Formation Progres de l’economie de l’education
Formation Progrès de l’économie de l’éducation
INTRODUCTION
Dans un article publié l’an passé dans cette revue, Claude Diebolt et moi-même (De Meulemeester et Diebolt, 2005) avions cité le chapitre introductif du Handbook of Health Economics dans lequel Anthony Cuyler et Joseph Newhouse (2000) critiquaient sévèrement l’économie de l’éducation, considérant que cette discipline avait largement échoué dans son programme de recherche (en comparaison en tous cas avec l’économie de la santé), et n’avait pas réussi à répondre de façon claire à des questions aussi centrales que par exemple la contribution de l’éducation à la croissance, le taux de rendement social de l’éducation, la taille optimale des classes et des écoles. Est-ce une vision seulement provocatrice, ou contient-elle des éléments de vérité ? Y a-t-il ou non progrès en économie de l’éducation ? Quelles seraient les voies de recherche les plus fructueuses pour cette discipline ? L’objectif de ce court papier est de donner au lecteur notre point de vue sur ces questions par le biais d’une rapide synthèse de l’histoire de la pensée économique dans ce domaine. Bien que schématique (nous privilégierons ici plutôt la mise en évidence des grandes tendances et des principaux points d’inflexion sans aller trop dans le détail de tous les auteurs), notre exercice nous conduira à relativiser le point de vue des auteurs susmentionnés. Nous chercherons en effet à mettre en évidence qu’il y a une claire direction dans l’histoire de la pensée économique en économie de l’éducation. Cette discipline a cherché à solutionner certaines questions (présentes parfois dès l’origine de la pensée économique elle-même) par le biais d’un arsenal théorique et empirique de plus en plus sophistiqué. Si les grandes intuitions sont là depuis environ 200 ans, le travail de formalisation explicite n’a souvent débuté que depuis 50 ans, tandis que le travail empirique, sans cesse renouvelé, connaît un regain de vigueur depuis une décennie. Nous chercherons aussi à montrer qu’en progressant à partir des grandes thématiques et perspectives mises en avant depuis les années nonante (accent sur le rôle des institutions, de l’historicité, réflexion sur la dimension qualité – des institutions, des diplômés mais aussi plus prosaïquement des données collectées) l’économie de l’éducation peut devenir de plus en plus pertinente aussi pour la définition de politiques optimales. On pourrait avancer que l’économie de l’éducation, comme l’économie au sens large, a pris sérieusement en compte les critiques qui lui avaient été faites (trop de simplification théorique, trop de généralisation, trop peu de prise en compte des institutions, de la dépendance aux conditions initiales, trop peu de réflexions sur la qualité des données…) et qu’elle a renouvelé ses perspectives théoriques et ses outils en incluant des intuitions en provenance d’autres disciplines voisines (en ce inclus l’histoire, la sociologie, la psychologie) tout en gardant sa spécificité. La question de savoir si par là le paradigme néo-classique a été ou non remis en cause de façon douce reste une question ouverte.
1. UNE RAPIDE HISTOIRE DE L’ÉCONOMIE DE L’ÉDUCATION
1.1. LA PRÉHISTOIRE DE L’ÉCONOMIE DE L’ÉDUCATION : ÉCONOMISTES ET HAUTS FONCTIONNAIRES
Les idées centrales de l’économie de l’éducation ne sont pas neuves. Ainsi, le concept de capital humain, son analogie avec le capital physique, son lien avec le niveau des salaires et le niveau de développement économique, apparaissent dès les 17ième-18ième siècles. William Petty, un auteur mercantiliste, a tenté une mesure quantitative, en espèces monétaires, de la valeur d’une vie humaine en l’assimilant aux revenus gagnés au cours d’une vie active, afin ensuite de mesurer la perte économique liée aux morts sur le champ de bataille de soldats anglais (en évaluant la production perdue au travers de la somme des salaires qui auraient pu être gagnés par ces soldats morts). De façon plus centrale, Adam Smith (1776), le père de l’Ecole Classique d’Economie Politique, a mis explicitement en avant dans La Richesse des Nations l’analogie logique entre investissement en capital physique et capital humain, et présenté l’éducation comme une forme d’investissement accroissant la productivité future mais impliquant un coût pour l’acquérir dans un premier temps. On trouve aussi implicitement contenues chez Smith deux idées centrales de la théorie de l’investissement en capital humain, qui sera formalisée près de 200 ans plus tard : le rôle de l’éducation et de la formation comme déterminant de la productivité individuelle et donc des revenus ; et implicitement donc, par agrégation, son rôle comme déterminant de la richesse des nations (même si par ailleurs Smith croit que le passage de l’artisanat au travail en manufacture s’accompagne pour beaucoup de travailleurs par un processus de simplification des tâches, voire d’abêtissement). Comme il l’explique de façon brillante : « those talents, as they make part of his fortune, so do they likewise of that of the society to which he belongs »
A côté de cette première intuition venant de l’Economie Classique et assimilant le capital humain (acquis via l’éducation et la formation) à un facteur de production semblable au capital physique (ouvrant par là la voie à ces conceptions qui donnent à l’accroissement du capital humain un rôle central dans la croissance économique), une autre vision émerge dès le début du 19ième siècle et est plus ici le point de vue d’administrateurs et de hauts fonctionnaires (prussiens) : celle de l’importance du stock de capital humain lui-même sur la capacité de la population à assimiler les progrès techniques. La Prusse connut en effet après 1806-07 (la défaite face à la France napoléonienne) une période d’intenses réformes et réflexions, notamment concernant la place de l’éducation (et des institutions éducatives). Si les réformes effectivement mises en place après 1815 (l’université humboldtienne, avec sa contrepartie dans l’enseignement secondaire : le Gymnasium ; la structure binaire opposant une université généraliste centrée sur l’enseignement et la recherche à un réseau de hautes écoles professionnalisantes) ne reflètent pas la richesse de ces réflexions, il est bon de rappeler ici les points centraux des débats d’alors, tant leur écho semble contemporain. Tout d’abord, on voit émerger l’idée que la défaite militaire n’est pas due au hasard. Elle serait l’expression de problèmes plus profonds, de défauts tant dans l’organisation économique (trop de régulations inadaptées) que dans le système éducatif (trop élitiste, trop éloigné de la science et des mathématiques). Pour les réformateurs prussiens on ne peut rien attendre du laisser faire pour voir le système évoluer vers un mieux : c’est à la puissance publique de le réformer d’en-haut (reconnaissant par là la dépendance à la trajectoire forte des institutions, et la difficulté de les voir évoluer spontanément de façon radicale, quand bien même elles seraient inadaptées ; voir les travaux de North, 1990). Ils considèrent que le système éducatif prussien doit être réformé au niveau de son curriculum – ils reconnaissent explicitement l’importance de l’enseignement des sciences et de la technologie pour promouvoir l’innovation. Très liée à ce débat sur la réforme du curriculum, il y a aussi la question de la démocratisation de l’enseignement qui se pose, en termes d’efficacité économique (l’élitisme de la formation des élites et l’ignorance des sciences dans la population seraient responsables du retard prussien face à la France, notamment en termes militaires). Un fonctionnaire de l’Etat prussien, Kunth a bien résumé ces réflexions dans un rapport daté de 1816 (Gispen, 1989), On the Education of the Manufacturing and Trading Class. Il y insiste sur la nécessité de réduire l’écart entre l’éducation de la masse des citoyens actifs dans l’économie et celle de l’élite, d’introduire un nouveau curriculum, non plus centré sur les études classiques mais sur les sciences naturelles, et conçu pour toutes les classes de la société. La réforme du curriculum et la démocratisation de l’enseignement secondaire sont considérées comme centrales pour le retour de la prospérité économique. On réfléchit même à l’époque à la mise en place d’institutions qui puissent favoriser la collaboration entre institutions éducatives et l’économie, et favorisant la transformation d’innovations technologiques en produits commerciaux. Ces idées, très en avance sur leur temps, ne furent que très partiellement reprises après 1815, à cause des craintes des élites face à une trop grande démocratisation, de l’endettement de l’état prussien après la guerre, du biais anti-utilitariste en réaction au modèle français qui était celui de l’ennemi et enfin du retard économique de l’état prussien (qui n’entrera dans la révolution industrielle que dans les années 1820-1830).
1.2. 1815-1914 : QUELQUES NOUVEAUX DÉVELOPPEMENTS MÉTHODOLOGIQUES
La période 1815-1914 ne connaîtra pas de développements importants en matière d’économie de l’éducation stricto sensu, mais certaines idées apparaissent néanmoins qui seront développées plus avant dans la seconde moitié du vingtième siècle. Les développements seront surtout le fait d’économistes allemands dans la première période (jusque 1875) ensuite d’économistes anglais (1880-1914). L’Allemagne est jusque 1871 encore divisée en une multitude d’états et dans la première moitié du 19ième siècle elle est en retard sur le plan économique (le take off de son économie débutant dans les années 1820-1830). Friedrich List (1789-1846), inspiré par la tradition Caméraliste (et plus largement le Mercantilisme), était l’avocat de l’argument de l’industrie-enfant pour permettre un décollage économique dans un espace allemand qu’il souhaite de surcroît unifié économiquement (unification douanière, développement des chemins de fer comme outil de création d’un vrai marché unique). Pour lui, des formes temporaires et ciblées de protectionnisme (couplées à une politique industrielle stratégique menée par des fonctionnaires clairvoyants) peuvent seules permettre à l’Allemagne de construire un secteur industriel qui une fois arrivé à maturité pourra rivaliser à égalité avec le pays leader aux plans technologique et économique (le Royaume Uni). Mais List (1841, éd. française 1857, 1998) considérait la politique commerciale comme un outil parmi d’autres. Il mettait aussi l’accent (et en cela il était très « moderne ») sur le rôle d’institutions politiques stables, le respect du droit, et une puissance publique soucieuse de la mise en place d’un système éducatif en phase avec les besoins du développement industriel, notamment pour éviter d’éventuels goulots d’étranglement. Il se fera aussi l’apôtre d’une immigration que l’on dirait aujourd’hui choisie (à savoir favoriser la venue d’artisans possédant des talents rares et/ou maîtrisant des technologies encore peu développées dans le pays d’accueil). Friedrich List était donc parfaitement conscient de l’importance du capital humain et de la technologie dans une stratégie de croissance. Un peu plus tard dans le 19ième siècle, Karl Marx (1867) a le premier formalisé au sein de l’Economie Classique l’hétérogénéité de la force de travail : le travail simple (« non qualifié ») ne peut être confondu avec le travail complexe (« qualifié ») en termes de productivité. Qui plus est, la production de travail complexe nécessite des investissements en travail simple et complexe (temps de formation des étudiants, temps dépensé par les éducateurs qui ont eux-mêmes dépensé du temps pour se former, travail « mort » incorporé dans les outils de travail des apprenants et des maîtres…), et Marx a le premier proposé une modélisation de ce processus, préfigurant l’idée de fonction de production du capital humain qui inclut comme argument le capital humain lui-même. En 1875, Von Thünen a résumé le siècle écoulé de pensée économique en matière de liens entre éducation et économie : « les nations plus éduquées possèdent un plus grand capital, dont le rendement s’exprime par un plus grand produit de son travail »
Alfred Marshall (1842-1924), un des membres éminents de la nouvelle Ecole NéoClassique anglaise, a également parlé du capital humain (même s’il l’a rejeté comme concept utile et réaliste). Il pensait qu’un soutien public à l’éducation était nécessaire, et qu’il s’agissait là d’un investissement profitable pour la société entière. Il a aussi introduit le concept d’externalité en ce qui concerne l’investissement éducatif : il y a en effet non seulement des bénéfices directs pour celui qui investit en formation mais également des bénéfices indirects tout aussi importants pour la collectivité comme le fait de rendre les individus plus loyaux, plus disciplinés, davantage capables de faire face au changement (un argument qui sera repris par Schultz, 1963). Le lien entre externalités et soutien public est clair d’un point de vue néo-classique (on en retrouvera une modélisation célèbre avec l’article de Lucas, 1988).
1.3. 1914-1956 : L’ÉCONOMIE DE L’ÉDUCATION DEVIENT SECONDAIRE
En 1914, Wicksteed a formulé l’idée (peut-être influencée par le contexte de société très inégale dans lequel il vivait, où l’éducation – surtout au-delà de l’école primaire, était le privilège des riches) que les choix éducatifs étaient principalement des choix de consommation déterminés par les revenus des parents et pas une forme d’investissement. Cette vision n’était évidemment pas propice à un large développement d’une analyse économique des phénomènes éducatifs. Le contexte historique global, plus probablement, explique le faible nombre de travaux sur cette thématique. Le climat de guerre (première et seconde guerre mondiale) et de crise économique (hyperinflation dans le début des années 20, la Grande Crise de 1929…) ne pouvait que contribuer à réduire l’horizon temps des décideurs politiques et à distraire les économistes des préoccupations de long terme au profit de tâches plus directement utiles à la gestion de l’effort de guerre (pensons à la recherche opérationnelle) ou à la compréhension des cycles conjoncturels ou des crises (pensons à l’émergence de la macroéconomie keynésienne). La Grande Crise et les problèmes de chômage induits (y compris parmi les diplômés universitaires) ont néanmoins conduit certaines administrations, voire économistes, à se préoccuper de cette question. Les préoccupations statistiques dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres sont à cet égard exemplatives (voir Karl Keller, 1940).
1.4. 1956-1973 : L’ÂGE D’OR DES THÉORIES DE L’INVESTISSEMENT DANS LE CAPITAL HUMAIN ?
Les années cinquante vont voir le double développement des théories de la croissance et l’émergence des approches en termes d’investissement en capital humain (fin des années 50 et début des années 60). Après une période pendant laquelle les économistes ne se sont pas tellement interrogés sur les mécanismes de croissance mais ont plutôt cherché dès la fin du 19ième siècle (avec l’émergence des écoles néo-classiques) à comprendre le fonctionnement du marché et le rôle des prix (la concurrence parfaite, l’équilibre général) puis les diverses structures de concurrence (entre les deux guerres avec le début des travaux sur la concurrence imparfaite), on va voir réemerger peu à peu la vieille préoccupation des économistes classiques sur les déterminants de la croissance de long terme. En 1956, Solow introduira un modèle de croissance dit néo-classique qui n’est pas sans rappeler le message ricardien (modèle avec accumulation de facteurs de production, rendements décroissants menant in fine à un arrêt de la croissance par tête ; seul un progrès technique exogène pouvant soutenir le taux de croissance de long terme, le comportement d’épargne, n’ayant d’impact que sur les niveaux de produit par tête).
L’année suivante Solow (1957) introduira les approches en termes de comptabilité de croissance qui feront prendre conscience aux économistes que seule une faible partie de la croissance peut être attribuée à la croissance des facteurs de production traditionnels (capital, travail). Un résidu de croissance va donner lieu à de nombreuses interprétations (progrès technologique exogène, mais aussi rôle de l’éducation). Le contexte historique particulier jouera sans doute également son rôle. La période est celle de la guerre froide et de la confrontation Est-Ouest. Les soviétiques ont transformé leurs systèmes d’éducation dans la perspective de le rendre utile à leur stratégie de développement économique (pensons à la « polytechnisation » de l’enseignement secondaire) – on retrouve ici un message listien – non sans succès. Le système socialiste de planification et de mobilisation de la main-d’oeuvre qualifiée mène l’URSS à prendre de l’avance dans la conquête spatiale (en 1958 le satellite Sputnik est le premier de son genre).
D’un autre côté, l’époque est aussi celle de la lente émergence des pays du Tiers-Monde (dont beaucoup se veulent non-alignés), dont les pays se trouvent confrontés au choix d’une stratégie de développement. Cette problématique jointe à la concurrence des modèles économiques va donner à l’économie du développement, à l’histoire économique et à la théorie de la croissance une vigueur renouvelée par l’intérêt qu’elles suscitent auprès des décideurs. Le lien entre éducation, productivité et salaire est peu à peu pensé, d’abord empiriquement avec les recherches de Mincer (1958), et son analyse de régression visant à extraire une mesure du taux de rendement de l’éducation. Plus en lien avec les théories du développement, Schultz (1961, 1963) va mettre l’accent sur l’importance de la qualité de la main-d’oeuvre dans le processus de développement économique (idée que l’éducation a d’autant plus de valeur que le pays est en situation de changement, de par l’aptitude qu’elle donne à apprendre de nouvelles choses et prendre des décisions), notamment en matière de productivité de la main d’oeuvre agricole.
Mais c’est Becker (1964) qui va introduire réellement l’intuition de Smith (1776) dans l’analyse économique formalisée, à savoir l’investissement en capital humain comme analogue à l’investissement en capital physique (en important les concepts déjà développés dans la théorie microéconomique). Le capital humain peut être vu comme l’ensemble des talents et compétences productifs du travailleur, qu’ils aient été acquis informellement (via l’expérience) ou formellement (via l’éducation ou la formation). Cet investissement en capital humain est supposé accroître la productivité individuelle et par là les salaires (sur des marchés concurrentiels). Par agrégation, cet investissement contribue à la croissance. Le capital humain fut ainsi employé comme un outil pour rendre compte d’une série de faits stylisés en économie du travail (déterminants des salaires, hiérarchie de ceux-ci selon le niveau de formation, profil âge-gains concave, distribution des revenus personnels ; voir Mincer, 1958 ; Ben-Porath, 1967) et dans la théorie de la croissance (Arrow, 1962 ; Uzawa, 1965 ; Nelson et Phelps, 1966). Sur base de cette conceptualisation, des modèles théoriques furent bâtis (Ben-Porath, 1967, en lien avec Becker, 1965) pour rendre compte du comportement de l’homme rationnel en matière d’accumulation de capital humain compte tenu de diverses contraintes pesant sur lui (aptitude, temps disponible, durée de vie…).
Ben-Porath (1967) développa ainsi en ayant recours aux outils du contrôle optimal un modèle où il montre qu’il est rationnel quand on est jeune de s’investir à temps plein dans l’éducation formelle, pour ensuite passer à une période pendant laquelle il est optimal de partager son temps entre travail productif (salarié) et accumulation de capital humain (par exemple via la formation professionnelle, ou l’apprentissage sur le tas), pour finir par arrêter l’investissement en capital humain à l’approche de la retraite (le coût d’opportunité du temps passé à se former devenant fort élevé vu la déjà grande quantité de capital humain accumulée tandis que le temps restant pour amortir son investissement se raccourcit de plus en plus). Ce modèle permet également de rationaliser l’observation empirique de profils âges-gains concaves (un des résultats empiriques les plus stables de la science économique, selon Siebert, 1985).
Au-delà de ces travaux liés à l’économie du travail on vit également le développement de travaux davantage concentrés sur le lien entre éducation et croissance. Au-delà d’approches théoriques (Arrow, 1962 ; Uzawa, 1965 ; Nelson et Phelps, 1966) dans lesquelles on trouve en germes les grands débats qui animeront les spécialistes dans les années 90 (par exemple le rôle relatif du stock de capital humain lui-même ou son accumulation dans la croissance), on vit aussi le développement de nombreux travaux empiriques, comme la comptabilité de croissance (initiée par Solow, 1957, mais développée ensuite par Denison, 1967 ; Jorgenson et Griliches, 1967 ; voir Jorgenson et Fraumeni, 1992 pour un panorama plus récent), donnant une grande importance aux facteurs résiduels (progrès technique, éducation) dans l’explication des performances de croissance.
Cette approche a sans doute largement contribué à diffuser la croyance selon laquelle investir en éducation était une des préconditions à une croissance rapide (dans une époque où l’on croit à l’émergence d’une économie de plus en plus sophistiquée sur le plan technologique). Tous ces travaux théoriques et empiriques (ainsi que la concurrence du modèle soviétique) sur le lien entre capital humain et croissance ont contribué à créer dans les années 60 auprès des décideurs (politiques mais aussi les entreprises privées) une sorte de consensus en faveur d’une expansion massive des systèmes d’enseignement (notamment supérieurs) sur fonds publics (la plus grande productivité des travailleurs devant se traduire en salaires plus élevés, l’Etat peut escompter un rendement fiscal à ses dépenses publiques, dans le cadre d’une taxation à l’époque plus progressive que de nos jours). Le niveau de dépenses publiques dévolu à l’éducation ainsi que le nombre (et le pourcentage d’une classe d’âge) de jeunes atteignant un niveau de plus en plus élevé d’éducation ne firent que croître dans la décennie soixante (dans un contexte il est vrai de croissance économique soutenue).