Cours leadership
Préface
Cette sélection d’articles de la Harvard Business Review s’attache, à travers des témoignages, à donner les caractéristiques du leadership.
En cela, ce livre est extrêmement riche d’enseignements. Mais l’on découvre aussi, au fil des textes, qu’il y a autant de manières de concevoir le leadership qu’il y a de leaders et d’entreprises.
Le leadership est pour certains un statut, pour d’autres une place à légitimer, d’où la terminologie, qui me paraît aujourd’hui dépassée ou du moins ne pas correspondre à un groupe comme DANONE d’asseoir son leadership
En effet, pour un groupe comme le nôtre, très jeune et qui a pourtant déjà connu des changements radicaux dans ses métiers, qui s’est construit en France, en Europe et aujourd’hui dans le monde, le leadership repose sur deux notions essentielles : l’esprit d’entreprise’, et la «culture du groupe
On peut toujours bien sûr, dans l’absolu, s’interroger sur les fondements mêmes du leadership : Est-ce une manière de diriger, de convaincre, de mobiliser, d’inventer? Est-ce la capacité de remettre en cause les acquis, d’anticiper, de prévoir et de décider? Est-ce encore une ligne de conduite, des valeurs partagées, une vision du monde?
La réalité est, je crois, une alchimie permanente de l’ensemble de ces données. Pour le président du groupe DANONE, aujourd’hui c’est avant tout l’art de gérer des contradictions, celles du temps passé, présent ou à venir, celles des hommes dans leur diversité, leur compétence, leur personnalité; celles de l’entreprise avec ses enjeux à court, moyen ou long terme ; celles de l’environnement avec ses mutations ou ses blocages. Le plus important pour moi est de faire coexister le tout en préservant le socle incontournable du double pro jet économique et social initié il y a 20 ans, c’est-à-dire la prise en compte au même niveau des hommes et des objectifs économiques. C’est pourquoi il est si important d’adhérer à cette culture car elle donne une grille de lecture de l’entreprise et du monde qui l’entoure. Ainsi les leaders du groupe peuvent comprendre les choix et les décisions stratégiques et les transmettre.
Mon rôle st alors de fixer la direction, de la faire partager et de donner à chacun les moyens de la mettre en oeuvre. Mais accompagner le changement, c’est aussi savoir générer les talents qui demain seront leaders à leur tour, porteurs des mêmes valeurs.
Les valeurs, chez DANONE sont
L’ouverture : nous disons que la diversité est source de richesse et le changement une permanente opportunité. Cela signifie clairement que l’internationalisation entreprise ces dernières années doit se faire en associant la diversité des hommes et leur capacité à intégrer la culture DANONE. L’enthousiasme : « les limites n’existent pas. Il n’y a que des obstacles à franchir ».
Le leader doit permettre la créativité, l’initiative, la remise en cause, tout en préservant l’efficacité collective vers un objectif commun.
L’humanisme c’est « le partage, la responsabilité, le respect de l’autre », l’attention portée à l’individu, consommateur, collaborateur ou citoyen, c’est mettre l’homme au coeur de nos décisions.
Ces valeurs sont la base de tout leadership au sein du groupe DANONE, elles guident les hommes et leurs actions. Ce qui signifie que le leadership ne peut être légitime que s’il dépasse le système hiérarchique traditionnel, et adapte luimême son comportement aux valeurs qu’il véhicule. Il doit ainsi être à la fois visionnaire et homme de terrain, formaliste et anticonformiste, garant de la cohérence et initiateur des ruptures.
Au-delà des objectifs économiques, au-delà de la compétition mondiale, au-delà du bien être de ses salariés, chez DANONE le leadership est avant tout une aventure collective, où la simplicité, les relations directes, la réactivité, l’initiative, l’ouverture d’esprit garantissent la réussite car le leader est aussi le challenger de toute l’équipe.
Paris, août 1999
Franck Riboud, président directeur général du groupe DANONE.
Préface réalisée avec le concours de Pascale-Marie Deschamps, rédacteur en chef de l’Expansion Management Review.
Résumé des points essentiels
La Harvard Business Review réédite régulièrement certains articles devenus aujourd’hui des « classiques ». Ceux-ci datent parfois de plus de quinze ans, mais sont toujours d’actualité. L’article qui suit présente une analyse approfondie de la fonction managériale. Publiée à l’origine en 1 975, cette étude d’Henry Mintzberg continue d’apporter des réponses aux questions de nos lecteurs. Ne serait-ce qu’au cours des deux dernières années, cet article a fait l’objet de plus de 22 000 demandes.
Henry Mintzberg pose la question suivante : « En quoi consiste le travail des managers? » Après avoir réalisé a propre enquête et analysé d’autres recherches, il arrive à la conclusion que le travail du manager inclut des rôles de relation, d’information et de décision. Ces rôles requièrent un certain nombre de compétences développer des relations avec ses pairs, conduire des négociations, motiver ses subordonnés, résoudre des conflits, établir des réseaux d’information pour collecter puis diffuser l’information, prendre des décisions dans un contexte dominé par l’incertitude, distribuer des ressources.
L’auteur puise dans sa propre recherche et dans d’autres études pour présenter des faits qui démentent les mythes construits autour du travail des managers. Il conclut qu’un bon dirigeant doit être apte à l’introspection et propose une série de questions pour aider les managers à dresser un bilan personnel et à analyser leur travail.
Mintzberg ajoute également quelques remarques rétrospectives indiquant comment sa vision a évolué quinze ans après.
Demandez à un manager quel est son travail, il vous répondra probablement qu’il planifie, organise, coordonne et contrôle. Maintenant, si vous observez ce qu’il fait, ne soyez pas surpris si vous ne percevez aucune relation entre ces mots et ce que vous voyez.
Lorsqu’un manager apprend qu’une usine détruite par un incendie est en panne et qu’il conseille à son interlocuteur d’envisager une solution provisoire pour fournir les clients via une filiale étrangère, est-il en train de planifier, d’organiser, de coordonner ou de contrôler? Et lorsqu’il offre une montre en or à un employé qui part à la retraite, ou qu’il assiste à un congrès pour rencontrer les gens du métier et revient avec une idée d’innovation qu’il soumet à son équipe, comment cela s’appelle-il?
Ces quatre mots qui ont dominé le vocabulaire du management depuis que l’industriel français Henri Fayol les a introduits en 1916, nous renseignent assez peu finalement sur ce qu’un manager fait réellement. Tout au plus, pointent-ils vers quelques objectifs vagues que le manager a en tête lorsqu’il travaille. Le monde du management, si tourné vers le progrès et le changement, a pendant plus d’un demi-siècle éludé la question essentielle En quoi consiste le travail des managers ? Si l’on ne sait pas répondre à cette question, comment enseigner le management? Comment concevoir des systèmes d’information ou de planification pour les managers ? Comment prétendre même améliorer les pratiques managériales?
En quoi consiste le travail d’un manager? Même lui ne le sait pas toujours.
Notre ignorance quant à la nature du travail du manager se révèle diversement : des dirigeants brillants se targuent d’avoir réussi sans avoir jamais mis les pieds dans un séminaire de formation; les analystes en gestion se succèdent, sans avoir jamais vraiment compris ce que l’on attendait d’eux exactement; les consoles d’ordinateur se couvrent de poussière dans un coin, parce que les managers ont toujours boudé le système intégré de gestion (SIG) en ligne que quel que analyste jugeait indispensable. Et peut-être plus important, notre ignorance se traduit par l’incapacité des grandes entreprises publiques à faire face à certains de leurs plus sérieux problèmes. (Voir page Posez-vous lesbonnes questions ).
Au profit de l’automatisation de la production, du recours au management dans les domaines fonctionnels du marché et de la finance, et de l’application des théories comportementales au problème de la motivation des salariés, le manager — c’est-à-dire la personne responsable de l’organisation ou d’un sousensemble de celle-ci — a été en quelque sorte oublié.
Mon intention est ici de rompre avec le vocabulaire de Fayol et d’introduire une description plus utile et plus supportable du travail du manager. Cette description découle de ma propre enquête et de la synthèse que j’ai effectuée à partir d’autres recherches portant sur l’emploi du temps des managers.
Dans certaines de ces études, les managers étaient l’objet d’une observation intensive; d’autres recueillaient des comptes rendus détaillés de leurs journées; d’autres encore analysaient ces agendas. Ces enquêtes s’intéressèrent à toutes sortes de managers : chefs d’équipe, contre maîtres, directeurs du personnel, chefs de vente, directeurs hospitaliers, présidents d’entreprises, chefs d’État, et même chefs de gangs. Ces managers» étaient américains, canadiens, anglais ou suédois. (Voir le Panorama de la recherche sur le travail managérial.) La synthèse de ces découvertes dresse un tableau intéressant, aussi éloigné d’un Fayol que l’art abstrait cubiste peut l’être d’un tableau Renaissance. Néanmoins, cette peinture est évidente pour quiconque a passé ne serait- ce qu’une journée dans le bureau d’un manager, d’un côté de la barrière ou de l’autre. Elle est bien différente toutefois de l’image qu’on se fait habituellement du travail du manager.
Le travail du manager: mythes et réalités
Quatre mythes entourent le travail du manager, qui ne résistent pas à l’examen soigneux des faits.
Mythe n° 1: le manager est un plan méthodique et réfléchi. Quoi de plus évident en effet ? Pourtant, rien ne permet de soutenir une telle affirmation.
La réalité: toutes les études démontrent que les managers travaillent sans répit, que leurs activités se caractérisent par la brièveté, la diversité et la discontinuité, et qu’ils sont par ailleurs essentiellement tournés vers l’action et répugnent à la réflexion. Voyons maintenant les faits.
La moitié des activités effectuées par les cinq managers de mon étude duraient moins de neuf minutes, et seules 10 % s’étendaient sur plus d’une heure Une étude portant sur 56 contremaîtres américains montre qu’ils effectuaient en moyenne 583 activités par poste de huit heures, soit une activité toutes les 48 secondes Le rythme de travail des managers aussi bien que des 56 contremaîtres ne connaissait pas de pause. Les managers recevaient un flot incessant de visites et de messages dès leur arrivée le matin jusqu’à leur départ le soir. Les pausescafé et les déjeuners étaient immanquable ment liés au travail, et des subordonnés omniprésents semblaient s’engouffrer dans le moindre créneau libre.
L’étude des agendas de 160 cadres moyens et supérieurs britanniques a démontré qu’ils parvenaient à travailler sans interruption pendant une demiheure et plus, environ une fois tous les deux jours
Combien de fois vous arrive-t-il de pouvoir travailler une demi- heure sans interruption?
Sur le nombre des contacts verbaux que les managers de mon étude échangeaient, 93 % s’organisaient sur une base informelle. Seul 1 % du temps de ces cadres était consacré à des tournées d’inspection, sans limite de durée. Seul un échange verbal sur 368 ne concernait pas une question spécifique et pouvait donc être considéré comme relevant de la planification générale.
Un autre chercheur constata n’avoir pas une seule fois entendu un manager reconnaître avoir reçu une information importante d’une conversation d’ordre général ou d’un quelconque échange informel. »
Est-ce là l’image qu’on se fait habituellement du planificateur? Pas précisément. Le manager répond simplement aux sollicitations du moment. J’ai observé que mes managers interrompaient souvent leurs propres activités, quittant fréquemment des réunions avant la fin, interrompant leur travail sur documents pour appeler des subordonnés. Un PDG avait non seulement placé son bureau de manière à donner sur le couloir mais laissait également sa porte ouverte lorsqu’il était seul, invitant implicitement ses subordonnés à venir l’interrompre.
Il est clair que ces managers cherchaient à favoriser la circulation des informations. Mais plus important, ils semblaient conditionnés par leur propre charge de travail. Ils avaient conscience de la valeur de leur temps, tout en gardant à l’esprit leurs obligations courantes : le courrier à traiter, les visiteurs à recevoir, etc. Il semble qu’un manager soit toujours tenaillé entre ce qu’il voudrait faire et ce qu’il peut faire.
Lorsque les managers doivent planifier, c’est implicite ment qu’ils le font, dans le contexte de leur activité quotidienne, plutôt que par quelque processus abstrait pour lequel l’entreprise se réserverait deux semaines de retraite à la montagne. Les plans des managers que j’ai rencontrés semblaient n’exister nulle part ailleurs que dans leur tête, sous la forme d’intentions flexibles quoi que relativement précises. Excepté dans la littérature classique qui lui est consacrée, le management ne pro duit pas de planificateurs réfléchis les managers se contentent de répondre à des stimuli et sont condition nés, par leur travail, à préférer l’action immédiate à l’action différée.
Mythe n° 2: Le manager efficace n’a pas d’obligations régulières à remplir. Ne lui recommande-t-on pas sans cesse de passer plus de temps à planifier ou déléguer et moins de temps à voir les clients ou négocier les contrats, missions qui après tout ne sont pas les siennes ? Pour reprendre une analogie répandue, le bon manager, comme le bon metteur en scène, prépare tout soigneusement à l’avance, puis s’asseoit dans son fauteuil pour répondre éventuellement aux situations imprévues. Mais là encore, cette séduisante abstraction ne tient simplement pas la route.
La réalité; le travail d’un manager comporte un certain nombre d’obligations régulières, incluant rites et cérémonies, négociations et traitement des informations informelles qui relient l’organisation à son environnement.
Les faits une étude sur le travail des dirigeants de petites entreprises montre qu’ils effectuent des activités routinières parce qu’ils manquent de moyens d’embauche suffisants pour recruter un personnel spécialisé et disposent d’une main d’oeuvre tellement mince, qu’une seule absence nécessite qu’ils comblent eux-mêmes la lacune ainsi créée 5.
Une étude sur des chefs d’équipe de vente et une autre sur des directeurs généraux suggère qu’il entre naturellement dans leur mission de recevoir les clients importants, et de s’assurer ainsi leur fidélité L’un de ces cadres, qui ne plaisantait qu’à moitié, décrit même le manager comme la personne qui reçoit les visiteurs afin que les autres puissent continuer à travailler.
Au cours de mon enquête, j’ai constaté que certaines obligations sociales, telles que recevoir des personnages officiels, distribuer les cadeaux, présider les arbres de Noël, faisaient partie intégrante du rôle d’un PDG.
Les recherches sur la circulation de l’information montrent que les managers jouent un rôle important dans le contrôle des informations non officielles en provenance de l’extérieur (la plupart n’étant connues que d’eux seuls, en raison de leur statut) et leur diffusion auprès du personnel.
Mythe n°3: le cadre supérieur a besoin d’une information globale, que seul un système intégré de gestion (SIG) est réellement apte à fournir. Il n’y a pas si long temps, dans les ouvrages de management, il n’était par tout question que de système d’information total. Conformément à l’image classique du manager perché au sommet d’une structure hiérarchique et réglementée, ce personnage de littérature était censé recevoir toutes les informations importantes d’un SIG géant.
Mais depuis quelques temps, ces systèmes géants n’ont plus la cote les managers ont tout simplement cessé de les utiliser. L’enthousiasme s’est éteint. Il suffit de regarder la façon dont les managers traitent en réalité l’information pour comprendre pourquoi.
La réalité : les managers préfèrent de loin l’information orale (coups de téléphone, réunions ), aux documents écrits.
Les faits : selon deux études britanniques, les managers passent en moyenne 66 % et 80 % de leur temps en communication orale. Dans ma propre étude, concernant cinq PDG américains, ce chiffre est de 78 %.
Les cinq dirigeants que j’ai observés, traitaient le courrier comme une corvée à expédier. L’un d’eux vint, par exemple, un samedi matin traiter 142 lettres en l’espace de trois heures seulement, histoire de s’en débarrassera. Ce même manager jeta un coup d’oeil au premier courrier substantiel reçu de la semaine,une étude de coût classique, qu’il mit de côté en disant: « Je ne les regarde jamais ».
Ces mêmes cinq dirigeants traitèrent immédiatement 2 des 40 rapports de routine reçus pendant les cinq semaines que dura mon étude et 4 périodiques parmi les 104 auxquels ils étaient abonnés. Ils survolaient la plupart de ces périodiques en quelques secondes, un peu comme un rituel. En tout et pour tout; ces dirigeants d’entreprises de taille respectable envoyèrent 25 courriers de leur propre initiative (autrement dit pas en réponse à quelque chose) en l’espace de ces 25 jours d’observation.
L’analyse du courrier reçu révéla d’autres détails intéressants : seuls 13 % s’avéraient d’une utilité précise et immédiate. Ce qui ajoute une nouvelle pièce au tableau : en fait, une part minime du courrier apporte une information brûlante et actuelle (le mouvement d’un concurrent, l’humeur du législateur, ou le taux d’audience du reportage télévisé de la veille ). C’est pourtant ce type d’information qui pousse les managers à agir, à interrompre une réunion ou à chambouler leur emploi du temps.
Le bruit qui court aujourd’hui peut devenir la réalité de demain, c’est pourquoi les managers s ‘intéressent aux rumeurs.
Autre découverte intéressante : les managers semblent valoriser les informations « officieuses », et particulièrement les potins, les rumeurs et autres conjectures. Pourquoi ? En raison de leur actualité et de leur pertinence : la rumeur d’aujourd’hui peut devenir la réalité de demain. Le manager qui rate un coup de fil révélant que le plus gros client de la société a été vu en train de jouer au golf avec un concurrent peut constater la chute brutale de ses ventes dans le prochain rapport trimestriel. Mais alors, il est trop tard.
Pour mesurer la valeur de l’information officielle», historique, et globale des SIG, il suffit de penser à deux des principales fonctions de l’information, à savoir:
Détecter les problèmes ou les opportunités 8 et élaborer des modèles (du fonctionnement du système budgétaire de l’entreprise, des comportements d’achat des consommateurs, de la manière dont les changements économiques affectent l’entreprise, par exemple). L’expérience semble montrer que ce n’est pas à l’aide de l’information abstraite et synthétique produite par les SIG qu’un manager identifie les créneaux de décision ou qu’il conçoit des modèles, mais grâce à des données fragmentaires et concrètes.
Selon l’expression de Richard Neustadt, qui s’est intéressé à la manière dont les présidents Roosevelt, Truman et Eisenhower collectaient leurs informations: « Ce ne sont pas les informations d’ordre général qui permettent à un président de percevoir les enjeux importants, ni les rapports, ni les enquêtes, ou autres banals amalgames, mais ces menus faits tangibles qui, rassemblés dans son esprit, révèlent les dessous des problèmes auxquels il est confronté. Il doit pour cela se saisir des moindres bribes de faits, de rumeur, d’opinion, en relation avec ses intérêts et sa mission présidentielle. Il doit devenir sa propre agence de renseignements. » 9 .
La prédilection des managers pour l’information orale appelle deux remarques importantes. Cela signifie premièrement que cette information est en bonne partie stockée dans le cerveau de quelques-uns. Ce n’est qu’une fois écrite qu’elle est enregistrée dans les dossiers de l’organisation, que ce soit dans des classeurs métalliques, ou sur bandes magnétiques. Or les cadres notent rarement, semble-t-il, les renseignements qu’ils détiennent. Aussi les banques de données stratégiques des organisations ne se trouvent pas dans la mémoire de leurs ordinateurs mais dans celle de leurs managers.
Deuxièmement, l’usage intensif qu’ils font de la communication orale, explique pourquoi ils sont souvent réticents à déléguer les tâches. Il ne s’agit pas en effet de transmettre un dossier à un subordonné, mais de prendre la peine de « décharger leur mémoire autrement dit expliquer tout ce qu’ils savent sur le sujet. Or cela peut demander tellement de temps, qu’il peut sembler plus facile de faire le travail soi-même. Les managers se condamnent donc eux-mêmes, par leur propre système d’information, au dilemme de la délégation : tout faire euxmêmes ou déléguer à des subordonnés moins bien informés.
Mythe n°4: le management devient, ou est en passe de devenir une science et une profession. Quel que soit le sens qu’on donne aux mots science et profession, cette affirmation est pratiquement toujours fausse. Il suffit d’observer brièvement n’importe quel manager pour abandonner aussitôt l’idée qu’il pratique une science
Une science implique de mettre en oeuvre des procédures ou protocoles systématiques, élaborés par l’analyse. Si nous ne savons pas quelles procédures les managers utilisent, comment pourrions-nous les prescrire de manière scientifique. Et comment faire du management une profession», si nous ne sommes pas capables de préciser les connaissances qu’un manager doit posséder? Puisque par définition, une profession suppose de maîtriser et d’appliquer un certain domaine de la science ou du savoir 10 .
La réalité: les procédures des managers—pour planifier les tâches, traiter l’information, prendre des décisions, etc. — sont soigneusement enfouies dans leur cerveau. Aussi, pour décrire ces procédures, se réfère-t-on à des notions telles que jugement ou intuition, sans même remarquer qu’elles servent surtout à masquer notre ignorance.
Au cours de mon étude, j’ai été frappé par le fait que les dirigeants que j’observais tous très compétents n’étaient pas fondamentalement différents de leurs homo logues d’il y a cent ans (ou même mille ans). L’information dont ils ont besoin a changé, mais elle se transmet de la même manière : de vive voix. Leurs décisions concernent des technologies modernes, mais les procédures qu’ils utilisent pour prendre ces décisions sont les mêmes qu’au XIXe siècle. Même l’ordinateur, si important pour certaines tâches spécifiques, n’a apparemment que peu d’influence sur les méthodes de travail des managers. En fait, ces derniers sont pris dans une sorte de boucle, sou mis à une pression toujours plus forte, mais sans aide à attendre des sciences du management.
Si l’on regarde objectivement la réalité du travail des managers, nous constatons que leur mission est éminemment complexe et ardue. Ils sont surchargés d’obligations qu’ils peuvent néanmoins difficilement déléguer. Ils sont donc conduits à se surmener et à effectuer un bon nombre de tâches de manière superficielle. Brièveté, morcellement, communication verbale, caractérisent leur travail. Et cependant, ce sont ces caractéristiques mêmes qui ont motivé les chercheurs scientifiques à tenter d’améliorer celui-ci. C’est pourquoi leurs efforts ont essentiellement porté sur les fonctions spécialisées de l’organisation, là où il était le plus facile d’analyser les procédures et de quanti fier l’information 11 .
Mais la pression qui pèse sur les managers ne fait que s’accentuer. Là où précédemment ceux-ci n’avaient à répondre qu’à leur direction ou au propriétaire de l’entre prise, ils doivent aujourd’hui faire face à des subordonnés, obéissant à des processus démocratiques, qui réduisent sans cesse la liberté d’émettre des ordres sans donner d’explication, ainsi qu’à un nombre croissant d’acteurs extérieurs (groupements de consommateurs, pouvoirs publics, etc.) qu’ils doivent également prendre en considération. Si bien qu’ils ne savent plus où se tourner pour trouver de l’aide. Mais le premier pas avant de pouvoir leur apporter un quelconque soutien, est de déterminer en quoi consiste exactement leur travail.
Retour à une définition de base du travail managérial
Précédemment nous avons défini le manager comme la personne en charge d’une organisation ou d’une unité. Outre les PDG, cette définition englobe aussi bien les vice- présidents, les évêques, les chefs d’équipe, les entraîneurs sportifs ou les premiers ministres. Tous sont investis d’une autorité formelle sur une unité organisationnelle. Cette autorité formelle leur donne un certain statut, impliquant certaines relations, dont découle l’accès à l’information.
Information qui, à son tour, permet au manager de formu1er des décisions et des stratégies pour son unité.
On peut décrire le travail du manager de deux manières : soit en termes de rôles » variés, soit comme un ensemble organisé de comportements associés à un statut. Celle que je retiens, représentée dans le schéma ci-dessous, comprend dix rôles. Comme nous allons le voir, l’autorité formelle engendre trois rôles de relation qui engendrent à leur tour trois rôles d’information. Ces deux ensembles de rôles permettent au manager de jouer quatre rôles de décision.
Trois des rôles du manager découlent directement de son autorité formelle et impliquent des relations essentielles. Tout d’abord le rôle de représentant En tant que responsable d’une organisation ou d’une unité, tout manager doit s’acquitter de certaines obligations sociales. Le président accueillera les personnages officiels en visite. Le contremaître assistera au mariage d’un de ses ouvriers. Le directeur de ventes invitera un client important à déjeuner.
Les managers que j’ai étudiés consacraient 12 % de leurs échanges à ce genre d’activités mondaines; 17 % du courrier qu’ils recevaient consistaient en marques de reconnaissance et en demandes liées à leur statut. Ainsi par exemple, une lettre sollicitait d’un PDG la fourniture de marchandises gratuites pour un élève handicapé.
Ces missions de représentation ont parfois un caractère de routine et n’impliquent pas de communications ou de décisions sérieuses. Elles sont malgré tout importantes pour le bon fonctionnement d’une organisation et ne sauraient être négligées.
Les managers sont responsables du travail des membres de leur équipe. Leurs actions dans ce domaine correspondent au rôle de leader. Certaines de ces actions découlent directement de ce rôle. Ainsi, dans la plupart des organisations, les managers sont habituellement chargés du recrutement et de la formation de leur personnel
À cela s’ajoute l’exercice indirect du rôle de leader. Par exemple, tout manager doit motiver et encourager ses salariés, et parvenir à concilier leurs besoins avec les objectifs de l’organisation. Pratiquement tous les contacts que les salariés ont avec leur manager visent à obtenir des indices sur ce qu’il attend d’eux : « Est-ce qu’il m’approuve ? » «, Qu’espère-t-il de cette étude ? », Qu’est-ce qui compte le plus pour lui : accroître notre part de marché ou nos bénéfices ?
C’est dans le rôle de leaders que l’influence des managers apparaît le plus clairement. L’autorité dont ils jouis sent leur donne un grand pouvoir; c’est principalement dans ce rôle qu’ils démontreront leur capacité ou non à l’exercer.
La littérature consacrée au management a toujours reconnu le rôle de leader, notamment dans ses aspects en relation avec la motivation. Elle a en revanche rare ment souligné son rôle d’agent de liaison, dans lequel le manager établit des contacts en dehors de la chaîne verticale de commande. C’est un fait mis en évidence dans pratiquement chaque étude consacrée au travail des managers que ceux-ci passent autant de temps avec leurs pairs et autres personnes en dehors de leur unité qu’avec leurs subordonnés, et, chose surprenante, très peu avec leurs propres supérieurs.
Dans l’enquête effectuée par Rosemary Stewart sur l’agenda de managers d’entreprises britanniques, les 160 cadres moyens et supérieurs qu’elle a étudiés passaient 47 % de leur temps avec leurs collègues, 41 % avec des gens de l’extérieur, contre seulement 12 % avec leurs supérieurs. Dans l’étude de Robert Guest portant sur des contremaîtres américains, les chiffres étaient de 44 %, 46 % et 10 % respectivement. Quant aux managers de mon étude, 44 % de leurs contacts avaient lieu avec des personnes extérieures, 48 % avec leurs subordonnés, et 7 % avec leurs directeurs et membres du conseil d’administration.
Les contacts de ces cinq managers concernaient une variété incroyable de gens subordonnés; clients, associés, fournisseurs; homologues (dirigeants occupant le même genre de fonction dans des entreprises similaires) ; représentants du gouvernement ou des syndicats, collègues dirigeants dans des comités de direction extérieurs; et indépendants sans affiliation précise. Le temps passé avec ces différents groupes et les messages émanant de ces mêmes groupes sont résumés dans la figure ci-dessous. L’étude de Guest montre de la même façon que les contacts des contremaîtres étaient nombreux et variés, impliquant rarement moins de 25 personnes, et souvent plus de 50.
Rôles d’information
En vertu des nombreux contacts personnels qu’il entre tient avec ses subordonnés et tout un réseau de relations, le manager apparaît comme le centre névralgique au sein de son unité. Il n’est peut-être pas au courant de tout mais il est généralement mieux informé que ses subordonnés.
Les études montrent que cela s’applique aussi bien au chef de gang qu’au président dune nation. Dans son livre consacré aux groupes humains, (The human group), et notamment aux gangs, George Homans nous en donne la raison. Parce que le chef se situe au centre des flux d’information, toutes les nouvelles convergent vers lui au sein de sa bande; de plus il est en contact étroit avec d’autres chefs de gang, c’est pourquoi il est toujours mieux informé qu’aucun membre de son groupe Quant au président, Richard Neustadt remarque, par exemple, que : la manière dont Roosevelt recueillait l’information relevait de la pure compétition “Il vous appelait dans son bureau”, me dit un jour l’un de ses collaborateurs, “et vous demandait de vous renseigner sur telle ou telle affaire compliquée. Et lorsque vous reveniez, après deux jours d’enquête labo rieuse, pour lui livrer le morceau juteux que vous aviez déniché dans quelque coin obscur, c’est alors que vous vous rendiez compte qu’il connaissait déjà toute l’histoire et même certains détails qui vous avaient échappé. D’où il tenait ses informations, la plupart du temps il n’en disait rien, mais lorsqu’il vous avait fait le coup une fois ou deux, vous deveniez très prudent quant à votre propre information.” 13 »
Il n’est pas bien difficile de voir d’où Roosevelt « tenait ses informations ‘ », si l’on considère les liens entre rôles de relation et rôles d’information. De par son autorité, tout manager a un accès officiel et privilégié à tous les membres du personnel. En outre, son rôle de liaison avec l’extérieur lui fournit une information qui fait sou vent défaut à ses subordonnés. Beaucoup de ses contacts ont lieu avec d’autres managers de même rang, qui sont eux-mêmes des centres névralgiques au sein de leur organisation. C’est ainsi que le manager peut développer une banque de données considérable.