Formation sur le management strategique de l’information
Formation sur le management stratégique de l’information
Introduction
Selon la formule de Mintzberg, la société actuelle idolâtre les grands dirigeants, les leaders, les décideurs. Pour preuve, les rayons des librairies et autres bibliothèques sont remplis de leur biographie. Les universités et les grandes écoles forment de nombreux étudiants pour qu’ils deviennent des décideurs accomplis, et pourtant, il nous est difficile de cerner la nature de leur travail. Pourquoi ? « Est-ce parce que nous avons peur de nos propres idoles ou parce que nous craignons les conséquences de cette mise à nu ? ». Ainsi savoir « ce que fait le décideur n’est pas le problème, c’est plutôt l’interpréter » [1]. Carlson, puis Whitley, ont avancé que le management, l’art de conduire les hommes et les compétences, est plus une science pratique qu’une science appliquée [2], « parce que les tâches que le décideur accomplit dépendent fortement de leur contexte, des savoirs et des problèmes propres à une organisation » [3].
Les différentes tâches et missions que le décideur réalise, les diverses tactiques qui s’offrent à lui pour mener à bien sa stratégie, peuvent être regroupées en ce qui est courant d’appeler formes ou styles de management. Un style de management est le produit du contexte du décideur et de sa personnalité. Il prend ses racines, outre les caractéristiques individuelles du décideur, sur la situation économique et conjoncturelle de l’entreprise, sur ses ressources (tant humaines, qu’informationnelles et matérielles), sur sa culture, ses rites et ses coutumes. F. Mer ajoute que le style de management s’inspire également de la culture nationale, « faite de féodalisme au japon, de consensus en Allemagne, de colbertisme en France, ou de cohabitation entre le marchand et l’administrateur en Chine » [4].
Ainsi, nous pourrions avancer que la manière, dont les ressources matérielles et immatérielles (que sont les informations) vont être gérées, serait intimement liée, voire dépendante du ou des styles de management adoptés par le décideur ? En nous plaçant dans le contexte de l’intelligence économique, composante majeure du management stratégique, et définie par « la maîtrise et la protection de l’information utile aux acteurs économiques » (A. Juillet), comment le style de management adopté par le décideur peut influencer les schémas de circulation de l’information, peut influer et agir sur stratégies de maîtrise et de protection engagées ? Des auteurs comme Gallen [5], Hough et Ogilvie [6], Pencheva et Papazova [7] ont montré l’importance du style de management sur le filtrage, la ‘préhension’ des informations et la constitution des connaissances par le décideur. Dans cet article, nous nous sommes appuyés sur ces travaux et sur les quatre grandes théories managériales enseignées aux futurs décideurs, pour souligner les conséquences informationnelles en termes de protection du patrimoine immatériel, de pratiques de veille et d’intelligence économique au sein de l’entreprise. Notre propos n’est pas de produire un inventaire exhaustif ou un état de la question des différentes théories et styles de management mais plutôt de voir comment certains de ces styles, les plus représentatifs selon la littérature, peuvent induire certains risques, contraintes et menaces dans le domaine du management stratégique de l’information. De ces constats, nous tenterons d’émettre quelques préconisations.
1 Le décideur et son rapport à l’information stratégique
Le décideur est quotidiennement confronté à une grande diversité de problèmes décisionnels qui le conduisent à prendre une multitude de décisions. Bien que le travail du décideur ne se limite pas uniquement à des activités décisionnelles [8], ces dernières constituent la toile de fond de ses fonctions. Les différents courants du Management qui se sont historiquement succédé ont souvent présenté ces activités décisionnelles selon un processus relevant de situations idéalisantes. De l’«Homo Economicus » des théories du début du vingtième siècle (disposant d’une information parfaite, d’une sensibilité infinie, d’une rationalité absolue et des choix optimaux) en passant par l’ « Homo Probabilis » (disposant d’une information incomplète, d’un nombre limité d’alternatives, d’une équifinalité [9], mais sachant attribuer des valeurs exactes aux résultats de ses décisions), l’ « Homo Erraticus » actuel est dominé par la complexité de son environnement. Selon ce dernier modèle, le décideur adhère au principe de « multifinalité », concept emprunté à la cybernétique et à la théorie des contextes, et sait que des mêmes causes peuvent produire des effets différents.
A travers ces différents courants, le décideur a bénéficié, selon Sfez [9] d’un grand nombre d’idées reçues :
- Il consacre la majeure partie de son temps à l’analyse des problèmes décisionnels et à la prise de décision ;
- Les activités décisionnelles qu’il accomplit ne sont pas répétitives ;
- Il est conjointement réfléchi et rationnel ;
- Ses décisions sont fondées sur des informations objectives.
Les travaux de Mintzberg [1] [8], Saint-Sernin [10], Bourion [11] ont montré que cette conception du décideur était fausse. Quatre arguments ont été avancés tour à tour par ces auteurs :
- Outre les rôles décisionnels, le décideur remplit aussi des rôles interpersonnels et informationnels : il ne consacre donc que peu de temps à la décision ;
- Le cumul de ces différents rôles implique que les activités du décideur sont éminemment brèves, variées et fragmentées. D’un point de vue pratique, « il ne cesse de passer d’une activité à l’autre, ne dispose que de peu de temps pour chacune d’entre elles et répartit son attention entre des processus variés et nombreux. » [8] ;
- La fragmentation et la diversité de ses activités induisent inévitablement un manque de temps pour construire une représentation élaborée de la situation décisionnelle. Ses représentations sont donc tributaires, outre de sa rationalité limitée, de ses ressources temporelles et attentionnelles ;
- En dernier lieu, la pluralité des rôles du décideur associée à la masse des informations à laquelle il est confronté, le conduisent généralement à privilégier les informations informelles ; « que les informations soient synthétisées, plutôt qu’analysées, leur rôle est loin d’être systématiquement décisif puisque des processus intuitifs et non explicites leur sont souvent préféré » [8].
Dans l’entreprise, rares sont les décisions qui sont prises en un seul moment, en un seul lieu et par un décideur opérant isolément. Le décideur agit le plus souvent en interaction et en collaboration avec plusieurs acteurs et l’influence, que possèdent ces derniers, modèle sa manière d’agir, son ‘style de management’. Comme le précise Roy, « les positions prises, les comportements affichés par les différents acteurs procèdent de rationalités multiples, fondées sur des systèmes de valeurs non identiques, parfois conflictuels, de points de vue spécifiques à partir desquels ils se sentent jugés, de perceptions décalées, voire contradictoires, de la réalité provenant de ce qu’ils sont à des postes d’observation différents » [12]. Dans prolongement de ces constats, Mintzberg [8] a identifié dix rôles qui décrivent l’essentiel de son activité :
…
Quatre de ces rôles sont de nature décisionnelle, trois de nature interpersonnelle et trois sont à tendance plus informationnelle. Deux d’entre eux nous intéressent particulièrement dans le contexte de notre article, car ils sont directement liés au management stratégique de l’information: le décideur y est présenté d’abord comme un observateur actif, un scrutateur de ces événements puis comme un diffuseur auprès de ses collaborateurs de leur interprétation, c’est-à-dire de leur traduction en information. Ces observations, diffusions et traductions sont, nous allons le développer ci-après, sous l’influence de son style de management.
2 Style de décision, style de management
Comme le précise Dao [13], la littérature en Sciences de Gestion distingue le style de décision du style de management. Le style de décision est l’habitude acquise par l’expérience et est relative à un style cognitif prédominant [14]. Le style cognitif (appelé quelquefois style d’apprentissage) fait référence à la manière propre qu’a chaque individu d’appliquer des stratégies particulières pour résoudre des problèmes. Selon son style cognitif « dominant », un décideur pourrait être plus en « centration » (préférence pour traiter les problèmes l’un après l’autre) ou en « balayage» (préférence à mener plusieurs activités en parallèle) pour Bruner et al. [15]; être plus « accentuateur » (sensible aux différences) qu’égalisateur (sensible aux éléments rassurants et à la prévision) pour Ausubel [16], impulsif ou réflexif pour Kagan et al. [17] ; intuitif ou méthodique pour Keen et Mc Kenney [18] ; ‘holiste’ ou ‘sérialiste’ pour Pask et Scott [19] ; dépendant ou indépendant du champ selon Witkin [20] et Huteau [21] ; auditif ou visuel pour La Garanderie [22] ; divergent, convergent, accomodateur ou assimilateur pour Kolb [23] ; cerveau droit ou cerveau gauche (analytique, synthétique) pour Mc Carthy [24].
Ainsi, nous pouvons dire que le style de décision s’appuie sur des caractéristiques individuelles propres au décideur, qui vont influer autant sur la résolution des problèmes décisionnels que sur la manière d’appréhender l’information. Certaines de ces caractéristiques sont de nature plus statique : celles liées à sa formation, aux traits de sa personnalité, et à son style cognitif prédominant. D’autres sont dynamiques et sont relatives au contexte comme son niveau d’expertise, sa motivation et les enjeux perçus pour le problème décisionnel à traiter [25]. A ces paramètres nous pouvons ajouter une dimension émotionnelle [26], qui prend en considération les réactions affectives qui peuvent influencer le décideur dans sa prise de décision. Il existe une foultitude de tests de personnalité comme le MBTI (Myers Briggs Type Indicator) [27] développé à partir des types psychologiques définis par K. Jung), le HBDI (Herrmann Brain Dominance Instrument), le MRTI (Management Team Roles Indicator), TMS (Team Management Systems profiles), le LIFO (Life Orientation Theory and Practice), l’outil de diagnostic ‘Leonardo 345’ qui sont censés mesurer intelligence, préférences, raisonnements, traits de personnalité et valeurs.
Le style de Management (management style ou leadership style) est quant à lui défini comme le mode d’action, caractérisé par la fréquence ou l’intensité des comportements ou des attitudes de direction spécifiques, qu’applique le décideur pour accomplir les fonctions de management : motiver et coordonner les collaborateurs, établir et atteindre les objectifs de l’organisation, préserver la cohésion du groupe, etc. [28]. Cependant et comme le suggère Dao [13] [29], les styles de décision et les styles de management partagent souvent les mêmes caractéristiques. Néanmoins, les styles de management possèdent une dimension plus larges sont souvent décrits par des termes généraux désignant une orientation ou une tendance, et couvrent des dimensions plus larges telles que des valeurs humaines, la culture d’entreprise, la culture nationale.
Quelques modèles théoriques de styles de management
Les caractéristiques et dimensions du style de décision sont nombreuses. Leurs combinaisons en styles de management possibles sont de ce fait innombrables. Dans le cadre de notre article, nous avons retenu quatre modèles représentatifs issus de la théorie du management. Nous avons adopté, pour le besoin de notre étude de cas, les modèles que nous pourrions qualifier de modèle théoriques « éprouvés ». Les théories sélectionnées pour notre étude considèrent notamment : le rapport du décideur à l’autorité et à l’exercice de pouvoir, son rapport aux tâches et à la personne, sa qualité de manageur-leader [30].
3.1 Management selon le rapport à l’autorité de B. Tannenbaum et W. Schmidt
En fonction de la plus ou moins grande liberté d'action accordée aux collaborateurs, Tannenbaum et Schmidt (1973) montrent qu'il existe un continuum de management entre un style de management fondé sur l'autorité du Décideur (qui décide puis informe, puis consulte..) et un style de management fondé sur l'autonomie des collaborateurs qui, sous certaines conditions (objectifs sous contraintes budgétaires) sont libres de choisir leur organisation (choix des moyens).
Tannenbaum et Schmidt pensent que dans l’interaction entre le décideur et ses collaborateurs, il existe un compromis entre le contrôle exercé par le décideur et celui exercé par les collaborateurs. Pour ces auteurs, l’autorité totale n’existe pas, car même si le décideur donne un ordre direct, les collaborateurs en gardent la maîtrise dans une certaine mesure, ne serait-ce que par la motivation, l’implication et l’enthousiasme dont ils font preuve pour exécuter cet ordre.
3.2 Typologie des styles de Management de R. Likert
En fonction plusieurs critères : mode de contrôle, degré de confiance entre les collaborateurs, niveau de coopération mutuelle, type de motivation mise en œuvre, cet auteur distingue quatre grands styles de management :
- Le style autoritaire (ou autocratique). Dans le style « autoritaire », le décideur prend des décisions unilatéralement, et sans trop se préoccuper de ses collaborateurs. En conséquence, les décisions prises reflètent ses opinions et sa personnalité, ce qui peut en retour projeter une image de confiance, d’entreprise bien gérée. Des tensions peuvent apparaître avec les collaborateurs en raison des limites fixées sur la liberté de décision accordée à ceuxci. Selon Likert, il existe deux types de styles autocratiques : le style directif où le décideur prend des décisions unilatéralement tout en supervisant étroitement ses collaborateurs ; le style autoritaire ‘permissif’ où le décideur prend des décisions unilatéralement, mais donne une certaine latitude aux collaborateurs dans l'exécution de leurs tâches.
- Le style paternaliste (ou bienveillant). Le style paternaliste est aussi essentiellement ‘dictatorial’; toutefois, les décisions prennent en compte à la fois les intérêts de l’entreprise et des employés. La communication des informations est très restreinte, mais les encouragements sont nombreux. Ce style peut être très avantageux quand il favorise une certaine loyauté des collaborateurs, grâce à l'accent mis sur les besoins sociaux. Néanmoins, comme pour le style de management autocratique, une absence de motivation des collaborateurs peut être typique de ce style si aucune connexion affective n’est établie entre le décideur et le groupe des collaborateurs. Ce style partage également les inconvénients du style autocratique, où le risque est que les employés deviennent trop dépendants du décideur.
- Le style consultatif (ou démocratique). Dans un style de management démocratique, le décideur permet aux collaborateurs de prendre part à la prise de décision ; par conséquent, tout est accepté par un vote à la majorité. La demande et la communication des informations sont importantes dans les deux sens (du décideur aux collaborateurs et vice-versa). Ce style peut être particulièrement utile lorsque des décisions complexes doivent être prises et exigent toute une gamme de compétences spécialisées. Du point de vue du management global, la satisfaction des collaborateurs permet une amélioration de la qualité des travaux, la participation volontaire aux projets sera beaucoup plus élevée. Cependant, le processus de décision pourrait être fortement ralenti par la multiplication des canaux de circulation de l’information, à moins que le processus de décision et les échanges d’information soient rationalisés. La recherche du consensus peut éviter de trouver la «meilleure» décision pour l'entreprise que si elle est gérée ou limitée. Comme avec le style autocratique, Likert décline le style démocratique en types permissif et directif.
- Le style participatif (ou du ‘laissez-faire’). Le style participatif donne au décideur le rôle du leader, du mentor et du stimulateur. Il laisse aux collaborateurs le soin de gérer leurs propres domaines de compétences, comme la circulation de l’information ‘métier’ dans l'entreprise. Ce style ne peut fonctionner que par l’application d’un leadership inspirant de manière à ce que le décideur et les collaborateurs partagent la même vision de l'organisation. Pour Likert, c’est le style qui convient le mieux pour une organisation qui possède une forte croissance dynamique dans de multiples secteurs d’activité. Ce style favorise la créativité, mais principalement dans les domaines où le décideur possède une grande expertise et une capacité à communiquer une vision forte. Néanmoins, la créativité et l’innovation peuvent dégénérer en des activités disparates et contradictoires.
Selon cet auteur, il n'existe pas un style de management systématiquement plus efficace. Mais le développement de la tertiarisation, simultanément à l'accroissement du niveau de formation initiale et de qualification des salariés et au développement des aspirations sociétales, favorise actuellement l'orientation des décideurs vers un style de management plus participatif qu’autocratique.
3.3 Conception bipolaire du management selon R. Blake et J. Mouton
Cette approche « bipolaire » repose sur la mesure de l’intérêt porté par le décideur d’une part vers la production (tes tâches à accomplir) et l’intérêt porté à l’humain d’autre part. Cette analyse aboutit à une grille définissant cinq styles de management :
- le management appauvri : approche considéré comme source de conflits sociaux,
- le management fondé sur l’autorité et l’obéissance : en général à l’origine de frustrations et d’insatisfaction,
- le management institutionnel : négociations et compromis sont des éléments recherchés,
- le management « country-club » : risques possibles : démagogie et évitement de confrontation des idées,
- le management fondé sur le travail en équipe : style basé sur la confiance et le respect au sein des groupes de personnes impliquées toutefois les responsabilités accordées peuvent être un facteur de stress important et de tensions.
La thèse promue par les auteurs est celle du choix de mode de management selon la nature de travail et des tâches à réaliser, des caractéristiques des personnes placées dans le contexte de l’organisation.
3.4 Décideur est un architecte social selon W.Bennis
L’auteur du concept d’adhocratie, W. Bennis concentre ses travaux sur la personnalité du leader. Ainsi, il définit quatre principales qualités du leader :
- capacité de vision : définie comme un savoir de projection vers le futur tout en gardant à l’esprit les contrainte et avantage du présent,
- capacité de communication : définie comme une faculté de délivrer sa perception tout en générant l’élan et la motivation nécessaire chez l’autre, voire un lien émotionnel crée capable de rapprocher les différents niveau hiérarchiques ;
- capacité de suscité un sentiment de confiance : procurer un sentiment de sécurité à l’autre
- capacité de gérer sa propre personnalité : connaissance de soi, capacité de gérer les contradictions, prise de risque, capacité d’apprentissage caractérise notamment un leader.
Cette démonstration sommaire des modèles théoriques nous permet de considérer la diversité des approches de « l’exercice » de management ainsi que l’éventail de « styles» de management au sein de chaque modèle. Le style de management adopté par le décideur entrainera les conséquences significatives sur la façon de gérer, de communiquer, de protéger l’information stratégique de l’organisation. Déceler les risques « informationnels» liés au mode de management de l’organisation peut être considéré come un acte de prévention dans le cadre de management stratégique de l’organisation.
4 Style de management : quelles implications et conséquences pour le management stratégique de l’information?
Le management stratégique porteur de la vision stratégique est qualifié de notion complexe et polysémique par E. Lamarque compte tenu de l’éclatement de l’unité espace-temps impliquant la complexité de gestion jusqu’alors inégalée [31]. Cette complexité de gestion s’applique tout particulièrement au mangement de l’information stratégique : «susceptibles de contribuer à la définition, l’infléchissement ou la remise en cause de la stratégie de l’organisation » [32]. Considérant l’importance du volet « sensible » de la stratégie de l’organisation nous souhaitons souligner l’importance d’évaluation des risques informationnels relatifs au style de management.