Ressource de formation sur le droit du commerce international et droit social
Ressource de formation sur le droit du commerce international et droit social
I - LES RÈGLES DE BASE DU COMMERCE INTERNATIONAL
Les règles de base du commerce international visent en premier lieu les conditions dans lesquelles un produit accède au marché (1). Les Membres peuvent toutefois déroger aux principes généraux dans certaines situations (2). L’ensemble de ces règles est contenu dans l’accord GATT, composante du traité de l'OMC qui se veut un traité "unique" par lequel les Membres sont liés par l’ensemble des dispositions contenues dans les accords, sans aucune réserve ou dérogation possible (3).
- Disciplines et obligations de base favorisant l’accès aux marchés
Parmi les disciplines et obligations supportées par les Membres, trois principes doivent être impérativement respectés sous peine de sanction pouvant être prononcée lors du mécanisme du règlement des différends spécifique à l’organisation. Ces principes sont les suivants :
1.1 L’interdiction des discriminations injustifiables : NPF et TN
La clause de la "nation la plus favorisée" ("NPF", article I du GATT) illustre l'idée du "club" au sein duquel tous les partenaires commerciaux doivent en principe bénéficier des mêmes privilèges. Selon cette clause "tous avantages, faveurs, privilèges ou immunités" accordés par un Membre à un produit originaire ou à destination d'un autre pays sont "immédiatement et sans condition" étendus aux produits similaires de tous les autres Membres. Cette disposition renforce l'effet des réductions tarifaires dans la mesure où toute concession tarifaire accordée par un Membre est automatiquement étendue à tous les autres Membres. Elle ne s'applique pas uniquement aux droits de douane mais également à toutes mesures fiscales et réglementaires permettant d’appréhender l’ensemble des étapes de la mise sur le marché à la mise en vente d'un produit.
Le principe du traitement national (TN) est énoncé à l'article III du GATT qui dispose qu'une fois importés sur le territoire d'un Membre, les produits en provenance d'autres Membres ne doivent pas être traités, s’agissant des impositions et de la réglementation intérieure, de manière moins favorable que les produits similaires d'origine nationale. Toute réglementation qui protège injustement la production nationale au détriment des marchandises importées similaires est donc contraire au principe du traitement national. Tout comme la clause NPF, ce principe a une portée extrêmement large et vise toutes les mesures fiscales ainsi que tous les règlements, lois et prescriptions affectant la vente, l'achat, le transport, la distribution ou l'utilisation de produits sur le marché intérieur.
La difficulté rencontrée dans l'application des clauses NPF et TN réside dans la détermination de la "similarité" entre le produit local et le produit importé (TN) ou deux produits importés (NPF). Selon la jurisprudence, le concept a un caractère relatif qui s’apparente à un "accordéon" dont la couverture s'élargit et se rétrécit en fonction de chaque disposition où le terme apparaît (Organe d’appel, Taxes japonaises sur les boissons alcooliques, rapport adopté le 4 octobre 1996, WT/DS8/AB/R, WT/DS10/AB/R, WT/DS11/AB/R). Dans le contexte de l'obligation du "traitement national", l'OMC considère que deux produits sont "similaires" s'ils sont en concurrence dans le pays importateur en question. Cette notion est appréciée sur la base notamment de leurs caractéristiques physiques, la perception des consommateurs et l'utilisation finale des produits concernés. A priori les distinctions règlementaires entre produits similaires doivent donc se baser sur les caractéristiques physiques des marchandises en question, car ce sont elles qui généralement affecteront leurs relations de concurrence.
Ces notions de similarité et de concurrence deviennent cruciales dès lors qu’est abordée la question des considérations sociales et du travail dans les relations commerciales puisque les normes du travail relèvent plus des conditions sociales dans lesquelles sont fabriquées les produits que des caractéristiques intrinsèques des produits eux-mêmes. Dès lors si, sur deux marchandises considérées comme similaires, une seule est produite en respectant les droits fondamentaux, elles demeurent similaires et en concurrence et doivent donc a priori être traitées sans discrimination par le pays importateur.
1.2 L'obligation de respecter les limites maximales tarifaires négociées (consolidations)
Les droits de douane sont des tarifs sur la valeur, le poids ou le volume des produits prélevés à la frontière lors de l'importation de marchandises étrangères. Aux termes de l'Article II du GATT, les produits importés ne peuvent être soumis à des droits de douanes supérieurs à ceux négociés et inscrits sur la liste des concessions de chaque Membre. Les efforts de réduction de droits déployés au cours des multiples cycles de négociations ont donné d'excellents résultats ce qui a probablement encouragé les Membres à entamer, durant les négociations du cycle d'Uruguay, une négociation tarifaire généralisée de tous les produits agricoles inscrits dans un accord sur l'agriculture. En principe, les droits de douane doivent être imposés de façon non-discriminatoire sur toutes les importations en provenance de l’ensemble des Membres, et ce au taux de la nation la plus favorisée (NPF) ou à un taux moindre. Mais des exceptions existent permettant notamment aux Membres de créer des accords régionaux préférentiels, ou d'octroyer des préférences aux pays en voie de développement.
1.3 L’élimination des restrictions quantitatives (ou contingents) à la frontière
Les contingents sont des restrictions à l'importation ou à l'exportation portant sur le nombre, le volume ou la valeur des produits importés. Les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation sont prohibées par l'article XI du GATT, principalement parce qu'elles empêchent la concurrence et que leur administration est moins transparente que celle des droits de douane et peut être plus facilement discriminatoire. Les taxes à l'exportation ne sont pas réglementées par l'OMC.
- Exceptions générales et de sécurité permettant de limiter l'accès au marché interne
2.1 Les articles XX et XXI
Les articles XX et XXI du GATT énumèrent les objectifs permettant de justifier qu'un Membre déroge à ses obligations générales. L'article XXI vise les mesures prises aux fins de la sécurité nationale. Quant à l'article XX, il s’applique notamment aux mesures nécessaires à la protection de la moralité publique, de la santé et de la vie des personnes, des animaux et des végétaux, ou à la préservation des ressources naturelles. Les principales dispositions de l'article XX du GATT sont:
"Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou non justifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce internationale, rien dans le présent Accord ne sera interprété comme empêchant l'adoption ou l'application par toute partie contractante des mesures:
- a) nécessaires à la protection de la moralité publique;
- b) nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux; ...
- e) se rapportant aux articles fabriqués dans les prisons; ...
- g) se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables, si de telles mesures sont appliquées conjointement avec des restrictions à la production ou à la consommation nationales".
Une mesure nationale à priori contraire aux règles de base du
GATT/OMC peut être justifiée aux termes de l'Article XX si elle "est apte à contribuer matériellement à la réalisation de la politique visée – comme la protection de l'environnement". L'importance de la valeur protégée par la mesure nationale est cruciale dans la détermination de sa compatibilité aux règles de l'OMC. De plus ces mesures dérogatoires ne doivent ni constituer un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, ni s’apparenter à une restriction déguisée au commerce international.
Si l’article XX ne fait pas explicitement référence aux mesures sociales ou aux normes fondamentales du travail, contrairement à l'environnement, la santé ou la moralité publique, nous verrons que la jurisprudence issue de l’application de l’article XX permet peut-être d’interpréter certaines de ses dispositions comme incluant les droits fondamentaux.
2.2 Les préférences accordées dans un contexte régional et pour favoriser le développement
Bien qu'elles constituent une exception au principe de la Nation la plus favorisée, les préférences régionales sont une caractéristique fondamentale de l'actuel système commercial international. L'article XXIV du GATT impose des conditions garantissant que les groupements régionaux créés dans le cadre du GATT/OMC contribuent globalement à développer le commerce. Celles-ci incluent l'obligation pour les accords régionaux de couvrir l'ensemble des échanges entre les parties et de ne pas pénaliser le commerce entre parties à l'accord et les pays tiers. Il existe également des règles spéciales couvrant les accords régionaux entre pays en voie de développement mais la difficulté réside dans les lacunes du système de surveillance politique de ces accords. En effet, seule une décision obtenue par consensus, incluant la voix des Membres parties à l’accord en question, peut modifier le contenu d'un accord régional notifié à l'OMC.
Depuis l'adoption, sous le GATT, de la clause d'habilitation, les pays développés sont autorisés à octroyer des préférences tarifaires aux importations en provenance des pays en voie de développement. Plusieurs dispositions de l'OMC octroient un traitement préférentiel et différencié aux pays en voie de développement.
- Le GATT fait partie de l'OMC qui est un accord unique
Les principes du GATT de 1947, énoncés plus haut, sont toujours d'application dans le système de l'OMC. L'OMC est un traité unique constitué d’accords couvrant trois dimensions des échanges commerciaux internationaux: le commerce des marchandises incluant notamment les dispositions du vieux GATT, appelé maintenant le GATT de 1994 et une série d'accords interprétant et développant les règles du vieux GATT ; le commerce des services ; et enfin tout ce qui concerne les règles régissant "la propriété intellectuelle" (ce que certains appellent le commerce de l'information). Les principes du GATT ont servi de référence lors des négociations des accords internationaux sur la protection des droits intellectuels (Accords ADPIC) et sur les Services, mais ont dû être adaptés dans certaines circonstances.
Tous les accords de l'OMC sont applicables simultanément à l’ensemble des Membres et ont pour objectif général de faciliter le commerce et de réduire les mesures protectionnistes tout en respectant le "développement durable", devenu un objectif fondamental de l'OMC.
L’instauration d’un système de règlement des différends propre à l’OMC constitue également un apport fondamental qui contribue à la stabilité de l'économie mondiale. Un système commercial mondial fondé sur des règles dépourvues de force obligatoire ne serait d'aucune utilité. La procédure unique de règlement des différends de l'OMC consacre le règne du droit et permet d’assurer la prévisibilité et la sécurité juridique du système commercial mondial. C’est d’ailleurs la jurisprudence qui, en s’inspirant du préambule de l'OMC consacrant le développement durable comme objectif fondamental, a donné une nouvelle dimension aux droits et obligations de l'OMC en l’empreignant de considérations non commerciales comme la protection de l'environnement ou de la santé publique.
II - LES NORMES FONDAMENTALES DU TRAVAIL DANS LE DROIT DE L’OMC
L’OMC ne s’intéresse a priori qu’aux échanges commerciaux transfrontières. Or, nous venons de le voir, l'article XX du GATT autorise expressément les Membres à adopter des politiques prioritaires visant, par exemple, à assurer la protection de l'environnement ou de la santé publique.
Aujourd’hui la question porte précisément sur la possibilité réservée aux Membres de l’OMC d’inclure une référence expresse aux considérations sociales parmi les exceptions de l'article XX du GATT. L’enjeu de l’introduction d’une exception sociale, ou pour certains d’une "clause sociale", dans les règles de l’OMC constitue, pour certains pays développés, un moyen d’éviter le nivellement par le bas. En effet, si un pays applique des normes moins rigoureuses en ce qui concerne les droits des travailleurs, ces exportations bénéficient, selon les promoteurs de la clause sociale, d'un avantage déloyal. En revanche, pour les pays en voie de développement, cette question est un prétexte au protectionnisme et revient à ouvrir une boite de Pandore dans le jeu des exceptions aux principes fondamentaux du droit de l'OMC.
Au delà du débat philosophique, il faut s’intéresser en premier lieu aux flexibilités déjà présentes dans le traité de l'OMC et permettant aux Membres d'introduire des considérations sociales dans l’application de mesures commerciales. En d’autres termes, est-il possible aujourd'hui de concilier la mise en œuvre des principes découlant du traité de l'OMC avec le respect des droits et obligations issus des conventions OIT ou d'autres accords à dimension sociale? Les Membres de l'OMC peuvent-ils conditionner l'accès à leurs marchés au respect des droits fondamentaux ou du travail s’appliquant aux conditions de production de ces exportations? Historiquement, l’OMC n’est pas dépourvue de considérations sociales (1). Celles-ci se retrouvent dans les dispositions actuelles du traité OMC (2), mais également dans certains contextes bilatéraux des accords régionaux (3) et des systèmes de préférences (4).
- Les considérations sociales et leurs contextes historiques et juridiques
La Charte de La Havane de 1948 consacrait tout un chapitre à l’emploi et à l’activité économique (chapitre II – articles 2 à 7). Il était reconnu que l’achèvement et le maintien du plein emploi productif constituaient les objectifs légitimes de l’expansion du commerce international. La Charte insistait sur la nécessité de respecter des "normes de travail équitable" sans toutefois les définir mais en faisant référence à celles posées par l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Elle prônait également une étroite coopération entre la future OIC (qui ne vit jamais le jour) et l’OIT. L’idée était la suivante : les normes de travail "non équitables" devaient être éliminées dans la mesure où elles entrainaient des difficultés pour les échanges internationaux en faussant les exportations. Le GATT traitait uniquement des affaires commerciales mais ne se voulait pas un accord autonome et les résultats des négociations tarifaires devaient éventuellement être intégrés dans le chapitre IV sur la "politique commerciale" de la Charte de La Havane qui contenait de multiples dispositions sur l'emploi, le travail et autres aspects non exclusivement commerciaux. Seul le préambule du GATT (référant à l'objectif du plein emploi) et l'article XII(3)(d), permettant aux parties contractantes de recourir à des restrictions quantitatives en cas de déséquilibre de balance des paiements dus à des politiques nationales visant à réaliser et maintenir le "plein emploi productif", traitaient de considérations sociales.
Durant le Cycle de l’Uruguay, certains pays développés, dont les
Etats-Unis et la France, ont vivement milité pour l’introduction d’une clause sociale dans le nouveau système commercial mondial afin de faire face à ce qu'ils considéraient comme une distorsion de concurrence. Ils se sont alors opposés à la résistance des pays du tiers monde en particulier du Sud-est asiatique, dont la compétitivité réside dans les bas coûts de leur main d’œuvre et qui craignaient un protectionnisme occidental. En l’absence de décision, la question fut relancée lors de la Conférence ministérielle de l’OMC à Singapour, en septembre 1996. La déclaration publiée à l’issue de la Conférence reconnaît l’OIT comme l'organe compétent s’agissant des normes fondamentales du travail et rejette expressément l’usage de ces normes à des fins protectionnistes. Elle admet également que l’avantage comparatif des pays en développement ne soit pas remis en question. À Singapour, les Ministres ont déclaré ce qui suit:
"Nous renouvelons notre engagement d’observer les normes fondamentales du travail internationalement reconnues. L’Organisation internationale du travail (OIT) est l’organe compétent pour établir ces normes et s’en occuper, et nous affirmons soutenir les activités qu’elle mène pour les promouvoir. Nous estimons que la croissance économique et le développement favorisés par une augmentation des échanges commerciaux et une libéralisation plus poussée du commerce contribuent à la promotion des ces normes. Nous rejetons l’usage des normes du travail à des fins protectionnistes et convenons que l’avantage comparatif des pays, en particulier des pays en développement à bas salaires, ne doit en aucune façon être remis en question. À cet égard, nous notons que les Secrétariats de l’OMC et de l’OIT continueront de collaborer comme ils le font actuellement".
La question fut également soulevée à la Conférence ministérielle de Seattle en 1999, sans qu’un accord ne soit trouvé. En 2001, la Conférence interministérielle de Doha a réaffirmé la Déclaration de Singapour sur le travail sans consacrer de débat spécifique à la question.
En juin 2008, l'OIT adopta une Déclaration sur la justice sociale pour une mondialisation équitable qui semble faire évoluer les paramètres de la Déclaration de Singapour. La déclaration de juin 2008 prescrit en son article I(A)(iv) que les pays doivent :
"Respecter, promouvoir et mettre en œuvre les principes et droits fondamentaux au travail, qui revêtent une importance particulière en tant que droits et conditions nécessaires à la pleine réalisation des objectifs stratégiques à la pleine réalisation des objectifs stratégique, en notant:
- ...
- que la violation des principes et droits fondamentaux au travail ne saurait être invoquée ni utilisée en tant qu'avantage comparatif légitime, et que les normes du travail ne sauraient servir à des fins commerciales protectionnistes".
Cette déclaration, adoptée à l'unanimité des membres de l'OIT, revêt une importance considérable car elle semble constituer un socle minimal de "droits fondamentaux" dont la violation ne saurait jamais se justifier. Dès lors peut-on s’interroger sur la possible invocation de cette déclaration de principes dans l'interprétation des flexibilités de l'OMC dont une lecture "évolutive" pourrait inclure le respect des droits fondamentaux?
- Le traité de l'OMC aujourd'hui - Les règles d'application multilatérale
Comme tout traité, les dispositions de l’OMC ne peuvent s’interpréter en "isolation clinique" de l’ensemble du droit international public. L'Organe d'appel l'avait d’ailleurs souligné dans son tout premier rapport (Organe d'appel, Etats-Unis - Normes concernant l'essence nouvelle et ancienne formules, WT/DS2/AB/R, rapport adopté le 29 avril 1996). L’interprétation des dispositions de l'OMC doit notamment s’effectuer au regard des prescriptions des articles 31 à 33 de la Convention de Vienne stipulant que l’interprétation des traités doit tenir compte des principes généraux du droit, des règles coutumières, autres apports au contexte, de même que tout autre principe du droit international, y compris donc, les droits fondamentaux de l'OIT.
Peu de dispositions du traité de l'OMC font directement référence aux considérations sociales ou normes du travail. Nous l’avons vu, le GATT contenait une seule clause visant à maintenir le plein emploi productif. A partir de l’étude du Préambule des accords de Marrakech, de l’article XX, des accords sur les subventions et l’antidumping, sur les obstacles techniques au commerce ainsi que relatifs aux marchés publics, nous verrons que les considérations sociales ne sont pas exemptes du système OMC.
2.1 Le Préambule des accords de Marrakech
Le Préambule des accords de Marrakech ne contient de référence expresse ni aux droits humains fondamentaux ni au droit du travail, mais il parle de "relèvement des niveaux de vie, la réalisation du plein emploi et d'un niveau élevé et toujours croissant du revenu réel..." et surtout de la nécessité de respecter l'objectif d’un "développement durable". De manière générale, le préambule constitue une source importante d’interprétation des dispositions d’un traité et permet de situer le contexte de l’accord. En étant probablement l’énoncé le plus complet des objectifs du système OMC, le préambule a une valeur juridique considérable.
L’Organe d’appel s’est d’ailleurs grandement appuyé sur le
préambule de l’Accord de Marrakech dans l’affaire des Tortues marines (Organe d’appel, Etats-Unis – Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, rapport adopté le 12 octobre 1998, WT/DS58/AB/R) et a statué que l’article XX du GATT, et son exception concernant la protection de l'environnement, devaient être interprétés à la lumière de celui-ci dont la référence au développement durable en tant qu'objectif du système commercial multilatéral "éclaire, ordonne et nuance les droits et les obligations des Membres au titre de l'Accord sur l'OMC en général et du GATT de 1994 en particulier". Cette référence pourrait avoir une importance considérable dans l'étude des droits fondamentaux dont le respect fait partie intégrante du "développement durable".
2.2 Les exceptions de l’article XX
L'article XX du GATT permet aux membres d'imposer des restrictions au commerce afin de protéger des intérêts autres que commerciaux, notamment environnementaux.
La question consiste à déterminer si la protection des droits fondamentaux, (voire de certaines normes sociales) pourrait être invoquée dans le cadre des exceptions aux règles d'accès au marché de l’OMC.
Dans la mesure où les droits fondamentaux constituent un socle minimal des droits reconnu par la Déclaration de l'OIT de juin 2008, leur respect pourrait être exigé de la part de partenaires commerciaux comme l'application d'une norme internationale acceptée par tous.
Un certain consensus a permis de dégager le contenu minimal de ce que sont ces "droits fondamentaux" qui devraient être respectés universellement. Ceux-ci incluent selon l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE): (1) la prohibition du travail forcé; (2) la liberté d’association ; (3) la liberté d’organisation et de négociation collective ; (4) l’élimination du travail des enfants et (5) la non-discrimination à l’emploi.
Si l'article XX ne fait aucune référence expresse aux droits fondamentaux, la question est de savoir si les termes de certaines exceptions de l'article XX peuvent toutefois couvrir les actions commerciales des membres visant au respect des droits fondamentaux (ou autres droits sociaux). La jurisprudence a interprété le paragraphe a permettant la protection de "la moralité publique" comme couvrant "un ensemble de valeurs déterminées par une collectivité". Cette interprétation permettrait probablement d’inclure les violations des droits fondamentaux qui sont universels. D’autres avancent par ailleurs que les droits fondamentaux sont déjà présents dans l’article XX au travers de la référence faite au sous-paragraphe e, qui permet des restrictions à l'encontre des importations d'articles fabriqués dans les prisons. Cette notion pourrait couvrir le travail forcé. Mais il est moins clair que les autres considérations sociales soient couvertes par ces exceptions.
Toute mesure qui prétend être justifiée aux termes des exceptions générales du GATT doit également respecter les prescriptions du chapeau (premier paragraphe) de l'article XX. L’application de l’article XX aux droits fondamentaux ne serait pas différente et ne devrait jamais constituer une restriction déguisée au commerce ou être mise en œuvre de mauvaise foi.
Dans le contexte d'un litige concernant une mesure commerciale où l'une de ces exceptions de l'article XX serait invoquée pour justifier une restriction commerciale découlant de l'application d'une mesure conditionnelle au respect des droits fondamentaux, le juge de l’OMC serait logiquement compétent pour décider de l'interprétation et de l'application de l'article XX. Dans son utilisation de la Déclaration de juin 2008, il serait opportun que le juge OMC consulte les instances de l'OIT.
La jurisprudence développée à partir de l’application des exceptions de l'article XX semble donc accorder aux Membres la possibilité de conditionner l'accès à leurs marchés internes au respect des droits fondamentaux universels. Qu’en est-il du traitement des considérations sociales autres que les droits fondamentaux universels? La situation vis-à-vis de ceux-ci dépend également des paramètres que l'interprétation négociée ou judiciaire donnera aux expressions "moralité publique" et "travail de prison" qui semblent ne couvrir que des situations très graves.
2.3 Les accords sur les subventions et sur l'antidumping
L'Accord de l'OMC sur les subventions et les mesures compensatoires soumet à des disciplines le recours à des subventions, et réglemente les mesures que les pays peuvent prendre pour compenser les effets de subventions. S’agissant de l’accord antidumping, il vise essentiellement à dire comment les gouvernements peuvent ou ne peuvent pas réagir aux comportements d’une entreprise qui exporte un produit à un prix inférieur à celui qu'elle pratique normalement sur son propre marché intérieur, pratiquant ainsi le "dumping".
Dans les deux cas il s’agit d’évaluer dans quelle mesure le dumping ou les subventions contestées causent un préjudice à une branche de production nationale. C’est dans l’évaluation du préjudice causé par le dumping ou les subventions que doivent obligatoirement être pris en compte des critères sociaux tels que la productivité et l’emploi. Ceci permet donc aux pays importateurs de tenir compte de l'impact du commerce international déloyal sur l'emploi national.
2.4 L’Accord sur les Obstacles Techniques au Commerce (OTC)
L’Accord sur les Obstacles Techniques au Commerce (OTC) est l’accord le plus important s’agissant de l’élaboration de normes, procédures d’évaluation de conformité et de certifications.
Cet accord autorise les Membres à adopter des règlementations dites "techniques" qui de façon incidente, restreignent le commerce pour autant que celles-ci visent l’accomplissement d’un objectif légitime de l’OMC. Or, l'exigence du respect des droits fondamentaux peut être considérée comme participant aux actions visant la protection des dimensions sociales du développement durable mentionné dans le préambule de l’accord de Marrakech. Dès lors, conditionner l'accès au marché au respect des droits fondamentaux composant le "développement durable" pourrait vraisemblablement constituer la poursuite d’un objectif légitime de l’OMC.
De plus, les normes internationales et standards développés à l'OIT peuvent, peut-être, bénéficier de la présomption de compatibilité octroyée par l'Accord OTC aux règlements nationaux conformes avec les standards internationaux existants. Dans ce contexte, il est possible de se demander si une norme nationale qui met en oeuvre une norme ou un standard OIT pourrait être présumée compatible avec les règles de l'OMC même si elle restreint le commerce.