000). L’idée en l’occurrence est que les savoirs transmis aux enfants en classe en l’an 2000 sont supérieurs à ceux qui l’ont été en 1950 ou 1900, ce qui creusera les écarts de productivité entre chacune de ces générations dans leurs emplois futurs. Même si le niveau d’études moyen est constant au fil des ans, le stock de capital humain pourrait s’accroître au point d’induire une progression des niveaux de production4 .
Cela dit, cette thèse soulève des difficultés même au niveau des études universitaires. Dans certaines filières, il est possible que les connaissances acquises actuellement aient un effet plus grand sur la productivité que ce n’était le cas auparavant (en médecine, en informatique et peut-être en sciences économiques) mais dans d’autres où les diplômes sont moins professionnalisés, cet argument est moins convaincant. Dans l’enseignement primaire et secondaire où l’on privilégie la maîtrise des savoirs fondamentaux tels que le lire-écrire-compter, il semble encore plus difficile de défendre l’idée qu’une amélioration de la qualité des études induise une croissance durable. Enfin, il faut noter que ces modèles n’indiquent pas précisément en règle générale comment la qualité des études s’améliore : les personnes peuvent augmenter le stock de capital humain, ou de connaissances, simplement en y consacrant une partie de leur temps.
Des modèles d’un autre type accordent une plus grande place à la modélisation des incitations qui poussent les entreprises à générer de nouvelles idées. Les modèles de croissance endogène fondés sur l’analyse de travaux de recherche et développement, notamment la contribution de Romer (1990) qui fait référence, donnent pour résultat qu’une croissance à taux constant dépend en partie du niveau de capital humain. L’hypothèse de base est que le capital humain est un élément essentiel dans la production d’idées nouvelles. A la différence du modèle d’Uzawa-Lucas, celui-ci laisse entrevoir la possibilité que même un accroissement ponctuel du stock de capital humain entraîne une accélération indéfinie du taux de croissance. De fait, dans de nombreux modèles de croissance endogène, le capital humain doit avoir dépassé un certain seuil pour que la moindre innovation puisse avoir lieu.
En pratique, il ne faut pas trop généraliser ces résultats ni exagérer les différences avec le modèle Uzawa-Lucas. On peut considérer que le cadre adopté par Uzawa-Lucas est un modèle d’accumulation de connaissances construit dans le même esprit que celui de Romer mais se prêtant plus facilement à l’analyse ; par ailleurs, des hypothèses restrictives s’imposent pour aboutir au résultat du modèle Romer selon lequel le taux de croissance à long terme dépend du niveau de capital humain (Jones, 1995). Mais même si l’on opte pour des hypothèses plus générales, une progression du niveau de capital humain est probablement associée à un accroissement éventuellement considérable du niveau de production, résultant d’une accélération transitoire des taux de croissance.
Dans la plupart des modèles de croissance endogène, se référant aux activités de recherche et développement, on considère que le stock de capital humain est déterminé par des facteurs exogènes. Dans des rapports plus récents, notamment Acemoglu (1997) et Redding (1996), cette hypothèse est assouplie et on considère ce qui arrive lorsque des personnes peuvent choisir d’investir dans leur éducation ou leur formation tandis que les entreprises investissent dans la R-D. S’agissant des valeurs de certains paramètres, de multiples équilibres sont possibles dans la mesure où l’incitation des travailleurs à investir dans le capital humain et celle des entreprises à investir dans la R-D sont interdépendantes. Ceci offre un moyen de formaliser des idées antérieures au sujet de l’existence possible d’un « piège faible qualification/qualité médiocre » dans lequel un faible niveau de qualification et un taux ralenti d’innovation témoignent d’une mauvaise coordination (Finegold et Soskice, 1988). Ces modèles tendent à indiquer qu’au niveau global, des investissements plus importants dans l’éducation ou dans la formation pourraient entraîner un accroissement des dépenses de R-D, et vice versa.
Un autre aspect intéressant des récents modèles de croissance, nous donne à penser que les personnes n’investissent pas assez dans leur formation. Rustichini et Schmitz (1991) font un examen assez détaillé de cette thèse. Ils présentent un modèle dans lequel les personnes répartissent leur temps entre la production, la recherche originale et l’acquisition de connaissances. Chaque personne sait que l’acquisition de connaissances (grâce aux études) augmentera sa productivité dans des recherches ultérieures mais dans la mesure où ils ne saisissent pas parfaitement les avantages de la recherche, ils ont tendance à consacrer trop peu de temps à l’acquisition des connaissances par rapport à la finalité optimale du point de vue social5 . Rustichini et Schmitz calibrent un modèle simple et constatent que si les interventions gouvernementales n’ont que peu d’effet sur le temps consacré aux études, elles peuvent avoir un effet considérable sur le taux de croissance6
Plus récemment, Romer (2000) a fait observer que les modèles de croissance induite par la R-D devraient pouvoir éclairer les responsables de l’élaboration de la politique de l’éducation. Il note que, dans les modèles passés en revue plus haut, la croissance est déterminée par la quantité de moyens mis en œuvre dans la R-D et non pas simplement par les dépenses qui lui sont affectées. Cet aspect a son importance car, entre autres raisons, les incitations visant à favoriser la R-D, les crédits d’impôt par exemple, peuvent être inefficaces si elles n’encouragent pas un plus grand nombre de chercheurs et d’ingénieurs à développer de nouvelles idées. Pour illustrer ce propos, il faut considérer un modèle très simple dans lequel un effectif fixe de chercheurs se livre uniquement à des travaux de R-D et constitue le seul moyen mis en œuvre dans le processus de recherche. En pareil cas, une augmentation des dépenses de R-D se traduira simplement par une augmentation des salaires des chercheurs et n’aura aucun effet sur le nombre de chercheurs se consacrant à la R-D ou sur le taux de croissance.
Dans un modèle plus général et plus réaliste, l’accroissement des dépenses de R-D se répercutera d’une certaine façon sur la totalité des moyens affectés à la recherche et, par voie de conséquence, sur la croissance7 . Pour obtenir un effet important, l’augmentation des salaires proposés aux chercheurs scientifiques devrait inciter un plus grand nombre de personnes à se former à ce métier. A cette fin, il faut que le système éducatif fasse preuve d’une certaine flexibilité et il faut communiquer les informations voulues aux étudiants susceptibles de suivre cette formation. Ainsi, l’efficacité des subventions directes ou des crédits d’impôt au titre de la R-D pourrait être renforcée par des politiques complémentaires en matière d’éducation, visant à améliorer ou à subventionner non pas simplement la demande mais plutôt l’offre de ressources mises en œuvre dans la recherche.
En résumé, les modèles de la nouvelle théorie de la croissance sont importants pour plusieurs raisons. Premièrement, dans ces modèles, le capital humain est une ressource importante entrant dans la création de nouvelles idées, et ce mécanisme justifie d’une manière assez séduisante la thèse selon laquelle l’éducation est un déterminant essentiel des taux de croissance, même sur de longues périodes. Deuxièmement, ces modèles conduisent parfois à constater que le résultat du laissez-faire s’accompagne d’une croissance plus lente que celle qui serait optimale pour la collectivité. Troisièmement, ces modèles tendent à montrer que plusieurs options s’offrent aux décideurs publics souhaitant relever le niveau de production : l’octroi non pas seulement de subventions directes au titre de la R-D – dont la mise en œuvre et le suivi peuvent être difficiles – mais également de subventions à certains types de formations, en particulier peut-être aux formations qui pourraient ultérieurement déboucher sur une carrière dans la recherche-développement.
LES EFFETS DE L’ÉDUCATION SUR LA CROISSANCE : DONNÉES RECUEILLIES
Comme nous l’avons vu, les modèles théoriques donnent implicitement à penser que pour trouver les déterminants de la croissance, la politique de l’éducation est l’un des domaines où il faut chercher en premier. Dans la présente section, j’examinerai les efforts déployés par les économistes pour chiffrer l’importance que revêt l’éducation. Mon attention portera surtout sur les données macroéconomiques : l’ensemble des travaux de recherche dont l’objet est de mesurer, ou de tenter de mesurer, les effets positifs de l’éducation sur la productivité en utilisant la variation des niveaux d’études et des taux de croissance dans les différents pays8 .
Nous aurions tort, cependant, de passer en revue ces données sans auparavant examiner les travaux consacrés à l’éducation et aux revenus du travail par les spécialistes de l’économie du travail. Si l’éducation influe directement sur la productivité, il faut en déduire qu’une relation peut être observée entre l’instruction d’une personne et ses revenus du travail. Les données attestant de cette influence sont celles qui sont le mieux démontrées dans les ouvrages sur cette question et le fait de comprendre les avantages et les inconvénients de cette influence permet de situer les données recueillies dans une perspective internationale. On pourra ainsi préciser les domaines dans lesquels une stratégie macroéconomique pourrait apporter une contribution intéressante et par ailleurs indiquer les domaines dans lesquels les données microéconomiques ont davantage de chances d’être utiles.
Compte tenu de ces précisions, les sections ci-dessous passent en revue : les études de l’effet de l’éducation établies à partir des enquêtes sur les revenus du travail ; les analyses causales de la croissance ; des données provenant d’analyses internationales de régression ; les travaux récents sur les externalités du capital humain ; les avantages de l’éducation sur un plan plus général et enfin, les efforts déployés pour relier les divers éléments d’information entre eux. Il ressort de cet examen que chaque méthode employée pour mesurer les effets de l’éducation sur la productivité présente en soi des insuffisances et des domaines d’incertitude non négligeables. Cela dit, considérées ensemble, les diverses méthodes laissent en général entrevoir des effets tout à fait considérables. De ce fait, il serait difficile d’utiliser les données disponibles pour construire un scénario selon lequel il y aurait actuellement une surproduction d’activités éducatives dans les pays de l’OCDE dans leur ensemble, et il serait peut-être encore plus difficile de le faire si l’on reconnaissait les avantages plus vastes examinés ci-dessous.
D’une façon générale, ces travaux pourraient également justifier un élargissement des prestations de services d’enseignement dans certains pays, en particulier ceux où les politiques actuellement suivies augurent de niveaux d’études relativement faibles dans les années à venir. Pour réaliser une analyse complète des questions de fond, cependant, il faudrait à la fois reconnaître l’importance potentielle des activités de formation et examiner comment affecter au mieux un volume donné de dépenses d’éducation ; ces thèmes débordent le champ du présent examen9 .
Avant d’examiner plus en détail les différents types de données, il peut être utile de préciser les notions de productivité retenues dans les différentes stratégies. Pour les personnes, la production par heure-travailleur semble l’indicateur le plus pertinent de la productivité, en particulier du fait que l’un des avantages d’une progression de la productivité horaire peut être que les personnes choisissent de travailler moins d’heures. Lorsqu’on examine les écarts de productivité d’un pays à l’autre, toutefois, l’utilisation de la production par heuretravailleur comme base de comparaison présente parfois des inconvénients. Cette mesure de la productivité varie selon les taux d’activité ainsi que d’autres aspects relevant des autorités du marché du travail. Un examen plus poussé et quelques données récentes figurent dans Scarpetta et al. (2000).
Il est également utile de signaler que pour certaines raisons, les décideurs publics souhaitent connaître la production par travailleur, la production par habitant ainsi que la production par heure-travailleur. L’éducation peut également avoir des effets indirects sur ces variables, et pas simplement à travers la productivité horaire. Ainsi, on pense souvent que l’éducation a une incidence sur l’activité, notamment féminine10. Elle peut également influer sur les avantages autres que monétaires liés au travail et aux loisirs et ainsi avoir une incidence sur le temps de travail. Dans la mesure où les analyses internationales empiriques reposent en règle générale sur la production par tête ou sur la production par travailleur, elles auront tendance à assimiler ces effets à l’incidence directe de l’éducation sur la productivité du travail, que les économistes spécialisés dans le marché du travail ont cherché à chiffrer.
Table des matières :
Introduction ................................................................. 60
Les effets de l’éducation sur la croissance : théorie .............................. 61
Les effets de l’éducation sur la croissance : données recueillies ........ 64
Données fournies par les spécialistes de l’économie du travail...... 66
Analyse causale de la croissance .......................... 71
Données obtenues à partir des analyses de régression de la croissance....................... 77
Externalités du capital humain.............................. 84
Avantages plus larges de l’éducation................... 86
Résumé provisoire des faits observés ................. 87
Capital social et croissance........................................ 88
Qu’entend-on par capital social ?......................... 90
Données empiriques .............................................. 92
L’avenir de la recherche sur le capital social....................................... 96
Résumé et conclusions............... 97
Bibliographie ............................... 105