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Quelle est la place du management international dans les recherches francophones en gestion? Une étude des communications AIMS de 2000 à 2010
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RESUME
Cette communication s’intéresse à la place du management international dans les recherches récentes en gestion. Elle vise à établir une cartographie du champ en vue de structurer les recherches francophones dans le domaine. Cette question est particulièrement pertinente compte tenu de l’importance croissante que jouent les firmes multinationales dans le monde économique actuel. Nous nous appuyons notamment sur les travaux de Werner (2002) et Pisani (2009) pour définir ce champ de recherche et délimiter ses frontières. L’étude porte sur les communications des conférences de l’Association Internationale de Management Stratégique (AIMS) sur une période allant de 2000 à 2010. A partir d’une comparaison avec les principaux travaux anglo-saxons, cette étude dégage les spécificités des firmes multinationales françaises. Enfin, nous élaborons un agenda construit autour de neuf propositions de voies de recherche.
Mots clés : management international,recherches francophones, firme multinationale, bilan des communications AIMS
INTRODUCTION
Le management international (MI) est un champ de recherche en plein développement (Ricks et al., 1990 ; Werner, 2002 ; Lu, 2003). De nombreux chercheurs ont étudié la place du MI dans les travaux en gestion (Werner, 2002 ; Werner et Brouthers, 2002 ; Ricks et al., 1990 ; Lu, 2003 ; Kirkman et Law, 2005 ; Pisani, 2009). Werner et Brouthers (2002) se demandent par exemple « en quoi le management est international ». Kirkman et Law (2005) s’interrogent, quant à eux, sur l’internationalisation de la revue Academy of Management Journal. Les résultats de ces recherches montrent le développement croissant du MI. Cependant, et en dépit de la globalisation des marchés, la place du MI reste réduite dans les recherches académiques. Les résultats de Werner et Brouthers (2002) portent sur l’étude de 19 revues et montrent qu’entre 1996 et 2000, 5.6% des recherches sont en MI avec une proportion de 3.1% pour les recherches à dimension internationale et 2.5% pour les études comparatives. Des explications possibles résident dans le coût élevé des études internationales, l’accès au terrain et aux données rendu plus difficile et le temps plus long nécessaire à la réalisation de ces recherches.
Les recherches francophones en MI restent également limitées. Pour autant, ce champ de recherche est en plein développement, comme en témoigne la création en 2009 d’une association francophone dédiée au management international, Atlas.
Ainsi, nous nous intéressons à la place tenue par le MI dans les travaux francophones en gestion. Björkman et Forsgren (2000) ont réalisé ce même état de lieux dans le cadre des recherches nordiques. Nous tentons notamment d’identifier les orientations pour les recherches futures. Nous nous fondons notamment sur une comparaison avec des revues de littérature anglo-saxonnes réalisées par Werner (2002) et Pisani (2009). Pour ce faire, une étude des communications des conférences de l’Association Internationale de Management Stratégique (AIMS) - association francophone reconnue en stratégie, management et organisation - est réalisée sur une période allant de 2000 à 2010.
Après avoir délimité le champ du MI et distingué les différentes thématiques du MI, nous présentons notre méthodologie. Nous analysons ensuite les résultats obtenus en vue de mieux cerner la place du MI dans les recherches francophones. Nous identifions alors les tendances du MI et les perspectives de recherches futures tout en spécifiant les particularités des recherches françaises dans ce domaine.
1. DELIMITATION DU CHAMP DU MANAGEMENT INTERNATIONAL
1.1. UNE DEFINITION DU MANAGEMENT INTERNATIONAL EN TROIS CATEGORIES
Il s’agit tout d’abord de définir le management international avant de présenter la manière dont est structuré ce champ de recherche.
Ricks (1991) définit comme suit le management international dans sa lettre en tant d’éditeur en chef de la revue Journal of International Business Studies :
« The core of international business research deals with the multinational enterprise (MNE), the exporting or importing firm, and the problem encountered by these firms. Topics of importance include: the theory of the MNE; the role of the MNE; MNE versus domestic corporation issues; government – MNE issues; the problems of managing international trade; and also functionally oriented topics such as international financial management, international marketing management, international accounting management, international strategy, international management, etc.».
Ainsi, nous nous intéressons aux enjeux propres à l’entreprise à l’international et non aux aspects plus macroéconomiques comme le commerce international, habituellement couvert par les recherches en économie, en suivant ainsi l’optique de Björkman et Forsgren (2000).
Plus précisément, Werner (2002) subdivise les recherches en MI en trois catégories : les recherches portant sur le management des entreprises dans un contexte international, les études comparatives et les recherches portant sur un pays en dehors des Etats-Unis.
La première catégorie s’intéresse aux aspects internationaux du management que l’on ne retrouve pas dans les entreprises domestiques (Ricks, 1991 ; Werner, 2002). Cela inclut le processus d’internationalisation, les choix en termes de modes d’entrée sur les marchés étrangers, le management des filiales étrangères, les relations siège-filiales, la gestion des expatriés, etc. Suivant Werner (2002) et sans avoir pu trouver une meilleure terminologie, nous les appellerons les recherches de MI « pur ».
La seconde catégorie, relative aux études comparatives, porte sur la comparaison des pratiques de management entre différentes cultures (études inter-culturelles) ou différents pays (études entre nations) (Ricks et al., 1990).
Enfin, une troisième catégorie peut être intégrée dans les recherches en MI : il s’agit des recherches portant sur un pays donné, en dehors des Etats-Unis. Par effet de symétrie et au regard de notre objectif de recherche, s’insèrent ici les études portant sur les pays hors de la France. Il s’agit donc des recherches domestiques à l’étranger. Contrairement à Werner (2002), nous ne les excluons pas dans notre étude. Nous considérons en effet qu’il s’agit aussi d’une manière d’introduire la dimension internationale dans les recherches francophones en management. Cependant, nous les étudions séparément des autres recherches.
Il sera tout particulièrement intéressant d’étudier la place de ces trois catégories dans les recherches francophones. En complément de cette subdivision du MI, il est également utile de distinguer les recherches de MI « pur » selon différentes thématiques. Nous présentons maintenant la grille mobilisée.
1.2. LES RECHERCHES DE MI « PUR » ORGANISEES EN DOUZE ITEMS
Comme Pisani (2009), nous nous fondons sur Werner (2002) pour distinguer les recherches de MI « pur » en douze catégories. Nous les présentons dans le tableau suivant.
Tableau 1. Catégories de MI « pur » selon Werner (2002, p280)
Catégories de recherches en MI « pur » | Thèmes inclus |
Environnement global des affaires | Economie globale, marchés globaux, environnements politiques et réglementaires, et risques internationaux |
Internationalisation | Description et mesure de l’internationalisation, antécédents et conséquences de l’internationalisation |
Décisions de modes d’entrée | Antécédents des choix des modes d’entrée, de la structure du capital et conséquences des décisions de modes d’entrée |
Joint-Ventures Internationales (JVI) | Sélection du partenaire, relations avec le partenaire et conséquences de la JV internationale |
Investissement Direct Etranger (IDE) | La décision de l’IDE, les motivations de l’IDE, la localisation de l’IDE et les conséquences de l’IDE pour l’entreprise et le pays hôte |
Echanges internationaux | Echanges internationaux, déterminants de l’exportation, les intermédiaires à l’export et les conséquences de l’exportation |
Transfert de connaissances | Antécédents, processus et conséquences du transfert de connaissances |
Alliances stratégiques et réseaux | Relations dans l’alliance stratégique, réseaux d’alliances stratégiques, et résultats des alliances stratégiques |
Firmes multinationales (FMN) | Stratégies et politiques des FMN, modèles et descriptions des FMN |
Relations filiales-siège | Rôle des filiales (incluant stratégies et typologies de filiales), contrôle des filiales, et performance des filiales |
Management des équipes internationales et dans les filiales | Pratiques RH des filiales, comportements des filiales, négociations multinationales, et gestion d’une équipe multinationale |
Management d’expatriés | GRH des expatriés, enjeux pour les expatriés, et réactions d’expatriation et de retours. |
Cette grille est particulièrement pertinente car elle a émergé de l’étude réalisée par Werner (2002) sur 271 articles publiés dans des revues académiques de haut niveau entre 1996 et 2000. De plus, elle couvre les principaux aspects du MI (Pisani, 2009). Sans être une classification définitive des recherches en MI, elle peut constituer un cadre d’analyse bien organisé pour classifier les études du champ (Werner, 2002). Enfin, l’intérêt de cette grille consiste dans le fait qu’elle couvre des thèmes allant du niveau global (à travers les caractéristiques de l’environnement global) au niveau individuel (avec le management des équipes des filiales et des expatriés).
Nous décrivons maintenant la méthodologie de recherche employée en vue de répondre à notre objectif de recherche qui est la compréhension de la place du management international dans les recherches francophones en gestion. Nous présentons ensuite les résultats obtenus.
2. METHODOLOGIE ET RESULTATS
La recherche porte sur l’étude des communications des conférences de l’Association Internationale de Management Stratégique (AIMS), celle-ci étant considérée comme la principale association francophone en management, stratégie et organisation. Nous avons retenu une période d’observation de onze ans en examinant les communications des conférences successives de 2000 à 2010. Cet intervalle est suffisant pour obtenir un nombre significatif de communications et il permet de cartographier la place du management international dans les recherches francophones récentes en management stratégique. Cette démarche méthodologique, et notamment la période d’observation retenue, suit la même logique que celle développée par d’autres auteurs pour caractériser les spécificités de la recherche francophone, que ce soit dans le domaine des alliances stratégiques et des relations inter-entreprises (Cheriet, 2007), des PME (Goy, 2006) ou des pratiques de co-écriture à l’AIMS (Delacour, Mérigot et Liarte, 2009).
2.1. PLACE DU MI DANS LES COMMUNICATIONS DE L’AIMS
La sélection des articles repose sur la présence de mots-clés dans le titre des communications. Le repérage des termes suivants a ainsi permis de collecter les textes développant une perspective internationale :
« entreprise étrangère/multinationale/transnationale/multiculturelle, internationale, filiale, joint-venture, internationalisation, délocalisation, implantation, exportation, investissement direct à l’étranger, mondialisation, globalisation, glocalisation, risque-pays, interculturel, pays émergents, pays en développement, pays développés, marchés lointains ».
La sélection prend également en compte les recherches portant sur un pays spécifique et dont le titre fait apparaître la précision d’une zone géographique (tel que « en Tunisie », « au Québec », « en Afrique », « le modèle suédois », etc.), à l’exception de la France. La sélection porte sur l’ensemble des contributions de l’AIMS, sans différencier les sessions parallèles des sessions semi-plénières et des posters ; les tables rondes traitant d’un sujet de management international sont également répertoriées mais de manière séparée.
La première étape de sélection des communications aboutit à une identification assez large de travaux portant sur une dimension internationale du management puisque 194 contributions ont été répertoriées sur un total de 1 575 communications de l’AIMS sur la période considérée. Nous les présentons dans le tableau suivant.
Tableau 2. La dimension internationale des communications de l’AIMS (2000-2010)
Conférences de l’AIMS | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 | 2005 | 2006 | 2007 | 2008 | 2009 | 2010 | Total |
Nombre total de communications | 100 | 99 | 95 | 89 | 165 | 148 | 155 | 219 | 156 | 193 | 156 | 1575 |
Nombre total de communications de MI | 11 (11%) | 13 (13.1%) | 9 (9.4%) | 19 (21.3%) | 16 (9.6%) | 19 (12.8 %) | 17 (11%) | 32 (14.6 %) | 17 (10.9 %) | 22 (11.4 %) | 19 (12.2 %) | 194 (12.3%) |
Selon les années, le nombre de communications comportant une dimension internationale varie entre 9.4 % (en 2002) et 21.3 % (en 2003), avec une moyenne de 12.3%. Il n’est pas possible de noter une évolution du nombre des recherches en MI durant ces onze dernières années. Il existe cependant des variations selon les années. Nous pouvons les lier en partie à la localisation des conférences puisque le lieu de la conférence semble avoir un impact sur l’orientation internationale des recherches présentées. Les quatre meilleurs scores correspondent en effet aux quatre années où la conférence de l’AIMS a été organisée en dehors de France : Tunis en 2003, Montréal en 2007, Québec en 2001 et Luxembourg en 2010 (Cf. quatre lignes grisées du tableau suivant), avec toutefois comme exception la conférence d’Angers en 2005. Cette hypothèse se confirme par les thèmes des tables-rondes : celles-ci semblent contenir une orientation internationale uniquement lorsque la conférence est organisée en dehors de France. Il ne s’agit, bien sûr, pas d’une validation statistique mais d’un phénomène intéressant : l’organisation de conférences dans un pays autre que la France stimule peut-être la dimension internationale des recherches en management.
Tableau 3. L’influence du lieu de la conférence sur l’internationalisation des recherches
Années | Lieu | Proportion de com. portant sur une dimension internationale | Nombre de Tablesrondes portant sur une dimension internationale | ||||||||
2010 | Luxembourg | 12.2 % | 2 | ||||||||
2009 | Grenoble | 11.4 % | 1 | ||||||||
2008 | Nice | 10.9 % | |||||||||
2007 | Montréal | 14.6 % | 6 | ||||||||
2006 | Annecy | 11 % | 1 | ||||||||
2005 | Angers | 12.8 % | |||||||||
2004 | Le Havre | 9.6 % | |||||||||
2003 | Tunis | 21.3 % | 1 | ||||||||
2002 | Paris | 9.4 % | |||||||||
2001 | Québec | 13.1 % | |||||||||
2000 | Montpellier | 11 % | 0 |
Le traitement et l’analyse des communications retenues impliquent de découper de manière plus fine les différents thèmes abordés, afin d’en extraire du sens et de comparer les résultats à d’autres recherches. Nous suivons la classification de Werner (2002) en distinguant :
-? les travaux portant sur le MI « pur » ;
-? les travaux portant sur l’interculturel et les approches comparatives ;
-? les travaux ayant pour application un pays ou une zone géographique (hors France).
Chacune des 194 communications identifiée est donc ordonnée selon ces trois catégories et en suivant le principe de double codage entre les deux auteurs dans le but de réduire les éventuelles erreurs de classement. Le tableau suivant indique la répartition des communications selon les trois catégories retenues.
Tableau 4. Répartition des contributions en trois catégories : MI « pur »/interculturel/application à un pays
Nombre de papiers portant : | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 | 2005 | 2006 | 2007 | 2008 | 2009 | 2010 | Total |
- sur le MI « pur » | 8 | 8 | 6 | 4 | 9 | 13 | 9 | 16 | 9 | 10 | 5 | 97 Soit 6.16 % |
- sur l’interculturel et les approches comparatives | 3 | 2 | 1 | 3 | 1 | 1 | 2 | 4 | 3 | 1 | 2 | 23 Soit 1.46 % |
- sur une application à un pays | 3 | 2 | 12 | 6 | 5 | 6 | 12 | 5 | 11 | 12 | 74 soit 4,7% |
Le nombre de recherches portant sur le MI « pur » apparaît comme étant particulièrement faible puisque celles-ci ne concernent qu’environ 6 % du nombre total de communications effectuées ces onze dernières années aux conférences de l’AIMS. A titre de comparaison, les travaux traitant de la PME concernent 14 % des communications sur la période 1996-2005 (Goy, 2006 cité dans Cheriet, 2007). Les approches comparatives et interculturelles occupent en moyenne seulement 1.46 % du nombre total de communications. Il est enfin intéressant de noter que le nombre d’articles relatifs à une application d’une problématique de management stratégique à un contexte domestique étranger – c’est-à-dire hors France – atteint 4.7 %.
2.2. DECOUPAGE DES COMMUNICATIONS SELON LES DOUZE ITEMS DU MI « PUR »
Dans le but de comprendre les spécificités et les caractéristiques du champ de recherche, il est nécessaire d’examiner la répartition des 97 articles identifiés comme constitutifs du MI « pur ». Quelles sont donc les thématiques de MI « pur » traitées par la communauté francophone de chercheurs en management stratégique ?
Pour répondre à cette question, nous reprenons la procédure de classement en douze items préconisée par Werner (2002). Le tableau suivant propose une illustration de la manière dont nous avons classé les communications (en suivant le principe du double codage entre les deux auteurs).
Tableau 5. Exemples du classement des communications par thèmes
Thème | Illustration |
Environnement global des affaires | AIMS 2006 -? Amewokunu Y. « Proposition d’un cadre d’analyse du risque-pays dans le contexte de mondialisation » |
Internationalisation | AIMS 2008 -? Cellard S. Prange C. « Comment l’âge et la vitesse d’internationalisation affecte la croissance internationale des firmes ». |
Décisions de mode d’entrée | AIMS 2009 -? Abdellatif M. « L’implantation de filiales à l’étranger par les multinationales françaises : coentreprises internationales vs filiales 100% - une tentative d’explication à partir d’une analyse quali-quantitaive comparée (AQQC) ». |
Joint-Ventures Internationales | AIMS 2000 -? Jaussaud J., Schaaper J. Zhang Z.Y. « Sur le contrôle des entreprises conjointes internationales : répartition du capital et politiques d’expatriation » |
Investissement Direct Etranger | AIMS 2002 -? Meschi P.X., Metais E. « Investissement français aux Etats-Unis, stratégies de croissance et réactions du marché boursier » |
Echanges internationaux | AIMS 2009 -? Bertrand O. « L’effet boomerang : les effets microéconomiques de l’outsourcing international sur les performances d’exportation des entreprises. |
Transfert de connaissances | AIMS 2008 -? Hilaricus, J. « Le rôle des directeurs de filiales étrangères dans les transferts de pratique intra-organisationnels » |
Alliances stratégiques et réseaux | AIMS 2001 -? Bensebaa F. « Alliances et processus de croissance internationale des firmes : le cas de l’hôtellerie » |
Firmes multinationales | AIMS 2004 -? Beddi H. « La relation siège filiales, confrontation de deux cadres théoriques avec les cas de six multinationales et identification d’éléments additionnels » |
Relations filiales-siège | AIMS 2005 -? Tixier J. « Les relations filiales-maison-mère au travers d’un système d’information ressources humaines : une illustration du concept de dualité institutionnelle » |
Management des équipes internationales et dans les filiales | AIMS 2008 -? De Maud’Huy Suchet A. « L’enseignement de l’histoire dans la formation des cadres : revue de littérature et perception des dirigeants de multinationales » |
Management d’expatriés | AIMS 2004 : -? Very P., Hebert L. & Beamish P. “Le modèle de ‘projection de savoir’ dans les multinationales: une exploration par l’étude du lien entre expatriation et survie des filiales” |
Les limites de cet exercice de classement tiennent à deux difficultés principales :
-? Le titre n’est parfois pas assez explicite pour classer de manière objective la contribution.
La signification du vocabulaire utilisé varie parfois d’un auteur à l’autre. Dans ces cas-là, nous nous sommes efforcés d’examiner plus en détail les contenus des articles lorsque ceux-ci étaient disponibles sur le site Internet de l’AIMS.
-? Certaines contributions traitent parfois de plusieurs thèmes.
Nous avons hiérarchisé l’importance des thèmes afin de n’en retenir qu’un seul ; cette méthode n’est certes pas exempte d’une certaine subjectivité. Par exemple, nous avons choisi de classer la communication de Marie-Laure Grillat de 2006 (« Contrôle par la GRH dans les multinationales européennes : Une comparaison entre filiales et coentreprises étrangères ») dans le thème des « relations filiales-siège » bien que le titre évoque la problématique de la gestion des ressources humaines au sein de la firme multinationale et que la méthode utilisée soit d’ordre comparative. Il s’agit cependant bien d’une question organisationnelle liée au mécanisme de contrôle des filiales par le siège.
Le tableau suivant indique la répartition des contributions étudiées par thèmes. Les catégories représentant plus de 10% des communications apparaissent dans les lignes grisées du tableau.
Tableau 6. Répartition des communications AIMS (2000-2010) selon les 12 thèmes de MI « pur »
2000 | 200 1 | 200 2 | 200 3 | 200 4 | 200 5 | 200 6 | 200 7 | 200 8 | 200 9 | 201 | Total | ||||||||||||||||||||||||||||
Nombre total de papiers portant sur le MI ‘pur’, dont : | 8 | 8 | 6 | 4 | 9 | 13 | 9 | 16 | 9 | 10 | 5 | 97 | |||||||||||||||||||||||||||
-? Environnement global des affaires | 1 | 1 | 1 | 2 | 5 5.1% | ||||||||||||||||||||||||||||||||||
-? Internationalisation | 1 | 2 | 1 | 1 | 4 | 2 | 4 | 1 | 4 | 1 | 21 21.6% | ||||||||||||||||||||||||||||
-? Décisions de mode d’entrée | 1 | 1 | 1 | 1 | 4 4.1% | ||||||||||||||||||||||||||||||||||
-? JVI | 1 | 3 | 2 | 1 | 1 | 1 | 2 | 11 | |||||||||||||||||||||||||||||||
11.3% | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
-? | IDE | 2 | 1 | 3 | 1 | 3 | 1 | 2 | 1 | 14 | |||||||||||||||||||||||||||||
14.4% | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
-? | Echanges internationaux | 2 | 1 | 1 | 4 4.1% | ||||||||||||||||||||||||||||||||||
-? | Transfert de connaissances | 1 | 2 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 8 8.2% | ||||||||||||||||||||||||||||||
-? | Alliances stratégiques et | 1 | 1 | 1 | 2 | 2 | 2 | 1 | 1 | 11 11.3% | |||||||||||||||||||||||||||||
réseaux | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
-? | FMN | 1 | 1 | 1 | 2 | 1 | 1 | 2 | 1 | 10 10.3% | |||||||||||||||||||||||||||||
-? | Relations filialessiège | 1 | 1 | 3 | 1 | 1 | 7 7.2% | ||||||||||||||||||||||||||||||||
-? | Management des équipes internationales et dans les filiales | 1 | 1 1% | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||
-? | Management d’expatriés | 1 | 1 1 % | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||
L’internationalisation se détache comme étant le thème le plus largement traité dans le champ du MI puisqu’il concerne plus d’un article sur cinq (21.6 %). Ensuite, quatre thèmes apparaissent de manière équivalente : les « Investissements Directs à l’étranger » (14.4 %) ; « les alliances » (11.3 %) ; les « Joint Ventures Internationales » (11.3 %) ; les « firmes multinationales » (10.3 %). A l’inverse, les thèmes les moins traités sont liées aux problématiques de gestion des ressources humaines (1%) et des expatriés (1%) en particulier, des décisions liées aux modes d’entrée (4.1%) et d’échanges internationaux (4.1%) ainsi que le thème plus macro-économique de l’environnement global des affaires (5.1%). Les travaux portant sur les thématiques liées au transfert de connaissances et aux relations filiales-siège avoisinent les 8 %. La tendance semble s’inverser entre ces deux thèmes puisque le champ des relations filiales-siège tend à se développer depuis les années 2005 alors que celui du transfert de connaissances est plus marqué au début des années 2000.
2.4. COMPARAISON AVEC LES RECHERCHES ANGLO-SAXONNES
Ces premiers résultats appellent une comparaison avec la structure du champ dans les recherches anglo-saxonnes. Dans son article de 2007, Pisani distingue les revues spécialisées en MI des revues plus généralistes. Il indique que la distribution des articles entre les douze catégories est très homogène dans les deux revues spécialisées de référence : Journal of International Business Studies (JIBS) et Management International Review (MIR). Sur la période analysée par Pisani (2002-2006), ces deux revues ont publié la même proportion d’articles dans huit des 12 catégories. La principale différence entre les deux revues tient à ce que JIBS se concentre plutôt sur les dimensions « Mode d’entrée » et « IDE » tandis que MIR se concentre plutôt sur « le transfert de connaissances » et « l’entreprise multinationale ». En ce qui concerne la présence de recherches portant sur le MI dans les revues de management ou de stratégie à vocation plus généraliste, il est intéressant de noter que la distribution entre les catégories apparaît comme étant très hétérogène dans les résultats de Pisani. Les revues telles que Strategic Management Journal (SMJ) ou Journal of Management (JM), privilégient largement les cinq thèmes principaux qui ressortent de notre étude : l’internationalisation, les IDE, les alliances et JVI ainsi que les firmes multinationales.
La répartition des communications de l’AIMS selon les thématiques du management international suit ainsi plutôt celle de revues généralistes telle que SMJ que des revues spécialisées telle que JIBS. Le tableau suivant illustre cette tendance.
Tableau 7. Proportion de communications portant sur le MI par thèmes selon le type de support
AIMS (Généraliste – stratégie) | SMJ (Généraliste - stratégie) Chiffres repris de Pisani (2007, p. 2111, Tableau 5) | JIBS (Spécialisée MI) Chiffres repris de Pisani (2007, p. 2111, Tableau 5) | |||||
Environnement global des affaires | 5.1% | 1.8 % | 10.2% | ||||
Internationalisation | 21.6% | 19.3 % | 14.3% | ||||
Décisions de mode d’entrée | 4.1% | 5.3 % | 6.8% | ||||
JVI | 11.3% | 8.8 % | 12.2 % | ||||
IDE | 14.4% | 15.8 % | 13.6 % | ||||
Echanges internationaux | 4.1% | 1.8 % | 3.4 % | ||||
Transfert de connaissances | 8.2% | 12.3 % | 8.2 % | ||||
Alliances stratégiques et réseaux | 11.3% | 8.8 % | 2.7 % | ||||
FMN | 10.3% | 15.8 % | 15 % | ||||
Relations filiales-siège | 7.2% | 10.5 % | 5.4 % | ||||
Management des équipes internationales et dans les filiales | 1% | 0 % | 6.1 % | ||||
Management d’expatriés | 1% | 0 % | 2 % |
Si l’on tente une comparaison entre les thématiques traitées dans les communications de l’AIMS à celles traitées dans les publications de la revue SMJ, nous remarquons que les recherches francophones délaissent les problématiques typiquement organisationnelles telles que les relations siège-filiales, les firmes multinationales et le transfert de connaissances. En revanche, les thèmes des alliances et des JVI sont largement privilégiés dans les recherches francophones ainsi que les problématiques d’ordre macro-économiques traitant de l’environnement global des affaires ou des échanges internationaux. Dans les deux cas, les chercheurs préfèrent plus privilégier les problématiques d’accès aux marchés internationaux auxquelles sont soumises les entreprises (internationalisation et IDE) et moins les enjeux stratégiques et organisationnels auxquels elles doivent faire face une fois implantées à l’international. De plus, pour ces deux supports, le niveau d’analyse mobilisé est l’entreprise sans adopter ni une vision globale/macro-économique ni une approche individuelle/microéconomique comme en témoigne le faible nombre d’études sur le management des filiales ou les expatriés.
Ces premiers résultats invitent à discuter des spécificités des firmes multinationales françaises ainsi que de leurs caractéristiques propres, dans le but de fixer quelques orientations et un agenda pour le développement de la recherche francophone en management international.
3. SPECIFICITES DES FMN FRANCAISES ET AGENDA DE RECHERCHE POUR LE MANAGEMENT INTERNATIONAL
Il s’agit de mettre en exergue les domaines principaux où les recherches en MI sont menées et identifier les domaines dans lesquels des recherches supplémentaires devraient être conduites. Des suggestions sont réalisées, ce sont autant de pistes de réflexion basées à la fois sur les résultats de notre étude des communications AIMS et sur les tendances actuelles de la littérature en MI. Ces éléments nous permettront de mettre en évidence les spécificités des FMN françaises.
Notre recherche aboutit à neuf propositions réparties au sein de trois axes majeurs de développement du champ : cinq propositions pour une approche organisationnelle et stratégique développée ; quatre propositions pour une approche culturelle renouvelée et pour une appréhension plus globale de l’environnement de la FMN et enfin une proposition destinée à améliorer les outils méthodologiques spécifiques au MI.
3.1. ENCOURAGER LES RECHERCHES SUR LA STRATEGIE/ORGANISATION DES FMN
Les recherches réalisées à l’AIMS portent principalement sur les IDE et l’internationalisation (plus du tiers des communications en management international « pur », 36 % exactement, concernent ces deux thèmes). Or, il peut sembler pertinent de produire davantage de recherches sur les enjeux stratégiques et organisationnels des FMN en s’intéressant notamment aux relations entre le siège et ses filiales. Ce domaine de recherche est particulièrement développé dans la littérature anglo-saxonne. Paterson et Brock (2002) ont d’ailleurs réalisé une revue de littérature spécifique au management des filiales. Birkinshaw et Hood (1998) suivi de Birkinshaw (2001) ont même identifié trois courants dans le management des filiales : les relations siège-filiales, le rôle de la filiale et le développement des filiales.
- Proposition 1 : Vers une meilleure intégration des approches réseaux et des filiales
L’ensemble des recherches récentes sur les relations siège-filiales met en évidence l’influence de la vision de la FMN en réseau, multi-centres, comme un ensemble différencié d’entités (Bartlett et Ghoshal, 1991 ; Nohria et Ghoshal, 1997 ; Malnight, 2001 ; O’Donnell, 2000 ; Almeida et Phene, 2004). Il s’agit alors de s’intéresser plus particulièrement à la place et au développement des filiales à la fois dans ses relations avec le siège, avec les autres filiales du groupe et dans son environnement local (Asmussen et al., 2009). Cela conduit à un changement de niveau d’analyse, de la FMN dans son ensemble à la filiale (Birkinshaw et Hood, 1998 ; Birkinshaw, 2001 ; Paterson et Brock, 2002) ce qui débouche sur le développement de typologies de filiales (Birkinshaw et Morrison, 1995 ; Taggart, 1998 ; Enright et Subramanian, 2007). Or, nos résultats montrent un nombre limité de recherches dans ce domaine puisque seules sept communications sur les onze années étudiées se sont intéressées aux relations filiales-siège, en accordant donc de l’intérêt à la place de la filiale dans le groupe. Ainsi, une perspective de recherche intéressante serait de réaliser davantage de recherches sur l’autonomie des filiales comme le suggèrent Paterson et Brock (2002).
- Proposition 2 : Vers une meilleure compréhension des enjeux de pouvoir au sein de la FMN
En continuité avec le point précédent, Dörrenbacher et Geppert (2006) prônent le développement de recherches avec un niveau d’analyse individuel, en s’axant sur les enjeux de pouvoir dans les FMN. Il s’agit alors de mener des études sur les dernières thématiques de la grille de Werner (2002), « Management des équipes internationales et dans les filiales » et « management d’expatriés » en se focalisant notamment sur la dimension « pouvoir » et les enjeux politiques dans les relations siège-filiales. Cette perspective de recherche semble totalement en convergence avec le courant des approches critiques en management qui se développe en France pour étudier le pouvoir dans les organisations (comme l’ouvrage Les études critiques en management : une perspective française sous la direction de Golsorkhi, Huault et Leca (2009)).
- Proposition 3 : Vers une meilleure analyse des modes de pilotage spécifiques aux FMN françaises
Les recherches fondées sur le gain d’autonomie des filiales et ses implications en termes de niveau d’analyse ou de type de recherches se retrouvent peu dans les recherches francophones, au regard de nos résultats portant sur les communications AIMS. Ce résultat est proche de celui de Björkman et Forsgren (2000) pour les recherches nordiques. De même que ces auteurs, une explication possible renvoie aux spécificités des FMN françaises qui restent très/trop centralisatrices. Le siège continue à tenir un rôle fort dans l’organisation ce qui limite le développement de ces approches en réseau. En outre, certaines firmes multinationales françaises sont caractéristiques d’un mode de pilotage ‘à la française’ où la coordination et le contrôle de filiales relativement autonomes s’exercent par le partage de valeurs et par le bais d’une forte culture organisationnelle. Le degré de formalisation des politiques générales de firmes telles que Danone, par exemple, se distingue largement de celui des firmes américaines.
- Proposition 4 : Vers un renouvellement des travaux portant sur les stratégies des FMN
En dehors des études portant sur les alliances stratégiques et les choix de modes d’entrée sur les marchés étrangers, il y a peu de recherches portant sur les stratégies des FMN (Werner, 2002). Lorsqu’on étudie les relations siège-filiales, la stratégie des FMN concerne de manière classique la dichotomie intégration globale/réactivité locale (Prahalad et Doz, 1987) ou la perspective configuration/coordination (Porter, 1986). Il serait utile de lier ces recherches au courant du management stratégique en s’intéressant par exemple à la question de la formation et la mise en place de la stratégie en contexte international ou à la question de la diversification. C’est notamment le positionnement de Ghemawat (2008) ou de Lu (2003) qui se sont intéressés aux recherches en stratégie internationale.
- Proposition 5 : Vers une extension des recherches portant sur l’internationalisation des PME
Une autre proposition porte sur le cas particulier des PME et des spécificités de leurs stratégies à l’international. En effet, nos résultats ont montré l’importance des recherches sur l’internationalisation des entreprises (21.6% des communications AIMS sur le MI « pur »). Cette tendance rejoint les résultats de Björkman et Forsgren (2000) pour les recherches nordiques, également fortement axées sur l’internationalisation. Il est intéressant de noter, dans ces thématiques, la prise en compte importante du cas des PME et de leur internationalisation. Ces recherches se fondent notamment sur les théories basées sur les ressources et compétences, les approches en réseau ou même le courant de l’entrepreneuriat international. Ces différents courants et leur place dans l’étude de l’internationalisation des PME sont notamment présentés dans les revues de littérature réalisées par Coviello et McAuley (1999) ou Ruzzier et al. (2006). Les recherches actuelles développent ainsi des études à un niveau individuel en s’intéressant au dirigeant d’entreprise (ou à l’équipe de direction) et son réseau, ses ressources et ses compétences. Ces éléments intéressants sont alors liés au secteur d’activité des entreprises, avec notamment le cas de PME innovantes. Il s’agit d’une thématique totalement d’actualité et qui mérite davantage d’investigations.
3.2. DEVELOPPER LES RECHERCHES QUI ETUDIENT LE LIEN ENTRE LA CULTURE,
L’ENVIRONNEMENT ET LE MANAGEMENT INTERNATIONAL
L’entreprise à l’international est également ancrée dans un environnement global qu’il est pertinent d’intégrer et d’étudier à travers différentes dimensions.
- Proposition 6 : Vers un décloisonnement entre management comparatif et management international
Comme nous l’avons présenté dans cette recherche, il est possible de distinguer les recherches de MI « pur » des recherches comparatives (inter-culturelles et inter-nationales) à l’instar de Ricks (1991), Werner (2002) ou Pisani (2009). Nos résultats ont montré que ces recherches comparatives tiennent également une place importante dans les recherches francophones. Pour autant, il apparaît intéressant de lier ces deux approches en développant les recherches portant sur l’influence de la culture sur le MI. Il peut s’agir de l’impact de la culture nationale (comme les travaux de Colovic et Mayrhofer, 2008 ; Davel et al., 2008) ou de la culture du pays hôte dans le choix de l’implantation d’une FMN, la mise en place d’une joint-venture ou le management des filiales. Paterson et Brock (2002) identifient la culture nationale comme une perspective de recherche prometteuse dans le cadre de leur revue de littérature portant sur le management des filiales.
Il est alors possible de mettre l’accent plus particulièrement sur les spécificités des FMN françaises. En effet, de nombreuses recherches portent sur l’étude de filiales implantées dans un pays donné (comme Jaussaud et Schaaper (2006) pour la Chine ou Saidani et Su (2008) pour la Tunisie) mais peu de travaux concernent les FMN françaises dans leur ensemble.
- Proposition 7 : Vers le développement de recherches portant sur la localisation et sur les pays émergents
Une piste intéressante à suivre porte sur la prise en compte des enjeux de la localisation dans les choix de la FMN, dans le cadre notamment du courant en croissance de la géographie économique. En effet, cette question est particulièrement pertinente compte tenu de l’évolution de la géographie de l’économie mondiale (Buckley et Ghauri, 2004) et des changements de règles de compétition (Hutzschenreuter et Gröne, 2009). Il est, par exemple, intéressant de mobiliser le concept de distance (Ghemawat, 2001) pour étudier le lien entre la culture du pays hôte et le management ou le concept de régionalisation (Rugman, 2005 ; Rugman et Verbeke, 2004).
Ces recherches peuvent alors conduire à une prise en compte plus forte des contextes spécifiques des pays émergents. Nos résultats montrent que les recherches portant sur ces pays sont en croissance. En effet, les communications de l’AIMS relatives à une application à un pays (74 dénombrées ces onze dernières années) portent pour près de la moitié à des pays émergents comme la Tunisie, le Brésil, la Colombie, le Chili, la Pologne, la Bulgarie et la Chine. L’autre moitié concerne les pays développés tels que le Japon, l’Australie, les EtatsUnis, le Canada, le Luxembourg, la Belgique et l’Allemagne. Cette proportion assez forte de recherches consacrées à l’étude des contextes des pays émergents traduit l’importance que revêtent ces marchés, en particulier pour les entreprises des pays développés et de manière relativement unilatérale. En revanche, il est surprenant de noter l’absence de travaux consacrés à l’étude des multinationales issues des pays émergents, à leurs caractéristiques et à leurs stratégies. Pourtant, le poids de ces entreprises ne cesse de croître, avec la constitution de nouveaux géants mondiaux (chinois par exemple) dont les stratégies d’internationalisation s’avèrent être particulièrement agressives dans la conquête des marchés étrangers. En témoigne par exemple l’article publié le 19 janvier 2011 par le journal Le Monde et intitulé : « Les multinationales du Sud : un modèle pour le Nord ».
De plus, les différences entre pays développés et pays émergents gagneraient à être étudiées (Ghemawat et Hout, 2008 ; Milliot et Tournois, 2009). Cela permettrait de préciser -si elles existent- les spécificités du management dans les contextes émergents.
La dimension culturelle est ainsi intéressante à étudier, tout comme les différences économiques, administratives (politiques) ou géographiques (en référence aux composantes de la distance de Ghemawat, 2001). C’est justement l’étude des interactions entre l’ensemble de ces éléments et leur impact sur les différentes thématiques du MI qui semble pertinente.
- Proposition 8 : Vers une meilleure intégration de la place de la FMN dans la société : Responsabilité sociétale et intelligence économique.
Une question centrale en management international concerne le lien entre environnement – stratégie – structure ; les approches contingentes (comme Stopford et Wells, 1972) occupent en l’occurrence une place significative dans ce champ de recherche. Il s’agit, dans un contexte où la FMN est encastrée dans un environnement global et où ses filiales sont elles aussi encastrées dans leur environnement local (Asmussen et al., 2009), de renouveler ces questions. Les FMN sont en effet des acteurs importants de l’économie mondiale compte tenu de leur taille, de la puissance qu’elles représentent et de leur degré d’internationalisation. Les liens entretenus entre les FMN et les pays apparaissent donc comme un domaine de recherche prometteur. Dans un certain nombre de pays, la proximité entre la sphère publique et la sphère privée est de plus en plus forte de telle manière que les firmes multinationales constituent une véritable arme économique, levier de développement au service de la nation. Les stratégies de puissance des Etats reposent en effet largement sur les stratégies des firmes multinationales. La culture française apparaît cependant comme étant en retrait dans le domaine de l’intelligence économique, notamment vis-à-vis des cultures américaine ou chinoise. L’absence de travaux de recherche portant sur ces dimensions dans les actes de l’AIMS des
11 dernières années en est significative ; les thèmes des négociations entre les firmes et les Etats sont largement absents des travaux portant sur les IDE, tout comme la gestion des activités politiques et des activités de lobbying des FMN. C’est dans ce contexte que va paraître un livre en 2011 intitulé « La France et ses multinationales : Stratégie globale et intérêt national », sous la direction de Laurent Faibis, et réunissant six présidents de groupes du CAC 40 et neuf experts économiques.
Une autre piste intéressante de recherche, soulevée notamment par Werner (2002), consiste à étudier la FMN à travers sa responsabilité vis-à-vis de l’ensemble de ses parties prenantes, en prenant en compte les enjeux sociétaux, sociaux et environnementaux. Les travaux liés à la responsabilité sociale des entreprises multinationales constituent une voie intéressante de recherche. Les pays émergents représentent une cible clé pour les firmes françaises, qui y accroissent leur présence, mais les dilemmes d’ordre éthiques sont considérables. L’absence de règles du jeu qui encadrent le monde des affaires au niveau mondial rend d’autant plus important la marge de manœuvre des firmes multinationales. Peu de travaux académiques dans les conférences de l’AIMS sont consacrés à ces questions managériales pourtant cruciales pour les dirigeants internationaux. Les stratégies des FMN sont d’autant plus importantes à examiner dans le domaine de la RSE qu’elles peuvent être sources d’opportunités et de développement de nouveaux marchés, comme en témoignent les travaux récents de Pestre (2011) portant sur les stratégies de lutte contre la pauvreté développées par Danone dans les pays émergents.
3.3. REMEDIER A L’ABSENCE DE RECHERCHES PORTANT SUR LA METHODOLOGIE DU
MANAGEMENT INTERNATIONAL
Lors de notre étude sur onze années des communications présentées à l’AIMS, nous constatons un manque de recherches portant sur les questions méthodologiques posées à l’international. En effet, sur cette même période, nous dénombrons 50 recherches portant sur les questions de méthodologie ; le tableau suivant illustre la répartition, par année, de ces travaux selon leurs orientations.
Tableau 8. La place de la recherche en méthodologie dans les communications AIMS
Conférences de l’AIMS | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 | 2005 | 2006 | 2007 | 2008 | 2009 | 2010 | Total |
Nombre de communications portant sur la méthodologie / épistémologie | 4 | 2 | 3 | 5 | 3 | 8 | 5 | 6 | 3 | 6 | 5 | 50 |
Dont réflexion sur posture épistémologique ou méthodologique | 1 | 1 | 1 | 1 | 2 | 5 | 2 | 2 | 1 | 3 | 3 | 22 |
Dont méthodologie quantitative | 1 | 2 | 1 | 1 | 1 | 1 | 7 | |||||
Dont méthodologie qualitative | 2 | 1 | 2 | 1 | 2 | 2 | 3 | 2 | 2 | 2 | 19 | |
Dont méthodologie internationale | 1 | 1 | 2 |
Parmi l’ensemble de ces recherches, près de la moitié (22) participe à la réflexion sur les démarches méthodologiques suivies en sciences de gestion de manière générale ainsi que sur les postures épistémologiques. Nous dénombrons sept recherches axées plus précisément sur les méthodes quantitatives et 19 recherches sur les méthodes qualitatives. Enfin, nous identifions seulement deux communications qui portent sur les enjeux méthodologiques spécifiques à la recherche en management international ; il s’agit des travaux suivants :
- Hardy M. (2005) « Adéquation entre objet de recherche et méthode de recherche. Les méthodes de l’ethnométhodologie sont-elles pertinentes pour une recherche sur les entreprises chinoises ?»
- Besson D., Haddadj S. (2003) « Adaptation internationale des échelles de mesure entre universalisme et culturalisme : application à la mesure de l’environnement de l’entreprise »
- Proposition 9 : Vers un développement des outils et appareillage méthodologique en management international
Compte tenu de la multi-localisation qui caractérise la firme multinationale, il est particulièrement étonnant de ne pas retrouver de réflexion portant sur les enjeux méthodologiques rencontrés en MI. En effet, le manque d’éléments de méthode et de structuration spécifiques à un projet de recherche à l’international peut constituer un frein au développement de ce champ de recherche et expliquer ainsi le nombre limité de productions dans le domaine. Les traditionnelles difficultés rencontrées dans les démarches qualitatives, lesquelles dominent les recherches francophones en management stratégique, sont exacerbées dans le contexte international, comme en témoigne la parution en 2004 d’un ouvrage dédié aux méthodologies qualitatives pour les recherches en management international, coordonné par Marschan-Piekkari et Welch. Ce livre, intitulé « Handbook of Qualitative Research Methods for International Business », évoque ainsi les difficultés liées aux analyses comparatives et interculturelles, au design et à l’architecture des études de cas multiples entre différents pays, à la conduite d’entretiens dans des contextes linguistiques et culturels variés, à la pertinence des méthodes d’ethnographie, aux critères de validité des recherches, et à la publication de recherches en management international. Ainsi, le développement de recherches sur les problèmes méthodologiques que pose la recherche en MI peut favoriser les travaux de ce champ.
CONCLUSION
La place du management international dans les recherches en gestion est particulièrement faible au regard de l’importance que jouent les firmes multinationales dans le monde des affaires. Cet article répond à la question de la structuration de ce champ dans le contexte des recherches francophones. En effet, les résultats de Werner (2002) montrent que les douze principaux thèmes qui caractérisent le champ de recherche sont plus répandus dans les revues académiques anglo-saxonnes de haut niveau aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Se pose alors la question de la spécificité des FMN françaises et des perspectives de développement des recherches en management international. Notre étude des communications de l’AIMS de 2000 à 2010 - et la confrontation à la littérature anglo-saxonne – peut aider les dirigeants internationaux français à modifier et à améliorer leurs activités de management et les chercheurs à développer des stratégies de recherche ciblées autour de trois axes prioritaires que nous avons dégagés et de neuf propositions de voies de recherche qui en découlent.
La cartographie du champ du management international francophone proposée dans cette communication participe à un effort plus vaste visant à encourager le développement d’une communauté de chercheurs francophones en MI. Cette initiative exploratoire mérite d’être étendue à l’étude des publications des principales revues, spécialisées telles que Management International, ou généralistes telles que la Revue Française de Gestion par exemple. Cela correspond à la logique adoptée par Pisani (2009) et Lu (2003) qui confrontent ainsi ces deux types de revues. Un approfondissement de l’analyse permettrait également de différencier les cadres théoriques mobilisés (comme Lu, 2003), la méthodologie employée et les niveaux d’analyse utilisés. Il pourrait également être intéressant, à l’instar de Werner et Brouthers (2002), de prendre en compte les recherches fonctionnelles pour évaluer la place de l’international dans ces travaux. Nous pourrions alors étudier les communications des grandes associations fonctionnelles pour les disciplines des ressources humaines (AGRH), du marketing (AFM), des systèmes d’information (AIM), de la comptabilité/contrôle de gestion (AFC), de la finance (AFFI), ou même de l’entrepreneuriat et des PME (RIPME, AE).
Enfin, nous constatons que le management international se situe à l’intersection entre différentes disciplines : stratégie/organisation, ressources humaines, entrepreneuriat, finance (gouvernance), contrôle. Se pose alors la question soulevée par Roth et Kostova (2003) du lien entre management international et théorie des organisations : le management international constitue-t-il un champ de recherche en soi ? De plus amples recherches sont nécessaires pour délimiter les frontières de ce champ et participer à la définition même de la firme multinationale.
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