Ni la détention de liquidités importantes, ni un fonds de roulement positif, tout en grevant la rentabilité de l’entreprise, ne garantissent sa sécurité.
La gestion optimale de la trésorerie montre que contrairement à l’opinion courante, l’objectif de rentabilité ne s’oppose pas à l’objectif de liquidité.
A terme, la rentabilité des emplois est le gage de la solvabilité. Dans la courte période, la recherche du volume de l’actif minimum conduit à concilier les contraintes de sécurité et de rentabilité.
La politique de trésorerie repose sur la maîtrise de l’évolution de la situation financière de la firme dans tous ses aspects.
Introduction : Définition et données de la problématique.
Chapitre 1 : Equilibre financier de la firme et trésorerie.
Section 1 : Le contrôle de l’équilibre financier.
§ 1) Le fonds de roulement, indicateur de l’équilibre financier.
§ 2) Analyse de la liquidité par la méthode des ratios.
Section 2 : Les conditions de réalisation de l’équilibre financier.
§ 1) L’analyse rétrospective des variations d’encaisse.
§ 2) L’anticipation des conditions de réalisation de l’équilibre financier.
Chapitre 2 : Encaisse monétaire et trésorerie.
Section 1 : L’encaisse monétaire de la firme.
§ 1) Préférence pour la liquidité et gestion des stocks.
§ 2) Les limites de la gestion de la trésorerie en termes de stocks.
Section 2 : La minimisation du volume de l’actif monétaire.
§ 1) La maîtrise des flux monétaires et l’économie de coûts. § 2) La négociation des conditions de banques.
Section 3 : La prévision des flux de trésorerie.
§ 1) Analyse des mouvements de trésorerie.
§ 2) Le lissage de la courbe de trésorerie.
Chapitre 3 : Trésorerie et politique financière de la firme.
Section 1 : Les conditions de la liquidité de l’entreprise.
§ 1) La gestion du flux de liquidité.
§ 2) La gestion du potentiel de reconstitution des liquidités.
Section 2 : Le choix du mode de financement de la trésorerie.
§ 1) Les fonctions du crédit à court terme.
§ 2) La détermination de la combinaison optimale des crédits de dépannage.
§ 3) Le placement des excédents de trésorerie.
Chapitre 4 : La gestion de la trésorerie et la variation du pouvoir d’achat de la monnaie.
Section 1 : Les effets de l’inflation sur la trésorerie des entreprises.
§ 1) Les effets de l’érosion monétaire sur le flux de liquidité de l’entreprise.
§ 2) Les effets de l’érosion monétaire sur le potentiel de reconstitution des liquidités.
Section 2 : La gestion du risque de change.
§ 1) Risque de change et pouvoir d’achat du flux de liquidité.
§ 2) Risque de change et potentiel de reconstitution des liquidités.
Conclusion.
Introduction
La trésorerie d'une entreprise peut être analysée comme l'ensemble de ses possibilités de paiement considéré par rapport à l'ensemble des engagements qu'elle a contractés. La situation de trésorerie découle des conditions dans lesquelles disponibilités et vont se présenter les unes par rapport aux autres dans le temps. C’est ce qu'exprime la notion de solvabilité définie comme l'aptitude d'un agent économique à faire face à ses dettes lorsque celles-ci viennent à échéance. La gestion optimale de la trésorerie consiste à prévoir, contrôler et maîtriser la dimension et la date des exigibilités et celles des disponibilités spontanées résultant du fonctionnement de l'entreprise, et, à se procurer en temps voulu et au moindre coût les disponibilités complémentaires qui sont éventuellement nécessaires. Autrement dit la gestion optimale de la trésorerie a pour objectif d’assurer la liquidité de la firme au moindre coût.
Le maintien de la liquidité du patrimoine est l'objectif de la «politique de trésorerie». Nous nous proposons de définir le contenu d'une telle politique. Pour cela il conviendra d'abord de déterminer l'approche méthodologique du problème avant de décrire les moyens d'actions et les conditions de la mise en oeuvre pour parvenir à l’optimum de gestion.
Traditionnellement gérer la trésorerie d’une firme se résume aux deux activités suivantes :
- contrôler le niveau de l'encaisse, - et, maintenir la solvabilité.
Le contrôle du niveau de l'encaisse s'effectue à partir de l’étude du bilan.
« Encaisse » et « trésorerie » désignent la même réalité. La trésorerie s’analyse comme une résultante de l'activité. Autrement dit, la trésorerie d'une entreprise à un moment donné est la différence, à cette date, entre :
- son fonds de roulement qui est la part des capitaux permanents non absorbée par le financement des valeurs immobilisées et donc disponibles pour financer les besoins liés au cycle d'exploitation ;
- et ses besoins en fonds de roulement, c'est-à-dire liés au cycle d'exploitation.
Lorsqu’à une date déterminée le fonds de roulement est supérieur aux besoins en fonds de roulement la trésorerie est positive. Au contraire, si le fonds de roulement est insuffisant la trésorerie est négative.
Le maintien de la solvabilité qui revient à assurer le règlement des échéances résulte, quant à lui, de décisions financières à court terme. Cette action se subdivise en deux volets :
- d’une part, la détermination d'un niveau d'encaisse à conserver pour des motifs de transaction, de précaution, de financement et de spéculation ;
- d’autre part, le choix du meilleur mode de financement des déficits de trésorerie qui peuvent apparaître.
L'objectif de solvabilité serait facilement atteint si l'entreprise pouvait disposer d'une large encaisse lui procurant une grande marge de sécurité. Or toute détention de monnaie implique un coût : rentabilité et solvabilité apparaissent comme deux termes antagoniques.
Chaque année des milliers d'entreprises sont confrontées à des difficultés de trésorerie. Le phénomène n'affectent pas seulement des entreprises de petites et moyennes dimensions ou encore non rentables. Les difficultés de trésorerie que connaissent les entreprises tiennent à l'évolution que connaissent les économies modernes. Mais ne peut-on également supposer que la gestion de la trésorerie nécessite une plus grande rigueur sur le plan pratique et une nouvelle approche sur le plan théorique. Pendant longtemps, en effet, la conjoncture économique avait rendu facile le paiement des dettes et le remboursement des prêts par les entreprises qui avaient su s'endetter. Or, depuis vingt ans les problèmes de trésorerie constituent un des goulots d'étranglement de l'activité des entreprises. Le nombre de celles qui se heurtent « au mur d'argent » ne cesse d'augmenter. Quatre phénomènes sont à cet égard à prendre en considération.
- D’abord, même si actuellement le coût de l'argent connaît une nette détente, il a conféré une importance de premier ordre au suivi des comptes clients et fournisseurs c’est à dire au crédit commercial interentreprises.
- Ensuite, la conjoncture économique, en particulier la consommation, suite aux chocs pétroliers, au chômage, aux innovations technologiques et aux délocalisations, rend les exigences de la liquidité du patrimoine de plus en plus difficile à maîtriser.
- En outre, le risque monétaire est toujours présent : si l'inflation n’a plus depuis quelques années dans nos économies industrielles un effet dévastateur, le risque de change dû au flottement des monnaies reste un facteur d’insécurité.
- Enfin, les risques du marché de l’argent, notamment lerisque de taux ont conduit au développement de techniques de protection, véritable « ingénierie financière » au service de la gestion de la trésorerie.
A la lumière de ces faits il apparaît donc nécessaire de redéfinir les données et les objectifs d’une gestion optimale de la trésorerie des entreprises. L'intérêt de cette réflexion est double :
D'un point de vue pratique nous analyserons les causes des difficultés de trésorerie lorsque l'entreprise est rentable et en pleine croissance. Nous n'aborderons pas les conséquences financières d'une baisse du niveau de l'activité dont la cause est soit une crise économique générale, soit un affaiblissement de la demande du produit. Dans le premier cas, il s'agit d'une situation dépassant largement les problèmes de trésorerie. Dans le deuxième cas, il s’agit de trouver un autre marché ou de disparaître. Les entreprises véritablement « malades de leur seule trésorerie » sont généralement des entreprises en pleine expansion et à endettement important à court terme. Même lorsque la conjoncture est favorable de telles entreprises ont des problèmes d'échéance qui peuvent devenir très graves. Une crise de trésorerie révèle les faiblesses de la gestion de la firme car tout acte de gestion se traduit par des entrées et des sorties de liquidités. Nous montrerons que toute crise de trésorerie se rattache à l’un des deux cas suivants :
- les crises conjoncturelles de trésorerie, d’une part, provoquées par le manque de synchronisation entre les flux d'entrée et les flux de sortie de fonds ;
- les crises structurelles de trésorerie, d’autre part, résultant de la nonconcordance entre la stabilité globale du financement et le délai global de récupération de l'usage des fonds.
La gestion de la trésorerie déborde donc largement le court terme. Elle relève d'une étude économique des besoins de financement de l'entreprise et se trouve à la charnière des problèmes financiers et des problèmes d'exploitation. La trésorerie n'est pas le solde de flux monétaires, mais la synthèse de toutes les politiques de l'entreprise. La gestion de la trésorerie joue donc un rôle essentiel dans la vie des entreprises.
D'un point de vue théorique, ensuite, nous mettrons en évidence qu’une gestion optimale de la trésorerie passe par une approche systémique de la gestion financière. La politique de trésorerie est conditionnée par les choix financiers fondamentaux :
- choix de la structure du passif, ou politique de financement,
- choix de la structure de l'actif, ou politique d'investissement.
L'optimum de la gestion se définit par la compatibilité étroite qui existe entre la liquidité et la rentabilité. A court terme, la solvabilité ne doit pas reposer sur la détention de liquidités mais sur de sérieuses prévisions concernant, d’une part, le comportement des flux monétaires à court terme et même à très court terme, et, d'autre part, l'évolution de la structure du patrimoine qui conditionne la formation même de ces flux. A long terme seule une rentabilité élevée assure à l'entreprise un volume d'autofinancement compatible avec une politique d'endettement qui procure à l'entreprise des ressources nouvelles. Tout investissement entraîne l’immobilisation de fonds mais sa rentabilité doit permettre la reconstitution des liquidités de la firme. Nous montrerons que la politique d'investissement qui engendre la meilleure liquidité globale de l'entreprise est le choix optimal et le plus rentable. Une gestion optimale de la trésorerie est une gestion qui maximise à la fois liquidité et rentabilité. La gestion de la trésorerie, c’est-à-dire de la liquidité de la firme, s'articule donc autour de trois actions :
- une action conjoncturelle, dont l'objectif est de maintenir le solde bancaire le plus proche de zéro par la maîtrise des flux d'entrée et de sortie de fonds ;
- une action structurelle, dont l'objectif est de contrôler le potentiel de reconstitution des liquidités du patrimoine de l’entreprise par la maîtrise de la formation et de l'affectation du flux de liquidité, par une juste évaluation des besoins en fonds de roulement et leur financement adéquat.
- une action monétaire, par la mise en place d'une protection contre la variation du pouvoir d'achat de la monnaie et les risques des marchés de l’argent.
CHAPITRE 1 : Equilibre financier de la firme et trésorerie.
Une bonne situation financière se caractérise par l'aptitude à conserver un degré de liquidité suffisant au patrimoine afin d'assurer en permanence la solvabilité de l’entreprise. Celle-ci résulte donc de l’opposition entre la liquidité des actifs et l’exigibilité de l’endettement. C’est pourquoi l'une des préoccupations fondamentales du responsable financier est le contrôle de l’équilibre financier de la firme. Le fonds de roulement et les ratios sont les instruments de mesure de l'équilibre les plus utilisés. Mais le contrôle de l’équilibre financier au travers de ces instruments reste insuffisant pour l'expliquer. Aussi, doit-on compléter cette première analyse par celle des mouvements financiers qui ont conduit à l’équilibre constaté. Cette seconde analyse permet d’apprécier la situation de trésorerie à un moment donné, d'anticiper les mouvements à venir, et partant, de disposer des informations indispensables pour entreprendre le cas échéant, les actions correctives nécessaires.
Section 1 : Le contrôle de l’équilibre financier.
Le contrôle de l'équilibre financier se limite en général à l’examen du fonds de roulement et au calcul d'un certain nombre de ratios.
De tous les instruments d’appréciation de la situation financière d'une firme, le fonds de roulement est le plus souvent utilisé tant par les dirigeants de l’entreprise que car ses banquiers. Mais cette notion donne à lieu à une pluralité de définitions dont l’imprécision est une source fréquente d’ambiguïté et de confusion. Le fonds de roulement est la part des capitaux permanents qui finance le cycle d’exploitation. Il exprime la « capacité de trésorerie » de la firme et apparaît comme la source de financement privilégiée des besoins de trésorerie.
I - Le fonds de roulement, moyen de financement des besoins de trésorerie.
Selon le principe fondamental et traditionnel de l'équilibre financier (1), les différentes valeurs d’actifs doivent toujours être financées par des capitaux restant à la disposition de la firme pendant un temps au moins égal leur durée de vie. Ainsi les immobilisations constituant par définition des emplois à long terme ne devraient pas être financées par des crédits à court terme susceptibles de ne pas être reconduits ou de disparaître d’eux-mêmes. Cependant cet équilibre est fragile. Il faut le consolider en constituant une marge de sécurité : le fonds de roulement.
A - La détermination du fonds de roulement.
Le fonds de roulement est calculé de deux manières :
(1) Voir la règle dite « de l’équilibre financier minimum », Depallens G. : « Gestion financière de l’entreprise », Sirey, 5ème édition, p.193.
- excédent des capitaux permanents sur les immobilisations nettes ;
- actif circulant - dettes à court terme (après affectation des bénéfices).
1 - La référence aux capitaux permanents.
L'existence d’un fonds de roulement positif signifie qu’une partie des actifs circulants est financée par des capitaux à long terme. Les besoins en fonds de roulements sont la part des besoins cycliques dont le financement n’est pas assuré par les ressources cycliques mais par le fonds de roulement, et, si celui-ci est insuffisant par des crédits à court terme. Le tableau des besoins et des ressources peut alors s’écrire de la manière suivante :
ACTIF |
PASSIF |
Besoins en fonds roulement |
Fonds de roulement |
Trésorerie (excédentaire) |
Trésorerie (déficitaire) |
Il en découle « la relation fondamentale de la trésorerie » (1) :
Trésorerie = fonds de roulement - besoins en fonds de roulement.
Le fonds de roulement et les besoins en fonds de roulement sont le plus souvent positifs. Il se peut que l'un ou l’autre, ou les deux, soient négatifs. Un fonds de roulement négatif constitue un besoin que l’on doit financer. Des besoins en fonds de roulement négatifs constituent des ressources. Si les besoins de financement de l’exploitation sont supérieurs au fonds de roulement, la trésorerie est négative. Par conséquent, la relation fondamentale permet d’écrire :
Fonds de roulement = besoins en fonds de roulement ? trésorerie.
2 - La référence aux dettes à court terme.
La justification du fonds de roulement, en tant qu’indicateur de l'écart entre l’actif circulant et les dettes à court terme repose sur la thèse de la liquidation automatique des dettes à court terme (2). Selon cette thèse, les stocks accumulés pour faire face aux demandes saisonnières de pointe sont entièrement financés par des emprunts à court terme. L'utilisation de ces stocks « temporaires» entraîne la formation de flux de liquidités qui deviennent disponibles pour le remboursement de ces concours. L’idée de « liquidation automatique » a été étendue à l'ensemble de l'excédent des valeurs de roulement sur les dettes à terme. Autrement dit, les capitaux circulants « temporaires » seraient financés par les exigibilités immédiates et les capitaux circulants « restants » par des ressources permanentes : le fonds de
(1) Voir MEUNIER, de BAROLET et BOULMER : « La trésorerie des entreprises », Dunod, tome 1, p. 11.
(2) HOWARD B.B. et UPTON M. : « Introduction to business finance », New-york, Mac Graw Hill Book Co 1953, p.30.
Roulement. Le fonds de roulement constitue donc une marge de sécurité : il correspond aux pertes que peut subir une entreprise sans que celle-ci soit obligée de vendre une partie de ses immobilisations ou d’emprunter. En l'absence de cette marge, le dégonflement des crédits à court terme résultant d'une cause quelconque, par exemple d'une baisse momentanée de l’activité, plonge l'entreprise dans une crise de trésorerie en la mettant en état de cessation de paiement.
B - Le fonds de roulement est la mesure du compromis entre rentabilité et solvabilité.
La diminution du fonds de roulement entraîne une augmentation de la rentabilité de l'entreprise mais en même temps une augmentation du risque d'insolvabilité et réciproquement (1).
1 - Une augmentation de la rentabilité.
A montant égal les concours à moyen et long terme sont généralement plus onéreux que les crédits à court terme. En effet :
- d'une part, les intérêts payés sur des prêts à long terme sont généralement supérieurs à ceux payés sur des crédits à court terme ;
- d'autre part, la rigidité des emprunts à long terme rend leur emploi plus onéreux que ceux à court terme (2).
En outre, le rapport « Résultat / Capital » sera plus élevé.
2 - Une augmentation du risque d'insolvabilité.
L'entreprise augmente son risque lorsqu'elle accroît son financement à court terme par rapport à ses engagements à long terme. En cas de non-renouvellement des crédits à court terme, l’importance de ses difficultés de trésorerie sera proportionnelle à la part du court terme dans ses ressources. Le coût du risque d'insolvabilité peut aller du prix élevé d'un concours demandé d’extrême urgence jusqu'à la faillite.
II - Le fonds de roulement n'est pas un bon indicateur de solvabilité.
L'expérience et l’observation prouvent que l’on ne peut porter aucun jugement de valeur sérieux sur la solvabilité d’une entreprise à la seule considération de son fonds de roulement.
(1) Voir sur ce point AFTALION, DUBOIS, MALKIN : « Théorie financière de l’entreprise », PUF 1974.
(2) Si ces derniers sont toutefois convenablement utilisés ( les emprunts à court terme demandés en urgence, par exemple, ont au contraire un coût très élevé ).
A - Les limites à la signification du fonds de roulement tirées de l'expérience.
Ni le volume, ni la composition, ni le sens de variation du fonds de roulement ne renseignent avec certitude sur la liquidité de l’entreprise.
1 - Volume du fonds de roulement et trésorerie.
Alors qu’une structure financière bien équilibrée, c’est-à-dire présentant un fonds de roulement positif, est généralement un indice de bonne gestion, une présomption de difficultés découle d'un bilan en déséquilibre dont l’actif immobilisé est supérieur aux ressources permanentes. En fait, le niveau du fonds de roulement dépend largement de la manière dont l'actif est géré. Très étoffé, il peut signifier que les immobilisations ne sont pas suffisamment renouvelées et que les actifs de roulement sont excessifs, ce qui traduit un sous-emploi des capitaux permanents. A l’inverse, l’étroitesse du fonds de roulement peut parfois s’expliquer par la nature très particulière de l’activité de certaines entreprises. Le montant du fonds de roulement est ainsi déterminé par les caractéristiques du cycle d'exploitation et de la gestion qui conditionnent fortement le niveau des besoins en fonds de roulement. En règle générale, plus la durée du cycle d’exploitation est longue, plus ces besoins sont élevés et plus le fonds roulement constaté au bilan doit être important.
Une entreprise ayant un fonds de roulement élevé n’a pas nécessairement une trésorerie aisée si ses besoins en fonds de roulement sont plus importants. A l’opposé, une entreprise ayant un fonds de roulement faible, voire négatif, n’a pas nécessairement une trésorerie serrée (1).
2 - Composition du fonds de roulement et trésorerie.
Le banquier se préoccupe de la proportion relative des fonds propres et des dettes à terme. La vulnérabilité d’une société croît, en effet, avec l’importance de son endettement. Plus une firme est endettée plus ses facultés d’endettement supplémentaire sont limitées, toutes choses égales par ailleurs. C’est pourquoi l’on calcule le fonds de roulement propre. Le fonds de roulement propre est égal à la différence entre les capitaux propres et les immobilisations nettes et indique le degré d’indépendance financière de la firme. Mais un fonds de roulement propre positif peut aussi sous-entendre que la firme ne parvient pas à financer son cycle d'exploitation au moyen de ses seules ressources empruntées, et, dispose donc d'une marge de manoeuvre d’autant plus restreinte pour financer son cycle d’investissement.
Pour financer ses investissements une entreprise ne peut et doit pas compter que sur elle-même. Ce serait alors juger favorablement les entreprises qui investissent peu et défavorablement les entreprises dynamiques. Cependant, si les banquiers conseillent le plus souvent le recours au financement à long et à moyen terme, ils recommandent afin de préserver la solvabilité de l'entreprise, un certain équilibre au sein du fonds de roulement. Une règle empirique unanimement admise spécifie que les capitaux étrangers à terme ne devraient pas dépasser au bilan les
(1) C'est le cas de certaines entreprises commerciales (grandes surfaces, en particulier) qui vendent au comptant et achètent à crédit.
capitaux propres (1).
3 - Variations du fonds de roulement et trésorerie.
On peut être tenté de juger favorablement une entreprise dont le fonds de roulement augmente et défavorablement celle dont il diminue. Or, le fonds de roulement d'une entreprise peut baisser sans que la situation de celle-ci ne se détériore. Cela peut tout simplement signifier que la société vient d’investir sans concours extérieur grâce à sa trésorerie pléthorique. Inversement, le gonflement du fonds de roulement peut traduire la formation d'une encaisse oisive. Il convient donc d’analyser les facteurs explicatifs de tels mouvements pour les interpréter judicieusement.
B - Les limites à la signification du fonds de roulement tirées de l'observation statistique.
L'observation statistique confirme la portée réduite de la notion de fonds de roulement en tant que critère de solvabilité et plus généralement d'équilibre financier de la firme.
1 - Le lien entre la valeur du fonds de roulement et le secteur d'activité se révèle assez lâche.
Cette observation se retrouve tant dans les travaux de MADER (2) que dans ceux de la Caisse Nationale des Marchés de l'Etat (3). Certes, le fonds de roulement apparaît différent en moyenne d'un secteur à l'autre, mais à l'intérieur d'une même industrie la dispersion des valeurs reste très forte (de 53 % à 187 %). On ne peut donc parler d'un fonds de roulement « normal » pour un secteur déterminé.
2 - Le fonds de roulement varie également avec la taille de l'entreprise, appréciée par le chiffre d'affaires.
Cependant il est impossible de dégager un lien entre la croissance de la firme et le fonds de roulement. Dans aucun secteur on ne remarque quelle que soit la taille de l’entreprise, mesurée par le chiffre d'affaires, une croissance ou une décroissance continue du fonds de roulement.
* Les limites de la notion de fonds de roulement en tant qu'indicateur d'équilibre peuvent se comprendre de la façon suivante :
Le fonds de roulement révèle l'importance et la composition des moyens
(1) En réalité, l'effet de levier montre que ce n’est pas le rapport entre le volume des capitaux propres et le volume des capitaux empruntés qui importe, mais la confrontation de la rentabilité des capitaux investis au coût des capitaux empruntés.
(2) voir F. MADER: « Etude statistique du fonds de roulement », Analyse Financière n° 14, 3ème trimestre I973, p. 7 à 26.
(3) Voir « Quel est le fonds de roulement des entreprises », Bulletin économique de la C.N.M.E. N° 61, 4ème trimestre I973 II B.
financiers stables que l'entreprise a affectés au financement de son exploitation. Il est donc évident que le montant du fonds de roulement d'une entreprise varie avec son secteur d'activité et son chiffre d'affaires mais aussi d'une société à une autre. Le financement du fonctionnement et de la croissance est une question de choix propre à chaque entrepreneur. Face à des contraintes comparables ( cycle d'exploitation, croissance, marchés, système bancaire, etc. ) les décideurs réagissent de façon personnelle et originale. Par conséquent, on ne peut affirmer a priori par un simple calcul si tel fonds de roulement est suffisant ou non car les besoins varient selon le chiffre d'affaires, les circonstances économiques du moment, la nature de l'activité, et dans une même branche d'activité selon la politique commerciale des dirigeants. L'étude de la trésorerie d'une firme implique donc l'étude conjointe du fonds de roulement et des besoins en fonds de roulement.
III - L'apport de la notion de besoins en fonds de roulement.
Devant l'insuffisance de la notion de fonds de roulement « constaté » au bilan, les analystes financiers ont cherché à déterminer le montant « optimal » de fonds permanents nécessaires au fonctionnement régulier de l'entreprise.
A - Les différentes conceptions des besoins en fonds de roulement, expression du fonds de roulement normatif.
L’évolution des conceptions montre les progrès réalisés dans l'appréciation du fonds de roulement normatif.
1 - Le fonds de roulement total, ou fonds de roulement brut.
C'est la notion la plus large puisqu'elle englobe l'ensemble des actifs circulants. Du point de vue de la liquidité de la firme, le fonds de roulement total mesure l'importance des ressources dont doit disposer l'entreprise pour financer la totalité de ses dépenses de fonctionnement lorsqu’elle n'a aucune possibilité de recourir au crédit à court terme. Or pour assurer le financement de son exploitation l'entreprise dispose de capitaux à court terme qui lui sont apportés par sa clientèle (acomptes), ses fournisseurs, divers créanciers ( tels que URSSAF, fisc, personnel, etc ) et ses banquiers. Devant l'imprécision et l'insuffisance de cette conception des besoins d'exploitation, on a introduit la notion de « stock-outil ».
2 - Le stock-outil.
Considérant qu'une partie des stocks était pratiquement incompressible et représentait en fait un outil aussi indispensable à l'entreprise que son actif industriel, on en est venu à soutenir que le fonds de roulement devait être suffisant pour financer ce stock minimum appelé depuis « stock-outil ». Cette remarque est fondée quoique partielle. En effet, rien ne permet de limiter l'analyse aux seuls stocks ; on est en droit de définir de la même façon un poste « clients-outil », « débiteurs diversoutil », etc. Autrement dit, le fonds de roulement doit couvrir une fraction, voire la totalité, des actifs circulants incompressibles ou permanents.
3 - Les besoins en fonds de roulement.
Les besoins en fonds de roulement d'une entreprise représentent le fonds de roulement nécessaire à cette entreprise pour que compte tenu des besoins et des ressources liés à l'exploitation, la trésorerie ne soit pas négative. Le cycle d'exploitation d'une entreprise, en effet, engendre à la fois des besoins ( stocks, crédit-clients, etc. ) et des ressources (crédit-fournisseurs, etc ). En comparant ces besoins et ces ressources, on détermine le volume des fonds nécessaires pour assurer le fonctionnement régulier de l'entreprise.
B - Calcul des besoins en fonds de roulement.
Les méthodes proposées peuvent être regroupées en trois catégories :
- les méthodes mathématiques reposant sur l'optimisation du couple
« sécurité-rentabilité » ;
- les méthodes bancaires qui utilisent le bilan ;
- les méthodes de calcul à partir du compte d'exploitation, ou « méthodes des experts-comptables ».
1 - Calcul mathématique de l'optimum du fonds de roulement (1).
Ce calcul peut être abordé de trois façons :
- une augmentation de la rentabilité obtenue en substituant du court terme au long terme ;
- et par, une augmentation du coût du risque d'insolvabilité ;
En fait ce calcul n'a qu'une portée opérationnelle très limitée :
- d'abord, il semble fort difficile, voire impossible, d'attribuer en pratique des probabilités subjectives et des coûts précis aux différentes possibilités d'avoir des difficultés de trésorerie ;
- ensuite, cette méthode ne fait qu'une référence indirecte aux besoins d'exploitation ( dans l'appréciation du risque encouru ), alors que le niveau du fonds de roulement dépend de l'importance et de la nature de ces besoins ;
- enfin, la substitution de concours à long terme par des crédits à court terme n'amène pas obligatoirement une amélioration de la rentabilité : le coût réel des crédits bancaires à court terme dépend étroitement de leur utilisation ( là encore il faut connaître la nature des besoins ).
(1) Voir par exemple AFTALION, DUBOIS et MALKIN : « Théorie financière de l’entreprise », op. cit. pp. 50 et 51, 57 à 63.
b) Le fonds de roulement optimal théorique dépend de deux coûts contradictoires : le coût de l’endettement, C1, et le coût des crédits supplémentaires à court terme demandés d’urgence, C2.
La fonction du coût total lié à un certain niveau de fonds de roulement, C = C1 + C2, est représentée par le graphique 1 suivant :
Graphique 1 : Détermination du fonds de roulement optimal compromis entre solvabilité et rentabilité.
La fonction C passe par un minimum lorsque sa dérivée par rapport au fonds de roulement est nulle. Ce mode de calcul est donc semblable au précédent. Les mêmes critiques peuvent être formulées à son égard.
Cette approche est originale dans la mesure où elle inverse les termes du problème (1). L'objectif retenu est la maximisation du bénéfice compte tenu d'une contrainte, le fonds de roulement disponible ou « trésorerie ». Dans ces conditions, si par exemple la fonction de production est représentée par :
C = 20 + 5x
(Coût total = coûts fixes + coûts variables unitaires multiplies par la quantité produite), et, le fonds de roulement disponible 150, la production maximale sera de :
150 = 20 + 5x
x = 26 unités (2)
(1) BERANEK W. : « La gestion du fonds de roulement », Dunod, 1972, 147 pages.
(2) A condition que la capacité de production soit suffisante.
Si l'on suppose que le prix de vente unitaire est de 10, et que la fonction de revenu (ou de chiffre d'affaires) ait la forme :
R = 10 x
le bénéfice maximal autorisé par le fonds de roulement disponible sera de :
P = R - C = 10x - (20 + 5x)
Soit P = 110 (1)
Le bénéfice marginal représentera le prix maximum que peut payer l’entreprise pour obtenir la masse de fonds supplémentaire nécessaire à la production d’une unité de plus.
Comme on peut s'en rendre compte, l’intérêt de ce modèle réside essentiellement dans sa valeur didactique. Il a le mérite de décrire les relations qui existent entre les besoins d'exploitation et le fonds de roulement. Mais il semble dénué d’intérêt pratique de par les hypothèses simplificatrices sur lesquelles il repose, ainsi que d'ailleurs, de par la méthodologie adoptée. On peut reprendre lamême démarche dans le cadre de situations «mathématiquement» plus complexes :
- lorsque les fonctions ne sont pas linéaires ( l’équation des coûts devient C = ax² + bx + c) ;
- lorsque la demande et les coûts sont incertains (introduction de
distributions de probabilité relatives à la demande et aux coûts) ;
- lorsque la firme décide de constituer des stocks ;
- lorsque la firme fabrique deux produits, ou plus
A ce modèle, sont attachés le même intérêt et les mêmes limites qu'au précèdent. Sur le plan opérationnel aucun progrès décisif n'a été véritablement réalisé.
2 - Méthode bancaire de calcul des besoins en fonds de roulement (2).
Après avoir exposé les principes de la méthode nous ferons apparaître ses limites.
a) Les principes de la méthode.
La valeur des besoins en fonds de roulement d'une entreprise à une date déterminée est égale à la différence entre le montant de ses besoins cycliques et celui de ses ressources cycliques :
(1) A condition que la demande n’exerce pas de contrainte.
(2) Voir MEUNIER, de BAROLET, BOULMER, « La trésorerie des entreprises », Dunod 1970.
Besoins en fonds de roulement = Besoins cycliques - Ressources cycliques
La difficulté du calcul réside, d'une part, dans la distinction que l'on doit opérer entre les postes du bas du bilan qui sont directement liés au cycle d'exploitation et ceux qui ne le sont pas, et, d'autre part, dans divers redressements à effectuer rendus indispensables par la valeur anormale du poste considéré. Ainsi, un poste du bas du bilan sera inclus dans le calcul des besoins en fonds de roulement s'il présente les caractéristiques suivantes :
- il se renouvelle de manière cyclique ;
- il est lié au cycle d'exploitation de l'entreprise ;
- il correspond à une activité normale de l'entreprise.