Le mot « Statistique » est, pour le plus grand nombre, évocateur de longs tableaux où les faits économiques et démographiques s'inscrivent, dépouillés de leur substance vivante, réduits à l'austère nudité des chiffres. Quelques-uns certes, plus au courant des techniques modernes, imaginent des machines fort coûteuses, qui « traitent l'information » et répondent, en quelques fractions de seconde, aux questions qui leur sont posées. Mais l'attitude de la plupart, à l'égard des statisticiens, reste de scepticisme ou de méfiance. N'a-t-on pas écrit qu'il existe trois formes de mensonge qui sont, dans l'ordre de gravité, le mensonge ordinaire, le parjure et le mensonge par la statistique ? Or la Statistique intervient dans les domaines les plus divers, et, curieux paradoxe pour une science d'apparence abstraite, elle s'intéresse particulièrement à tout ce qui relève de la matière vivante. Elle ne s'appuie pas toujours sur des faits très nombreux, mais sait, par une analyse subtile, tirer parti d'un petit nombre de données judicieusement choisies.
La notion première, et encore fondamentale, en matière de statistique, est celle de dénombrement. La Bible cite plusieurs opérations de ce genre. À l'époque moderne, parmi les documents statistiques les plus intéressants, on peut citer les registres d'état civil, tenus par l'Église jusqu'à la Révolution, puis par le pouvoir civil. Mais, jusqu'au xvine siècle, l'enregistrement des faits conserve un caractère passif : la méthode d'interprétation fait encore défaut. Au point d'évolution actuelle des méthodes statistiques, on peut dire que celles-ci ne se limitent plus au traitement des données très nombreuses qui apparaissent dans les dénombrements démographiques, économiques ou sociologiques, mais qu'elles ont étendu leur champ d'application à tous les domaines dans lesquels le grand nombre et l'enchevêtrement des facteurs de variation exigent une technique d'interprétation basée sur la connaissance des lois du hasard ». Dans ces différents domaines, à la phase initiale essentiellement descriptive, succède la recherche d'un modèle, sous forme de loi statistique ; le dernier stade est celui de l'interprétation, qui dans certains cas s'accompagne de prévisions. À quel degré d'avancement est-on parvenu, dans la poursuite de ces objectifs, quel degré de confiance peut-on accorder aux conclusions formulées par le statisticien, c'est ce que nous essaierons de montrer à partir de quelques exemples, après avoir dégagé les principes et les méthodes qui sont la base commune de la plupart des applications.