Cours avance pour debutant en management strategique
Cours avancé pour débutant en management stratégique
INTRODUCTION
La notion juridique de responsabilité est ancienne. Elle a été officiellement énoncée en 1804 dans le Code Civil ce qui a amorcé une prise de conscience sur le fait que chacune de nos actions a des conséquences sur notre environnement et que nous ne pouvons pas agir impunément. Par la suite, la responsabilité s’est étendue à plusieurs domaines, en particulier dans le domaine pénal pour les entreprises et organisations. Ainsi le Code Pénal prévoit que « Les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. »2 L’organisation est, par essence, une personne morale. Au sens de la loi française, la personne morale est un groupement de personnes physiques ou morales qui, en raison de leur intérêt commun, a vocation à exercer une activité spécifique voire différente de celle des membres qui la composent. Lorsque certaines conditions sont remplies, l'État accorde à ce groupement une personnalité juridique, ce qui le rend titulaire de droits et d’obligations au même titre qu’une personne physique. Nous pouvons alors observer que les organisations sont soumises à des obligations juridiques fortes, dans le sens où tout manquement à celles-ci va entraîner une sanction pour elles. Mais, depuis plusieurs années, une nouvelle forme de responsabilité est apparue pour les organisations et par voie de conséquence pour leurs dirigeants : la responsabilité sociale. Nous pouvons alors nous demander ce que veut dire être « socialement responsable » pour une entreprise dotée d’une personnalité morale ?
Cela nous amène à une réflexion plus générale sur la manière d’élaborer et de mettre en place un management stratégique de la RSE. Cette problématique est d’autant plus remarquable lorsqu’elle concerne les organisations sociales et médico-sociales qui développent, malgré elles, un paradoxe. En effet, nous serions amenés à dire, spontanément, que ce type d’organisation fait naturellement de la RSE mais nous nous apercevons, dès les premières observations sur le terrain, qu’elles ont de grandes difficultés, dans les faits, à concilier performance économique et performance sociale. C’est pourquoi, une ingénierie du management de type socio-économique conciliant la conception, la mise en œuvre et l’évaluation de la RSE peut, par plusieurs de ses aspects, notamment sociaux et économiques, contribuer à une mise en place efficace et efficiente de la RSE. Avant de rentrer dans la problématique du sujet, le cadre théorique de la RSE va permettre de poser les fondements et la définition de cette notion émergente (1). La méthodologie et la présentation du terrain d’observation scientifique (2) vont permettre d’introduire les premiers résultats de la recherche (3) qui font l’objet de perspectives et de limites (4).
1. Cadre théorique et bibliographique du concept de Responsabilité Sociale des Entreprises : notion principale et notions périphériques
Le terme de responsabilité, selon Mercier (2004), au sens des sciences de gestion « évoque l’obligation de répondre de ses actions, de les justifier (en fonction de normes morales et de valeurs) et d’en supporter les conséquences ». Il s’agit donc d’établir un lien direct avec la notion d’éthique qui gouverne, en partie, la RSE.
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1.2. Fondements normatifs et institutionnels
Du point de vue normatif, nous assistons, depuis les années 1980 à l’émergence de règles, notamment par la mise au point de référentiels internationaux, tels que le Global Reporting Initiative (GRI3 ), des codes de conduite des entreprises (Global Compact 4 ) ou des certifications, normes ou labels (SA 8000...) jusqu'aux audits sociaux ou environnementaux. La norme Standard SA 8000 (Social Accountability Standard 8000), initiée par le Council on Economic Priorities, et gérée par Social Accountability International (SAI) concerne les conditions de travail, l'interdiction du travail des enfants ou du travail forcé. Il existe deux types d'engagements pour les entreprises : le certificat en cas de respect des normes pour la production et le statut membre si les critères sont également respectés pour les filières de fournisseurs et pour toutes les unités de production.
Au niveau international, l’Organisation Internationale de Normalisation (The International Organization for Standardisation, ISO) a produit la série de normes 14 000 pour l’ensemble des règles qui concernent le management environnemental. La plus connue est la norme ISO 14 001 qui vise à mesurer l'impact de l'activité d'une entreprise sur l'environnement. Elle prend en compte des aspects environnementaux significatifs tels que les émissions dans l'air, les rejets dans l'eau, la contamination des sols, la gestion des déchets, l'utilisation des matières premières et des ressources naturelles. L’Organisation Internationale de Normalisation élabore, en ce moment, la norme ISO 26 000 qui ne sera pas certifiable mais qui devrait préciser comment intégrer les normes de responsabilité sociale, de gouvernance et d'éthique. Du côté français, la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques5 du 15 mai 2001, demande aux entreprises cotées en bourse d’indiquer dans leur rapport annuel une série d'informations relatives aux conséquences sociales et environnementales de leurs activités. Il existe également deux référentiels, la SD 21 000 Française publiée par l’Association Française de Normalisation (AFNOR), qui est conçue comme un guide et qui n’a donc pas valeur de certification pour la prise en compte des enjeux du développement durable dans la stratégie et le management de l'entreprise. Puis nous trouvons l’AFAQ 1000NR de mars 2007 qui propose une norme d'évaluation mettant en évidence l'état d'avancement d'une organisation au regard de sa responsabilité sociale.
1.3. Fondements théoriques
L’article pionnier dans le champ de la responsabilité sociale, intitulé The Changing Basis of Economic Responsibility, date de 1916. Écrit par l’économiste américain, John Morice Clark, l’auteur, pourtant défenseur de la théorie économique, propose un contrôle social des affaires, c'est-à-dire un élargissement des responsabilités de l’entreprise dans le volet social. Le père fondateur de la Corporate Social Responsability 6 (CSR), Howard Bowen en 1953 dans son ouvrage Social Responsibilities of the Businessman. Il se demande « Pourquoi les hommes d’affaires se sentent concernés par leurs responsabilités sociales ? » « Il est possible de diviser la réponse en trois parties : (1) parce qu’ils ont été forcés de se sentir plus concernés, (2) parce qu’ils ont été persuadés de la nécessité de se sentir plus concernés et (3) parce que la séparation entre propriété et contrôle a crée des conditions qui ont été favorables à la prise en compte de ces responsabilités » (Bowen, 1953). Il explique, alors, comment quelques centaines de grandes firmes « constituent les véritables centres de décisions et de pouvoirs qui déterminent la vie des citoyens en bien des points ». Il définit aussi « Le terme de doctrine de la responsabilité sociale (qui) renvoie à l’idée, désormais largement exprimée, selon laquelle la prise en compte volontaire d’une responsabilité sociale de l’homme d’affaires est, ou pourrait être, un moyen opérationnel pour résoudre des problèmes économiques et atteindre plus globalement les objectifs économiques que nous poursuivons ». Pour lui, la RSE représente l’obligation pour les dirigeants de poursuivre les politiques et de prendre les décisions qui sont en cohérence avec les valeurs de la société. C’est pourquoi il préconise le recours aux audits sociaux pour évaluer la performance sociale de l’entreprise.
Carroll (1979) appréhende la RSE comme étant « ce que la société attend des organisations en matière économique, légal, éthique et volontaire, à un moment donné ». Dans le modèle de Woods (1991), l’auteur intègre les trois dimensions de la RSE : principes, processus et politiques. Les principes de la RSE correspondent aux niveaux présentés cidessus par Carroll : la légitimité sur le plan institutionnel, la responsabilité publique sur le plan organisationnel et la discrétion managériale sur le plan individuel.
1.4. Principes généraux
Plusieurs concepts-clés sont directement liés à la notion de Responsabilité Sociale et ils méritent d’être définis dans la mesure où chacun des principes, ci-après énoncés, contribuent à la définition de la RSE.
1.4.1. La RSE, une déclinaison du développement durable
Lors de la Déclaration de Rio en 1992, le Développement Durable a été défini comme « un développement qui permet(te) aux générations présentes de satisfaire leurs besoins sans remettre en cause la capacité des générations futures à satisfaire les leurs ». cette définition a ensuite été reprise dans le Rapport Brundtland7 Ce concept est directement lié à la notion de RSE, dont il est la déclinaison pour les entreprises, comme le confirme une recommandation du Ministère français de l'Ecologie et du Développement « La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est la déclinaison des principes du développement durable à l’échelle de l’entreprise. Elle signifie essentiellement que les entreprises, de leur propre initiative, contribuent à améliorer la société et à protéger l’environnement, en liaison avec les parties prenantes. »
1.4.2. Le principe de gouvernance et les parties prenantes
La gouvernance d’entreprise ou Corporate Governance est définie comme l’ensemble des principes et des règles qui dirigent et limitent les actions des dirigeants (Perez, 2003). Ainsi, ce qui oblige les dirigeants, obligent l’ensemble de l’organisation. De manière plus générale, la gouvernance d’entreprise est constituée de l’ensemble des processus, des réglementations, des lois et des institutions qui influent la manière dont l’entreprise est dirigée, administrée et contrôlée. Cela implique notamment les parties prenantes, les actionnaires, la direction ou le conseil d’administration, mais aussi les salariés, les fournisseurs et les clients. Ce concept est apparu suite aux scandales financiers qui ont bouleversé le monde des affaires depuis 2001 (Enron, Andersen, Worldcom…) et avec la loi Sarbanes-Oxley (ou SOX) qui impose à toutes les entreprises cotées aux États-Unis, de présenter à la Commission américaine des opérations de bourse (SEC) des comptes certifiés personnellement par leur dirigeant.
Etre socialement responsable c’est considérer les parties prenantes. La notion de parties prenantes (Stakeholders) qui date des années 1980 était définie comme « un individu ou groupe d'individus qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs organisationnels » (Freeman, 1984). Il s’agit d’une partie intéressée ou ayant-droit, tel que le souligne le terme anglais Stake qui signifie intérêt, en opposition à Stockholder qui signifie actionnaire (Mercier, 2004).
1.4.3. L’éthique et la légitimité sociale
Concernant l’éthique, la tradition en donnerait la définition suivante : l’ensemble des règles de conduite partagées et typiques d'une société donnée ; ces règles sont fondées sur la distinction entre le bon et le mauvais, par opposition à la morale qui est fondée sur la discrimination entre le bien et le mal et qui serait plus un ensemble des principes à dimension universelle, normative voire dogmatique (Wunenburger, 1993, p.XIV). Mercier la définit comme la réflexion qui intervient en amont de l'action et qui a pour ambition de distinguer la bonne et la mauvaise façon d'agir (Mercier, 2002, p.34). Les critères de RSE sont, en partie, fondés sur des critères éthiques. La légitimité sociale de l’entreprise ou Licence to Operate est « La légitimité de l'entreprise au sein de la société (…) dépend de son aptitude à faire se rencontrer les attentes d'un nombre important et croissant de participants » (Mercier, 2004) et donc de considérer l’ensemble des critères de responsabilité sociale dans sa stratégie.
2. Méthodologie de la recherche et positionnement du terrain
2.1. La recherche-intervention
R.Paturel et H.Savall (1999) définissent le terrain comme « un champ rempli de connaissance et de recherche ». M.-J. Avenier (1989) et J.-P. Plane (2000) soulignent que le statut de « terrain » souffre d’une certaine ambigüité sémantique et épistémologique dans la mesure où il existe une grande variété d’utilisations. Certaines recherches effectuées sur des études de cas permettent de valider des modèles préétablis, dans lequel le rôle du chercheur en situation d’extériorité (Hammersley, 1990) n’est pas de juger la situation, ni de proposer des solutions. Le choix de l’équipe de l’ISEOR est de mener des recherches-interventions en interaction avec les acteurs du « terrain » pour extraire les informations qui feront l’objet d’un traitement d’intention scientifique. Le positionnement épistémologique de l’ISEOR est de cesser de considérer l’entreprise comme une « boîte noire » impénétrable et de mener des recherches expérimentales à visées transformatives en contribuant directement à la recherche de solutions d’amélioration dans le cadre d’un processus d’innovation socio-économique interne et externe.
Nous avons choisi de conduire une recherche-intervention avec les acteurs de l’organisation pour élaborer des informations et des résultats qui pourraient être utilisés par les praticiens et les chercheurs. Cette coproduction de connaissances, expérimentée au sein du centre de recherche, (Savall et Zardet, 2004) est encouragée pour que la production de la pensée ne soit pas réservée aux chercheurs et celle de l’action aux praticiens. La force scientifique de l’approche dite qualimétrique, c'est-à-dire alliant les aspects qualitatifs et quantitatifs, se trouve en grande partie dans trois principes épistémologiques (Savall et Zardet, 2004) : la contingence générique composée d’un noyau dur de connaissances génériques complété par des périphéries contextuelles issues de différents cas ; l’interactivité cognitive qui permet l’« objectivation » de la connaissance par le biais de la confrontation permanente des points de vue des acteurs y compris des chercheurs; et l’intersubjectivité contradictoire qui résulte de la confrontation des points de vue des différents acteurs et qui donne les convergences d’un côté, les spécificités de l’autre.
2.2. Approche du terrain d’observation scientifique
L’objet d’une recherche-intervention est de permettre une interaction entre le chercheur et les acteurs d’un ou plusieurs terrains afin de mener un processus créateur de connaissances et de développement organisationnel (Plane, 2000). Le but de notre recherche répond à l’objectif alloué à la recherche-intervention qui consiste à établir un projet de transformation conduit et finalisé sur le terrain de recherche. L’intervenant-chercheur doit, pour cela, articuler une double démarche scientifique de recherche et d’intervention (David, 2000). L’intervention menée dans le cadre de nos recherches a un périmètre intra-organisationnel dans la mesure où son champ correspond à l’espace composé d’une seule organisation peuplée d’acteurs et d’objets que sont les situations de gestion. Partant de l’hypothèse que les organisations sociales et médico-sociales ne font pas, spontanément, de la responsabilité sociale, la négociation du terrain d’observation s’est donc tournée vers ce secteur. Dans notre cas, l’accès au terrain a été un processus collectif. L’organisation concernée nous a présenté ses besoins et sa problématique qui ont fait l’objet d’une proposition, puis d’une convention qui constitue, encore aujourd’hui, notre cahier des charges. L’objectif essentiel et principal de cette organisation est énoncé de la manière suivante : « Accompagner l’Association dans le sens d’une action sociale de qualité et d’une croissance maîtrisée, cohérente et harmonieuse »
2.3. Présentation du cas d’intervention
2.3.1. Présentation de l’organisation et du secteur social et médico-social
Notre champ d’observation se situe dans le milieu social et médico-social à travers une importante organisation associative de 1 500 salariés située en région parisienne. Il s’agit d’une Association d’établissements sociaux et médico-sociaux gérant 36 établissements dont huit de grandes tailles, employant plus de 100 salariés chacun, et 28, plus petits, employant une moyenne de 15 personnes chacun.
Afin de présenter au mieux cette Association, il convient de présenter les fondements de la loi 2002-2 du 2 janvier 2002 qui précise les missions d'intérêt général et d'utilité sociale des établissements sociaux et médicaux-sociaux. Nous pouvons en donner quelques exemples :
Ils ont en charge la protection administrative ou judiciaire de l'enfance et de la famille, de la jeunesse, des personnes handicapées, des personnes âgées ou en difficulté ;
- Ils réalisent des actions éducatives, médico-éducatives, médicales, thérapeutiques, pédagogiques et de formation adaptées aux besoins de la personne, à son niveau de développement, à ses potentialités, à l'évolution de son état ainsi qu'à son âge ;
- Ils réalisent des actions d'intégration scolaire, d'adaptation, de réadaptation, d'insertion, de réinsertion sociales et professionnelles, d'aide à la vie active, d'information et de conseil sur les aides techniques ainsi que d'aide au travail ;
- Ils peuvent aussi réaliser des actions d'assistance dans les divers actes de la vie, de soutien, de soins et d'accompagnement, y compris à titre palliatif.
L’intervention a débuté en 2006 et se terminera en 2009. Elle s’est faite en trois vagues annuelles de dix établissements chacune avec des phases de diagnostic suivies de phase de projet au sein de chaque établissement. Nous avons pu intervenir sur neuf établissements de manière directe, pour les autres, l’intervention s’est faite en équipe.
2.3.2. Répondre aux besoins du terrain par les produits-objectifs
La demande de cette organisation est de mettre en place une responsabilité sociale intégrée. Ainsi parmi ses objectifs nous trouvons la volonté de :
- Structurer une organisation cohérente ;
- Métamorphoser l’organisation de manière durable ;
- Mieux maîtriser les prix de revient ;
- Mettre en place un projet stratégique par la contractualisation des performances ;
- Harmoniser les pratiques de travail ;
- Intégrer de nouveaux métiers.
Ces objectifs, ainsi exprimés et validés par le « décideur-payeur » de l’organisation conduisent à mener une recherche-intervention dans une perspective transformative, en ce sens que l’objet de recherche est transformé pour être mieux observé et connu par l’intervenant-chercheur. La recherche-intervention se positionne donc comme « recherche appliquée » car le chercheur est coproducteur, ou tout au moins co-inspirateur de nouvelles pratiques sociales. Les acteurs de l’entreprise, eux, sont coproducteurs de ces connaissances et ils apportent les informations à usage scientifique en utilisant les résultats.
2.4. Protocole de la recherche et produits-méthodes-prestations
Lors de l’élaboration de la convention d’intervention auprès de cette organisation, nous avons proposé une méthodologie pour atteindre les objectifs de mise en place de la RSE voulue par l’organisation. Ainsi, dans les produits-méthodes, nous avons proposé la mise en place de groupes de pilotage, de groupes de formation-concertation accompagnée d’assistances personnalisées, de diagnostics intégraux et de groupes de projet intégraux. L’intervention a commencé par le siège avec un diagnostic intégral et des groupes de projet rassemblant l’ensemble du personnel du siège c’est-à-dire le directeur général, les directions fonctionnelles telles que la direction de la qualité, la direction des ressources humaines ou la direction financière, et enfin les directions opérationnelles représentées par les directeurs généraux adjoints. Puis l’intervention s’est étendue à l’ensemble des établissements avec le même processus d’intervention : des diagnostics intégraux et des groupes de projet.
Il s’agit, en effet, d’implanter un processus d’intervention qui soit synchronisant et dynamisant, en implantant des outils de management et en réallouant des ressources existantes, afin d’améliorer la qualité de service aux personnes qui travaillent dans l’Association et à ses clients.