L’ANALYSE ECONOMIQUE DU DROIT
I - FONDEMENTS 2000
EJAN MACKAAY
AVANT-PROPOS
L’analyse économique du droit connaît, depuis un an environ, une explosion d’intérêt en France et, par ricochet, dans les autres pays francophones. Lors du congrès tenu à Nancy, les 28 et 29 juin 2000, l’intérêt de la part des auteurs de la doctrine traditionnelle pour cette nouvelle approche fut palpable. Les juristes découvrent que l’analyse économique du droit constitue un précieux outil pour la pratique législative et une source de renouveau pour la doctrine. Il faut espérer que l’analyse économique du droit suscite dans les pays francophones la même fascination qu’elle a connue aux États-Unis, dans les années 1970, et en Allemagne, dans les années 1980, pour ne nommer que ces deux pays.
Il s’agit maintenant de mettre au point les instruments qui permettent de faire rapidement connaître l’analyse économique du droit aux francophones. Le présent ouvrage propose une introduction au domaine. Il est présenté en deux tomes. Le premier, que vous avez sous les yeux, traite des outils de travail, alors que le deuxième exposera l’analyse des institutions juridiques essentielles.
Le livre s’adresse au premier chef aux étudiants, notamment aux cycles supérieurs, qui veulent se servir de l’analyse économique du droit dans leur travail de recherche, mémoire ou thèse. Le juriste établi, intéressé par ce que cette approche propose comme analyse de son domaine, devrait également trouver ici les éléments pour satisfaire sa curiosité.
La littérature du domaine est en très grande partie rédigée en langue anglaise. Il a paru opportun d’ajouter à chaque chapitre des notes de lecture qui orientent le lecteur pressé vers un petit nombre de sources essentielles en langue anglaise dont il voudra prendre connaissance en priorité. Ceux qui veulent approfondir leurs connaissances au-delà de ce minimum trouveront dans les encyclopédies mentionnées en fin d’introduction les outils d’accès nécessaires. L’Internet leur sera d’une aide précieuse.
Ce livre a été en gestation pendant un long moment. Au cours de la rédaction, de nombreuses personnes ont commenté les versions
© Ejan Mackaay 1998
2 CONCEPTS ECONOMIQUES
antérieures des différents chapitres ou ont contribué autrement à l’amélioration de sa facture. Je ne peux les nommer toutes, mais je voudrais remercier quelques personnes spécialement. Frédérick Charette et Martin Philibert y ont contribué par leurs questions critiques pendant nos discussions hebdomadaires tout au long du périple qui les a amenés, l’un au doctorat, l’autre à la maîtrise sur des sujets touchant l’analyse économique du droit. Frédérick Charette a dû renoncer à son rôle de coauteur de ce livre lorsque les aléas de la vie l’ont appelé à une carrière hors de l’université. Ils ont été les plus marquants parmi plusieurs générations d’étudiants qui ont suivi le cours d’analyse économique du droit à l’Université de Montréal et que je tiens à remercier pour leurs observations critiques.
Mon collègue Adrian Popovici m’a encouragé dans cette entreprise par son enthousiasme à me souligner l’intérêt de l’approche pour la doctrine civiliste. Mes collègues Stéphane Rousseau, condisciple de Law-and-Economics à l’Université de Toronto, et Guy Lefebvre, de même que Saeed Esfandiari, stagiaire postdoctoral au Centre de recherche en droit public, ont lu l’ensemble du manuscrit et m’ont fait des suggestions de clarification fort utiles. Ginette Tittley a relu le manuscrit en entier pour assurer la qualité du français : hors de sa langue maternelle, on ne peut prendre qu’une liberté surveillée avec la langue. Josée Martin, des Éditions Thémis, a assumé son rôle d’éditeur avec efficacité.
Ejan Mackaay octobre 2000
«![…] l’on ne trouvera ici aucun fait inédit, aucune connaissance que l’on ne puisse piquer dans
n’importe quel livre d’histoire. Ma seule
ambition a été de traiter ces faits sous un éclairage
nouveau.!»
Introduction
____________________________________________
(Baechler 1971, 9-10)
A.!La loi peut-elle tout faire? 1 B.!Un exemple!: Le salaire minimum garanti 2 C.!Comprendre le droit ..5 D.!Le droit et la science économique ..6
E.!Historique de l’analyse économique du droit 8
1.!Le décollage chez les économistes (1957-1972) ..9 2.!Le paradigme accepté en droit (1972-1980) .. 11
3.!Le débat sur les fondements (1980-1982) .. 13
4.!Le mouvement éclaté (depuis 1982) 15
5.!L’analyse économique du droit hors des États-Unis . 17 F.!Plan du livre . 19
Pour aller plus loin .. 22
A.!LA LOI PEUT-ELLE TOUT FAIRE?
«!Le Parlement peut tout faire sauf changer une femme en homme et un homme en femme!» disait de Lolme en 1770. Il entendait énoncer par ce dicton la suprématie du parlement anglais par rapport à tout autre pouvoir, notamment celui du roi et celui des tribunaux. Le principe n’est plus aussi absolu qu’on a voulu le présenter il y a deux siècles. Les droits
fondamentaux consacrés dans les constitutions, dans les chartes, dans les conventions internationales et placés sous la garde des tribunaux limitent le pouvoir du législateur.
B.!UN EXEMPLE!: LE SALAIRE MINIMUM GARANTI
Examinons, pour fixer les idées, le cas du salaire minimum garanti. Son origine se trouve dans l’observation désolante que certaines personnes ne pouvaient vivre convenablement avec le salaire qu’ils gagnaient. On a espéré y porter remède en votantune loi obligeant les employeurs à payer un salaire minimal à toute personne qu’ils employaient.
L’intention paraît généreuse!: venir en aide aux plus démunis. Mais quel est l’effet? Ceux qui emploient des personnes en dessous de ce qui est désormais le salaire minimum licencieront certaines d’entre elles ou engageront moins de nouveaux salariés. Dans les secteurs concernés, la contribution de certains salariés à ce que produit l’entreprise — et qui plafonne le salaire que l’entreprise peut se permettre de payer — ne couvre pas le salaire minimum. Dans plusieurs cas, mais non dans tous, il s’agit d’entreprises de subsistance.
On peut, bien entendu, contrôler les licenciements, mais cela ne fait que reporter le problème. Étant prise avec «!trop!» de travailleurs, inamovibles, à un salaire «!trop!» élevé, l’entreprise «!marginale!» risque de devoir fermer ses portes ou encore voudra automatiser davantage et engager moins de travailleurs, mais mieux qualifiés. À long terme, il y aurait donc moins d’emplois, mais probablement pour des travailleurs mieux qualifiés.
Qui sont les travailleurs touchés? Surtout les jeunes, qui entrent au marché du travail et n’ont pas encore d’expérience, et, dans certains cas, les femmes, qui rentrent au marché après une longue absence pour des raisons familiales. Le salaire minimum crée du chômage dans ces groupes et les incite à chercher, dans le marché «!gris!» ou «!noir!» (dont la drogue), un travail non soumis à cette restriction.
noirs.
Le salaire minimum empêche ces jeunes d’obtenir une formation sur le tas, en acceptant temporairement un salaire bas, mais avec l’espoir d’acquérir l’expérience qui commanderait un salaire plus élevé. Il n’est pas nécessaire d’insister sur l’effet démoralisant du chômage prolongé et sur les tensions qu’il peut produire. Cela a particulièrement été évident aux cours des deux dernières décennies du XXe siècle au sein de la communauté noire aux États-Unis. Certains «!décrocheront!» définitivement. Ce n’est certainement pas l’effet que l’on recherchait.
Si les augmentations du salaire minimum produisent un effet délétère, non recherché mais néanmoins prévisible, pourquoi continue-t-on de les voter régulièrement? L’ignorance ne peut être l’explication.
Il y a évidemment un lien avec les prestations de l’aide sociale. À mesure que celles-ci sont augmentées, des tranches d’emplois à bas salaire ne valent plus la peine!: pourquoi travailler pour des sommes qu’on peut obtenir sans effort? La dignité personnelle, l’«!éthique du travail!» ne résistent pas durablement à cette logique. Cet effet se produirait, bien entendu, que le salaire minimum soit augmenté par le législateur ou non.
L’explication du salaire minimum se déplace alors de son effet dans le marché du travail vers le «!marché politique!». Si certains groupes gagnent et d’autres perdent par suite d’une mesure législative, il s’agit de savoir qui a l’oreille de la gent politique. Il n’y a pas de doute qu’à ce titre les syndicats l’emportent facilement sur les chômeurs non organisés qui subissent le contrecoup de l’augmentation du salaire minimum.
Le débat n’est pas mené en termes des intérêts des deux groupes; tout est présenté comme une affaire de justice sociale ou de solidarité. En connaissance de l’effet réel de l’augmentation du salaire minimum, il convient de demander pourquoi il faut être solidaire des travailleurs organisés et non des autres. On voit, en tout cas, qu’une «!cause!» d’intérêt général est utilisée comme couverture de la poursuite d’intérêts particuliers.
C.!COMPRENDRE LE DROIT
L’exemple du salaire minimum garanti rappelle aux juristes que «![l]e droit, comme la langue, n’est pas un gadget que l’homme peut façonner à sa guise!». Les citoyens ne restent pas passifs devant la modification des règles auxquelles ils sont assujettis. Le changement de la règle conduira chacun à se demander s’il doit adapter son comportement et, dans l’affirmative, dans quel sens. Car la règle de droit ne contrôle pas directement le comportement des citoyens, mais seulement les conséquences de leurs actions. Ils restent libres de réagir comme ils l’entendent et non forcément dans le sens souhaité par le législateur, en assumant, bien entendu, les conséquences. Adam Smith l’a bien vu, en écrivant que «![sur] le grand échiquier de la société humaine, chaque pièce a son propre principe de mouvement, tout à fait différent de celui dont le législateur pourrait vouloir l’imprégner!».
La considération des effets, plutôt différents de ce qui est en apparence souhaité, nous amènerait, dans un deuxième temps, à nous interroger sur les raisons qui font que l’augmentation est pourtant régulièrement votée.
Dans l’exemple plus haut, cela veut dire qu’il faut examiner de plus près comment les lois sont votées, en abandonnant la prémisse voulant que le Parlement agit par l’unique souci de l’intérêt général, sans égard aux intérêts particuliers.
En troisième lieu, l’analyse des effets d’une nouvelle règle nous amène à étudier le rôle des institutions existantes pour comprendre la «!sagesse collective!» qu’elles incorporent. Dans le cas du salaire minimum garanti, on s’interrogera sur le rôle des salaires (et d’autres prix) en général!: ils constituent des signaux, indiquant aux salariés l’intérêt de travailler dans un secteur d’emploi précis et aux employeurs le coût d’engager tel salarié dans la production de tel bien ou service (par opposition à une façon différente de le produire et à la possibilité de produire autre chose). Une intervention dans les prix, telle la fixation du salaire minimum garanti, réoriente les décisions de ceux qui se fient sur eux en tant que signaux. L’expérience des anciens pays socialistes met en évidence les vastes répercussions, généralement néfastes pour les citoyens ordinaires, d’une fixation arbitraire des prix. Les processus par lesquels les prix sont déterminés et les institutions qu’ils présupposent - notamment l’ordre public, la répression de la fraude, la propriété, les contrats, la monnaie!- englobent une sagesse que le juriste ignorerait aux périls de la société civile.
D.!LE DROIT ET LA SCIENCE ECONOMIQUE
9 Rémy 1991, 151 et 152.
10 Bénéton 1983, 26, 32-33, 42. Sur les conclusions statistiques fausses : Sowell 1984, 128-129.
provenant de milieux défavorisés, les tribunaux ont obligé les commissions scolaires à cesser la discrimination et à adopter des programmes de transport obligatoire pour atteindre ce «!mix!». Le «!busing!» s’est attiré l’opprobre de 77% des Américains (sondage Gallup en 1971)11, a attisé l’antagonisme racial et n’a rien fait pour relever les résultats scolaires des jeunes noirs12.
Mais reconnaître le danger d’un emprunt aux sciences sociales ne veut pas dire y renoncer. Il faut certes chercher une assurance solide de la justesse des théories auxquelles on se propose de faire appel. Il serait cependant insensé de se priver de leur apport. Les sciences sociales sont en mesure de fournir au juriste un minimum de connaissances sur l’action humaine qui raffinent subtilement son intuition13.
Nous voulons présenter dans ces pages une lecture du droit qui s’inspire de concepts économiques. Aux États-Unis, elle fait l’objet d’un courant intellectuel appelé «!economic analysis of law!» ou encore «!law and economics!». Il ne s’agit pas du droit économique, au sens français, qui regroupe les branches du droit comportant la réglementation d’activités «!économiques!» au sens traditionnel!: les banques et la monnaie, la concurrence, le contrôle du commerce extérieur, la réglementation des professions, les régies publiques et le contrôle des entreprises privées qui rendent un service considéré d’utilité publique!14.
11 Rapporté par Bénéton 1983, 32.
12 Sowell 1980, 300, lui-même noir, affirme qu’il n’y a eu «!no social gain in terms of the avowed goals!».
13 Elster a eu l’idée d’écrire un court texte réunissant de telles connaissances (Elster 1989).
14 Sens où l’emploie Farjat 1982.
15 Lemennicier 1991; Kirat 1999.
nombre des institutions juridiques classiques, tels l’usufruit, l’accession ou la clause de réserve du droit de propriété ne sont rien d’autre qu’une réglementation de relations économiques subtiles. Toutefois, elles sont si profondément ancrées dans le droit positif que nous ne les percevons que comme des concepts juridiques, sans nous rendre compte de leur signification économique![…]!»16.
L’analyse économique du droit cherche à remonter à la raison d’être des institutions juridiques. Elle postule qu’elles exhibent une rationalité sousjacente uniforme et propose les outils conceptuels pour la mettre au jour. L’analyse économique du droit ne se limite pas aux aspects «!économiques!» au sens restreint de ce qui touche le commerce, la monnaie, les banques et la concurrence. Elle ne recherche pas davantage les traces d’un calcul coûts-avantages qui se trouveraient dans la décision judiciaire ou administrative. Au contraire, elle croit pouvoir expliciter une logique dont les décideurs n’auraient pas forcément conscience et ne l’exprimeraient pas dans les motifs de leurs décisions. En cela, l’analyse économique du droit rejoint la mission noble de la doctrine dans les systèmes civilistes. Elle est de déceler et d’exprimer l’ordre sousjacent dans les écrits du droit positif, pour permettre aux juristes de les mieux comprendre et, par l’interprétation des concepts, d’étendre leur logique aux différends inédits susceptibles de se présenter.
E.!HISTORIQUE DE L’ANALYSE ECONOMIQUE DU DROIT
16 Mertens de Wilmars 1972, 285 (traduction).
17 Voir Mackaay 2000.
18 Pearson 1997.
Le mouvement actuel a deux ancêtres immédiats. Le premier est un courant économique, parfois dit impérialisme économique19, qui cherche, depuis les années 1950, à appliquer les outils d’analyse économique en dehors du domaine traditionnel de la science économique!: les phénomènes politiques, la discrimination, la famille, les rapports non marchands et autres20. L’autre ancêtre de l’analyse économique du droit est un mouvement juridique d’entre les deux guerres, dit réalisme juridique (legal realism), dont les tenants estimaient que «!la science économique et la sociologie étaient non seulement des disciplines alliées, mais faisaient en quelque sorte partie intégrante du droit!»21.
Dans le développement de l’analyse économie du droit aux États-Unis, on peut distinguer quatre phases!: le décollage (1957-1972), le paradigme accepté (1972-1980), le débat sur les fondements (1980-1982) et le mouvement éclaté (depuis 1982)22. À partir de 1975, le mouvement commence à produire des échos en dehors des États-Unis. Les aventures et mésaventures de cette réception méritent d’être relevées pour ce qu’elles nous apprennent sur la propagation des idées en milieu juridique.
À la fin des années 1950, plusieurs économistes essaient, on dirait par esprit de jeu, d’appliquer leurs concepts et leurs méthodes à des questions considérées jusqu’alors comme hors de leur discipline. Downs formula, en
1957, une théorie économique de la démocratie23 et Becker soutint, la
20 McKenzie/Tullock 1981.
21 Gilmore 1977, 87 : «![…] the Realists talked of economics and sociology not merely as allied disciplines but as disciplines which were in some sense part and parcel of the law!». Sur le mouvement réaliste en général, voir Twining 1973. Twining relève aux pp. 63-64 et 75 l’intérêt des «!réalistes!» pour la recherche «!empirique!» (scientific gathering of facts).
22 Voir l'excellente note de Barnett 1984, 1225-1236. Johnston 1990 fait un bon survol du développement récent de l’analyse économique aux États-Unis. L’histoire du renouveau de la science économique aux États-Unis, dont est issue l’analyse économique du droit, se trouve admirablement résumée dans le deuxième chapitre de Lepage 1978, 61 et s.. Voir aussi Mackaay 1986, 2000a et b.
23 Downs 1957.
Une grande poussée vient de l’Université de Chicago. À partir de 1958, on y publie une nouvelle revue, le Journal of Law and Economics, qui deviendra le véhicule pour diffuser les escapades d’économistes en terre juridique. Le point de départ est l’article de Ronald Coase sur le coût social, publié en 1960, qui lui a valu le prix Nobel en 199127. Lorsque l’action d’une personne A a des répercussions indésirables pour une autre personne B, sans que A n’en ressente les effets, le savoir reçu chez les économistes, pour lequel Coase prend à témoin Pigou28, considère qu’il se produit alors une «!externalité!», c’est-à-dire un écart entre le coût privé, dont tient compte A, et le «!coût social!». Cet écart donne lieu à une mauvaise allocation des ressources!: A paie son activité trop peu cher. Il est essentiel de corriger cette mauvaise allocation. Ce rôle incomberait au gouvernement.
24 Becker 1957. Becker a reçu le prix Nobel en 1992.
25 Buchanan/Tullock 1962.
26 Olson 1965.
27 Coase1960.
28 Pigou 1932, 183 (Cité Coase 1960, nt. 35).
Alchian, Demsetz, Furubotn et Pejovich publient, tout au long des années 1960, des textes sur le rôle de la propriété, prise au sens large d’un droit de contrôle sur une ressource rare29. Henri Manne applique ces idées au droit des sociétés commerciales30. Cheung analyse le rôle et la nature des contrats dans un monde caractérisé par l’incertitude31. Calabresi fait paraître une série d’études dans le domaine des accidents. Le droit de la responsabilité civile extracontractuelle peut, à son avis, être analysé utilement comme s’il visait à minimiser les coûts résultant des accidents32.
Dans l’ensemble, cette période initiale donne une impression d’emballement mutuel au sein d’un petit groupe de chercheurs devant un outil nouvellement découvert; une anarchie bénigne. Les participants sont, à l’exception de Calabresi et Manne, des économistes.
Ce n’est qu’à la fin des années 1960 que l’on voit des efforts pour porter le débat sur le terrain des juristes. Henri Manne organise des séminaires d’été pour initier les professeurs de droit à ces nouvelles idées et aux fondements micro-économiques nécessaires. Les premiers efforts de
29 Alchian 1965; voir les articles reproduits dans Furubotn/Pejovich 1974 et Manne 1974.
30 Manne 1965, 1966a et b, 1967.
31 Cheung 1969a et b, 1970.
32 Les premiers articles sont Calabresi, 1961 et 1965.
synthèse apparaissent. Calabresi publie en 1970 son étude intitulée The Cost of Accidents!33. Tullock tente une synthèse plus vaste en 1971 sous le titre The Logic of the Law!34, mais n’a pas d’écho.
Rapidement, les facultés de droit les plus dynamiques se mettent à l’heure et, dans les années qui suivent, on voit apparaître des recueils de textes d’analyse économique du droit spécifiquement conçus pour l’enseignement en droit36. Les analyses s’étendent désormais à tous les domaines du droit. Les juristes - du moins une minorité éveillée d’entre eux - se laissent fasciner par l’outil simple et performant que paraît être l’analyse économique. On croit développer une nouvelle théorie du droit. Un nouveau véhicule vient souligner cette optique!: le Journal of Legal Studies, dont Posner est le premier rédacteur en chef.
Un nombre inouï d’articles apparaît. En dix ans, il y en a bien un millier37. Tantôt il s’agit de préciser ou d’approfondir les idées intuitives des pionniers en les formalisant mathématiquement, tantôt d’explorer des idées nouvelles. Tout laisse voir un paradigme accepté de tous. Certes, il y a des sons discordants, mais ils ne parviennent pas à perturber la belle harmonie38.
33 Calabresi 1970 et, en 1978; Calabresi/Bobbitt 1978.
34 Tullock 1971. New York, Basic Books.
35 Posner 1972; 2e éd., 1977; 3e éd., 1986, 4e éd., 1992, 5e éd., 1998.
36 Furubotn/Pejovich 1974; Ackerman 1975; Manne 1975; Kronman/Posner, 1979; Posner/Scott 1980.
37 Un estimé personnel. Dans la bibliographie de Goetz (1984, 505 s.) on en trouvera environ 800. Voir aussi Veljamoski 1982.
38 L'animateur du groupe dissident est Warren J. Samuels, à l'époque rédacteur du Journal of
Economic Issues, dont les numéros de décembre 1975 et mars 1976 sont consacrés à l'École de Chicago, pour bonne partie à l'analyse économique du droit. Ces deux numéros ont été publiés séparément sous le titre The Chicago School of Political Economy, Association for Evolutionary Economics (Samuels 1976).
Les connaissances économiques sont «!payantes!» en dehors du milieu universitaire. Les gouvernements s’en inspirent dans la conception de leurs politiques, en particulier dans la création (ou l’abolition) d’organismes de réglementation. Les tribunaux acceptent de la part des plaideurs des arguments de type économique sur l’effet et l’opportunité des décisions qu’ils sont appelés à prendre.
Le mouvement de l’analyse économique du droit finit par affronter le savoir traditionnel du juriste américain. La réaction vient, au début des années 1980, sous la forme de plusieurs colloques visant à déterminer, de manière critique, ce qu’apporte en définitive l’analyse économique au droit. On s’interroge, en particulier, sur le point de savoir si elle constitue, comme ses champions le laissent entendre, une véritable théorie du droit39. Le débat est vif. Posner occupe pour l’analyse économique du droit. Il fait face à tout un éventail d’adversaires de divers plumages!: philosophes, jusnaturalistes, libertariens, économistes de l’école autrichienne, économistes d’allégeance néoclassique qui estiment que le modèle posnérien est simpliste.
Une des questions centrales du débat est celle-ci!: l’attribution des droits peut-elle être déduite de considérations d’efficacité ou doit-on, pour rendre déterminable la notion même d’efficacité, fixer préalablement au moins
39 (1980) 9 Journal of Legal Studies 189, (1980) 8 Hofstra Law Review 485 et 811, ainsi que la réponse de Posner 1981; (1983) 33 Journal of Legal Education 183.
Les causes de responsabilité civile extracontractuelle (souvent!: les accidents) soulèvent de telles difficultés. Imaginons par exemple une piscine, dans laquelle un nageur en plongeant en heurte un autre qui se trouve dans l’eau. À qui donner la priorité, à qui imputer la négligence? Posner propose de deviner dans ces cas comment les intéressés se seraient entendus s’ils avaient pu contracter!: un contrat hypothétique. Implicitement, le contrat hypothétique nous place de nouveau devant l’évaluation de l’utilité des uns et des autres.
Si l’on opte pour la deuxième branche de l’alternative, on est amené à soutenir que, sauf accord de l’intéressé, aucune atteinte à ses droits n’est admissible. Le droit subjectif fondamental a préséance sur (trumps) tout autre intérêt. C’est la position que soutiennent les libertariens et, d’une manière différente, Dworkin. Elle rend justice à l’idée de la subjectivité ultime des valeurs. Mais elle impose l’unanimité comme règle de fonctionnement de toutes les institutions et oblige à considérer comme illégitime la contrainte exercée par une autorité dans tous les cas où son action n’est pas fondée sur l’accord de tous.
Une telle conception, quel qu’en soit l’attrait sur le plan normatif, risque d’aboutir à l’indécision!40 et n’est pas une description fidèle du fonctionnement courant des sociétés actuelles. Dans le droit actuel des sociétés occidentales, l’exercice des droits, même fondamentaux, peut être restreint dans une certaine mesure au nom de valeurs autres (le bien-être de
40 Friedman 1987, 507.
tous). Aucun droit n’est absolu et entièrement soustrait au genre de troc que proposent les conceptions utilitaristes. Toute la question est de savoir dans quelles limites, par qui et suivant quelles modalités ces trocs peuvent être opérés.
L’éclatement de l’analyse économique du droit n’a pas ralenti la production. Dans ce qu’on pourrait appeler le courant principal, Posner luimême, devenu juge à la Cour d’appel fédérale en 1981, n’a cessé de publier des articles et des livres!41. En concurrence avec son introduction désormais classique au domaine, dont la troisième édition date de 1986, la quatrième de 1992 et la cinquième de 1998, est apparu en 1988 un excellent texte de Cooter et Ulen, dont la deuxième édition voit le jour en 1996!42. Une nouvelle revue, le Journal of Law, Economics and Organization, naît en 1985, à l’Université Yale, sous la direction d’Oliver Williamson.
Williamson poursuit la pensée de Coase, en étudiant en quel sens les organisations - entreprises ou autres - sont choisies en raison des arrangements qu’elles incorporent pour minimiser des coûts de transaction43. Car il y a des coûts à l’usage du marché, comme l’a fait remarquer Coase44. À cause de l’accent mis sur les institutions, cette approche est parfois appelée néo-institutionnaliste. Une approche semblable, mais appliquée à des questions historiques, est mise de l’avant par Douglass North, prix Nobel 199345.
À coté du courant principal, se manifeste un courant s’inspirant des économistes de l’école autrichienne!: Menger, Schumpeter, von Mises, Hayek, Kirzner. Le prix Nobel donné à Hayek en 1974 a sans doute contribué à attirer l’attention sur ce courant. Cette école met l’accent sur la
41 Posner 1981b, 1988, 1990a et b, 1992a et b, 1995a et b, 1996a et b, 1997, 1998, 1999; Posner/Silbaugh 1996; Posner/Parisi 1997.
42 Cooter/Ulen 1988, 1996.
43 Williamson 1985, 1986.
44 Coase, 1992, 434.
45 North/Thomas 1973; North 1981, 1990, 1999.
Si le courant dont Posner a pris la tête s’intéressait surtout aux fonctionnement du marché, on a compris que, pour rendre compte de manière satisfaisante du droit existant, il fallait aussi étudier le marché politique. L’intérêt pour le marché politique avait été éveillé au début des années 1960 par les travaux de Downs, de Buchanan et Tullock et d’Olson. Il a donné lieu à l’école dite de public choice, qui a fait des vagues parmi les politologues, mais n’avait pas effleuré les juristes. Ce n’est que dans les années 1980 qu’on a lié expressément public choice et analyse économique du droit.
Buchanan lui-même, prix Nobel 1988, anime, à George Mason University, un groupe qui s’est donné pour titre constitutional political economy. Son propos est de chercher, en connaissance des effets pervers que public choice a mis en lumière, des arrangements constitutionnels assurant des choix collectifs qui traduisent le plus fidèlement possible la volonté de tous les citoyens, plutôt que celle de groupes particuliers, majoritaires ou non.
Vers la fin des années 1990, on a vu apparaître plusieurs publications visant à consolider le savoir en matière d’analyse économique du droit, sous forme d’encyclopédies47, de dictionnaires48 et de collectifs reprenant
46 Voir cependant Teijl/Holzhauer 1997.
47 Backhaus 1999; Boudewijn/De Geest 2000.
48 Newman 1998.
des articles classiques49. Ces publications indiquent que l’analyse économique du droit fait partie de la doctrine juridique dans les pays d’expression anglaise.
Le mouvement de l’analyse économique du droit a mis du temps à gagner d’autres pays. En Australie, au Canada, en Angleterre et en Suède, l’intérêt s’est manifesté à partir du milieu des années 1970!50. En 1981 a été fondée en Angleterre la International Review of Law and Economics.
En France, il y a eu une amorce prometteuse dès le milieu des années 1970. Il fallait au départ combattre une «!éconophobie généralisée!»!54. Jacques Attali et Marc Guillaume s’y sont attaqué, mais pour passer à côté de la nouvelle économie américaine et pour s’interroger notamment sur «!les gaspillages et l’aliénation provoqués par une société de consommation massive!»!55. La nouvelle économie américaine a cependant fait son entrée en France par l’excellent survol publié par Henri Lepage et par une
49 Posner/Parisi 1997; Samuels 1998a et b.
50 Pour le Canada, voir par exemple Breton, 1974, 1978 et Breton/Scott 1978; Cayne/Trebilcock 1973; Mackaay 1980, 1982; Migué 1977, 1978, 1979, 1979a; Trebilcock 1976, 1978; Trebilcock et al. 1982.
Pour l’Angleterre, voir par exemple Burrows/Veljanovski 1981; Ogus/Veljanovski 1984; Veljanovski 1980, 1982.
51 Assmann et al. 1978. Voir cependant l’appréciation peu optimiste de Kirchner 1991, ainsi que celles de Hertig (1991) et de Weigel (1991) pour la Suisse et l’Autriche.
52 Voir par exemple Adams 1980, 1981; Behrens 1984; Lehmann 1983; Nagel 1989; Neumann 1984; Ott/Schäfer 1989; Schäfer/Ott 1986, 2000; Schüller 1983.
53 Voir Mackaay 1991.
54 Expression employée par Raymond Ruyer, dans Éloge de la société de consommation, citée dans Lepage 1978, 9.
55 Attali/Guillaume 1974, 6.
collection d’articles publiée sous la responsabilité de Jean-Jacques Rosa et Florin Aftalion!56. Les auteurs de cette collection sont connus par la suite comme les nouveaux économistes.
La nouvelle économie a survécu en France grâce en particulier aux universités d’été organisées à Aix tous les ans depuis 1978 sous la direction de Jacques Garello. Elles sont devenues le lieu de rencontre des francophones qui s’intéressent à la nouvelle économie et aux domaines connexes, dont l’analyse économique du droit. En 1990, commence, sous la direction de Jean-Pierre Centi, à l’Université d’Aix-Marseille III, la publication du Journal des Economistes et des Etudes Humaines. La revue se consacre aux questions d’économie politique au sens propre et touche en partie le domaine de l’analyse économique du droit.
L’analyse économique du droit a reçu, en France aussi, une certaine consécration par la création, en 1991, d’un programme Erasmus portant sur ce domaine et réunissant notamment les universités de Gand, d’AixMarseille III, de Hambourg, de Madrid, de Manchester, d’Oxford, de ParisDauphine, de Rotterdam. Parmi les fruits de ce programme, il faut compter la très complète bibliographie de l’analyse économique du droit qui vient
56 Lepage 1978, 1980; Rosa/Aftalion 1977.
57 Andreff 1982.
58 Atias 1987
59 Bouckaert 1987; Strowel 1987.
de paraître sous la responsabilité de Baudouin Bouckaert et Gerrit de
Geest!60.
F.!PLAN DU LIVRE
Ce livre est le premier de deux tomes qui présentent l’analyse économique du droit. L’analyse économique des institutions juridiques comme la propriété et les droits réels, la responsabilité, les contrats, les sociétés commerciales, fait appel de manière récurrente à certaines notions et schémas d’interaction, qu’on peut qualifier de fondamentaux. Il a semblé intéressant d’en regrouper l’exposé dans un seul volume, en fournissant
60 Bouckaert/De Geest 1992. Une nouvelle édition entièrement révisée vient de praître Bouckaert/De Geest 2000.
61 Tallon/Harris 1987. Dans la conclusion générale du volume, les auteurs font remarquer que «!les juges et les juristes français s’intéressent aux conséquences des règles autant que les anglais, et que cette considération a une influence importante sur la solution des problèmes juridiques!» (p. 422). La subtilité de cette observation semble avoir échappé à des auteurs aussi perspicaces que Malaurie et Aynès. Dans la 2e éd. de Malaurie/Aynès 1990, p. 166, ces auteurs, en renvoyant à la p. 418 du livre de Tallon et Harris, continuent à opposer «!objectifs économiques de rendements et de coûts!» et «!données morales!».
62 Fabre-Magnan 1992.
63 Simon 1992.
64 (..) « Droit et Économie (numéro spécial) », (1992) 37 Archives de philosophie du droit 1.
65 Kirat 1999.
tout au long de l’exposé un aperçu des rôles qu’ils joueront dans l’analyse proprement dite des institutions juridiques. Ce premier livre a donc pour but de fournir au lecteur le minimum de « culture économique » nécessaire à l’analyse économique du droit.
Le deuxième chapitre s’attache aux interactions humaines, c’est à dire aux situations où la décision de l’un dépend de la décision de l’autre et vice versa. C’est le domaine de la théorie des jeux stratégiques, qui est devenu un élément unificateur des sciences sociales. La théorie explique comment, paradoxalement, dans une interaction à deux les gens peuvent rationnellement opter pour une stratégie qui est désavantageuse pour les deux. Le droit fournit un éventail de règles dont la mission apparente est d’éviter ces dérives. On en trouve bon nombre dans le droit des contrats. Cette logique fournit aussi un fondement à la propriété individuelle.
On situe également ici ce que les économistes appellent la théorie de l’agence (agency), qui est plus large que la notion de représentation du droit civil. Pour les économistes, chaque fois que quelqu'un doit réaliser ses desseins par l'entremise d'une autre personne se posera un problème d'agency, lorsque l'agent a des intérêts ou des objectifs propres, qui diffèrent de ceux du principal et qu'il peut poursuivre dans la mesure où il est trop coûteux pour le principal de le surveiller à tout moment. Le schéma se produit non seulement dans la représentation au sens du droit civil, mais aussi dans le contrat de travail, le contrat de service ou d'entreprise, dans le rapport des dirigeants de l'entreprise avec les actionnaires et autres. La théorie permet de donner un sens à une gamme d’institutions (par exemple, la participation au profit; le paiement à la pièce etc.) mises au point pour minimiser cet effet pervers. Bishop soutient qu’on doit rechercher le fondement du droit administratif dans la théorie de l’agence!66.
66 Bishop 1998.
Le cadre général des interactions est approfondi, dans le troisième chapitre, par l’étude des marchés, qui en sont une particularisation. Nous retrouvons ici quelques éléments de micro-économie, qui permettent de comprendre comment les marchés coordonnent les comportements des participants et quelles sont les limites apparentes de cette coordination, comme par exemple le monopole. La théorie permet de comprendre ce qui advient lorsque l’autorité politique intervient dans les prix ou dans d’autres conditions du fonctionnement normal des marchés.
Le quatrième chapitre s’attache à la façon dont les décideurs s’adaptent à l’inévitable incertitude qui caractérise la condition humaine. Il s’avère que le regroupement des risques permet de les absorber à un coût moindre que celui auquel ferait face le décideur individuel. Au cours de l’histoire, ont donc été inventés toute une gamme d’institutions visant à déplacer les risques et qu’on pourrait appeler assurance au sens large du terme. Ces institutions sont cependant exposées à des dérives possibles, comme l’insouciance de la personne assurée. De nouveau, on peut pointer vers un éventail de règles juridiques dont le but apparent est d’endiguer ces dérives.
Le sixième et dernier chapitre porte sur le marché noir. Il constitue le complément du cinquième chapitre, en ce que le marché noir doit être analysé comme le refus de certains citoyens à se conformer aux règles étatiques qu’ils estiment trop restrictives ou envahissantes. Le marché noir est la négation — partielle — du pacte social soutenant implicitement l’État. L’analyse porte sur ce qui détermine la viabilité du marché noir (un ordre social dont la sanction étatique des conventions est absente) et sur la nature des producteurs et la qualité des produits que l’on y trouve. Ces questions sont d’actualité à une époque où, en matière de drogues douces par exemple, l’on s’interroge sur le choix entre l’interdiction avec répression et la réglementation avec contrôle.
Tous ces concepts et schémas d’analyse constituent la trousse d’outils avec laquelle nous allons, dans le deuxième tome, entreprendre l'analyse économique des institutions fondamentales de droit privé et de droit public, comme la propriété, la responsabilité civile, le contrat, l'entreprise, de même que l'état de droit et les droits fondamentaux, l'État providence.
POUR ALLER PLUS LOIN
Pour une première prise de contact avec l’analyse économique du droit, le plus récent livre de David Friedman est le premier choix!!67. Friedman est un excellent conteur et propose de nombreuses courtes histoires pour familiariser le lecteur avec les concepts qu’il entend transmettre. Le texte introductif de Posner est un véritable traité, qui couvre la plupart des champs qui ont été soumis à cette approche68. Il est recommandé pour ceux qui ont déjà une certaine familiarité avec le domaine. Le texte de Cooter et Ulen est plus technique et a la réputation d’être plus aride!69.
67 Friedman 2000.
68 Posner 1998.
69 Cooter\Ulen 2000.
70 Newman 1998.
l’encyclopédie de Gand est l’ouvrage recommandé!71. Ceux qui maîtrisent l’allemand peuvent aussi se tourner vers l’ouvrage de Schäfer et Ott, qui appliquent l’analyse économique du droit à un système civiliste!72. Mattei, dans deux livres récents, utilise l’analyse économique du droit pour faire du droit comparé, mettant en même temps en lumière l’apport de cette approche aux systèmes civilistes!73.
71 Bouckaert/De Geest 2000.
72 Schäfer/Ott 2000.
73 Mattei 1997, 2000.
1
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Les individus décideurs
«!1. people respond to incentives and disincentives. Sticks and carrots work
[…] 2. People are not inherently hard working or moral. In the absence of countervailing influences, people will avoid work and be amoral. […]
3. People must be held responsible for their actions. Whether they are responsible in some ultimate philosophical or biochemical sense cannot be the issue if society is to function!» (Murray 1984, 146)
A.!La rareté ..3
1.!Notion ..3
2.!La rareté n’est pas historiquement fixe ..4
3.!La rareté est subjective .5
4.!La rareté se révèle souvent par le conflit ..6
B.!La rationalité ..8
1.!L’intérêt du modèle du choix rationnel .9
2.!La critique de Simon!: la rationalité limitée 11
3.!La psychologie cognitive!: les heuristiques 13
4.!Une tentative de synthèse!: la théorie de Heiner 14
5.!Bilan ..16
C.!L’incertitude 18
1.!Rareté, innovation et incertitude ..18
2.!Le transfert du risque .20
D.!L’individualisme méthodologique .. 20
Pour aller plus loin .. 22
Dans notre monde à nous, il en va tout autrement. Notre richesse est limitée; notre temps aussi. Nous ne pouvons être à plusieurs endroits en même temps. Choisir telle option veut dire renoncer à telle autre. Si, après avoir acheté la maison, on apprend que le marché de l’immobilier va s’effondrer, on estime avoir gaspillé son argent; on agira différemment à l’avenir.
Mais pouvions-nous mieux agir? L’avenir est imprévisible. S’abstenir d’agir peut être aussi néfaste qu’agir d’une manière qu’on regrettera par la suite. Les conséquences de nos actions et de nos omissions ne s’apprécient souvent qu’après coup.Pourtantnous devons décider quoi faire sur la foi d’anticipations des conséquences. On s’en convainc en considérant des problèmes qui se posent en matière de santé publique.
Rappelons la débâcle de la thalidomide, un médicament conseillé aux femmes enceintes pour soulager certaines douleurs liées à la grossesse. Il s’est avéré que le médicament cause des malformations graves aux bébés dans une petite proportion des cas. Une fois ces conséquences désastreuses connues, les gouvernements ont imposé des conditions rigoureuses aux entreprises pharmaceutiques avant qu’un médicament puisse être introduit sur le marché. Il faut présumer que les tests additionnelsréduisent les risques pour les consommateurs. En même temps, toutefois, ces tests introduisent un délai pendant lesquels des souffrants sont privés d’un remède possible. Des vies humaines peuvent être en jeu des deux côtés de la balance. Il faut arbitrer sans connaître parfaitement les enjeux. L’incertitude accompagne nos décisions de manière irréductible.
Dans ce qui suit nous traiterons successivement de ces trois piliers de l’analyse!: la rareté, le choix rationnel et l’incertitude. Nous y ajoutons un quatrième, le postulat de l’individualisme méthodologique!: l’analyse doit partir de l’individu; tout phénomène social doit être expliqué à partir de comportements individuels. Au prochain chapitre, nous examinerons les choix rationnels dans des contextes où le décideur interagit avec d’autres. La décision assume alors un caractère stratégique.
A.!LA RARETE
Commençons par la notion de rareté, qui s’oppose à celle d’abondance. Les deux notions sont utilement illustrées dans le film Les dieux sont tombés sur la tête. Le film montre une tribu de bushmen dans le désert de la Kalahari. Des coutumes immémoriales permettent aux membres de la tribu de vivre en confort relatif avec ce qu’ils trouvent dans la nature autour d’eux. Pour les membres de la tribu, cela constitue l’abondance fournie par les dieux.
Un jour, un petit avion publicitaire passe au-dessus du territoire de la tribu et juste à ce moment le pilote jette par la fenêtre une bouteille vide de Coca Cola. Ce don des dieux est reçu avec curiosité par les enfants de la tribu. Ils imaginent des jeux à faire avec cet étrange objet. Puis leurs mères découvrent que l’objet peut rendre service dans l’accomplissement des tâches ménagères. Bientôt, des désaccords surgissent sur l’usage de la bouteille. Les mères se disputent sur la question de savoir qui peut l’utiliser et pendant combien de temps.
L’histoire illustre la notion de rareté. Aux yeux des membres de la tribu, tout est abondant, alors que ce ne le serait sans doute pas pour un occidental. A l’intérieur du mode de vie de la tribu, tel qu’il est circonscrit par les moeurs ancestrales, les membres de la tribu peuvent consommer à volonté sans épuiser ce que la nature leur fournit. Seule la bouteille est rare!: il n’y en a pas assez, compte tenu de tous les usages que différentes personnes veulent en faire; on ne peut en fabriquer ou s’en procurer davantage. Il faut donc faire des choix et adopter une règle pour gérer l’emploi de cet objet rare. Les membres de la tribu refusent d’entrer dans cette logique. Ils préfèrent éliminer le problème du choix. L’Occident s’est développé en adoptant la position opposée.
Le film illustre l’idée que les choses ne sont pas rares dans l’absolu, mais toujours par rapport aux préférences de ceux qui veulent s’en servir, compte tenu des usages qu’ils connaissent ou imaginent. Considérez par exemple l’histoire du pétrole!.
À cette époque, le raffinage visait principalement à produire le kérosène pour les lampes. Un liquide volatil produit accessoirement dans le raffinage ne trouvait aucun usage et était jeté aux déchets!: l’essence moderne était donc abondante. Point besoin d’insister sur le revirement spectaculaire de situation provoqué par la découverte du moteur à explosion.
Si l’essence est désormais rare, il n’y a pourtant généralement pas de pénurie. C’est que la rareté suscite précisément la création d’institutions pour y faire face. Ces institutions visent notamment, comme nous le verrons plus loin, à amener chacun à se servir du bien rare selon ses besoins seulement (à ne pas le gaspiller) ou à adapter ses besoins, et à nous inciter à faire preuve d’esprit entrepreneur afin de découvrir de nouvelles sources d’approvisionnement ou d’autres façons d’exploiter les sources connues. Les deux forces sont complémentaires. L’usage «!inconscient!» de ce que la nature fournit fait place à une gestion consciente, délibérée, mais pas forcément planifiée par une autorité.
L’exemple veut illustrer l’idée que la rareté n’est pas historiquement fixe. On peut même prétendre que l’histoire de l’Occident est marquée par la découverte progressive de la rareté des choses qui nous entourent et par la mise en place des institutions nous permettant de gérer cette rareté. En prenant conscience de la rareté d’une chose, nous perdons en quelque sorte notre innocence à son égard. De nos jours, ce processus atteint l’air, l’eau et d’autres éléments de l’environnement qu’on traitait jusqu’à récemment comme abondants. On a même qualifié les réserves d’eau douce de «!pétrole du XIXe siècle!».
Le commerce et les échanges dans une société sont basés sur l’idée que, pour l’acheteur, la chose achetée est plus rare que pour le vendeur. Les deux parties ne valorisent pas l’objet transigé de la même façon. C’est justement pour cette raison qu’elles trouvent toutes deux leur compte dans la transaction.
Si la rareté d’une chose est fonction des usages que l’utilisateur imagine en faire et partant, subjective, il s’en suit que la question de savoir si la chose est un substitut pour une autre est, elle aussi, subjective. Cette observation a des conséquences pour la notion de concurrence. Les produits qui sont réciproquement des substituts forment un «!marché!». Si le caractère de substitut est subjectif, ce qui constitue un marché et donc une «!part de marché!» ne peut être déterminé de façon objective, une fois pour toutes. L’entrepreneur cherche justement à convaincre les consommateurs que son produit peut servir à des usages qu’ils n’avaient pas nécessairement en vue et qu’il constitue donc un substitut «!insoupçonné!» pour un produit connu. Ce faisant, l’entrepreneur «!élargit!» le marché dans lequel il opère. En conséquence, il est illusoire de penser qu’on peut objectivement déterminer dans quelle mesure la concurrence est «!parfaite!» ou, au contraire, «!faussée!».
Une chose devient rare lorsqu’il n’y en a plus assez pour que tous ceux qui en veulent puissent s’en servir à volonté. Il faut choisir entre différents usages ou, ce qui revient au même, réglementer l’usage. Mais justement, dans l’abondance qui régnait jusqu’alors, il était parfaitement superflu de réglementer l’usage. Quand la rareté se déclare, il n’y a donc le plus souvent pas de règles pour déterminer lequel des usages concurrents doit avoir préséance. C’est, au sens littéral, l’anarchie.
L’arrivée des Européens change cette situation. Ils sont intéressés à acheter des peaux et un commerce de fourrures se développe rapidement.
La chasse prend alors des dimensions autrement plus importantes. Les terres de chasse traditionnelles s’épuisèrent sous le choc de la surexploitation. Les Amérindiens doivent alors explorer de nouvelles terres de chasse. Mais cette solution ne peut être durable car toutes les terres de chasse finissent par être mises en exploitation. Le problème réapparaît!: il n’y a plus assez de peaux. Il suffit alors que quelques tribus en fassent grief «!aux autres!» et c’est la guerre.
La violence est une façon de régler un tel différend, mais ce n’est pas la seule. Si une autorité est déjà établie pour enrayer la violence, le rationnement peut s’opérer par décision du souverain, qu’elle soit discrétionnaire ou délimitée par des critères de mérite, de beauté, de rapport personnel avec le prince ou d’appartenance à une classe (népotisme), à un sexe, à une famille, à une nation. Le rationnement peut encore être géré par la queue ou par la loterie!. On peut aussi convenir d’attribuer la chose au premier occupant ou à celui qui par son travail l’a mise dans le «!commerce des humains!» (droit exclusif).
En déterminant, par quelque mode que ce soit, que tel usage d’une chose a préséance sur les autres, on définit un droit qui retire la chose du domaine public. Ce droit introduit une distinction qui confère à son titulaire une priorité par rapport aux autres personnes qui ont des prétentions sur cette chose. Le respect de cette priorité pourrait, au besoin, être forcé par des sanctions sociales et ultimement par le recours à la contrainte ou à la violence.
L’établissement de droits est une réponse à la rareté qui permet la constitution d’une société basée sur autre chose que la possession matérielle des objets et la violence pour la défendre. Bartlett soutient que le processus d’établissement de droits opère continuellement, aussi bien dans les sociétés modernes complexes que, d’après la littérature anthropologique, dans des sociétés moins évoluées!.
Ce qui est particulier aux sociétés fondées sur la primauté du droit (rule of law) est la forme donnée aux droits touchant la gestion des choses. Les droits sont individuels et exclusifs; il y a des règles précises sur l’attribution primitive aussi bien que sur ce qu’on peut faire du droit une fois acquis. Ce sont les droits de propriété au sens large (property rights), dont il sera traité au tome second. Ce qui retiendra en particulier l’attention est le rapport entre la forme de ces droits et le succès remarquable des sociétés occidentales à maîtriser la rareté.
Les considérations précédentes montrent le rôle que peut jouer la force dans l’établissement des droits. Dans une tyrannie, la force est déterminante pour le bien-être de ceux qui y sont soumis. L’étude des droits de propriété privée nous fera découvrir que, dans des sociétés fondées sur la primauté du droit, la force, nécessaire pour assurer le respect des droits par tous, ne détermine pas le bien-être des citoyens.
B.!LA RATIONALITE
En réagissant aux changements de circonstances, l’être humain tente d’en tirer ce qui constitue à ses propres yeux le meilleur parti. Cette hypothèse sous-tend ce qui est connu dans les sciences sociales comme le modèle du choix rationnel. Placé devant un cas à résoudre, le décideur du modèle du choix rationnel fait l’inventaire des résultats désirés (valeurs), identifie les actions qu’il peut entreprendre dans la poursuite de ceux-ci (options), détermine dans quelle mesure chaque action contribue aux résultats désirés et à quel coût (valorisation) et retient celle qui y contribue le plus (choix). On présume alors que les êtres humains, sans forcément suivre exactement cette procédure, prennent leurs décisions comme s’ils le faisaient.
Dans un article qui a trait à la science politique, W. Riker a bien exprimé l’intérêt du modèle du choix rationnel pour l’ensemble des sciences sociales!. Pour Riker, les principaux progrès dans les sciences sociales, au cours des deux siècles qui nous séparent d’Adam Smith et de John Adams, ont été accomplis dans la micro-économie. Dans ce domaine, la science est parvenue à quelques véritables explications. La microéconomie est arrivée à ces résultats en déduisant à partir du modèle de choix rationnel des théorèmes correspondant à des lois empiriques, telle la loi de la demande, qui prévoit un rapport inverse entre le prix d’un produit et la quantité demandée!. Le retard des sciences sociales par rapport aux sciences de la nature est, aux yeux de Riker, attribuable au refus d’avoir recours au modèle de choix rationnel.
Le modèle du choix rationnel fait dépendre la décision que prendra le décideur de l’information dont il dispose sur les options et sur les conséquences. Il choisit la meilleure option qu’il connaît. Ce choix pourrait lui paraître non optimal plus tard, lorsqu’il a plus d’information. Un observateur externe pourrait juger, à l’aune de ses valeurs et de ses informations à lui, la décision non optimale. Cela ne rend pourtant pas le choix irrationnel au moment de la décision.
On pourrait objecter que, les choix dépendant ainsi des informations disponibles, le modèle est tautologique, que toute action est rationnelle. Si, après une hausse de prix d’un bien ou d’un service donné, les consommateurs en achètent toujours autant, comportement en apparence «!irrationnel!», on l’attribuerait aux particularités de l’information dont ils disposent. Mais cela ne constitue pas la réponse entière. Car cette action en apparence frivole ou irrationnelle nous inviterait justement à examiner l’étendue de l’ignorance de l’acteur et la nature du biais dans l’information qu’il reçoit.
Au sein des sciences sociales, le modèle du choix rationnel peut être opposé à celui de l’«!homo sociologicus!». Ce modèle, dans la définition d’Opp, dépeint un être humain dont le comportement est régi par des normes ou des règles!9. Opp, lui-même sociologue, estime que «![l]e modèle de l’homo sociologicus n’est pourtant pas, sous aucun aspect, supérieur au modèle économique!». Il ne permet pas de rendre compte de façon simple de cette observation banale que souvent les gens «!s’éloignent des normes et des valeurs [qui devraient dicter leur comportement]!»!10.
9 Opp 1991, 74. Voir aussi Hechter 1987, c. 2.
10 Opp 1991, 74. Levi et al. 1990, 9 soutiennent que depuis la publication, en 1939, du magnum opus de Talcott Parsons, The structure of social action, «!social scientists have tended to accept the dichotomy between explanations based on norms and those based on rational calculation!».
11 Cf. la conclusion suivante d’un économiste!: «!I will end my remarks with the following two false statements: 1. Rational models are useless. 2. All behavior is rational.!» (Thaler 1986, 99).
12 Voir Mackaay 1992. La littérature plus ancienne sur cette question se trouve résumée dans Mackaay 1982, c. 6. Kratochwil, 1989, 72, écrit!: «!Rules […] are a type of directive that simplifies choice-situations by drawing attention to factors which an actor has to take into account. Rules are therefore not situation-specific, like imperatives, but delineate classes of events specifying the set of circumstances in which they are applicable.!»
Le modèle du choix rationnel a été critiqué depuis longue date par Herbert Simon, prix Nobel, chercheur en science administrative, en psychologie cognitive, en informatique, en économie. Tout au long de sa carrière distinguée de près d’un demi-siècle, il a cherché à expliciter et à modéliser (sur ordinateur) les décisions humaines de toutes sortes!13. La critique de Simon est d’autant plus convaincante qu’il y est arrivé en partant lui-même du modèle du choix rationnel.
Si l’information n’est que sélectivement prise en compte dans la décision, il faut se résigner à ce que «!l’approximation remplace l’exactitude dans la prise de décision!»!15. Simon propose pour cette conception le terme de «!rationalité limitée!» (bounded rationality). Les recherches de Simon visent à déterminer comment s’opère cette approximation.
Prenons l’exemple de la personne devant trouver une maison convenable dans une ville où elle a été mutée et qu’elle connaît peu. Comment fait-elle? Peut-elle établir une échelle unique pour toutes les maisons à vendre dans cette ville et choisir la meilleure qu’elle puisse se permettre? C’est inconcevable.
Ce qu’elle fera plutôt, c’est déterminer à l’avance les caractéristiques qui lui importent!: grandeur (minimale) de la maison et de son jardin, distance (maximale) par rapport à l’école pour les enfants et par rapport au
13 Voir par exemple Simon 1957, 1959, 1978, 1983, 1986a; Newell/Simon 1972, 1976.
14 Simon 1977, 159.
15 Simon 1986b, 170. Voir aussi March 1978.
Ce que veut montrer cet exemple est que, dans des décisions complexes, les êtres humains limitent leur attention à un nombre restreint d’aspects et qu’ils cherchent une solution qui atteint, sur chacun de ces aspects, un niveau «!satisfaisant!». Ces niveaux ou aspiration levels sont fixés d’avance (éventuellement enseignés, transmis de maître à apprenti) et adaptés selon l’expérience vécue. Simon propose pour cette procédure de décision le terme satisficing. Il estime que la plupart des décisions importantes dans la vie courante et dans les affaires sont prises de cette façon.
Théoriquement, il est possible de choisir les aspects considérés et de fixer les niveaux d’aspiration de manière à ce que la décision par satisficing soit optimale!16. En pratique, elle le sera sans doute rarement. Bien entendu, il y a lieu de penser que les adaptations auront lieu si les décisions sont manifestement mauvaises.
L’exemple de la maison à trouver dans la ville inconnue illustre un autre aspect du propos de Simon. Dans la discussion avec le courtier, il faut faire un premier balayage pour retenir les maisons à considérer ou, plutôt, pour
16 Simon 1986b.
en exclure. Le fera-t-on par les quartiers? Par le prix envisagé? Par un autre critère encore? Théoriquement équivalentes, les sélections ainsi opérées n’arrivent pas forcément aux mêmes résultats. Leur effet variera selon la connaissance générale du courtier et selon la structure des fiches du courtier sur les maisons à vendre. On conçoit que le courtier, sur la foi de son expérience, propose au client de s’entendre d’abord sur une fourchette de prix, puis sur le quartier. Il introduit alors, dans le processus de décision, des règles dites heuristiques !17.
D’après le modèle du choix rationnel, si A est préféré à B et B à C, A devrait être préféré à C. Dans les expériences de Kahneman et Tversky, cette condition est fréquemment violée. De même, la préférence entre deux options ne devrait pas varier selon la représentation du problème. Or, dans les expériences, il s’est avéré que les sujets n’expriment pas la même préférence en matière de traitement de cancer (chirurgie ou traitement aux rayons), selon que les résultats sont présentés comme des taux de survie (90 vs 77 personnes sur 100 survivront) ou de mortalité (10 vs 23 personnes succomberont en cours d’intervention)!19. De même, il n’est pas indifférent pour les consommateurs de se voir présenter l’écart entre deux prix pour le même service comme une «!charge exceptionnelle!» ou comme un rabais. D’autres conditions de rationalité sont violées de façon semblable.
Les écarts mis au jour par les psychologues touchent notamment des situations faisant intervenir de petites probabilités ou une grande complexité. Quant aux premières, nous n’apprenons pas autant de
17 Simon 1977.
18 Cette littérature est résumée dans!: Cook/Levi 1990; Elster 1989; Hogarth/Reder 1986; Kahneman et al. 1982; Nisbett/Ross 1980. Voir aussi l’introduction plus simple de Wright 1984.
19 Tversky/Kahneman 1986, 70.
De façon semblable, les recherches psychologiques montrent que les êtres humains jugent imparfaitement des situations complexes. Ici encore l’esprit tend à les simplifier, au moyen d’heuristiques, afin de les ramener à un niveau où nous pouvons les aborder avec nos facultés mentales ordinaires.
Tversky et Kahneman proposent, sous le nom de prospect theory, une représentation de la décision en deux étapes. La première consiste à trouver une représentation du problème et à ajuster celle-ci (framing et editing); la deuxième étape est celle de l’évaluation!21. Pour ce qui nous concerne, c’est dans la première étape qu’interviennent les règles!: la représentation retenue est fonction aussi bien de la façon dont le problème a été présenté au décideur que des normes, des habitudes et des attentes de celui-ci. La représentation détermine les aspects du problème dont il tiendra compte. Nous voilà de retour à la conception de Simon!22.
20 Tversky/Kahneman 1982.
21 Tversky/Kahneman 1986, 73. Voir aussi Kahneman/Tversky 1979.
22 Tversky et Kahneman 1986, 89.
Heiner a tenté de formuler une théorie parfaitement générale de l’usage des règles!23. On a souvent voulu présenter les règles comme des outils servant dans des situations routinières, les cas difficiles demandant au contraire un comportement réfléchi, intelligent, et donc difficile à prédire.
Il suffit pourtant d’une petite réflexion pour se convaincre que cette conception est intenable. Comparons le comportement des animaux à celui des êtres humains. Placé devant la même situation, l’animal, dont les capacités de traitement de l’information sont inférieures à celles de l’homme, devrait alors plus souvent que l’homme faire preuve de comportement intelligent, non dicté par des règles. Or, c’est bien le contraire que l’on observe.
Le point de départ est l’incertitude du décideur compte tenu des ressources limitées — temps, matière grise, comportements — dont il dispose pour faire face aux conditions que son environnement lui impose. Comme le décideur perçoit incomplètement son environnement et ne peut, dans le temps disponible, tenir compte de toute l’information pertinente, il doit choisir un des comportements de son répertoire sachant que, dans une certaine proportion des cas, cette réponse sera inadéquate.
Pour chaque comportement, on pourrait alors imaginer un calcul permettant de déterminer s’il doit figurer parmi le répertoire des comportements «!actifs!», pouvant être adoptés à tout instant, ou au contraire être refoulé «!aux archives!» ou carrément abandonné. Ce calcul intègre, positivement, les gains pour le décideur si le comportement en question est adopté dans des circonstances convenables et, négativement, les pertes pour les cas où le comportement est mal à propos.
23 Heiner 1983. Heiner a précisé sa pensée dans plusieurs autres articles, dont deux adressés aux juristes, mais curieusement moins accessibles que le premier!: Heiner 1986, 1990. Dans ce dernier article, on trouve une liste d’articles antérieurs.
De quoi dépendent les gains? D’une part, des avantages que la nature ou les interlocuteurs fournissent, si le comportement est adopté dans les circonstances convenables; d’autre part, de la probabilité que le décideur reconnaîtra correctement de telles circonstances. Ce dernier facteur dépend à son tour de la complexité de la situation, de la capacité de perception du décideur et de sa capacité de traitement d’information, du répertoire de règles déjà connues qui lui suggèrent ce qu’il convient d’observer, de la capacité d’apprentissage pour tenir à jour ce répertoire, etc. Des considérations analogues s’appliquent aux pertes.
La théorie de Heiner permet également de rendre compte du rôle des institutions. Elles représentent des ensembles de règles régissant les interactions entre les êtres humains. Elles ont les mêmes fonctions que les règles évoquées plus haut!: faciliter les décisions pour les individus, rendre leur comportement plus ou moins prévisible pour les autres.
Faut-il abandonner le modèle du choix rationnel? Les recherches empiriques et théoriques passées en revue soulèvent cette question avec instance.
L’abandon semble pourtant prématuré. Tversky et Kahneman, dans l’article déjà cité, arrivent à la conclusion que les prémisses du modèle de choix rationnel sont généralement respectées dans des situations «!transparentes!», violées fréquemment dans des situations «!non transparentes!»!24. Les résultats de leurs recherches, comme ceux de Simon, constituent certes une critique du modèle de choix rationnel, mais non une théorie qui le remplacerait.
Plusieurs chercheurs ont formulé des arguments au soutien de la thèse que le modèle du choix rationnel, malgré sa faiblesse admise comme description de la décision individuelle, demeure tout de même une approximation valable pour décrire le comportement de groupes de personnes placées dans des situations semblables. Becker a montré que la rareté des ressources (argent, temps et les autres) entre lesquelles les consommateurs choisissent continuellement donnerait à l’ensemble du marché une allure rationnelle, même si les individus étaient inertes, impulsifs ou autrement «!irrationnels!»!25.
À titre d’exemple, Simon cite l’interprétation que propose Becker du changement de la famille américaine, et notamment du déclin du nombre d’enfants par famille, depuis la deuxième guerre mondiale!27. Becker l’attribue à la participation accrue des femmes au marché du travail. Pour expliquer cette croissance, Becker s’appuie sur des statistiques montrant que le revenu hebdomadaire a augmenté beaucoup durant cette période. Le coût de rester à la maison et d’avoir des enfants a augmenté en conséquence. Mais, observe Simon, ceci ne constitue pas une explication, car l’augmentation du revenu des femmes pourrait venir du nombre moyen d’heures que les femmes travaillent par semaine. Et à supposer même que le revenu par heure de travail ait augmenté au cours de cette période, l’augmentation a-t-elle été exceptionnelle, plus forte que pour les hommes
24 Tversky et Kahneman 1986, 88.
25 Becker 1976, 161.
26 Simon 1986a, 28.
27 Becker 1981, 245 s.
(car il faut expliquer un changement d’attitude)? Il faudrait en outre expliquer le déplacement de la demande (de l’industrie, pour avoir des travailleuses). Cela exige des études empiriques détaillées. Pour Simon, la seule hypothèse du choix rationnel n’est ni suffisante, ni nécessaire (car trop forte) pour expliquer la participation accrue des femmes au marché du travail après la deuxième guerre mondiale.
Tsebelis a repris l’argument de Becker, en présentant cinq arguments à l’appui du modèle du choix rationnel!: pression vers la rationalité, apprentissage, effet de congestion (semblable à l’argument de Becker), sélection naturelle, loi des grands nombres!28. Mais Tversky et Kahneman montrent que certaines de ces bolstering assumptions (hypothèses de soutien) ne sont pas confirmées par l’observation!29.
28 Tsebelis 1990, 33-39.
29 Tversky/Kahneman 1986, 89-91.
30 Voir par exemple Williamson 1975, 1985, 1986, 1996.
31 Langevoort 1998; Jolls et al 1998a; Sunstein 2000.
32 Jolls et al 1998b; Kelman 1998; Posner 1998a.
C.!L’INCERTITUDE
La rareté nous pousse à mieux utiliser les choses à notre disposition et à imaginer de nouvelles façons de le faire. L’innovation de l’un change l’environnement de l’autre et pousse celui-ci à son tour à adapter ses façons de faire. Et la nature place elle aussi les êtres humains devant des changements imprévus qui déjouent leurs prévisions et les obligent à s’adapter et à trouver de nouvelles façons de faire. L’incertitude, ou l’ignorance relative des circonstances qui touchent notre vie et l’élément de surprise qui en résulte, sont des aspects inéluctables de la condition humaine. La prise en compte de l’incertitude, par l’innovation et par l’absorption de risque, caractérisent toute activité humaine.
Il faut s’attendre à trouver partout des individus cherchant à innover. Considérez l’exemple donné par Brenner33 du bicarbonate de soude. Ce produit est depuis longtemps employé dans la cuisine et contre les maux d’estomac. Très peu de consommateurs savaient qu’il pouvait être employé pour éliminer les odeurs du frigo. En 1972, la publicité d’un des fabricants du produit a attiré l’attention sur cette propriété. Un an plus tard, plus de la moitié des ménages américains avait une boite de bicarbonate de soude dans leur frigo.
Le fabricant pouvait-il être certain de l’acceptation de son produit par les consommateurs? Rien n’est moins certain. Il a pourtant accepté de prendre le risque et, dans ce cas-ci, il a gagné. Dans d’autres cas, le pari échoue.
La réponse à ces questions est négative. Pourtant toutes les personnes mentionnées acceptent de courir les risques mentionnés. L’incertitude, les
33 Brenner 1987, 26.
perturbations de nos prévisions, sont omniprésentes. Nous avons développé des façons de faire et de penser qui nous permettent d’absorber cette incertitude sans que cela ne dérègle la vie sociale!34.
Imaginer de nouvelles façons de faire n’a rien d’automatique. Au moment où l’on fait face à une difficulté, il n’est pas d’emblée évident comment la résoudre. Les bonnes idées ne sont pas généralement abondantes. Les inventions et les innovations méritent un encouragement spécial.
Dans notre société, tous n’ont pas le même désir ni la même capacité de faire face à un risque précis. Des commerçants forment une société pour entreprendre un projet qui dépasserait pour chacun le niveau de risque auquel il accepte de faire face seul. Les assureurs peuvent absorber des risques assez bien circonscrits en opérant à très grande échelle et en diversifiant les risques assurés. Pour d’autres, c’est la connaissance approfondie d’une activité particulière qui leur donne un avantage par rapport aux profanes pour absorber les risques associés. C’est le cas du commerçant opérant sur le marché des options futures, qui pense pouvoir mieux spéculer sur l’avenir que son client!35.
Chacun cherchera, en présence d’institutions à qui transférer le risque, son niveau préféré de risque. On peut s’attendre à ce que le transfert des risques ou l’allocation des risques dans les contrats soit une dimension importante dans toutes les institutions juridiques qui desservent le marché.
D.!L’INDIVIDUALISME METHODOLOGIQUE
La société humaine, dans la conception économique que nous présentons ici, est un univers de décisions. Grandes ou petites, ces décisions s’imposent parce que nous ne vivons pas dans l’abondance
34 Wildavsky 1988.
35 Le rôle de la spéculation sera abordé au chapitre qui traite du marché.
paradisiaque. La nourriture, les vêtements, le logement, mais aussi les sources plus éphémères de notre bien-être, comme l’amour, le pouvoir, le prestige, ne sont là qu’en quantité limitée. Il faut choisir!: pour avoir l’un de ces bienfaits, il faut souvent se priver d’un autre.
Les choix qui nous intéressent sont ceux des individus vivant en société!36. Les phénomènes sociaux s’analysent à partir de ces choix. L’analyse part de l’individu. Tout phénomène collectif doit être expliqué à partir de comportements individuels. «!Il n’y a pas de sociétés, seulement des individus en interaction. Mais la nature de l’interaction nous permet de reconnaître des groupes de personnes qui interagissent plus entre elles qu’avec des membres d’autres groupes!»!37. Le «!bien-être de la société!» doit être compris en fonction de celui de ses membres. Les choix collectifs de la société doivent être analysés comme résultant de la composition de choix individuels. «!L’État!», «!le gouvernement!», «!le peuple !» ou «!le syndicat!» ne pensent pas, ne décident pas eux-mêmes, mais par les individus agissant en leur nom, en respectant, il faut l’espérer, les critères de décision applicables et autres contraintes. C’est ce que l’on appelle le principe de l’individualisme méthodologique.
En adoptant comme principe d’analyse l’individualisme méthodologique, nous n’entendons nullement nier que les phénomènes
36 Laurent 1994 constitue un excellent exposé, à la fois analytique et historique, de l’individualisme méthodologique.
37 Elster 1989, 248 (traduction).
38 Boudon 1977, 12. Voir aussi Boudon 1979 et Boudon 1984, 66. Boudon lui-même, il convient de le noter, n'est pas partisan d'une telle conception «!collectiviste!». M. Aftalion (1978, 63) l'exprime ainsi!: «!… en toute rigueur les lois macro-économiques ne peuvent résulter que de la composition des lois du comportement individuel!». À cette prise de position méthodologique on peut évidemment faire correspondre une vision politique, comme le fait M. Aftalion 1978, 214.
collectifs — structures sociales, institutions, groupements humains — présentent un intérêt indépendant de celui des individus qui y contribuent. Souvent la société est plus que la simple somme des actions et des intentions individuelles. L’étude des interactions humaines nous permettra de déceler plusieurs situations type où les actions individuelles aboutissent à des paradoxes, des résultats en apparence non voulus par leurs auteurs!39.. Boudon, dans son livre de 1977, les a appelés effets pervers!40.. Mais les interactions entre les êtres humains n’aboutissent pas forcément à des résultats paradoxaux ou indésirables. Dans son ouvrage de 1984, Boudon emploie les termes neutres effets émergents, effets d’agrégation ou de composition!41.
Après l’examen des décisions individuelles, il convient maintenant d’étudier comment les individus décident lorsqu’ils interagissent avec d’autres. La décision de l’un peut alors dépendre de celle de l’autre ou des autres et vice versa. L’analyse de ces interactions mettra en lumière un certain nombre d’effets émergents.
39 Popper 1963, 342, écrit!: «!(..) the main task of the social sciences […] is to trace the unintended social repercussions of intentional human actions.!» .
40 Boudon 1977.
41 Boudon 1984.
42 Les êtres ne doivent être multipliés au delà de la nécessité. Ce précepte, connu sous le titre de «!rasoir d'Occam!», n'aurait jamais été formulé tel quel par ce philosophe anglais du quatorzième siècle. D'après Bertrand Russell, il aurait dit seulement!: «!Il est vain de faire avec plus ce qui peut être fait avec moins!» (Russell 1979, 462-3).
43 Voir la liste d'effets non intuitifs que présente Boudon 1984, 67-69.
POUR ALLER PLUS LOIN
44 Sfez 2000.
45 Sowell 1980.
46 Hargreaves Heap et al. 1992.
47 Elster 1986.
48 Sunstein 2000.
49 Katz 1998.
2
____________________________________________
Les rapports entre individus
«!A genuine social science, then, would describe how men adjust to certain inevitable laws and stress how little they can, or indeed need to, control their societies!».
(Barry 1982, 34)
Sommaire
Introduction!: La théorie des jeux 2
A.!Les jeux de coordination ..4
1.!La simple coordination .4
2.!La coordination asymétrique ..7
3.!La coordination par différenciation des rôles ..9
4.!L’avance de départ et l’émergence progressive de la
norme 10
B.!Les jeux de coopération . 12
1.!Les règles d’attribution (la propriété) . 13 2.!Les règles de réciprocité (le contrat) .. 18
3.!L’action collective .. 31 Conclusion générale 49
Pour aller plus loin .. 55
Le droit articule des solutions non violentes aux conflits pouvant surgir entre individus et définit les institutions qui ont pour vocation de faire prévaloir ces solutions. Pour comprendre le droit, il est donc utile de s’interroger sur les rapports entre individus en société!: sur les sources récurrentes de conflits et sur les règles et les institutions découvertes pour en prévenir l’éclatement. Cette exploration touchera ce que, depuis Hayek, on appelle l’ordre spontané, c’est-à-dire les structures de coopération qui s’établissent dans le cours des interactions entre individus sans avoir été planifiées par une autorité externe.
INTRODUCTION!: LA THEORIE DES JEUX
La théorie des jeux suscite un intérêt à travers les sciences sociales, aussi bien en science économique qu’en science politique, en sociologie, en anthropologie et en droit, et même en philosophie!. Cet intérêt n’est pas limité à un seul pays, mais se manifeste dans la plupart des pays occidentaux. La théorie des jeux constitue un point de ralliement pour les sciences sociales.
L’étude du droit à l’aide de la théorie des jeux date de la dernière vingtaine d’années seulement. Certes, la nature des jeux d’interaction était intuitivement apparente pour bon nombre de penseurs qui ont marqué l’histoire des idées sur le droit, de Machiavel à Rousseau et Marx, en passant par Hobbes, Locke, Hume et Adam Smith. Mais c’est la formalisation au moyen de la théorie des jeux qui a permis d’en mieux comprendre la nature et la dynamique.
Depuis la première publication expressément consacrée à l’application de la théorie des jeux au droit, celle d’Edna Ullmann-Margalit8, jusqu’aux travaux d’Axelrod, en 1984, et de Sugden, en 19869, l’attention a surtout porté sur ce que Jon Elster a appelé «!the Hayek programme!»10, la question de savoir comment l’ordre spontané est possible. Par «!ordre spontané!», il convient d’entendre, en suivant Norman Barry, «!les régularités en société, ou les suites d’événements, qui ne sont ni (1) le produit d’une construction humaine délibérée (deliberate human contrivance) (tel un code de droit ou un plan économique) ni (2) ne sont de l’ordre de phénomènes purement naturels (tel le temps qu’il fait)!»!11. La question est centrale pour le juriste, car, si le droit, dans ses racines, est un phénomène d’ordre spontané, il peut exister avant la loi et son contenu ne peut se réduire aux injonctions législatives de l’État. Depuis 1986, plusieurs publications sont venues approfondir l’analyse de cette question!12.
8 Ullmann-Margalit 1977, qui pouvait s’inspirer des travaux antérieurs de Schelling 1960 et de Lewis 1969. On trouve des thèses voisines mais moins explicites, pour ce qui est des normes, chez Boudon 1977, 1979, 1984.
9 Axelrod 1984; Sugden 1986.
10 Elster, 1989a, 250, renvoyant à Hayek, 1973-1979. Cf. le passage suivant dans un ouvrage ultérieur de Hayek!: «!The practices that led to the formation of the spontaneous order have much in common with rules observed in playing a game. […] A game is indeed a clear instance of a process wherein obedience to common rules by elements pursuing different and even conflicting purposes results in overall order!». Hayek 1988, 154.
11 Barry 1982, 8 (traduction). À la p. 7, Barry écrit que l’ordre spontané est «!the idea that most of those things of general benefit in a social system are the product of spontaneous forces that are beyond the control of man!». Sur l’ordre spontané dans la société, voir en outre Ullmann-Margalit 1978; Cunningham 1979; Sugden 1989, Eggertsson, 1990; Sugden 1998a et 1998b.
12 De Jasay 1989; Kerkmeester 1989, 1993; Mackaay 1988, 1991; Schmidtz 1991; Taylor 1987, 1990.
13 Goyard-Fabre, 1983, 7.
droit).
A.!LES JEUX DE COORDINATION
1.!La simple coordination
Les problèmes de simple coordination présentent des situations d’interaction dans lesquelles les participants sont en principe indifférents entre les options qui leur sont ouvertes (par exemple conduire à droite ou conduire à gauche), mais où chacun a intérêt à ce que son comportement soit adapté à celui de ou des autres. Une coordination quelconque est aux yeux de tous préférable à son absence (chaos).
Comment a-t-il été décidé de conduire à droite plutôt qu’à gauche (ou l’inverse, en Grande Bretagne)!15? Aussi longtemps que la fréquence de passages des véhicules sur la route et leur vitesse étaient faibles, il importait peu de quel côté du chemin on circulait. C’est encore aujourd’hui le cas pour les piétons sur les trottoirs. Mais à mesure que le nombre de véhicules et leur vitesse augmentent, il faut s’attendre à ce que soit
14 Même pendant la guerre cependant, il peut y avoir terrain d’entente. Qu’on songe au traitement des prisonniers de guerre, à l’usage des armes chimiques. Le droit formalise cette «!entente!» sous forme d’une convention internationale. Voir Schotter, 1981, 39 s.
15 Cet exemple est également employé par Fuller 1971, 184.
progressivement ressenti le besoin d’éviter les décisions de dernière seconde. Chacun doit se tenir systématiquement d’un côté de la route. La question demeure de savoir quel côté privilégier.
La situation que nous venons d’analyser est simple, en ce qu’une seule règle de conduite pour tous résout le problème de coordination. Cette règle de conduite peut, à l’origine, ne présenter aucun avantage sur son contraire. Il suffit d’un léger déplacement de préférences pour qu’une des règles prenne le dessus et s’impose progressivement comme la norme. Cette norme a pu être arbitraire au départ. La norme contraire serait tout aussi stable et pourrait s’avérer par la suite préférable à celle qui est en fait établie. Néanmoins, une fois établie, la norme fournit une solution prévisible aux interactions!16. Personne n’a intérêt à en dévier; la norme est
16 Ce que nous appelons solution stable correspond à la notion technique collectively stable strategy chez Axelrod (1984, 170, 210) et de evolutionary stable strategy (ESS) ou stable equilibrium chez Sugden (27-31). Une telle stratégie a deux propriétés. D’abord, elle est la meilleure réponse à ellemême, c’est-à-dire que, si l’un des joueurs l’adopte, l’autre joueur obtient le meilleur résultat possible en l’adoptant également. En deuxième lieu, il n’y a pas d’autre stratégie constituant une aussi bonne réponse, qui aurait pu déloger la première. Une telle solution stable constitue une régularité qui est respectée d’elle-même (self-enforcing, 32). Dans la terminologie adoptée par Sugden, une solution stable est appelée convention lorsque, pour l’interaction en question, plusieurs solutions stables sont possibles, dont une seule s’établit en fait.
«!self enforcing!»!17. Pour ce type de situation, il suffit que le droit articule la règle, qu’il la déclare. La coordination des comportements se produit d’elle-même ou presque. Il n’y a pas de problème sérieux de surveillance du respect des règles.
Le jeu pourrait être représenté par le diagramme suivant!:
Le diagramme illustre l’indifférence des joueurs entre la conduite à gauche et la conduite à droite, les deux solutions leur paraissant cependant préférables aux comportements non coordonnés (cases nord-est et sudouest). Il représente des situations comme la règle de conduite à gauche ou à droite ou les feux de circulation, ou encore les vitesses standardisées des tourne-disque (33, 45, 78 tours) ainsi que des lecteurs de cassettes et de disques compacts. Des exemples plus classiques sont le calendrier justinien
17 Stein 1990, estime qu’une règle est «!self enforcing!» lorsque le coût de la déviation est immédiat (plutôt qu’à venir) et s’impose d’elle-même (plutôt que d’une réaction punitive de ou des autres joueurs) (42).
ou grégorien, les conventions au sujet du lieu et des jours du marché ou des heures d’ouverture des magasins. La monnaie constitue un autre système de coordination qui n’a été inventé par personne et s’est développé spontanément!18.
2.!La coordination asymétrique
En modifiant les enjeux, on obtient d’autres situations bien connues.
Le deuxième diagramme représente la fixation de la langue de communication entre personnes de langues différentes!19. On voit bien que les deux joueurs gagnent à pouvoir se parler (cases nord-ouest et sud-est par opposition aux deux autres). Les enjeux varient cependant pour les deux joueurs selon la langue adoptée. Celui qui doit employer une langue seconde doit faire un effort ou a un handicap, ce qui se traduit par un enjeu inférieur (1 par opposition à 2). De nouveau, nous avons présumé la même situation (mais inversée) pour les deux joueurs.
En principe, les deux solutions (cases nord-ouest et sud-est) rendent possible la communication. Chaque joueur préfère l’une d’elles à l’absence
19 Breton 1978; Migué 1979, partie II.
de communication!20. Mais comme les enjeux varient, chaque joueur a intérêt à ce que, au départ, le choix se fixe sur sa langue maternelle. Il est toujours vrai que, la solution une fois adoptée, la convention est respectée sans grand effort!: la partie qui s’en écarte se pénalise elle-même. Tout le jeu se concentre donc sur la façon de fixer le choix commun. La différence avec la situation précédente vient de ce que, dans ce cas-ci, une langue (option) particulière est avantageuse pour chaque joueur parce qu’il a déjà du capital physique ou humain lui permettant de l’adopter à des frais nettement moins élevés que l’autre option. Adopter l’autre langue revient alors à une «!dépréciation accélérée!» de ce capital, une «!perte en capital!», qu’il faut mettre dans la balance contre les gains à venir d’une communication plus vaste (l’autre langue étant plus largement comprise et parlée)!21.
La situation paraît bien décrire les tiraillements au sujet de l’adoption de standards communs de tous ordres, par exemple dans le domaine informatique et dans d’autres secteurs techniques, dès lors qu’il s’agit d’assurer la compatibilité ou la «!transportabilité!» des produits. Songeons aux systèmes d’opération en matière informatique, aux normes pour la nouvelle génération de télévision haute définition, au système métrique. De même, comme le mentionne Stein!22, l’adoption d’une largueur commune des voies de chemin de fer en Europe ou d’une langue unique dans l’aviation internationale à côté de la langue nationale pose un dilemme de ce type.
La logique du dilemme permet de comprendre l’intérêt de fixer aussi tôt
20 C’est en cela que ce jeu diffère des jeux mixtes du dilemme de prisonnier et de faucon-colombe, dont il sera question après.
22 Stein 1990, 43.
que possible les normes communes!: chacun évitera les pertes en capital qui viennent d’être évoquées. Inversement, on doit toutefois éviter de fixer la norme trop tôt, car on risque alors de s’arrêter sur une option qui s’avère par la suite indésirable. Mais pour découvrir la meilleure parmi des solutions envisageables, il faudrait en expérimenter plusieurs, ce qui implique la formation de capital, avec les problèmes que nous venons d’évoquer. De surcroît, plus le problème est complexe, plus il est probable que la solution le soit aussi23.
3.!La coordination par différenciation des rôles
Les problèmes de coordination peuvent se poser dans une autre forme encore, comme l’illustre l’exemple de la conversation téléphonique coupée24. Au milieu d’une de vos conversations téléphoniques, la communication est coupée. Par politesse, votre interlocuteur aussi bien que vous-même essayez de la rétablir tout de suite. Or, chacun composant le numéro de l’autre, chacun entend la tonalité occupée. Chacun raccroche et répète l’expérience, pour aboutir au même résultat. Frustré, vous vous dites que, la prochaine fois, vous ne rappellerez pas le premier. Pourtant, si votre interlocuteur adopte également cette stratégie, les choses ne sont guère avancées. Vous ne vous parlerez toujours pas.
23 Heiner 1983.
24 Elle est un élément central dans La voix humaine, de Francis Poulenc, tragédie lyrique en un acte sur un texte de Jean Cocteau. L’amoureuse frustrée dit!: «!’Allô, chéri .. Si on coupe, redemande-moi tout de suite !», mais elle redemande elle-même le rétablissement : «!Attendez ! Auteuil 04 virgule 7. Allô ! Pas libre? Allô, Mademoiselle, il me redemande Bien!». Voir aussi Lewis 1969, 5, 11-12, 36 s.
Dans les situations examinées plus haut, plusieurs solutions s’offrent, chacune menant à une coordination stable. Dans certains cas, les solutions sont parfaitement équivalentes, dans d’autres, elles ne le sont pas du point de vue individuel de chaque joueur, mais chaque jeu mène néanmoins à une solution stable. Une fois la règle en place, tous ont intérêt à la suivre. Mais comment se fixe-t-on au départ sur telle règle plutôt que sur telle autre? Théoriquement, le problème paraît insoluble; en pratique, il ne l’est pas. Certaines solutions sont «!évidentes!» (prominent) ou saillantes, «!vont de soi!», s’imposent d’elles-mêmes.
Schelling a étudié ce problème déjà en 1960. Pour lui, «!la plupart des situations […] comportent une clé pour coordonner les comportements, un focus pour l’attente de chaque personne au sujet de ce que l’autre s’attend à ce qu’elle s’attend qui sera fait!»!25. Ces clés dépendent bien plus de l’expérience que de la logique ou des qualités techniques!: «!une analogie (avec des conventions déjà en vigueur), un précédent, un arrangement fortuit, une symétrie, une configuration esthétique ou géométrique, un raisonnement casuistique, de même que l’identité des personnes et ce que chacune sait de l’autre!»!26. Schelling donne son célèbre exemple de deux personnes qui se sont donné rendez-vous à New York, en oubliant de fixer le lieu et l’heure. Où alors se rencontrer? Le choix tout indiqué pour la plupart des personnes dans une expérience menée par Schelling est Grand Central Station, à midi!27.
La convergence opère seule. Elle peut cependant être accélérée par la communication entre les personnes concernées ou par la publicité donnée à la solution dominante. Que l’on songe par exemple à la standardisation de l’orthographe résultant de la traduction de la Bible en langue vulgaire.
25 «!Most situations (..) provide some clue for coordinating behavior, some focal point for each person’s expectation of what the other expects him to expect to be expected to do.!» Schelling 1960, 57; Sugden 1986, 42-54. Voir aussi Sugden 1995.
26 «!Finding the key, or rather finding a key — any key that is mutually recognized as the key becomes the key — may depend on analogy, precedent, accidental arrangement, symmetry, aesthetic or geometric configuration, casuistic reasoning, and who the parties are and what they know about each other.!» Schelling 1960, ibid. (traduction). Cf. la thèse de John Kay, dans «!The Foundations of Corporate Success!» (1993), voulant que «![t]he size of the installed base and the credibility of the supplier matter more to the success of a standard than the technical quality of the product!» (The Economist, du 14 avril 1993, 69).
27 Schelling 1960, 55.
28 Sugden 1986, 45.
29 Lewis 1969.
C’est ici qu’on voit un rôle pour le droit. La loi et la jurisprudence peuvent accélérer l’établissement de l’ordre en énonçant explicitement la solution qui est en train de s’imposer spontanément, comme l’horaire d’été, le système métrique, le port de la casque de hockey!30. Le droit joue ici le rôle d’outil de publicisation des règles. Le droit a alors valeur symbolique.
Ce qui précède a pu créer l’impression que tout problème de coordination finit par se résoudre en un ordre spontané. Or, cette thèse n’est pas soutenable dans sa généralité. Considérez, à titre de contre-exemple, la grande diversité de forme et de placement des boutons pour ouvrir et fermer dans les ascenseurs. Aucune convergence vers un placement uniforme n’est en vue. En outre, un ordre spontané existant peut éclater en plusieurs ordres distincts lorsqu’il y a interruption des communications entre les participants à l’ordre initial. L’éclatement du latin en plusieurs langues latines peut servir ici d’exemple.
B.!LES JEUX DE COOPERATION
Les jeux de coopération ressemblent à ceux que nous venons d’examiner en ce que la coopération est avantageuse et préférable au refus des joueurs de coopérer. Ils en diffèrent par la présence d’un élément stratégique!: si l’un des joueurs adopte une position de coopération, l’autre,
30 Exemples empruntés au c. 7 de Schelling 1978.
31 Wärneryd 1998; Shapiro/Varian 1998, c. 7.
sachant cela, a intérêt à tricher (ne pas coopérer), ce qui est alors encore plus «!payant!» que de coopérer. Cependant, si les deux joueurs tentent de tricher, les gains de la coopération s’évaporent. Dans les jeux de coopération, cette dimension stratégique est essentielle. Dans ce qui suit, nous étudierons ces jeux pour éclaircir les règles d’attribution (propriété), les règles de réciprocité (contrat) et les règles en matière d’action collective.
1.!Les règles d’attribution (la propriété)
32Chicken en anglais. La situation qui a donné son nom à ce jeu est une compétition sauvage entre jeunes Californiens, présentée au début d’un film américain de 1955, Rebel without a cause (Danielson 1992, 166). Deux voitures volées se trouvent à une centaine de mètres d’une falaise. Les deux compétiteurs se trouvent chacun au volant d’une voiture. Au signal, les deux participants démarrent à toute allure vers la falaise. Ils sont censés sauter de leur siège et se rouler par terre au dernier moment, alors que la voiture poursuit sa course et s’écrase dans les profondeurs. Celui qui saute le premier perd la face («!chicken!»); l’autre est alors le héros. Si ni l’un ni l’autre conducteur ne cède, les deux se tuent en se précipitant du haut de la falaise dans leurs voitures. Poundstone 1992, 69 soutient que c’est Bertrand Russell qui aurait donné le nom au jeu. Le biologiste Maynard Keynes analyse ce jeu sous le titre de hawk-dove game (Maynard Keynes 1982, 11; voir aussi Sugden 1986, 58-62, 70-71; Hirshleifer 1987, 226).
Joueur II
On peut pourtant se demander si le jeu n’admet pas d’autre issue. Supposons que le joueur I s’engage à l’avance et irrévocablement à jouer l’option D (tirer, dans l’exemple) et le proclame à l’intention de son ou de ses adversaires éventuels!33. Si l’adversaire prend cet engagement au sérieux, le mieux qu’il puisse faire est de céder (option C), car 0 est préférable à -2. Le jeu a alors une solution stable au coin sud-ouest. Plusieurs chercheurs soutiennent que la nature a programmé dans plusieurs espèces animales un tel engagement «!irrévocable!» de défendre leur
33 Taylor, 1990, 229 emploie le terme pre-commitment.
territoire!34. Maynard Keynes observe que, dans des combats entre deux animaux au sujet de la maîtrise d’une ressource donnée, c’est presque invariablement le «!propriétaire!» qui gagne et l’envahisseur qui cède!35. Sugden soutient que, dans les sociétés humaines, le principe du premier occupant et celui de l’appropriation par le travail jouent le même rôle!36!: ils fournissent une solution prévisible et stable à une interaction structurée comme un jeu du faucon et de la colombe.
Ce résultat ne peut s’expliquer par les avantages résultant de la seule possession de la ressource. C’est bien la distinction des rôles qui fournit l’explication. En présence d’une telle asymétrie de rôles, la solution stable consiste précisément en des stratégies complémentaires pour les joueurs des deux rôles. Comme dans les jeux de coordination, cette solution s’impose d’elle-même; elle est self-enforcing et stable.
Pour illustrer son propos, Sugden rappelle l’histoire de l’attribution des droits d’exploration minière sur le fond marin de la Mer du Nord. Il est évident que l’on n’a pas suivi une règle de répartition égale. Cette règle n’aurait pas pu fournir ici une solution facile, compte tenu de la variation du terrain et de l’ignorance au sujet de son potentiel d’exploitation. On n’a
34 Hirshleifer, 1987, 227, 231, 262, renvoyant à Maynard Keynes, 1982, chap. 8, 94-105 et à Fredlund 1976; Sugden 1986.
35 Maynard Keynes 1982, 97!: …«!it is far commoner for contests to be settled in favour of owners!».
36 Sugden 1986, 95-97.
pas non plus fondé la règle sur les besoins des différents pays!: à ce titre, les pays du tiers monde auraient eu des prétentions à faire valoir. La répartition n’a pas non plus été une simple question de rapports de force, parce que les États-Unis et l’URSS n’y ont rien obtenu. Un autre modèle écarté a été la convention internationale sur les droits d’exploitation du plateau continental, adoptée en 1958 et entrée en vigueur en 1964. En fait, l’accord intervenu réservait les droits d’exploitation sur le fond marin de la Mer du Nord aux seuls pays riverains, chaque portion étant attribuée au pays dont la côte était la plus proche.
Le rôle de la possession comme germe de conventions est aussi évident dans les principes de l’occupation et de l’accession. En dehors du droit, on le trouve dans les queues ou dans l’adage «!premier venu, premier servi!». Dans le train, on conserve ses «!droits!» sur le siège qu’on occupe, même si l’on s’absente brièvement, une fois le train parti. En droit du travail, les mises à pied touchent d’abord les employés entrés les derniers dans l’entreprise.
Dans la même veine, Sugden explique le principe d’appropriation selon lequel une chose est attribuée à celui qui y a apporté un effort significatif (appropriation par le travail)!39.Le fait de travailler une chose établit un rapport entre elle et la personne qui la travaille. Ce rapport constitue un
37 Sugden 1986, 87. Barzel 1989, 72 discute du même cas. La règle «!possession vaut titre!» en français a un sens plus restreint et plutôt technique.
38 Que l’on songe par exemple aux efforts du Canada, au cours des années 1980, d’asseoir, à l’encontre des États-Unis et de l’URSS notamment, sa souveraineté sur le Grand Nord.
39 Sugden 1986, 95-97.
argument pour lui reconnaître la possession, un point de préséance par rapport aux titres d’attribution que d’autres pourraient faire valoir!40. Le principe de l’appropriation par le travail, comme celui de la possession première, sont présentés ici comme des germes de conventions dont la fonction est d’arbitrer les réclamations de différentes personnes sur une même ressource. Leur poids vient de l’utilité de la convention qu’ils fondent et de ce qu’ils sont simples, évidents, non ambigus et se prêtent assez facilement à l’application à de nouveaux cas.
Les considérations qui précèdent montrent comment, dans l’interaction humaine, des conventions attribuant le pouvoir de décision sur des choses à
40 La notion de prominence, déjà employée dans la discussion des règles de coordination.
41 Voir Umbeck 1981a et 1981b.
des personnes précises peuvent surgir et s’imposer à autrui!: c’est le principe central du droit exclusif, dont la propriété est la plus importante forme.
Ces conventions recèlent deux découvertes importantes, celle de l’utilité d’attribuer les choses et celle des principes régissant le choix de la ou des personnes à qui elles sont attribuées. Ces conventions peuvent émerger sans l’intervention d’une autorité planificatrice et, une fois établies, elles sont stables. Des conventions déjà reconnues fourniront souvent les germes permettant de trouver la solution à des problèmes nouveaux.
Les interactions structurées comme le jeu du faucon et de la colombe ont dû apparaître dès les premières communautés humaines. On peut s’attendre à ce que les conventions qui les résolvent aient été découvertes tôt dans l’histoire de l’humanité et qu’elles soient très répandues. Cette thèse se prête à vérification par des recherches anthropologiques et historiques.
Le rôle du droit dans ce type d’interaction est plus riche que dans le jeu de coordination. Certes, le droit fait oeuvre utile en explicitant les solutions. Mais la convention ne peut ici être maintenue que si les intéressés sont prêts à la maintenir à l’encontre de personnes tentées de la transgresser. Cela donne lieu à des confrontations du type DD (voir le diagramme 2.4), plutôt destructrices et pouvant mener à l’escalade. En faisant respecter les droits attribués, le droit contribue à prévenir la violence.
2.!Les règles de réciprocité (le contrat)
42 Poundstone 1992, 117.
condamnation de son complice à trois ans de prison pour un délit sérieux. Si, toutefois, les deux individus, attirés par la promesse, s’accusent mutuellement, ils ne seront crus qu’à moitié devant le tribunal et tous les deux écoperont deux ans. Qu’arrive-t-il si tous les deux décident de refuser l’offre de la police? Étant donné que la police n’a, en dehors des éventuelles confessions, aucune preuve contre eux, seule une accusation mineure de vagabondage ne pourra être portée, ce qui résulterait en une peine d’un an de prison. Le tableau des gains et des pertes se présente alors comme suit.
Le jeu est symétrique. Pour déterminer ce que feront les prisonniers, il suffit donc d’analyser la situation de l’un d’entre eux. Le joueur I compare ses options, en tenant compte de ce que décide de faire le joueur II. Si ce dernier décide de se taire, le joueur I a avantage à le dénoncer, puisque «!0!» vaut mieux que «!-1!». Si le joueur II opte au contraire pour la délation, le joueur I ne change pas d’option, car «!-2!» vaut mieux que «!3!». Puisque les deux joueurs raisonnent de la même façon, le résultat auquel ils aboutissent est la délation réciproque. Ils purgeront donc tous deux une peine de deux ans (case sud-est).
La glissade vers la «!ruine collective!» (case sud-est du rectangle) a de quoi chagriner les joueurs. En effet, en adoptant la consigne du silence dans la certitude que l’autre en ferait autant, chacun améliorerait son sort. La structure du jeu interdit cependant cette solution. Celui qui ferait le premier pas en ce sens se verrait exploité par l’autre. La solution à laquelle les joueurs aboutissent ne plaît ni à l’un, ni à l’autre. La conduite rationnelle des individus mène paradoxalement à la ruine collective.
Comment les joueurs pris dans un dilemme du prisonnier peuvent-ils parvenir à réaliser la solution de la case nord-ouest dans le Diagramme 2-5, que nous appellerons désormais solution coopérative? Une première possibilité est de permettre aux prisonniers de se concerter. Dans des jeux organisés en laboratoire, la communication entre joueurs semble effectivement augmenter l’incidence du comportement coopératif!43.
Le comportement coopératif peut également résulter d’un contrat auquel les parties s’engagent et que chacun peut faire respecter. Les dommages-intérêts ou autres pénalités payables par celui qui ne respecte pas le contrat — qui choisit, en d’autres mots, la stratégie non coopérative D!— ont pour effet de diminuer et même d’annuler les gains réalisables par cette «!tromperie!». Le Diagramme 2-6 montre ce que devient le jeu lorsque le joueur non coopératif est tenu de réparer le dommage, c’est-àdire de placer l’autre dans la position que celui-ci aurait occupée, si les engagements réciproques avaient été honorés.
43 Voir les expériences rapportées par Ullmann-Margalit 1977, 47; aussi Brams 1975, 38.
Le comportement coopératif dans des situations de dilemme de prisonnier est donc possible si l’on peut sanctionner. Cela présuppose des institutions pour rendre les sanctions crédibles. Faut-il en conclure que cela requiert la puissance publique, en d’autres mots que le contrat n’est viable qu’en présence d’un État? La conclusion est prématurée.
On observe en pratique des comportements coopératifs, sans même qu’il y ait communication entre les joueurs ou un État pour sanctionner les engagements non respectés, du fait que les joueurs se font mutuellement confiance!45, qu’ils sont liés par un lien d’amitié ou de parenté ou encore qu’ils font preuve de solidarité!l’un à l’égard de l’autre, qu’ils obéissent à un code d’honneur!commun. Tous ces phénomènes traduisent des liens dépassant la rencontre unique dont nous avons traité jusqu’ici. Ils s’insèrent dans des rapports de longue haleine.
Comment représenter cette idée de la «!longue haleine!», qui semble
44 On vérifiera que cette conclusion vaut également lorsque les parties sont placées dans la situation qui aurait prévalu sans contrat (restitutio in integrum). Toutes les cellules, sauf celle du nord-ouest, prennent alors les valeurs «!-2,-2!».
45 Gambetta 1988.
Axelrod a imaginé la démarche originale d’inviter un grand nombre de chercheurs à lui soumettre des programmes informatiques incorporant ce qui leur semblait être la meilleure stratégie. Chacun des programmes devait être opposé, au cours d’un tournoi sur ordinateur, à chaque autre pendant un grand nombre de jeux. Le nombre n’avait, bien évidemment, pas été fixé d’avance. Les résultats de ce tournoi furent diffusés avec l’invitation aux lecteurs de soumettre des programmes pour un nouveau tournoi, qu’on espérait encore plus «!sophistiqué!» que le premier.
En marge des résultats du tournoi, Axelrod décrit les propriétés pertinentes des stratégies et soumet plusieurs propositions théoriques intéressantes. En outre, il explore les conséquences de ce que les joueurs changent de stratégie (se convertissent) lorsqu’ils rencontrent une stratégie plus performante. À cette fin, il organise une simulation sur ordinateur qui part d’une grande variété de stratégies, aléatoirement réparties, et qui lui permet de repérer celles qui, sur le long terme, viennent à dominer grâce à ce processus de conversion ou d’imitation.
Existe-t-il, pour le dilemme du prisonnier répété un nombre indéterminé de fois, une stratégie optimale? Parmi les résultats significatifs dans l’étude
46 Axelrod 1984.
47 Ibid., 6.
48 Une suite indéfinie de jeux est connue dans la théorie des jeux comme un supergame.
d’Axelrod, il faut retenir la démonstration que, lorsque les joueurs attachent un intérêt suffisant aux jeux futurs, il n’y a pas de stratégie optimale indépendante de celle de l’adversaire. Le jeu est dans son essence stratégique. Devant ce résultat théorique, Axelrod s’est demandé si la confrontation des stratégies permettrait néanmoins d’arriver à des conclusions intéressantes. C’est à cela que devaient servir les tournois.
Il est intéressant d’analyser les raisons de ce succès. À l’examen, Axelrod distingue quatre traits communs aux programmes ayant dominé le classement général. La première propriété du Tac–au–Tac est sa «!gentillesse!»!51!: il commence par coopérer et n’essaie pas le premier à exploiter l’adversaire. Pourtant, il ne se laisse pas exploiter indûment. Il est éveillé!52, provoqué par le premier signe de tromperie. Le joueur Tac–au–Tac «!rend alors la pareille!»; sa stratégie est, selon l’expression d’Axelrod, retaliatory, vengeresse. Mais sa vengeance est circonscrite!: dès que l’adversaire fait amende honorable en choisissant C, Tac–au–Tac revient, lui aussi, à la coopération; il pardonne aisément!53.
Ces quatre caractéristiques — la gentillesse, la «!provocabilité!», la revanche et le pardon — sont les piliers d’une stratégie du talion, de l’oeilpour-l’oeil. La stratégie mène à une parfaite réciprocité dans les rapports.
49 En anglais, Tit-for-Tat.
50 Terme employé dans Delahaye, Jean-Paul et Philippe Mathieu, « Des surprises dans le monde de la coopération », (1999) juillet Pour la science 58-66.
51 En anglais, niceness.
52 Delahaye/Mathieu 1993, 105 emploient le terme «!réactif!».
53 Delahaye/Mathieu 1993, 105 emploient le terme «!indulgent!».
La stratégie Tac–au–Tac ne domine aucune stratégie de l’adversaire. Son succès tient non pas à l’exploitation de l’autre, mais à ce que, même faisant face à des stratégies très diverses, elle parvient à établir et à maintenir la solution coopérative. Cette stratégie mène à des résultats aussi bons lorsqu’elle joue contre elle-même que lorsqu’elle se mesure à une stratégie purement coopérative. Axelrod observe que la plupart des programmes participant au tournoi furent trop agressifs pour leur propre bien!54.
Cette discrimination suppose trois facultés importantes!: celle de reconnaître l’adversaire contre qui on a déjà joué, celle de se rappeler la stratégie adoptée par celui-ci la dernière fois et, en troisième lieu, celle de donner une réplique adaptée. Plus ces facultés sont développées, plus le Tac–au–Tac s’avère performant, ou encore, plus il est probable que la solution coopérative sera atteinte. Chaque être humain est dans une certaine mesure doué de cette faculté de reconnaissance; la faculté varie beaucoup chez les espèces animales.
54 Tac–au–Tac, tout en exprimant une morale de la réciprocité, souffre néanmoins de sa sévérité parfaite. Supposons, en effet, que Tac–au–Tac fait face à une stratégie S qui consiste à le provoquer («!tester sa vigilance!») et à jouer la réciprocité dans le cas où l’adversaire réagit immédiatement. Dans cette hypothèse, les joueurs commencent par «!C!». Au bout d’un certain temps, S provoque Tac–au–Tac, en jouant «!D!». Au prochain tour, S revient à «!C!», alors que Tac–au–Tac joue «!D!». Au tour suivant, S se venge en jouant «!D!», au moment précis où Tac–au–Tac revient à «!C!». On se trouve alors dans une véritable vendetta sans fin. Les actes de vengeance se font écho. Sugden a démontré qu’une variante du Tac-au-Tac permet d’éviter le problème de l’écho (Sugden 1986, 112 s.). Poundstone 1992, 244-246, préconise des stratégies comme «!Almost Tit-for-Tat!» ou «!90 percent Tit-for-Tat!». Considérant cet effet d’«!écho!», on s’explique l’observation de Michel Villey, (Villey 1984, t. II, 166), selon laquelle «![l]a justice a mission de mettre fin au régime de la vengeance privée!».
Que, dans les tournois, les stratégies gentilles, coopératives l’emportent sur les autres, soit. Mais cela ne suffit pas à démontrer qu’elles se sont imposées historiquement. Pour étudier cette question, Axelrod a conçu une expérience ingénieuse!56. Imaginons un tournoi comportant un nombre indéterminé de tours, auquel participent des joueurs adoptant, au départ, des stratégies différentes. Les scores qu’obtiennent ces joueurs pendant un tour donné permettent de calculer un score moyen pour chaque stratégie représentée dans le tournoi. Dans le tour suivant, le nombre de joueurs adoptant chaque stratégie est déterminé de nouveau en proportion du score calculé pour cette stratégie!: pour les stratégies performantes, on voit ainsi augmenter le nombre de joueurs qui les adoptent; pour les stratégies faibles, au contraire, le nombre diminuera. Ces stratégies pourraient même tendre à disparaître. Cette expérience traduit l’apprentissage ou l’imitation des stratégies performantes dans la société humaine. On peut ainsi simuler des générations entières de populations et observer l’évolution des stratégies dans ce milieu.
Les résultats de cette simulation démontrent, comme il fallait s’y attendre, une lutte où les meilleures stratégies déplacent les moins bonnes. Au bout d’un certain nombre de générations, on observe l’extinction des moins bonnes stratégies. Ce qui est remarquable, c’est que certaines stratégies plutôt performantes au départ disparaissent également. C’est que leur succès est basé sur l’exploitation de stratégies faibles, dont la disparition entraîne la leur par voie de ricochet. Briller parmi les peu brillants est ruineux à long terme, de conclure Axelrod!57. Dans cette simulation, c’est encore Tac–au–Tac qui finit premier.
56 Voir Axelrod 1984, 48 s.
57 Id., 52.
58 Id., 364 s.
Le joueur dont le score est inférieur à celui d’un ou de plusieurs voisins adopte, en vue du prochain tour, la stratégie du voisin le plus
«!performant!» (il «!se convertit!»). Dans le cas contraire, il maintient sa stratégie.
La simulation se poursuit jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de nouvelle conversion au cours d’une génération. Qu’observe-t-on? Que l’évolution s’arrête après l’élimination de toutes!les stratégies non gentilles (c’est-àdire celles qui prévoient quelquefois l’adoption du comportement «!D!» sans provocation). À ce point, toutes les stratégies visent la coopération, procurant aux joueurs un gain maximal. La carte finale des stratégies démontre alors un ensemble de groupements homogènes de joueurs, chaque groupement adoptant une stratégie différente, mais «!gentille!»!59.
Ces simulations illustrent, de façon suggestive, une évolution possible vers la coopération. Mais, à supposer qu’une population entière se convertisse à une stratégie comme Tac–au–Tac, cette situation est-elle stable? Vaut-il alors la peine pour un joueur d’introduire une «!mutation!», d’adopter une stratégie non gentille? Axelrod étudie cette question surtout de façon théorique. Si la nouvelle stratégie est plus performante que celle que la population a adoptée, un joueur qui l’adopte fait des «!convertis!». On dit alors que la nouvelle stratégie envahit («!invades!»)!60 l’ancienne. Une stratégie non susceptible d’invasion est stable!61. Existe-t-il de telles stratégies? Quelles sont leurs propriétés!62?
59 Id., 165. On dirait presque comme une carte linguistique.
60 Id., 56.
61 Axelrod emploie le terme collectivement stable.
62 Nous ne reproduisons pas ici les démonstrations d’Axelrod. Le lecteur intéressé se reportera aux pages 61 à 67 de son texte.
«!toujours D!»!63. Ce résultat confirme la conclusion tirée pour le cas du jeu unique.
Fort heureusement, ce n’est pas le dernier mot. La stratégie «!toujours D!» n’est pas susceptible d’invasion par des joueurs individuels. Elle peut cependant, à certaines conditions, être envahie par des groupes (des clusters) de joueurs adoptant une stratégie différente. Cette stratégie doit, par la force des choses, être gentille. Les envahisseurs ne peuvent, en effet, surclasser «!toujours D!» que dans la mesure où ils réussissent à obtenir entre eux les gains provenant de la coopération à long terme et que ces gains dépassent le profit de l’exploitation que peuvent réaliser les joueurs «!toujours D!» à leurs dépens.
Axelrod démontre que, d’une manière générale, la stratégie «!toujours D!» peut être envahie par un groupe de joueurs adoptant une stratégie gentille, et cela d’autant plus facilement que les envahisseurs jouent fréquemment entre eux. La coopération peut donc s’imposer graduellement dans un monde de méfiance par l’action de groupes adoptant des stratégies coopératives.
Mais à supposer qu’une stratégie satisfasse à ces conditions, peut–elle néanmoins être envahie par des groupes? Les travaux d’Axelrod mènent ici à une asymétrie entre les stratégies «!gentilles!» et les autres, comme «!toujours D!»!: si une stratégie «!gentille!» ne peut être envahie par un individu seul, elle ne peut l’être davantage par un groupe d’individus. Ce
63 Cette conclusion aurait été de nature à réconforter Hobbes craignant la guerre de tous contre tous.
résultat est intuitivement évident. Le succès d’une stratégie comme «!toujours D!» vient de ce que le poids de l’avenir est faible et que le gain d’une exploitation de l’autre joueur est très important par rapport aux autres paramètres. Le principal gain de cette stratégie réside dans l’exploitation à court terme, furtive («!le pillage!»). Ces actes ne peuvent pas, avec profit, être entrepris collectivement. L’envahisseur préférera donc des interactions avec la population envahie à celles qu’il pourrait avoir avec ses compagnons.
L’évolution sociale s’analyse, dans les travaux d’Axelrod, selon deux mouvements asymétriques. À partir d’une répartition initiale aléatoire de stratégies, un mouvement vers des attitudes coopératives peut se dessiner lorsque les avantages de la coopération de longue durée apparaissent. Cela peut se produire à mesure que les avances de la connaissance et la maîtrise de la nature mettent au jour les avantages de la spécialisation et de l’échange. Ces conditions se présentent dès que les êtres humains pratiquent l’agriculture et produisent des biens durables.
En sens inverse, qu’est-ce qui peut déclencher le recours à des stratégies non coopératives? Ce sont des facteurs qui réduisent la valeur de l’avenir (gains de la coopération répétée) ou qui modifient le rapport entre les gains résultant des différentes stratégies de manière à augmenter les gains de l’exploitation et ceux de la «!ruine collective!» par rapport aux gains de la coopération. De tels changements peuvent se produire lorsque, par exemple, un des joueurs vieillit considérablement ou voit sa santé péricliter!64; lorsqu’une invention fait voir des rapports plus lucratifs que ceux qui existent ou modifie un équilibre militaire; lorsqu’un conflit local risque de s’étendre chez les voisins et que ceux-ci, craignant des perturbations, évaluent à la baisse le poids de l’avenir et en tirent les
64 On dit que les pires ennemis d’un politicien périclitant sont ses compagnons de route d’antan!:
chacun essaie de se sauver.
conclusions qui s’imposent; lorsqu’un groupe millénariste croit la fin du monde prochaine et se comporte de manière très destructrice en conséquence.
Les réflexions de Hirshleifer amènent à s’interroger sur l’attrait de la violence dans les interactions. La question est liée à l’émergence du pouvoir et des États, que nous aborderons dans un chapitre ultérieur.
Les études portant sur le dilemme du prisonnier répété montrent l’émergence de règles de conduite permettant aux êtres humains de coopérer, alors que la tricherie paraît à court terme tentante. Elles montrent comment les individus en interaction peuvent découvrir les règles les plus intéressantes du point de vue de la coopération et dans quelles
65 Hirshleifer 1987, 287.
circonstances ils les respecteront sans même qu’une autorité les y contraigne. En cela, elles contribuent à éclaircir la dynamique d’ordres spontanés.
La coopération est viable si chacun respecte la parole donnée et fournit les services ou les biens qui constituent sa contribution. Cet ordre est stable si le non-respect est sanctionné immédiatement et de manière à effacer le profit de la tricherie, mais sans plus.
La vision optimiste sousjacente est mise en doute dans une étude récente66. Cette étude, employant la méthode des tournois qu’avait adoptée Axelrod, confirme les résultats de ce dernier pour la plupart des cas. Toutefois, elle montre aussi que les stratégies non coopératives peuvent survivre et même prospérer dans des situations caractérisées par l’emploi de stratégies multiples et complexes. Il pourrait alors se produire des oscillations dans les stratégies dominantes et même du «!chaos!». Des recherches futures doivent nous renseigner sur la portée de ces résultats. Ils fournissent, en tout cas, une assise à l’observation banale de tendances au conflit aussi bien qu’à la coopération dans notre monde.
Le droit peut ainsi éviter un cycle infini de vengeance, ce qui, selon Michel Villey, est l’une de ses missions!67. De cette façon, le droit accélère la formation de l’ordre et simplifie son maintien. Ce rôle est intéressant dans la mesure où les individus interprètent les règles de façon erronée ou se laissent malgré tout tenter par les gains qu’offre à court terme la tricherie!68.
Le contenu juridique nécessaire pour ce rôle correspond à un droit naturel minimal du contrat!: répression de la fraude et de la violence;
66 Delahaye/Mathieu 1999.
67 Villey 1984, 166; aussi Girard 1972.
68 Sugden 1986, 148.
possibilité de mettre de côté des mésententes, des consentements non éclairés ou des ententes dont l’essence n’est pas articulée; sanction de l’engagement rompu par l’exécution forcée ou par des dommages-intérêts qui compensent le dommage subi mais sans plus.
Les circonstances qui permettent de découvrir les avantages de la coopération et les stratégies qui y donnent lieu sont très générales. Elles devraient se trouver réunies dans de nombreuses cultures, dans des états très différents d’avancement technique. On devrait donc s’attendre à retrouver les principes juridiques soutenant l’ordre coopératif dans des contextes très divers, et même dans des contextes où l’appareil d’État n’est pas ou est peu développé. Cette thèse se prête à vérification par la recherche historique et anthropologique.
3.!L’action collective
Nous avons étudié le dilemme de prisonnier mettant aux prises deux joueurs. Ces joueurs peuvent représenter des groupes composés de nombreuses personnes (des armées, des États, des entreprises en concurrence), mais il y a, dans ces cas, un seul «!décideur!» pour chaque groupe. La vie courante offre cependant beaucoup d’exemples de jeux avec de nombreux décideurs.
69 Olson 1965, 2. Il faut noter, comme l’a fait remarquer Taylor (1987, 18, 31), que tous les problèmes d’action collective ne se traduisent pas forcément par des jeux de dilemme de prisonnier. Mais cela représente l’hypothèse la moins favorable et donc la plus intéressante à examiner.
Le problème de l’action collective se pose notamment pour un type de biens que les économistes appellent les biens collectifs ou biens publics. On oppose les biens collectifs aux biens privés!70. Pour les biens privés, la consommation de l’un empêche celle d’autrui. La consommation de ce type de biens présuppose qu’ils soient répartis entre les différents consommateurs. Chacun ne jouit que du bien dont il a la possession. À l’opposé, il existe des biens qui, sans être divisés, peuvent être consommés également par tous les intéressés!: les biens collectifs. On cite traditionnellement la défense nationale, l’ordre public ainsi que la justice comme exemples.
L’analyse a fait découvrir deux caractéristiques essentielles des biens collectifs. D’abord, il est difficile, une fois le bien disponible, d’exclure un individu de sa consommation; ensuite, il est difficile de diviser le bien (en vue d’en attribuer des parties aux intéressés). La non-exclusivité et l’indivisibilité peuvent être présentes à des degrés variables. Elles impliquent, pour des raisons qui deviendront apparentes dans la suite, que la production et l’exploitation privées des biens collectifs paraissent peu intéressantes, ce qui, aux yeux de certains, justifie leur prise en charge par l’État. Le transport, les communications et les services d’utilité publique présentent d’habitude les deux caractéristiques dans une certaine mesure!71.
70 L’explication qui suit est due à Taylor 1987, 6 et 186, qui se rapporte aux écrits de Paul A. Samuelson. (Samuelson 1988/1954).
71 Cowena 1988, 4.
72 Hobbes 1651, 185-86 (Pt. I, chap. 13) et 189 (chap. 14). Taylor 1987, chap. 6, dans une analyse pointilleuse, démontre que Hobbes percevait l’état de la nature - l’absence de l’État - comme un jeu de dilemme de prisonniers non répété. Hobbes n’a pas envisagé la possibilité du jeu répété (supergame) où la coopération peut intervenir sans la présence d’une autorité sanctionnant les obligations des uns et des autres. Sugden 1986, 141-144 fait une analyse semblable.
de surmonter le problème de l’action collective en matière de paix et de sécurité!73.
La vie courante offre moult exemples du dilemme du prisonnier à de nombreux joueurs. On peut penser aux phénomènes de l’évasion fiscale et du vol à l’étalage!: les citoyens et les clients honnêtes «!paient!», sous forme d’impôts et de prix plus élevés, pour ceux qui ne le sont pas. Dans un oligopole, aucun des participants n’a intérêt à couper ouvertement ses prix, ce qui déclencherait une guerre de prix que tous désirent éviter, mais chacun souhaiterait néanmoins le faire secrètement, ce qui lui permettrait de s’attirer la clientèle de ses concurrents. Les gains et l’instabilité des oligopoles sont bien illustrés par l’histoire de l’OPEP au cours des 20 dernières années.
Parfit évoque plusieurs autres situations présentant cette structure!:
Les banlieusards!: Chacun arrive plus vite au travail en prenant l’auto, mais si tous font cela, chacun y arrive moins vite que si tous empruntent les transports publics.
Les soldats!: Chacun améliore ses chances de survie s’il se retourne et fuit, mais si tous font cela, plus de soldats seront tués que si aucun ne le fait.
Les paysans!: Chacun souhaite avoir plus d’enfants, mais, lorsque la terre est surpeuplée, il est désastreux si tous réagissent ainsi!74.
Les jeux de dilemme du prisonnier avec de nombreux joueurs présentent trois différences essentielles avec ceux que nous venons d’analyser!75. D’abord, si la plupart des joueurs coopèrent, la tromperie reste toujours aussi avantageuse pour le joueur qui la commet, mais le mal
73 Taylor 1987 1-2. À la p. 163, Taylor insiste que la présence même de l’État peut exacerber les conditions invoquées pour justifier son existence et rendre la paix moins attrayante!: les gens préfèrent agir volontairement que sous la contrainte d’autres, y compris l’État.
74 Parfit 1986, 60-61 (traduction). Le dernier exemple est emprunté à Hardin 1962 et Hardin et Baden 1977. Danielson 1992, 6 présente le premier dilemme à la fois du point de vue de la congestion (my commuting dilemma) et du point de vue de l’environnement (the greenhouse dilemma).
75 Voir Ullmann-Margalit 1977, p, 25 s.; Axelrod 1984, 221, n. 3; Sugden 1986, 122-144; Taylor 1987, chap. 4 et notamment 104 s., Taylor 1989.
qui en résulte pour les autres (l’exploitation), étant diffus, est moins ressenti par chacun individuellement, car il se répartit sur un grand nombre de joueurs. En deuxième lieu, alors que, dans les cas examinés jusqu’ici, le joueur n’a qu’un seul autre joueur à surveiller, dans les jeux avec de nombreux joueurs la tâche de surveillance s’alourdit en proportion du nombre. Dans les faits, cela confère aux comportements des joueurs un certain anonymat et facilite la tromperie. Enfin, si les gains de chaque joueur proviennent des jeux avec tous les autres, les sanctions ne peuvent être efficaces que dans la mesure où elles sont imposées par tous, ou du moins par la plupart des autres. Or, la concertation entre autant de joueurs s’avère souvent difficile.
Une deuxième conclusion des recherches de Taylor doit retenir l’attention. Même si certains optent pour le comportement systématiquement non coopératif (toujours D), la coopération peut demeurer l’option rationnelle pour les autres!77. En d’autres mots, la tricherie de certains ne signifie pas forcément l’effondrement de la coopération.
L’étude des jeux de coopération entre de nombreux joueurs est en plein essor. Si la théorie démontre la possibilité d’une coopération, elle illustre
76 Taylor 1987, 104.
77 Taylor 1987, 104; 1989, 229; de Jasay 1989.
aussi la difficulté de réaliser celle-ci dans des sociétés ouvertes composées de nombreux individus. On peut s’attendre à ce que, dans des communautés plus étendues, les sanctions inhérentes du jeu soient jugées insuffisantes et renforcées par des sanctions externes, centralisées ou non, dont il s’agira d’étudier la nature!78. La théorie convie ainsi le chercheur à se tourner vers des études historiques montrant comment s’est opérée la résolution des problèmes d’action collective dans les faits!79.
Les conditions changèrent rapidement lorsque la nouvelle de la découverte de l’or s’est répandue dans le reste des États-Unis et attira en Californie des hordes d’aventuriers. Les territoires contenant de l’or étant limités, les risques de violence au sujet de leur exploitation accrûrent. Initialement, les nouveaux venus — s’ils ne s’établirent pas sur des territoires jusque-là inexplorés, ce que le manque d’expérience interdisait à la plupart ¿ furent absorbés dans les groupes existants. Mais cet arrangement s’avéra instable. Car s’il est possible de se surveiller mutuellement dans un groupe de cinq à dix personnes, le problème devient
78 Taylor 1987, 105.
79 Taylor 1987, xii; Ostrom 1990, 1994.
80 Cette période a été étudiée dans l’optique qui nous intéresse par Umbeck 1977, 1981a, 1981b.
quasi insoluble lorsque le groupe réunit de 50 à 100 prospecteurs. Dans ces conditions, une personne reçoit une partie égale du produit collectif, sans qu’il soit effectivement possible de vérifier si elle a contribué à sa production (plutôt que de passer son temps à jouer aux cartes). Certains choisiront donc de se divertir. Dans les faits, c’est ce qui s’est produit et il s’en est suivi un ralentissement de l’exploration, l’éclatement de querelles et de bagarres et, au bout d’un certain temps, la dissolution des équipes agrandies.
Le problème provient de ce que, la surveillance étant pratiquement impossible, le lien entre l’effort et la rémunération est rompu. Chacun est alors tenté de resquiller (free ride), c’est-à-dire de vivre du travail de ses partenaires. Pour employer le langage du dilemme du prisonnier, il joue «!D!», tout en profitant du fait que les autres jouent «!C!»!81. Bien entendu, cette logique s’impose à tous également. On risque donc de voir augmenter le nombre de tricheurs, ce qui se traduit ultérieurement par l’éclatement du groupe.
Que fait-on devant ces difficultés, désignées comme des «!coûts de transaction!» dans l’analyse économique du droit? En ce qui touche le problème du resquillage, les membres de l’équipe essaieront sans doute,
81 Le joueur d’équipe a l’ordre de préférence suivant!: son premier choix est de chômer lui-même, tout en profitant du travail des autres; deuxième choix, travailler comme tous les autres; troisième choix, dissolution de la société à la suite de la «!défection!» de tous; la pire option est celle où lui-même travaille «!pour d’autres!», qui chôment. Laquelle de ces options se réalise dépend des techniques de surveillance disponibles. Sugden 1986 consacre le chapitre 7 en entier au problème des free riders.
dans un premier temps, de faire appel à la solidarité de tous. Cette solution risque de n’être efficace qu’en partie. Ils peuvent encore tenter de se discipliner les uns les autres. Cette solution donne sans doute lieu à des chicanes (comment établir sans équivoque que tel individu triche?) et n’est pas propice au travail.
A.!LE DIRIGEANT
Une réponse plus prometteuse aux problèmes des resquilleurs et des bastions est de déléguer à une seule personne — le dirigeant — la tâche de surveiller les autres et de prendre les décisions essentielles sur lesquelles on n’arrive pas à s’entendre en groupe!82. Cette solution peut intervenir à l’initiative de la personne assurant la surveillance — elle peut «!aimer le pouvoir!» et même le conquérir — ou être adoptée de l’accord des membres du groupe.
Si la création de structures hiérarchiques permet de réduire l’incidence des deux problèmes du travail en groupe, soit le resquillage et la prise de décision à l’unanimité, elle soulève une nouvelle difficulté!: Quis custodet ipsos custodes? Comment assurer que les dirigeants, que personne n’a pour mission de surveiller, s’occupent bien de la tâche qui leur est assignée et n’abusent pas de leur pouvoir?
Il y a, dans le domaine privé, une institution qui a précisément pour but de créer l’incitation convenable pour le dirigeant!: c’est de faire dépendre sa rémunération des résultats du travail du groupe. Plus précisément, si l’opération commune réalise des profits, le dirigeant aura droit au produit du travail après paiement de tous les frais, dont les salaires des autres
82 Alchian/Demsetz 1972 donnent le problème de la surveillance comme la raison d’être de l’entreprise.
83 Simon, dans une étude remarquable a démontré que l’organisation hiérarchique est essentielle à l’évolution de tout système complexe. Simon 1981, 192 s.
membres du groupe. Si l’opération se solde par un échec, il en répond de sa personne et ses deniers personnels. Il devient, pour employer le terme des économistes, le «!créancier résiduel!» (residual claimant)!84.
Les difficultés viennent de ce que le principal – propriétaire, client ou commettant – ne peut pas faire coïncider complètement ses propres intérêts et ceux de son interlocuteur. D’abord, il est souvent impossible de préciser à l’avance et de façon exhaustive les objectifs de la mission confiée à l’agent. Ensuite le principal ne peut complètement surveiller l’action de l’agent, car ce dernier contrôle souvent l’information dont le principal aurait besoin pour le surveiller.
Il en résulte que l’agent peut adopter des comportements qui lui sont personnellement profitables, mais qui sont nuisibles au propriétaire, client ou commettant!: travailler moins fort que convenu; se servir de l’équipement de bureau ou d’informations professionnelles à des fins personnelles; fournir des informations incomplètes ou biaisées; cacher les erreurs. Il s’agit de comportements stratégiques ou opportunistes, dont nous avons déjà rencontré un exemple sous la forme du risque moral, en matière d’assurance.
84 Lepage 1985, 121-126, fait un excellent résumé de la littérature sur la question.
85 Barzel 1989, 11. Voir aussi Eggertson 1990, 40-45; Coleman 1990, 146-157; Jensen et Meckling 1976; Fama 1980; Gomez 1996, 104 s.; les articles sur «!agency cost!» dans Newman 1998, t. 1.
B.! PROPRIETE, EXCLUSIVITE ET EXTERNALITES
Revenons à l’histoire de la ruée vers l’or, au moment où l’arrivée massive de nouveaux aventuriers entraîna l’éclatement des groupes. Quelle solution fut en fait adoptée? Celle de la propriété privée. Les mineurs se mirent d’accord pour s’attribuer des lots individuels que les autres s’accordaient à respecter. L’attribution initiale fut effectuée de manière à assurer à chacun les chances à un revenu égal!: les lots étaient d’autant plus petits que leur teneur en or s’était avérée élevée!86.
Le changement d’institution avait pour effet de résoudre les problèmes de la prise de décision et de l’incitation au travail. Désormais chacun décidait pour lui-même comment l’exploration serait entreprise et faisait face aux conséquences de ses propres décisions. La propriété privée responsabilise le propriétaire. L’assurance que comportait implicitement le travail en groupe disparaissait, mais elle était devenue moins nécessaire à mesure que l’incertitude sur la teneur aurifère des terres s’amenuisait et que la croissance de la population s’accompagnait de la provision de services minimaux permettant de mieux parer aux aléas de la vie.
En évoluant de la propriété commune à exploitation réglementée vers la propriété privée, on met fin aux «!coûts de transaction!» que représentent les resquilleurs et les bastions. Mais la propriété privée a ses propres «!coûts de transaction!»!: il faut en effet faire respecter la propriété des lots ainsi que des revenus qu’ils procurent. C’est le problème d’assurer
86 On notera que, à la différence de la situation envisagée pour le jeu du poulet, les terres aurifères sont parfaitement divisibles et on peut donc envisager de les partager entre membres du groupe.
l’exclusivité.
Les failles de l’exclusivité permettent à des tiers de profiter de la propriété sans faire l’effort nécessaire pour la faire fructifier!: une autre forme de resquillage. Toutefois, le propriétaire peut s’accommoder de ces pertes s’il en coûterait plus de les éliminer et si la propriété lui procure par ailleurs des avantages suffisants. Pour le dire autrement, l’intérêt de la propriété privée correspond aux avantages que le titulaire compte en retirer, déduction faite des frais de l’exclusivité qu’il doit engager ainsi que des pertes occasionnées par les failles de celle-ci!88. Pour déterminer si la propriété privée présente un avantage par rapport à la propriété commune, c’est cet intérêt qu’il faut comparer à celui de la propriété commune, compte tenu des coûts de transaction propres à celle-ci.
La formule vaut très généralement. Une structure de propriété privée au sens large (property right) existe dès lors qu’une certaine mesure d’exclusivité peut être assurée sur un bien, un service, une structure d’information. Cela vaut pour des institutions qui ne portent pas le nom de propriété, comme le secret de commerce, ou des situations qui pourraient former l’amorce d’un droit de propriété privée éventuel, comme on en trouve dans le domaine de la propriété intellectuelle et sur l’Internet.
Il existe des ressources pour lesquelles on n’a pas découvert jusqu’à présent de techniques permettant d’assurer une exclusivité suffisante pour rendre la propriété privée viable. Si ces ressources concernent un groupe suffisamment réduit de personnes, il est possible d’envisager de l’exploiter en tant que propriété commune grâce à un accord entre les intéressés au
87 De Jasay 1997; Mackaay 1997.
88 On notera l’analogie avec les problèmes discutés plus haut en matière de contrôle des actions de l’agent.
Il y a cependant des situations où de tels arrangements ne sont pas viables, le nombre d’intéressés étant trop important. Dans ce cas, il y a une ressource à accès libre!92. Cette situation invite chacun à exploiter la ressource, sans que personne n’ait d’intérêt à s’occuper de sa création ou de son maintien!: la surconsommation et le sous-investissement s’entretiennent mutuellement, constituant ensemble ce que Hardin a appelé la tragedy of the commons (tragédie de la vaine pâture)!93. Nous vivons actuellement de telles situations en matière de surpêche dans les océans. Les stocks de morue sur la côte est du Canada ne se renouvellent pas assez rapidement par rapport aux captures pour assurer la survie de cette espèce.
L’exclusivité fondant la propriété a pour effet d’attribuer un usage précis d’une ressource à une personne déterminée, le propriétaire. Cette opération est essentielle lorsque deux personnes envisagent de faire des usages concurrents de la même ressource. La concurrence d’usages signale la rareté et la propriété constitue donc une réponse à l’apparition de la rareté. On peut renverser la perspective!: les bornes de la propriété ou les règles d’exclusivité n’ont pas besoin d’être précisées au-delà des usages concurrents connus. À la frontière de la propriété, il y a des usages non encore découverts et donc non réglementés!94. La propriété est fermée vers
89 Ostrom 1990; voir aussi Black 1984; Eggertson 1990, Ellickson 1991, 1993.
90 Taylor 1987, 26.
91 Taylor 1987, 26, citant Glantz 1977.
93 Hardin 1968.
94 Barzel 1989, 64.
le passé, ouverte vers l’avenir.
Les inventions, les utilisations nouvelles, les avances technologiques peuvent faire découvrir un usage concurrent pour un bien qui jusque là n’en avait qu’un seul. Celui qui entreprend un nouvel usage peut interférer avec l’usage que d’autres font de leur propriété. On dit alors que le premier crée un effet externe ou une externalité à l’égard des usages établis. Celui qui pollue un fleuve interfère avec les avantages que d’autres en retirent en s’y baignant. Le phénomène n’est pas sans rappeler le resquillage!: le pollueur s’accapare sans contrepartie des avantages des baigneurs en les rendant impossibles!95. Le conflit d’usage fait découvrir que les limites de la propriété du pollueur et celles de la propriété (éventuellement commune) des baigneurs doivent être précisées.
Quelle que soit la règle adoptée, l’usage contesté (le droit de polluer, c’est-à-dire l’obligation faite à autrui de tolérer la pollution, ou le droit d’en être exempt) fera désormais partie de l’une ou de l’autre propriété. Il peut, à ce titre, poser un problème d’exclusivité s’il est difficile de faire respecter cette attribution. Ce qu’il importe de retenir, c’est que les externalités sont des problèmes d’exclusivité insuffisante, donc de délimitation (et de surveillance) de la propriété.
De façon analogue, Coase relève comment les économistes utilisaient
95 La situation est, bien entendu, symétrique, comme l’a fait remarquer Coase 1960. La présence des baigneurs interfère avec les plans du pollueur.
96 Pigou 1932.
97 Cheung 1973.
les phares côtiers comme exemple d’une externalité — ou d’un bien public, que l’on peut considérer comme une externalité positive généralisée — devant être prise en charge par le gouvernement!98. De nouveau, une étude empirique montre comment ce bien en apparence public a longtemps été produit par l’initiative privée à vocation publique et financé à même les péages perçus auprès des navires passant par les ports voisins.
Lorsque la réalisation de l’exclusivité pose des problèmes techniques aigus, on risque de faire face à une externalité généralisée, comme la pollution des mers ou l’amincissement de la couche de l’ozone. On voit bien l’analogie de ce problème avec celui de la ressource à accès ouvert étudié plus haut.
C.! COMMUNAUTES ET CLUBS
Nous avons vu deux façons de résoudre le problème d’action collective,
98 Coase 1974.
99 Locke 1690 § 27 in fine (no 222, 460). (éd. française 1984, 195).
100 Schmidtz 1991, 31.
à savoir la création d’une autorité — ce dont l’État constitue une forme particulière — et l’attribution des ressources en propriété exclusive. Il existe au moins une autre voie de solution, celle de la communauté. Nous l’avons déjà rencontrée dans la description de la vie des prospecteurs au début de la ruée vers l’or. D’autres types de communautés existent!: les quartiers, les cités médiévales!101, les nations!102, les groupes ethniques!103, les guildes!104. Ostrom relève le rôle de la commuinauté dans la plupart des cas qu’elle étudie!105.
Ce qui retient notre attention ici est que plusieurs de ces communautés réussissent à produire des biens collectifs et donc de trouver une solution adéquate au problème de l’action collective — la sécurité, l’assurance mutuelle, la confiance nécessaire pour un réseau de crédit — sans avoir recours à l’une ou l’autre des solutions relatives au problème de l’action collective106. Sous certaines conditions, les communautés comportent ellesmêmes des solutions au problème d’action collective. Quelles peuvent être ces conditions?
101 Bouckaert 1997, 218 s.
102 Taylor 1981, 26.
103 Pour les Chinois!: Landa 1981, 1987, Cooter et Landa 1984.
104 Black 1984.
105 Ostrom 1990
106 Sur la façon d’assurer l’ordre social et la défense contre l’ennemi extérieur dans les villes flamandes du Moyen-Âge, voir Bouckaert 1997, 225-230.
107 Sugden 1986, 139.
108 Buchanan 1965.
quantité donnée du bien collectif sera d’autant plus réduite que le revenu des membres sera élevée!109.
On relève avec intérêt que, avant l’introduction des assurances étatiques en matière d’accidents de travail et de santé à compter de la fin du siècle dernier, des systèmes, informels ou organisés sous forme de mutuelles, fournissaient une forme d’assurance!110. De nombreux «!sick clubs!» et «!friendly societies!» gérés par des travailleurs existaient en Angleterre au XIXe siècle. Même des collectes informelles parmi les travailleurs pourtant pauvres réussissaient à réunir assez d’argent pour aider celui d’entre eux que la maladie frappait. Sugden, qui relate le phénomène, explique, dans son mutual aid game, la rationalité de contribuer à de telles initiatives!: une convention de réciprocité multilatérale basée sur la possibilité de distinguer les participants «!loyaux!» (in good standing) des autres!111.
Tiebout a apporté une réponse élégante à ce paradoxe!112. Il observe que beaucoup de biens collectifs demeurent d’un intérêt local. Admettons qu’il existe un grand nombre de communautés au sein desquelles les individus peuvent s’établir et que les biens publics produits par ces collectivités ont peu d’effets au-delà de l’enceinte de celles-ci. Admettons en outre que les individus soient mobiles. On peut alors imaginer un processus de concurrence entre les communautés. Les individus se déplacent vers les
109 Buchanan 1965, dans Cowen 1988, 205.
110 Sugden 1986, 123 s.; Taylor 1987, 169; Benhamou et Lévecque 1983, 25-28; Beito 1990, 711; Beito 2000; Siddeley 1992.
111 Sugden 1986, 123-127.
112 Tiebout 1956.
communautés qui offrent la combinaison de biens collectifs et de taxes locales qui leur convient le mieux. Les communautés ont alors intérêt à mettre en place les combinaisons de biens collectifs qui leur permettent d’attirer et de retenir des individus acceptant de s’établir sur leurs territoires et de contribuer au financement des biens collectifs en question. La mobilité des individus se conjugue ici avec l’initiative des communautés locales pour servir de révélateur de préférences pour les biens collectifs. L’article de Tiebout a attiré particulièrement l’attention de ceux qui se sont penchés sur le fédéralisme en tant que forme d’organisation de l’État. La concurrence entre les états-membres assurerait que des groupes distincts trouvent, au sein de la fédération, une grande mesure de respect de ce qui les distingue des autres groupes!113.
113 Voir par exemple Rials 1986; Migué 1993.
114 Taylor 1987, 23 et, plus en détail, Taylor 1981, 27-33.
115 Taylor 1981, 32.
116 Sugden 1986, Taylor 1987.
convient de noter que les membres de la communauté peuvent trouver intéressant de contribuer à la production des biens collectifs caractéristiques de la communauté quand bien même il anticipent que certains d’entre eux profitent de leur bonne volonté (resquillage)!117.
Les paradoxes de la coopération mis au jour dans l’analyse des interactions à deux tendent à s’exacerber, lorsqu’un certain nombre de personnes doivent collaborer pour faire réussir un projet conjoint. Le comportement non coopératif, tricheur, qu’il est possible de mettre en échec dans des conditions relativement peu exigeantes dans les interactions à deux, présente un attrait croissant. Dans un grand groupe, plus que dans une interaction à deux, ce comportement profite à son auteur, sa détection devient difficile et sa sanction incertaine. Les difficultés s’accentuent en fonction de la taille du groupe. C’est le problème de l’action collective.
Selon les contextes, les problèmes de l’action collective portent des noms différents, qui renvoient toutefois à la même dynamique sous-jacente. D’une manière générale, on parle de resquilleurs pour désigner les personnes qui réussissent à vivre aux dépens d’autrui et de bastions pour celles qui préviennent la réalisation d’un projet collectif par dessein stratégique, ou opportuniste, visant à obtenir une plus grande part des gains résultant du projet. Les «!biens collectifs!» s’entendent des biens et des services qui ont ceci de particulier qu’on peut difficilement prévenir leur consommation par des individus qu’on voudrait exclure. Une fois disponibles, ils le sont pour tous les consommateurs également. Ils présentent la difficulté bien connue de l’action collective.
117 de Jasay 1987.
groupe individuellement!: la propriété individuelle. Cette solution présuppose que la ressource se prête à la division et pose elle-même le problème de la définition et du respect des frontières du droit individuel. La question des limites se pose à propos des externalités!: l’usage d’un droit individuel interfère avec celui, tout aussi légitime, d’autrui. Il faut alors préciser la nature de la frontière et des usages qu’elle permet de part et d’autre. L’externalité découle essentiellement d’un droit de propriété incomplètement démarqué. Lorsque nous ne disposons pas de moyens pour assurer une exclusivité minimale sur une ressource, se pose alors la «!tragédie de la vaine pâture!»!: la surexploitation (et la sous-production) d’un bien auquel tous ont librement accès. De nos jours, la surpêche des océans s’offre en exemple. La nature du problème peut évoluer à la suite de découvertes techniques qui permettent de réaliser une certaine mesure d’exclusivité jusque là impossible.
En dehors de l’autorité et de la propriété individuelle comme solutions au problème d’action collective, la collectivité elle-même peut constituer une solution. La théorie des jeux met en évidence les difficultés d’action collective au sein des communautés. Les biens dont on peut restreindre la consommation aux membres d’un groupe, mais non à chacun individuellement, se prêtent à la formule du «!club!». Le bien peut alors être géré au moyen d’un régime de propriété commune. Ce régime exclut les non-membres et offre aux membres un usage libre, éventuellement restreint suivant une formule dont l’objet essentiel est de prévenir l’épuisement du bien en propriété commune. Souvent les membres ont un accès égal, mais d’autres formules sont concevables.
En l’absence de mobilité des membres, des actions collectives peuvent néanmoins être entreprises sur la base de l’accord de tous dans les communautés dont les membres ont des valeurs et croyances communes, ont des rapports directs multiples et pratiquent une certaine réciprocité entre eux. Ces communautés risquent cependant d’être petites et sujettes à de fréquentes fissions et fusions.
Au cours de l’histoire, les êtres humains ont découvert un éventail de méthodes pour résoudre le problème de l’action collective. On les appelle des institutions. L’institution comporte un ensemble de règles s’imposant aux individus et leur permet, pour un bien précis, d’échapper au dilemme de l’action collective. Qu’est-ce qui détermine à quelle institution on fera appel, ou plus précisément, lorsque l’on vit sous une institution, qu’est-ce qui la fait changer? La question a intéressé Jack Knight!118. Ce ne sont pas forcément les qualités «!objectives!» d’une institution par rapport aux autres qui déterminent le choix. Le choix s’opère plutôt en contexte historique et s’affirme comme le résultat accessoire de la lutte d’individus ou de groupes d’individus au sujet de la distribution des richesses!119. Le choix une fois arrêté, il sera maintenu aussi longtemps qu’aucun groupe ne peut espérer améliorer son sort par un changement d’institution, compte tenu des coûts qu’entraîne le changement lui-même et de l’opposition d’autres groupes.
CONCLUSION GENERALE
Le droit articule des solutions non violentes aux conflits pouvant surgir entre individus et définit les institutions qui ont mission de faire prévaloir ces solutions. Si cette conception est juste, l’étude des interactions entre individus devrait comporter des enseignements sur la nature du droit. Aux structures récurrentes de conflits potentiels devraient correspondre des institutions juridiques permettant de les éviter.
118 Knight 1992.
119 Id., 19.
fournissent déjà plusieurs enseignements utiles sur la nature du droit, que ce chapitre avait pour but d’exposer.
Nous avons distingué les interactions où la coordination se réalise presque d’elle-même de celles, appelées jeux stratégiques, où les joueurs peuvent avantageusement coopérer, mais où ils ont un apparent intérêt égoïste à exploiter les autres. Ces dernières interactions nous mettent au défi d’expliquer les structures de coopération qui se développent malgré tout et à concevoir des règles qui empêchent l’exploitation des uns par les autres. L’étude nous a fait découvrir une raison d’être de la propriété individuelle et de la propriété commune, de même que le fondement de la réciprocité dans les contrats. Nous avons rencontré un éventail de concepts importants!: externalités, action collective, resquillage et bastion, biens collectif, problème de surveillance (agency), coûts de transaction. Ces concepts reviendront dans le reste du livre.
Le survol dans ce chapitre montre l’utilité pour le juriste d’avoir recours à la théorie des jeux pour étudier les interactions humaines. L’étude met en évidence des constantes, des patterns (configurations)systématiques donnant lieu à des paradoxes, voire des conflits, que le droit a mission d’éviter. La théorie permet de s’interroger sur la généralité de ces situations d’interaction et explique ainsi pourquoi certaines solutions se retrouvent, pour l’essentiel, dans des cultures très différentes. À côté de ces éléments nécessaires, imposés par la nature de l’interaction, il y a aussi des aspects contingents, comme le choix entre gauche et droite pour la conduite ou celui qui fixe les rôles dans le jeu faucon-colombe.
Les règles dont nous discutons ici s’articulent à mesure que les humains vivent les difficultés d’interaction que la théorie permet d’élucider. Les règles peuvent fort bien n’être édictées par personne. Dans les différents jeux étudiés, il y a une dynamique convergente sur une règle précise. Il est vrai que rien dans une situation de jeu ne garantit que les participants
120 Cette perspective est à rapprocher de celle de Fuller 1969.
découvriront la solution au problème d’interaction vécue. En pratique, ils y parviendront souvent et la théorie montre comment une amorce de solution peut se généraliser. C’est dire que les éléments essentiels du droit peuvent être articulés sans faire l’objet d’une conception globale; que le droit, à l’origine, se forme de façon spontanée!121. Le droit écrit pourrait se limiter à prendre acte, à codifier, à régulariser les règles formées de cette façon!122. Bien entendu, le droit écrit peut aussi consister en oukases des autorités.
Les solutions que le droit articule prennent la forme d’institutions!123. Les institutions tirent leur origine de problèmes d’interaction. Elles comportent des règles formulées de façon à amener les joueurs à renoncer à l’idée de jouer le jeu au fond. Le respect de la règle qu’incorpore l’institution simplifie la décision et évite le coût du jeu et l’éventuel dérapage, tout en assurant aux joueurs des gains espérés au moins aussi grands que s’ils jouaient le jeu au long. L’institution fonctionne dans la mesure où chacun a confiance que l’autre la connaît et la respectera aussi. Elle est d’autant plus précieuse que le nombre de personnes respectueuses de l’institution est grand. La confiance pourrait être d’autant plus grande que l’institution est stable dans le temps. On explique ainsi l’intérêt pour les autorités de faire appel aux institutions dans l’exercice du pouvoir.!124
121 Il est sans doute faux de croire que toutes les interactions donnent lieu à des ordres spontanés. On connaît le phénomène des paniques boursières!: un désordre amplifiant?
122 Michel Villey l’exprime ainsi!: « Le droit ne descend pas d’un principe. Il naît d’en bas et s’épanouit en une frondaison de textes hétéroclites. Il ne forme pas un “système unitaire de normes”!». (Villey 1984, t. II, 206).
123 Elster 1989b (Nuts), 147 s. (chapitre XV).
124 L’économiste-historien Douglass North explique le rôle des institutions comme suit!: «!Institutions are the rules of the game in a society or, more formally, are humanly devised constraints that shape human interaction. In consequence they structure incentives in human exchange, whether political, social, or economic. Institutional change shapes the way societies evolve through time and hence is the key to understanding historical change. .… Institutions reduce uncertainty by providing a structure to everyday life. They are a guide to human interaction, so that when we wish to greet friends on the street, drive an automobile, buy oranges, borrow money, form a business, bury our dead, or whatever, we know (or can learn easily) how to perform these tasks. We would readily observe that institutions differ if we were to try to make the same transactions in a different country Bangladesh for example. In the jargon of the economist, institutions define and limit the set of choices of individuals.!» (North 1990, 3-4)
POUR ALLER PLUS LOIN
Les choix interactifs font l’objet de la seconde partie du livre de Hargreaves Heap et al., déjà recommandé au chapitre précédent!125. Outre la théorie des jeux, les auteurs discutent la négociation, les organisations et l’échange culturel, de même que l’ordre anarchique. Plusieurs livres explorent les implications de la théories des jeux pour le droit. Le locus classicus, mais non d’une lecture facile, est Baird!126. Le livre d’Eric Posner, fils de l’autre, vaut le détour pour sa sensibilité aux questions comme celle de la genèse et du respect des normes sociales, que soulèvent généralement les sociologues dans le dialogue avec les économistes!127. Sugden, économiste et philosophiquement proche de David Hume, montre très finement comment la théorie des jeux permet de comprendre les fondements des institutions juridiques du droit privé!128.
125 Hargreaves Heap et al. 1992 126 Baird et al. 1994.
127 Posner 2000.
128 Sugden 1986.
3
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Le marché et la concurrence
«!The laws enacted in the ignorance of simple economic principles can do great damage,
yet we observe little progress in the recognition of the limitations that economics should impose on legislation.!»
(Buchanan 1979, 131)
Sommaire
A.!Le marché ..2
1.!Les fondements du marché ..2
2.!L’évolution des marchés ..6
3.!Le fonctionnement du marché .. 11
B.!La concurrence 23
1.!Le monopole 23
2.!La concurrence comme processus de découverte .. 29
3.!Coût, prix et valeur . 37
4.!Arbitrage économique, spéculation et intermédiation .. 39 C.!Les imperfections du marché 41
Conclusion 45
Pour aller plus loin .. 47
A.!LE MARCHE
a.!L’échange
Pourquoi l’échange? La réponse se trouve dans les gains qu’il permet de réaliser par rapport à l’autarcie, la situation où chacun pourvoit entièrement à ses propres besoins. Pour comprendre la source du gain, prenons un exemple très simple!. Vous pouvez tondre votre gazon en une heure et préparer un repas en une demi-heure. Votre voisin met deux heures à tondre son gazon (même dimension que le vôtre), mais seulement un quart d’heure pour préparer un repas (par hypothèse aussi agréable que le vôtre). Supposons que les gazons doivent être tondus tous les jours. Vous passez donc 2,5 heures par jour à tondre votre gazon et à préparer les repas, votre voisin met 2,75 heures.
Vous proposez un troc à votre voisin. Vous tondrez son gazon, votre voisin vous prépare vos repas en échange. Chacun y trouve son compte.
Vous passez maintenant deux heures par jour à tondre des gazons, votre voisin passe une heure et demie à préparer les six repas. Chacun gagne à l’échange!: un gain de Pareto!.
Ce qui explique ce résultat, c’est que vous et votre voisin n’avez pas la même efficacité relative à préparer des repas par rapport à la tonte des gazons. Pour vous, un repas équivaut à la moitié d’un gazon tondu, pour votre voisin, à un quart. Le voisin a un avantage comparatif dans la préparation des repas, vous dans la tonte des gazons. L’échange conclu table sur cette différence et permet à chacun de se spécialiser dans l’activité où il a un avantage comparatif. Le facteur décisif ne se trouve donc pas
dans l’efficacité absolue (mesurée ici en heures), mais bien dans l’efficacité relative dans la production des deux services!: l’échange présente un intérêt même si vous surclassez votre voisin dans les deux activités. Les avantages comparatifs sont la source des gains du libre échange entre pays, même à des niveaux différents de développement!.
Notre exemple concerne un échange de services. Un raisonnement semblable peut être développé pour l’échange de biens. Vous avez fait la récolte de vos pommes. Votre voisin vient de ramasser les oeufs pondus par ses poules. Vous vous rencontrez et vous conviendrez d’échanger un panier de pommes contre une corbeille d’oeufs. Chacun trouvant son compte à l’échange, l’observateur externe doit conclure que, pour vous, à ce moment précis, la corbeille d’oeufs vaut plus que le panier de pommes, alors que pour votre voisin, c’est le contraire. L’intérêt de l’échange vient du fait que les deux personnes ne valorisent pas les biens échangés de la même façon. Ce raisonnement s’étend à la situation où vous vendez votre panier de pommes à un tiers pour 15$. Pour vous, les pommes valent tout au plus 14,99$, alors que, pour le tiers, elles valent au moins 15,01$!: cela permet de comprendre pourquoi chacun compte gagner à la transaction et y consent.
b.!La division du travail
La division du travail n’est pas le fruit d’un grand plan ou programme visant à augmenter la richesse de tous. Elle s’impose comme «!la conséquence nécessaire, bien que très lente et graduelle, d’une certaine propension dans la nature humaine qui ne vise nulle utilité si étendue, savoir la propension de troquer et d’échanger une chose contre une autre!»!. La seule poursuite par chacun de son intérêt bien compris et la possibilité d’échanger suffisent à faire apparaître l’opportunité de la division du travail.
La division du travail se conjugue souvent à l’introduction de machines et d’autres innovations technologiques dans le processus de production. Les machines produisent la plupart du temps un effet appelé rendements croissants ou économies d’échelle. Pour reprendre l’exemple des aiguilles, la construction ou l’achat de la machine est onéreux et ne pourrait être justifié pour produire quelques aiguilles seulement. Toutefois, si l’on produit les aiguilles en grande quantité, le coût de production à l’unité, c’est-à-dire le coût moyen, est inférieur à celui d’une production artisanale, sans l’apport des machines. Pour le dire autrement, le coût moyen (à l’unité) de la production artisanale varie peu avec la quantité produite; si l’on veut augmenter la production, il faut agrandir l’équipe de production proportionnellement. Les premières unités produites coûtent autant que les suivantes. Par contraste, en production industrielle avec des machines, les premières unités sont coûteuses à produire, compte tenu des frais «!fixes!» (d’acquisition) de l’équipement; en revanche, les unités subséquentes produites ajoutent peu de frais et le coût moyen baisse donc, tant qu’on demeure à l’intérieur de la capacité de production de l’équipement. Le phénomène peut être illustré à l’aide du graphique 3-1.
Le graphique montre le rapport entre la production et son coût. En mode artisanal, ce rapport est constant car le coût à l’unité ne varie pas selon le nombre d’unités produites. C’est donc une ligne droite. L’angle de la droite indique le coût à l’unité. La production industrielle se traduit dans ce graphique par une courbe qui n’est pas une droite. Pour une petite production (Qp), le coût à l’unité, représenté par l’angle de la droite reliant l’origine au point 1, est plus élevé que celui de production artisanale!: il faut amortir le coût de l’équipement sur peu d’unités. Au point 2, cependant, les coûts des deux modes de production s’équivalent. Dès qu’on dépasse la production de Qe, correspondant au point 2, les rendements d’échelle se font sentir. Le coût unitaire est alors inférieur à celui de la production artisanale, comme l’illustre le point 3. La droite reliant ce point à l’origine a un angle inférieur à celui de la production artisanale qui passe par le point 2.
Les échanges ont sans doute eu lieu de tout temps. Les institutions nécessaires pour les encadrer sont relativement simples à comprendre!: respect réciproque de la propriété des choses à échanger, accord et transfert réciproque, simultanément ou avec un écart dans le temps. Les considérations du chapitre précédent indiquent que ces institutions peuvent être découvertes et maintenues dans toutes sortes de sociétés et d’économies. La propriété et le contrat suffisent pour rendre compte d’échanges ponctuels ainsi que de l’activité des marchands voyageurs. Ils n’expliquent pas à eux seuls ce que nous appelons «!le marché!».
Il est intéressant de s’arrêter au développement des marchés. Les historiens ont pu assez bien documenter le phénomène pour l’Europe occidentale. La tenue de marchés y suscite des intérêts opposés. Les marchés du Moyen-Âge étaient, en quelque sorte, considérés comme la propriété du seigneur des terres sur lesquelles ils se tenaient!10. Les seigneurs voyaient dans les marchés une source de revenu et avaient donc
9 Voir les études rapportées dans!: Anderson et Latham 1986; Polanyi et al. 1957. Dans ce dernier ouvrage, Polanyi consacre une étude à ce qu’il appelle «!Marketless trading!» (12 s.). Sur l’histoire des marchés et de l’échange, North 1990 écrit!:
«!Early long-distance and cross-cultural trade and the fairs of medieval Europe were built on such institutional constructs. … In early modern Europe these institutions led to the state increasing its role in protecting merchants and adopting merchant codes as the revenue potential of such fiscal activities increased. However, in this environment the state's role was at best ambiguous. The state was as often the source of increasing insecurity and higher transaction costs as it was the protector and enforcer of property rights. Throughout history rulers of states have found that acting like the modern Mafia (given the time horizons they possessed) was the optimal maximizing behavior rather than protecting and enforcing property rights and receiving the gains that resulted from the productive consequences of more efficient exchange.!» (193) Voir aussi Tilly 1985.
10 Bridbury 1986, 109. Rosenberg/Birzell 1986, 47 s., 135 expliquent que les marchés se tenaient dans les villes plutôt que les manoirs, les villes ayant «!acheté!» les chartes qui leur donnaient une certaine liberté d’action. Cette liberté était cependant souvent employée par les guildes pour imposer des restrictions au commerce au profit de leurs membres.
Toutefois, la tenue d’un marché faisait concurrence aux boutiques et échoppes et aux autres «!circuits commerciaux!» de la région. Le marché dans une région pouvait en outre faire concurrence à celui d’une autre région sous l’autorité d’un seigneur différent. Le seigneur qui souhaitait autoriser un nouveau marché — directement ou en octroyant une charte à la ville qui voulait le tenir — se trouvait soumis à des pressions contradictoires. La permission était souvent accordée avec des réserves, de manière à ménager la concurrence.
Pour que les marchés fonctionnent correctement, plusieurs conditions devaient être réunies. Il fallait assurer la sécurité de ceux qui voulaient s’y rendre. Il fallait assurer aussi le respect des contrats, l’honnêteté des marchands et la standardisation des poids et mesures et de la monnaie. Il pouvait paraître intéressant, pour simplifier les transactions et pour assurer l’équité dans les contrats, de fixer les prix pour différents types de biens. Enfin il fallait réprimer le vol, la fraude et les collusions!11. Pour partie, les marchands eux-mêmes ont développé la réglementation nécessaire pour encadrer leurs activités. Cela est manifeste pour ce qui est des contrats types, des facilités de crédit et des garanties. Mais il est indéniable que les autorités y ont participé de différentes façons en assurant l’ordre public par une certaine réglementation contraignante. Ils y voyaient leur intérêt. Il en résulte que les marchés du Moyen-Âge étaient loin d’être libres!12.
11 Bridbury 1986, 108.
12 Bridbury 1986, 108-111.
qui peut ramener le risque de l’opération à un niveau qu’il estime acceptable. C’est dire que les marchés offrent une plus grande variété de biens et de services, de meilleurs prix (si les prix ne sont pas rigidement fixés) et plus d’innovation dans les formules par lesquelles ces biens et services sont offerts!13.
Les marchés réduisent les frais que les parties doivent engager pour se rejoindre et réaliser l’échange, c’est-à-dire les «!coûts de transaction!». Les «!coûts de transaction!» se présentent toutes les fois qu’une transaction en apparence profitable n’a pas lieu en raison de contraintes qui empêcheraient les acteurs sur le marché de la conclure. La réduction des «!coûts de transaction!» produit des gains véritables pour tous les participants, et non pas des profits pour certains acquis au prix de pertes pour d’autres. L’échange est un jeu à somme positive. Ces gains n’ont été planifiés par personne. Ils se réalisent «!par-dessus le marché!» du fait que chaque participant, offrant autant que preneur, recherche son intérêt dans les échanges. Plus il y a d’offrants et de preneurs qui se rencontrent dans un marché ou une foire, plus ces gains sont importants. C’est là, dirait-on dans un vocabulaire moderne, l’effet de la concurrence.
13 Sur le rôle de l’innovation dans l’essor de l’Occident!: Rosenberg/Birdzell 1986, 20-32.
concurrence avec des produits locaux sur les marchés de Flandres, de Hollande, de Zélande aux XVe et XVIe siècles.
Ce qui vaut pour les coûts de transport vaut autant pour les coûts de transaction. Tout ce qui réduit le coût de trouver un partenaire pour l’échange, de lui montrer ce que l’on a à offrir ou ce qu’on veut acquérir, d’établir les conditions de l’entente et d’assurer son exécution contribue à étendre le marché. La tenue de foires à périodes fixes dans les grands centres commerciaux du Moyen-Âge fut une invention de nature à réduire les coûts de transaction. De nos jours, les progrès spectaculaires des moyens de communiquer l’information (la poste, les journaux, les médias, les réseaux électroniques!…) réduisent continuellement les coûts de transaction et étendent donc les marchés.
Ce développement en entraîne progressivement un autre. Alors que, à l’origine, le marché désignait un lieu physique de rencontre d’offrants et de preneurs, la réduction des frais de transport, de communication et de transaction dilue progressivement la nécessité d’un ancrage physique et géographique. Le marché devient à la fois plus étendu et plus abstrait. De local, le marché devient régional, national, international, mondial. Le marché devient plus abstrait, en ce sens que les concurrents ne se trouvent plus côte à côte, mais apparaissent dans les comparaisons que leurs clients éventuels établissent à partir des informations auxquelles ils ont accès, par quelque voie que ce soit et où qu’ils se trouvent. La concurrence en devient d’autant plus vive.
Brenner donne plusieurs exemples saisissants de cette évolution!14.
Après la deuxième Guerre Mondiale, le nettoyage à sec était une industrie
14 Brenner 1987, 1 s.
en croissance rapide, à une époque où l’on portait surtout des vêtements de laine. Trente ans plus tard, cette industrie décline. L’explication se trouve-telle dans la concurrence entre les nettoyeurs? Non pas. La concurrence est venue de l’extérieur du marché du nettoyage, avec l’invention de fibres synthétiques ne demandant plus de nettoyage à sec. Autre exemple. Gillette invente et met sur le marché à la fin du siècle dernier la lame jetable. Elle devient, grâce à cette invention, le leader mondial des rasoirs. Or, l’entreprise subit maintenant la concurrence féroce d’un producteur de stylos, Bic, qui a introduit une idée nouvelle!: le rasoir entier jetable. Troisième exemple. L’industrie du cinéma en salle stagne. Est-ce la concurrence entre cinémas? Non pas. La télévision et les vidéo-clips rongent son marché.
Ces exemples soulèvent la question de l’étendue d’un marché. Dans le cas de l’industrie du cinéma, le marché se limite-t-il à la présentation de films en salle? Nous aurons alors du mal à expliquer le déclin de cette industrie. Pourtant, le déclin s’explique facilement si nous admettons que le marché visé est celui du spectacle audiovisuel, comprenant aussi la télévision et les vidéo-clips, ou même le marché du spectacle tout court, voire celui du divertissement.
Dans les marchés agricoles traditionnels, le prix des choux, des pommes et des tomates varie peu d’un fournisseur à l’autre. Il en va de même dans le marché très moderne des produits offerts dans les revues de microinformatique. Il paraît y avoir convergence des prix pratiqués par différents fournisseurs, donc émergence d’un ordre spontané. On parle alors «!du!» prix du marché. Ce phénomène, et d’autres connexes, font l’objet de la micro-économie. Nous présentons un compte-rendu de quelques idées essentielles.
Imaginons le début de la saison des fraises. Elles sont encore chères!:
2,99$ le demi kilo. À ce prix, vous en achetez 250 g. Si le prix descendait à 1,99$, vous vous laisseriez peut-être tenter d’en acheter 500 g; à 1,29$, vous achèteriez même un kilo entier. Inversement, si le prix des fraises grimpait demain à 4,99$ le kilo, vous n’achèteriez pas de fraises du tout et vous vous contenteriez de quelques pommes.
a.!Les intentions d’achat!: la demande
On pourrait représenter vos intentions par un graphique indiquant, à partir du prix actuel et de la quantité achetée, vos réactions (quantités différentes achetées) devant des changements de prix (Graphique 3-2).
250g 500g 1kg
Les flèches indiquent (1) les changements de prix (2) vos réactions.
L’économiste exprime ce phénomène par la notion de l’utilité décroissante des produits.
250g 500g 1kg
On pourrait imaginer un exercice semblable pour tous les consommateurs qui se pressent aujourd’hui pour acheter des fraises. Pour avoir le portrait global, il suffirait alors d’additionner les courbes «!horizontalement!» (c.à!d. qu’on additionnerait les quantités que les consommateurs se proposent d’acheter à différents prix). On obtiendrait ainsi ce qu’on appelle habituellement la courbe de la demande.
Cette courbe indique la réaction prévue de l’ensemble des consommateurs devant les changements de prix. Il faut évidemment se rappeler qu’il s’agit de plans subjectifs qu’on peut difficilement capter autrement que rétrospectivement, c’est-à-dire par les choix que les consommateurs auront effectivement faits. Mais alors il ne s’agit plus de plans. Ces courbes sont donc difficilement mesurables en pratique. Elles sont plutôt des constructions théoriques qui nous permettent de raisonner sur le sens des effets de différents changements. La courbe indique comment, selon le changement de prix, les consommateurs «!se promènent le long de la courbe!».
Il y a d’autres circonstances où la courbe «!se déplace vers la droite!». Ce sera le cas lors d’une augmentation du prix d’un produit pour lequel les fraises sont, aux yeux des consommateurs, un bon substitut — par exemple les oranges, en raison de la vitamine C. Une partie du revenu consacré à la vitamine C se déplace des oranges vers les fraises (effet de substitution).
Dans tous ces cas où la courbe «!se déplace vers la droite!», on dit que la demande augmente. Inversement, on conçoit que des pertes de revenu, des augmentations d’impôts, la baisse de prix des produits substituts ou encore le fait que le produit «!passe de mode!» chez les consommateurs feraient déplacer la courbe de la demande vers la gauche!: la demande diminue alors.
Il convient d’insister sur la différence entre les changements de prix du produit analysé, qui provoquent des mouvements le long de la courbe, qui reste inchangée, et des changements de revenu ou de prix d’autres produits, qui provoquent des déplacements de la courbe de demande elle-même.
b.!Les plans de production et de vente!: l’offre
Du côté des offrants on peut faire une analyse analogue. À un prix donné, un marchand offre telle quantité du produit. Si le prix qu’il peut espérer réaliser augmentait, il ferait un effort pour en offrir davantage. Évidemment, cette expansion a des limites et il arrive un point où même une augmentation considérable du prix n’amènerait plus d’augmentation importante de la quantité offerte du produit. Inversement, à mesure que le prix baisse, le fournisseur offre de moins en moins de son produit et finit par se retirer complètement du marché en question.
Les prix observés sur le marché traduisent l’interaction de l’offre et de la demande, graphiquement la superposition des deux courbes, comme le montre le graphique 3-6. Pour simplifier l’illustration, les deux courbes seront désormais présentées par des droites.
L’interaction de l’offre et de la demande tend, en l’absence de perturbations, à faire évoluer le prix vers l’intersection des deux courbes. À ce point, la quantité demandée est tout juste égale à la quantité offerte; il n’y a ni surplus, ni pénurie. Le mécanisme responsable de ce dénouement heureux est le prix. Car supposons que le prix était inférieur à PE. Les fournisseurs apporteraient alors au marché moins que la quantité QE et les
consommateurs en demanderaient plus!: il y aurait pénurie. Mais l’observation de cette pénurie inciterait les consommateurs à se ruer sur la petite quantité disponible, ce qui amènerait les fournisseurs à en augmenter le prix. L’augmentation du prix deviendrait pour tous les fournisseurs le signal d’apporter une plus grande quantité au marché et pour les consommateurs le signal de modérer leur appétit ou d’y consacrer plus d’argent. Si le prix augmente au-dessus du prix PE, le phénomène inverse se produit. La quantité demandée à ce prix est inférieure à celle qui est offerte et les fournisseurs s’aviseront d’abaisser leur prix pour écouler le stock, car la baisse de prix fait augmenter la quantité que les consommateurs sont prêts à acheter. Par ces mouvements d’adaptation, sous forme d’une toile d’araignée, les prix différents du prix d’équilibre PE finiraient par rejoindre celui-ci (Graphique 3-7).
c.!Les interventions dans les prix
L’analyse de l’interaction de l’offre et de la demande nous servira notamment à comprendre l’effet de certaines interventions dans le fonctionnement du marché. Considérons tout d’abord l’imposition d’une taxe à l’unité vendue. Pour simplifier, nous présumons qu’il s’agit d’une somme fixe par unité vendue. Dans le graphique, la taxe est représentée dans une nouvelle courbe de l’offre, parallèle à l’autre mais supérieure. Le graphique 3-8 permet de constater l’effet de la taxe!: une augmentation du prix proposé aux consommateurs, une diminution de la quantité vendue.
15 Adam Smith 1776/1937, 423 (Livre 4, chap. 2); 1790/1982, 184 (Partie IV, chap. II).
P-!: ce qui en revient aux fournisseurs
Le rectangle accentué représente la somme totale de la taxe perçue. Par rapport au prix d’équilibre, le prix que voient les consommateurs et celui que réalisent les fournisseurs paraissent à peu près à distance égale du prix PE. Cette répartition dépend de l’inclinaison des courbes. Une courbe plus verticale de la demande indiquerait que les consommateurs, même devant une augmentation de prix importante, ne diminueraient pas sensiblement la quantité demandée. Ce sera probablement le cas des biens de première nécessité.
Au contraire, une courbe très plate indique que les consommateurs changeraient rapidement leurs intentions d’achat devant un changement de prix. Ce serait le cas des produits de luxe.
Les économistes expriment cette idée au moyen du concept d’élasticité. La demande est dite élastique à un point donné si l’augmentation d’un pour-cent du prix entraîne une diminution de plus d’un pour-cent de la quantité demandée et inélastique si la diminution est moins d’un pour-cent de la quantité demandée.
On peut montrer de manière analogue l’effet de trois autres types d’intervention dans le marché!: le prix plancher, le prix plafond et le quota. Pour ce qui est du prix plancher, il s’agit d’un engagement des autorités publiques à maintenir un prix garanti (de faire respecter ce prix par des détaillants) et à acheter les surplus du produit garanti qui feraient baisser le prix en dessous du plancher. On en trouve des exemples dans le domaine de l’agriculture. Le salaire minimum est aussi une espèce de prix plancher.
Garantir un prix plancher veut dire qu’on le maintient au-dessus du niveau qui serait atteint si l’on laissait librement interagir les intervenants sur le marché. Le graphique 3-10 montre comment cette intervention se présente.
Comme le prix est plus élevé qu’il n’aurait été autrement, les consommateurs consomment seulement Q- plutôt que QE. L’autorité publique achète au prix garanti la quantité (Q+ - Q-). Elle ne peut écouler ce «!surplus!» sur le marché ordinaire. En le vendant, le prix baisserait au dessous du prix PE. En le donnant, elle incite les consommateurs, qui prévoient cette largesse, de se retenir d’acheter le produit au prix garanti, ce qui aggraverait le problème. Il faut donc l’écouler ailleurs, par exemple en le donnant aux pays en voie de développement. Cela ne manquera pas de provoquer dans ces pays des problèmes analogues. Si le produit est donné aux consommateurs de ces pays, les producteurs idoines subissent une concurrence déloyale et pourraient se retirer du marché. S’il est offert à prix plus élevé, certains se graissent la poche et le don raterait son but humanitaire.
Dans ce diagramme, Q- représente la quantité offerte au prix maximum permis, Q+ la quantité que les consommateurs seraient prêts à s’offrir à ce prix. La différence constitue une pénurie. Bien entendu, les choses n’en restent pas là. En matière de logement, par exemple, la pénurie signifierait que des gens devraient dormir dans la rue. Les propriétaires essaieront de couper dans les dépenses d’entretien (ce qui a pour effet de déplacer la courbe de l’offre vers la droite), ce qui entraîne à moyen terme une baisse de qualité du stock des logements disponibles. Ou ils demandent un pas de porte lors de la location, ce qui revient à une augmentation déguisée de loyer. En outre, comme la construction de nouveaux logements se fait attendre, l’autorité publique se sentira contrainte d’instituer des programmes de subvention (une source intéressante de patronage politique!). Toutes ces mesures font disparaître les effets immédiatement prévisibles du prix plafond. Mais il reste néanmoins des effets indirects que l’on peut observer. Dans le cas du contrôle des loyers, il devient moins intéressant pour les locataires de déménager, étant donné la difficulté de trouver à se loger aussi bien pour le même prix. Les locataires en place dans de grands logements auraient moins tendance à déménager pour faire place aux jeunes couples qui commencent une famille. Il y aura une mobilité réduite et un usage accru des moyens de transport par rapport à la situation qu’on aurait eue sans l’intervention. Ces effets se prêtent à des vérifications empiriques!16.
Le quota empêche les fournisseurs de satisfaire tous les clients intéressés à se procurer leur produit au prix qu’ils pratiqueraient sans intervention. Pour la quantité qu’il leur est permis d’écouler, ils peuvent trouver un groupe plus restreint de clients, mais qui sont prêts à payer plus cher. Les fournisseurs auraient donc tendance à rajuster leur offre de manière à rejoindre cette clientèle plus riche. Le quota devrait inciter les
16 Baird 1980; Block/Olssen 1981; Gwartney/Stroup 1992, 72-73.
fournisseurs à offrir des produits plus luxueux mais plus chers. Dans le cas des fabricants d’automobiles japonais, cet effet n’a pas tardé à se manifester. On peut se demander si le quota a bien servi l’industrie américaine!: il a attisé la concurrence dans le marché des voitures de luxe, où jusqu’alors les fabricants américains dominaient en Amérique du Nord.
Le quota est encore d’actualité de nos jours en matière de pêches. Les pêcheurs de différents pays se font imposer une quantité maximale de poissons de certaines sortes qu’ils peuvent prendre. Ces quota, tout comme ceux dont nous venons de traiter, ont pour effet d’augmenter les prix par rapport à ce qu’ils auraient été si tous pouvaient librement pêcher.
B.!LA CONCURRENCE
L’analyse précédente nous a indiqué le point d’équilibre vers lequel les participants à un marché s’orienteraient en l’absence d’interventions et de perturbations de leurs plans par des chocs externes ou des innovations. Implicitement nous avons présumé que les offrants se font concurrence et les demandeurs se le font pour obtenir les biens et les services offerts, comme en situation d’enchères. Il est intéressant de se demander comment réagirait celui qui se trouverait à être le seul à offrir un produit donné !: le monopoleur.
a.!La recherche du profit maximal
Si le monopoleur est seul dans son marché, il peut se permettre d’offrir son produit au fort prix, car aucun concurrent ne peut lui soustraire des clients en l’offrant à meilleur prix. Mais le monopoleur est néanmoins soumis à la contrainte de la capacité et de la volonté de payer des clients. À mesure qu’il augmente son prix, il perd des clients, tout en recevant des sommes plus importantes de ceux qui lui demeurent fidèles. Que fera ce monopoleur hypothétique?
Il est utile de représenter graphiquement sa situation (Graphique 3-13). Le monopoleur ne fait pas face à un prix qui résulte de l’interaction d’un certain nombre d’acteurs, mais le fixe lui-même. Pour simplifier l’explication, nous présumons que, pour les quantités du produit que nous allons considérer, il peut produire et donc offrir à coût unitaire constant. Dans le graphique, l’offre prend donc l’aspect d’une ligne horizontale. La demande a la forme habituelle.
Quel est le prix qui procure le plus grand profit global? Pour le déterminer, commençons par le prix P1. Chaque unité vendue à ce prix procure au monopoleur un revenu de P1. La courbe de demande est donc en même temps, pour le monopoleur, la courbe du revenu moyen (par unité). Supposons que le monopoleur baisse son prix juste assez pour vendre une unité de plus de son produit. Évidemment toutes les unités vendues dans la situation antérieure lui rapportent un peu moins qu’auparavant, mais il a le revenu additionnel de cette nouvelle unité vendue. On pourrait alors déterminer l’effet net sur son revenu de ce changement et on pourrait l’appeler le revenu marginal. Pour tous les points de la courbe de demande, qui est aussi la courbe de revenu moyen du monopoleur, on pourrait ainsi déterminer le revenu marginal et, en reliant les points, en tracer la courbe. Elle se situe à mi-chemin entre la courbe de demande et l’axe vertical!17.
Pour ses coûts on pourrait faire de même. Comme nous avons présumé le coût unitaire de production constant, le coût d’une unité supplémentaire est égal au coût moyen. La courbe du coût moyen et celle du coût marginal coïncident.
À l’aide de ces deux courbes, on peut déterminer le point optimal pour le monopoleur. À partir du prix P1, il baissera son prix et augmentera la quantité vendue aussi longtemps que le revenu marginal dépasse le coût marginal, en d’autres mots aussi longtemps qu’une unité additionnelle vendue ajoute à son profit. Le point optimal se situe à l’intersection des deux courbes marginales. Le prix et alors PM et la quantité vendue, QM.
b.!Les effets du monopole
17 Mathématiquement, cela résulte du fait que la courbe de revenu moyen est représentée ici par une droite. À partir d’elle, on pourrait déterminer une courbe de revenu global (le produit du prix et de la quantité vendue). La courbe de revenu marginal est la première dérivée de la courbe du revenu global.
pertes et on devra à plus ou moins longue échéance quitter ce marché ou faire faillite.
Le contraste avec la situation du monopoleur permet de mieux saisir la situation de celui-ci. En vendant au prix O, on fait ses frais. Les facteurs de production reçoivent alors une rémunération suffisante pour les garder dans cette activité. La différence entre le prix pratiqué et le prix O est une «!rente!», un profit «!indu!» qui résulte du monopole.
Le graphique 3-14 montre la comparaison entre la situation du monopoleur hypothétique et celle de la concurrence. En situation de concurrence, le prix aurait tendance à s’établir à PC. La courbe de demande indique que chacun des acheteurs aurait été prêt à payer plus que ce prix pour obtenir le produit en question. L’ampleur de la «!prime!» varie selon les acheteurs!: c’est la distance entre la ligne horizontale PC et la courbe de la demande. En achetant tous à PC, tous lesacheteurs ont reçu un surplus. La somme de ces surplus (donc les triangles 1 et 3, ainsi que le rectangle 2) est le «!surplus des consommateurs!».
Devant le monopoleur, les consommateurs dont le surplus se situait dans le triangle 3 disparaissent du marché!: ils n’ont plus les moyens de s’offrir le produit en question. Pour ce qui est des autres, ils achètent à PM. Il leur reste le surplus indiqué par le triangle 1. La partie de leur surplus représenté par le rectangle 2 se trouve désormais dans la poche du monopoleur.
c.!La discrimination des prix!18
Nous avons pris pour acquis jusqu’ici que le monopoleur offre le même prix à tous les clients. Supposons maintenant qu’il puisse proposer des prix différents selon le groupe de clients à qui il s’adresse. On pourrait alors tenir le raisonnement suivant. Dans le graphique 3-14, le monopoleur fixe son prix à PM et ne vend que QM, parce que, en réduisant davantage son prix et en vendant plus, il ne compense pas sa perte par unité par ses ventes plus nombreuses.
Mais s’il pouvait servir la clientèle existante à PM et proposer le même produit à un prix inférieur à des clients maintenant laissés pour compte? Il augmenterait alors son profit, tout en servant davantage de clients, ce qui diminue la perte sèche dénoncée ci-dessus. Le graphique 3-15 montre une discrimination de prix en trois volets.
18 Gwartney /Stroup 1992, 510-513; Friedman 280-230.
La discrimination de prix présuppose que le fournisseur puisse distinguer des groupes de clients avec des préférences différentes quant à son produit et qu’il puisse empêcher des clients qui ont acheté à bas prix de revendre à d’autres clients qui devraient acheter à prix plus élevé. Ce dernier phénomène est appelé arbitrage par les économistes. Il est particulièrement évident sur les marchés financiers!: si les taux de change varient d’une bourse à l’autre, on peut réaliser des profits par l’arbitrage. L’arbitrage a pour effet important de diffuser le plus rapidement possible l’information sur la valeur commerciale des biens et d’uniformiser les prix pratiqués à travers le monde.
Ce dernier exemple montre que la discrimination des prix n’est pas limitée au marché monopolistique. Tout marché à l’abri de l’arbitrage s’y prête. L’analyse proposée ci-dessus a sa place dans un marché concurrentiel. Les fournisseurs tentent d’établir le prix pour chaque segment de leur clientèle comme le ferait notre monopoleur hypothétique. Les clients dont la demande est très élastique (parce qu’ils acceptent facilement des alternatives, y compris l’abstention) se voient offrir des prix moins élevés que les autres, ce qui explique sans doute la pratique générale des tarifs particuliers pour les jeunes.
a.!Monopole et concurrence - approche traditionnelle
Le monopole est une position enviable pour le fournisseur. Ayant le contrôle sur le prix pratiqué et sur la quantité du produit négociée sur le marché, il peut se procurer des rentes inaccessibles à ceux qui vivent la concurrence de multiples fournisseurs de produits semblables. Bien entendu, ce sont les consommateurs qui en font les frais!: certains se trouvent exclus du marché auquel, par hypothèse, ils auraient accès en situation de concurrence; les autres paient plus cher le produit en question et transfèrent ainsi une partie du surplus du consommateur au fournisseur.
On a alors pensé retenir comme indice du monopole la part du marché que détient une entreprise. Un marché concurrentiel serait caractérisé par la présence de nombreux offrants. Si la part d’une entreprise dans un marché est trop importante, si cette entreprise occupe une «!position dominante!», on se plaît à conclure qu’il y a quasi-monopole et à suspecter des démarches visant à atteindre le monopole. On se croit alors justifié d’intervenir pour interdire à l’entreprise en question les démarches dont l’effet serait de renforcer sa position (par exemple, fusionner avec une autre dans le même secteur ou d’en prendre le contrôle) ou encore pour ordonner à l’entreprise de se départir (divest) de certaines activités, de manière à constituer plusieurs entreprises indépendantes plus petites. C’est ainsi que dans le cadre de la déréglementation des télécommunications aux ÉtatsUnis, on a ordonné à AT & T de se départir des compagnies de téléphones régionales, qui sont devenues les «!Baby Bells!». Dans les années 1990, la question s’est posée à propos de la fusion entre les avionneurs Boeing et McDonnell-Douglas, qui a finalement été approuvée. En 1997, le ministère de la Justice américain a intenté une poursuite à Microsoft au motif que l’entreprise aurait acquis une position de monopole grâce à l’intégration de son système d’exploitation Windows et de son logiciel de navigation Internet Explorer!19.
19 L’affaire s’est soldée en première instance par la condamnation de Microsoft pour pratiques monopolistiques!: U.S. v. Microsoft Corp., 84 F.Supp.2d 9 (D.D.C., 1999) (5 nov. 99) (jugement intérimaire sur les faits) et 87 F.Supp.2d 30 (D.D.C., 2000) (3 avril 2000) (jugement final). L’autorisation d’en appeler directement à la Cour suprême des États-Unis a été refusée le 26 sept. 2000!: Microsoft Corp. v. U.S., 2000 WL 1052937 (U.S., 2001). Sur le fond de cette affaire lire Liebowitz/Margolis 1999.
20 U.S. v. E.I. du Pont de Nemours, (1956) 351 U.S. 377, 76 S.Ct. 994 (1956) soulève justement cette question. Du Pont se voyait accusée de monopoliser le marché du cellophane, dont elle produisait 75% de la consommation américaine. Pourtant, du Pont ne fournissait que 20% du matériel d’emballage flexible. Quel était le marché pertinent?
b.!Une conception dynamique de la concurrence
Il y a cependant une objection plus fondamentale à l’analyse de l’intensité de la concurrence par parts de marché. C’est qu’elle ne rend pas compte de la nature véritable de la concurrence. La présentation du fonctionnement du marché ci-dessus, qui est due à l’École néo-classique en économie!21, traduit une conception statique de la concurrence!: en présence de nombreux fournisseurs offrant un produit relativement homogène à une clientèle nombreuse et bien informée, le prix tend à s’établir au niveau d’équilibre (Graphique 3-6). L’essor de l’Occident!22 est dû, cependant, non pas aux équilibres, mais justement aux innovations dans les produits et dans leur mise en marché, qui ont perturbé les équilibres établis ou en voie de formation. Pour bien comprendre le phénomène, il convient d’adopter une conception dynamique de la concurrence!23.
formule, ou encore d’entreprendre, à leur tour, une nouvelle innovation et
21 L’École néo-classique en économie commence dans les années 1870, avec les travaux de Carl Menger, de Stanley Jevons et de Léon Walras, qui ont effectué la révolution marginaliste, en introduisant dans l’analyse économique les notions de coût marginal et de revenu marginal. L’École trouve son achèvement dans les travaux de Paul Samuelson en 1947 (Samuelson 1947) et de Arrow/Debreu 1954, qui montrent que, dans un monde où notamment tous les biens sont appropriés et négociables, les marchés évoluent vers un équilibre qui est en même temps un optimum de Paréto. Pour une critique récente de «!l’illusion!» de Samuelson, voir McCloskey 1997, 63-96.
On emploie le terme néo-classique pour marquer le contraste avec les économistes classiques, parmi lesquels figurent notamment Adam Smith, Jean-Baptiste Say, David Ricardo, Thomas Mathus, John Stuart Mill et Karl Marx.
22 Voir Baechler 1995; Rosenberg & Birdzell 1986.
23 Cette conception est préconisée par Joseph Schumpeter et par l’École autrichienne, dans laquelle on compte notamment Carl Menger, Eugen Böhm-Bawerk, Ludwig von Mises, Friedrich Hayek, et maintenant aux États-Unis, Israel Kirzner.
de proposer un produit nouveau dont l’attrait dépasse celui du produit de l’innovateur du départ. Et ainsi de suite.
L’innovation est coûteuse pour plusieurs raisons. Il faut développer les perfectionnements techniques et effectuer des tests pour assurer la viabilité du nouveau produit. Il faut attirer l’attention des consommateurs sur le nouveau produit. L’innovateur peut se tromper sur l’attrait que son produit présente pour les consommateurs et en faire les frais. Et l’entrepreneur qui fait face avec succès à tous ces casse-tête s’estime en droit d’obtenir une rémunération supérieure à la normale. Comment ses coûts vont-ils être financés?
Le processus de concurrence qui vient d’être décrit table sur l’appât du profit disponible pour la personne qui devine correctement la possibilité de lancer un nouveau produit, une nouvelle façon de faire. L’ampleur de l’appât détermine les risques que d’éventuels entrepreneurs se permettront de courir. Le marché capitaliste invite les participants à développer un esprit de veille (alertness, pour employer le terme proposé par Kirzner!24) pour détecter les possibilités de proposer un nouveau produit ou, pour le
24 Par exemple Kirzner 1973, 1997.
consommateur, de se pourvoir ailleurs!25. Cela présuppose qu’on garde l’oeil sur des prix couramment pratiqués pour différents produits, sur les caractéristiques de ceux-ci, etc. Et qu’on saute sur les occasions inexploitées que l’on aperçoit, effectuant ainsi des actes d’entrepreneurship.
Le propre des actes d’entrepreneurship réussis est de réaliser des possibilités qui n’étaient pas apparues aux autres participants au marché ou qui leur avaient paru insuffisamment prometteuses. L’acte d’entrepreneurship crée ainsi un gain ex nihilo, une nouvelle richesse. Il est, en outre, teinté d’une incertitude radicale!: le risque que prend l’entrepreneur n’est pas de l’ordre d’une loterie dont on connaît les probabilités de gain. Ces risques-ci, cumulés sur un assez grand nombre de cas, peuvent être déterminés avec précision, au moins en tant qu’espérances mathématiques, comme le démontrent devant nos yeux les compagnies d’assurance. Le terme incertitude — par opposition à risque — indique que de tels barèmes ne sont pas disponibles pour guider l’entrepreneur qui contemple une possibilité d’innovation!26.
25 Pour que la concurrence joue, il n’est pas nécessaire que tous les consommateurs soient constamment prêts à changer. Il suffit qu’un groupe réduit d’entre eux - dix à quinze pour cent - le soient. Schwartz/Wilde 1979.
26 Le terme est employé pour la première fois en ce sens précis dans Knight 1924.
27 Hayek 1968, 1984; Kirzner 1997, ch. 4.
Le processus de concurrence est une destruction créatrice, selon la célèbre expression de Schumpeter!28. L’introduction continue d’innovations entrepreneuriales repousse les frontières de ce qui est accessible aux êtres humains. Elle entraîne l’obsolescence, pour des raisons techniques, de biens surclassés par de plus récents. Ce changement se traduit immédiatement dans les prix!: le Macintosh sur lesquelles ces lignes sont écrites a été acheté à 4000$ il y a quatre ans; il ne vaut plus que 500$ actuellement, même s’il fonctionne impeccablement. Il en va de même des talents. Le métier des graphistes spécialistes de mise en page à l’époque de l’imprimerie au plomb a disparu, déclassé par l’avènement de la mise en page sur ordinateur. Une génération plus tôt, ceux qui avaient développé en art le métier de rouler des cigares à la main se sont vu déclassés par l’arrivée de machines qui pouvaient fabriquer en une heure le nombre de cigares qu’une équipe de quinze spécialistes roulait à la main en une semaine. Le processus capitaliste, en conséquence de la destruction créatrice sur laquelle il table, ne peut garantir à personne une situation stable durant toute sa vie. La sécurité, dans un système capitaliste, vient de la capacité de s’adapter, de saisir de nouvelles possibilités. Avec ses gains incontestables, le capitalisme apporte ainsi sa part d’angoisses et de menaces aux coutumes, aux façons de faire et aux institutions établies.
Certains craignent que cette tension minera la base même du capitalisme!29.
La conception dynamique a des conséquences importantes pour le rôle dévolu à l’État dans le maintien de la concurrence, c’est-à-dire pour le droit de la concurrence (anti-trust law en américain)!30. Dans une conception dynamique, le facteur essentiel assurant la concurrence est la possibilité pour un entrepreneur d’entrer dans un marché pour y concurrencer ceux qui sont déjà là. Les frontières du marché ne sont pas déterminées une fois pour toutes dans une conception dynamique!: la liberté de concurrencer a justement pour effet de permettre aux concurrents de modifier les contours d’un marché. Il est possible qu’un entrepreneur atteigne une situation où il est le seul à offrir un produit. Cette seule situation ne justifie pas une
28 Schumpeter 1950, 21 (c. III).
29 Par exemple Gray 1996; Barber 1996.
30 Droit qui fait l’objet d’un débat incessant aux États-Unis. Voir Duxbury 1995, 343-364.
intervention étatique, car ou bien le monopole est assez lucratif pour attirer des concurrents et il sera alors de courte durée, ou bien il fait tout juste ses frais et les entrepreneurs éventuels ont alors jugé que, dans l’état actuel des connaissances et aux prix pratiqués, il n’y a pas de place pour plus d’un fournisseur.
Et les cartels? Les développements dans le chapitre sur les jeux montrent que les cartels risquent de succomber aux tentations de tricherie des participants. Ils présentent une instabilité congénitale, sauf si l’État prête main forte à leur maintien.
On pourrait ainsi examiner l’ensemble des comportements interdits dans les lois sur la concurrence. En dehors des cas de fraude à l’égard des consommateurs, le caractère néfaste des pratiques touchant directement la concurrence (ex. prix prédateurs, dumping) paraît difficile à démontrer!31.
31 McChesney/Sughart II (1995); Brenner 1990.
32 Voir Duxbury, .
33 Voir Fischer 1983; Rubin 1995, 53-54.
La suite des événements est venue conforter la conception dynamique de la concurrence. L’avènement de la micro-informatique a bouleversé le monde de l’informatique et a projeté sur l’avant-scène une entreprise, Microsoft, qui n’était même pas engagée dans la production d’appareils. IBM, peut-être par prudence, a joué au début un rôle relativement modeste dans le marché de la micro-informatique.
À côté de ces cas d’exemple, il y a maintenant des études systématiques dénonçant le droit antitrust américain comme néfaste!34. Ces études aboutissent à la conclusion que, s’il y a liberté d’entrée sur un marché, les cartels sont instables et les monopoles (sauf ceux mis en place ou soutenus par le gouvernement) ne posent pas de problème d’importance. Le droit de la concurrence en ressort comme une forme de réglementation économique de l’industrie. Les coûts de la réglementation de l’industrie sont connus et élevés; ses bienfaits sont difficiles à démontrer.
Avec la déréglementation des télécommunications aux États-Unis à la fin des années 1970, les contraintes techniques qui paraissaient justifier la
34 McChesney/Sughart II 1995; aussi DiLorenzo 1985; Sughart/Tollison 1985; Brenner 1987.
35 Pour un survol des multiples méthodes par lesquelles le gouvernement crée des monopoles ou restreint la concurrence, lire Rothbard 1977, 37-82.
36 Posner 1999a.
37 Sur l’expérience britannique de réglementation de telles industries, nouvellement privatisées, voir!: Littlechild 2000.
conclusion du monopole naturel s’avéraient être non pas des données immuables, mais bien des contraintes contingentes qui étaient fonction de l’état d’avancement technique. Des innovations sont susceptibles de faire disparaître les indices mêmes qui nous font conclure au monopole naturel.
La déréglementation des télécommunications a révélé en outre à quel point la réglementation antérieure avait pu retarder l’innovation. Depuis, l’innovation, poussée par la présence de plusieurs fournisseurs sur le marché, a profité spectaculairement aux consommateurs!: multitude d’appareils téléphoniques, de modems, de services accessoires (traitement de la voix, appels en attente, etc.), de formules de service pour les appels interurbains. Avec le téléphone cellulaire, la télévision par câble et la proposition des producteurs d’électricité de transmettre des messages téléphoniques sur leurs fils, l’argument de monopole naturel fondé sur la nécessité de n’avoir qu’un seul réseau de câblage paraît avoir perdu sa crédibilité, même pour les appels locaux.
Le rapport entre le prix d’un bien, sa valeur et son coût pose problème au juriste. Depuis le droit romain, on a admis la possibilité de rescinder la vente de l’immeuble vendu pour moins de la moitié du juste prix!40. L’idée se reflète dans l’article 1674 du Code civil français actuel, qui permet la rescision de la vente d’un immeuble dans laquelle le vendeur est lésé pour plus des sept douzièmes du prix. Carbonnier fait remonter l’idée d’un juste prix des biens à la doctrine des Pères de l’Église catholique, selon laquelle il y a péché à ne pas contracter au juste prix. Le juste prix traduirait la valeur du bien.
Comment déterminer cette valeur? On a pu rechercher le critère dans le travail qui a été nécessaire pour sa mise au point. L’idée a d’ailleurs trouvé
38 Kirzner 997, 58-63.
39 La création de monopoles par l’autorité publique a une longue histoire!: Rosenberg/Birdzell 1986, 136.
40 Carbonnier 1956/1972, no 37, 123.
son chemin dans la doctrine officielle des anciens pays socialistes!: le coût des biens se mesure par le travail humain investi dans sa mise au point.
Quelle est alors la valeur des 250 exemplaires de l’Index? Manifestement, il ne se trouvait pas, à l’époque, preneur au coût unitaire qui reflétait les dépenses réellement engagées par le juge. L’intéressé peut bien attribuer à ces exemplaires une valeur de 100!000$. Cette valeur est subjective et n’engage que lui-même. Elle indiquerait tout au plus qu’il ne vendrait pas cette collection à un prix inférieur. Tant qu’il ne se présente pas de preneur, cette indication ne donne pas la valeur. Admettons maintenant qu’une contre-proposition soit faite et acceptée à 2!500$. Cela indique que le cocontractant s’attend, en acquérant les exemplaires à 10$ l’unité, à les revendre à profit parmi les juristes québécois. En même temps, l’acceptation de la contre-proposition par l’intéressé signale qu’il a révisé son évaluation à la baisse. Sur la foi de quoi se ferait cette réévaluation? Il faudrait considérer ce qu’on pourrait faire des 250 exemplaires si la contreproposition était rejetée. Manifestement l’intéressé ne réussit pas à les vendre. Faut-il les solder ou même les vendre comme du vieux papier? Ce qu’on compare alors est l’usage envisagé et le meilleur usage alternatif qu’on peut envisager.
L’intéressé, au moment d’engager les sommes qui lui ont permis de confectionner l’Index, avait sans doute l’espoir de récupérer sa mise. Mais une fois la mise faite, il faut chercher la meilleure option désormais disponible, même si l’on ne peut rentrer dans les frais. Le coût d’une option est le meilleur usage alternatif envisageable. L’économiste l’appelle le coût d’opportunité. C’est cette notion qu’il faut employer dans les raisonnements économiques, de préférence au coût historique que représentent ici les 100!000$ dépensés.
Quelles conséquences découlent de cette conception pour la notion de lésion? Elle ne peut, sans contresens, être fondée sur un écart objectif de valeurs. Le concept est une vue de l’esprit. La lésion ne peut donc reposer que sur les circonstances qui ont conduit à l’accord. Dans cette optique, l’article 1406, alinéa premier, du Code civil du Québec nous paraît critiquable!:
«!La lésion résulte de l’exploitation de l’une des parties par l’autre, qui entraîne une disproportion importante entre les prestations des parties; le fait même qu’il y ait disproportion importante fait présumer l’exploitation.!»
Il suppose déterminable la «!disproportion importante entre les prestations!». On doit lui préférer le nouvel article 3:44, paragraphe quatrième, du Code civil néerlandais!:
«!Une personne abuse des circonstances lorsqu’elle encourage la passation d’un acte juridique par une autre, tout en sachant ou devant comprendre, ce qui eut dû l’en retenir, que cette dernière y a été induite par des circonstances particulières, telles que la nécessité, la dépendance, la légèreté, l’état mental anormal, l’inexpérience.!»42
41 Friedman 1996, 23.
42 Haanappel/Mackaay 1990.
Cet article n’est pas cependant sans problème, car la mesure dans laquelle une personne peut connaître les états d’âme de son cocontractant soulève, elle aussi, des interrogations.
Le même phénomène se conçoit dans le temps. On achète à une époque où une denrée est abondante et peu chère (par exemple tout de suite après une récolte) pour revendre à une époque de pénurie. Il y a une différence avec l’arbitrage!: les prix à venir ne sont pas connus et celui qui achète à un moment donné en vue de revendre plus tard accomplit un acte d’entrepreneurship. Il parie que le prix sera plus élevé plus tard. S’il se trompe, il en subit les contrecoups, ce qui lui donne une raison de tenter de parier juste.
Le phénomène est connu comme la spéculation. Il a mauvaise presse parce que, aux yeux du profane, le spéculateur réalise un bénéfice indu. En outre, comme il vend chères les denrées justement au moment où elles sont devenues rares, il paraît exploiter les gens dans le besoin.
Cette analyse est toutefois erronée. Écoutons Adam Smith!:
La spéculation joue ainsi le rôle d’une forme d’assurance. Elle est essentielle dans le marché sur les options à terme!44.
Le rôle joué par l’arbitrage et par la spéculation permettent de comprendre le phénomène de l’intermédiation!45. Les intermédiaires (middlemen) constituent le trait d’union entre ceux qui possèdent un bien en relative abondance et ceux qui n’en ont pas assez et voudraient l’acheter. En achetant aux uns dans l’espoir de vendre aux autres, l’intermédiaire fait un acte d’entrepreneurship en pariant pouvoir faire le lien entre les uns et les autres. Dans la mesure où son pari réussit, il ouvre, aux deux groupes, des possibilités qu’ils ne pouvaient pas réaliser seuls; il crée ainsi une richesse nouvelle. L’intermédiaire s’attribue les profits résultant de l’intermédiation réussie; il assume le coût de celle qui aurait raté. Il est donc motivé à se tromper le moins souvent possible. L’opprobre réservé aux marchands dans les théories socialistes est injustifié. Leur rôle est, au contraire, essentiel dans une économie de marché.
43 Smith 1776/1937, 490 (Liv. IV, ch. V, Annexe!: Digression concerning the Corn Trade and Corn Laws) (traduction); sur la spéculation voir aussi Brenner/Brenner 1990; Friedman 1996, 183 s.; Lepage 1985, 445-448 (Annexe 1).
44 Voir par exemple Veljanovski 1985; Berthon/Gallais-Hamonno 1994.
45 Voir par exemple Landa 1981, 1987, 1994.
C.!LES IMPERFECTIONS DU MARCHE
La démonstration se fonde sur plusieurs prémisses, comme la concurrence sur tous les marchés, l’appropriation de tous les biens et services négociés dans les marchés et son corollaire, l’imputation de tout coût de production au producteur plutôt qu’à un tiers, ainsi que l’information complète de tous les participants sur les options qui s’offrent à eux.
Dans les faits ces conditions sont rarement remplies dans leur intégralité. Lorsqu’elles ne le sont pas, le modèle néo-classique détecte une imperfection du marché ou encore une carence du marché47 ou même une défaillance du marché (market imperfections/failure)48. Les plus importantes imperfections du marché sont le monopole et d’autres formes de concurrence truquée; les biens collectifs, c’est-à-dire des biens non susceptibles d’appropriation; les externalités; l’information incomplète ou asymétrique des participants à une transaction ou leur rationalité limitée. Ces concepts ont été présentés dans le présent chapitre et ceux qui précèdent.
Il est facile de démontrer pourquoi, dans le modèle néo-classique, ces imperfections empêcheraient la production de certains biens ou leur production dans les quantités désirées, lors même que les consommateurs auraient été prêts à en payer le coût s’ils étaient disponibles. Le monopole conduit le monopoleur à restreindre la production en deçà de ce qui serait proposé aux consommateurs dans un marché concurrentiel, ce qui constitue
46 Démonstration due en particulier à Samuelson [1947] 1967.
47 Crozet 1997, 34.
48 Un bon exposé se trouve dans Smith Barrett 1974. Voir aussi Cowen (1988); Ledyard (1987).
en apparence un usage non optimal des ressources. La même conclusion s’impose pour d’autres formes de pratiques anticoncurrentielles.
Les externalités négatives imposent une partie du coût d’une activité sur des tiers; les externalités positives lui confèrent un avantage non compensé. L’externalité négative implique que le prix de l’activité reflète incorrectement les sacrifices nécessaires pour sa production. La personne qui le produit ne fait face qu’à une partie du coût réel. Le coût privé dont tient compte le producteur ne couvre qu’une partie du coût social. Les biens produits en pareilles circonstances seront proposés trop bon marché et entraînent une mauvaise allocation des ressources.
Enfin lorsque les participants au marché sont mal informés sur les options qui se présentent à eux, ils risquent de faire des choix qui s’avèrent loin d’être les meilleurs. Dans toutes ces circonstances d’imperfections du marché, on ne peut plus prendre pour acquis la tendance, démontrée dans le modèle néo-classique, d’une évolution autonome des forces sociales vers l’équilibre qui est en même temps un optimum.
La théorie économique du bien-être, jusqu’au milieu du vingtième siècle, interprétait ces résultats comme signifiant que la seule apparence de phénomènes que l’on pourrait analyser comme des imperfections du
49 David Hume les avait déjà clairement reconnus : «!Thus bridges are built; harbours open'd ; ramparts rais'd; canals form'd; fleets equip'd; and armies disciplin'd; every where, by the care of government, which, tho' compos'd of men subject to all human infirmities, becomes, by one of the finest and most subtle inventions imaginable, a composition, that is, in some measure, exempted from all these infirmities!» (Hume 1740, 538).
Cette analyse souffre de plusieurs faiblesses. S’il est vrai que les phénomènes libellés imperfections du marché soulèvent des interrogations sur le plan théorique, leur présence n’est pas directement observable. Une transaction n’a-t-elle pas lieu en raison d’une imperfection du marché ou en raison de conditions normales de rareté (coût)51? Les films français réussissent-ils moins bien même dans les cinémas en France que les films américains en raison d’une quelconque défaillance du marché (quasimonopole, manque d’information des consommateurs français) ou pour la raison, plus banale, que les consommateurs français préfèrent les films américains? On ne peut trancher la question par une simple observation52. Il en résulte que la seule présence d’éléments qui permettent d’appréhender une imperfection du marché ne suffit pas à justifier une intervention correctrice de l’État. En outre, rien n’assure que l’intervention de l’État qui se veut correctrice réussisse à remédier à l’imperfection du marché sans entraîner, de son propre chef, des coûts différents mais supérieurs à ceux des imperfections dénoncées.
Les phénomènes que nous appelons imperfections du marché n’ont pas échappé à nos ancêtres, qui leur ont souvent trouvé des réponses hors de l’action de l’État. Au cours des quarante dernières années, une série d’études percutantes, toutes de nature empirique, ont démontré que des produits et services cités dans la littérature économique comme exemples typiques d’imperfections du marché avaient en fait été produits par l’initiative privée.
51 Wagner 1996, 8-21.
52 Wagner 1996, 8-21, qui soutient que le concept est donc ni vérifiable, ni falsifiable, et partant non scientifique.
La pollinisation par les abeilles était donnée en exemple d’une externalité positive, empêchant le marché de produire ce service. Cheung mit en lumière un marché privé florissant pour de tels services, exécutés au moyen de déplacement de ruches53. De même, les phares côtiers étaient cités comme des biens irrémédiablement collectifs, jusqu’à ce que, en 1974, Coase démontra que dans l’histoire d’Angleterre ce service était fourni sur une base semi-privée, financé par des contributions des navires entrant dans les ports desservis par les phares54. Coase s’est aussi attaqué à la notion d’externalités négatives, montrant qu’il s’agissait de conflits relatifs à l’usage d’une ressource rare sur lesquels les droits de propriété sont incomplètement spécifiés. Il suffit, suivant cette démonstration, d’attribuer à l’une ou l’autre des parties au conflit le droit à l’usage en question pour que l’externalité soit «!internalisée!» et le conflit résolu. Si les coûts de transaction sont négligeables, la solution retenue favorisera dans tous les cas l’usage le plus profitable, quelle que soit la partie à qui le droit est attribué55. La conclusion qui se dégage de l’ensemble de ces études56 est que l’apparence d’imperfection ne suffit pas pour établir la nécessité d’une prise en charge de l’activité par l’État ou d’une autre intervention correctrice.
53 Cheung 1973. De Meza 1998, 279 attribue ce mythe à James Meade 1952.
54 Coase 1974. De Meza 1998, 279 attribue ce mythe à Pigou 1932, 184, qui lui-même s’appuyait sur Sidgwick 1901, 406.
55 Coase 1960.
56 Il conviendrait d’y ajouter des études qui mettent en doute la phénomène de la «!path dependence!», la présumée tendance de l’économie de rester prise dans des solutions non optimales qui résultent de choix antérieurs qu’il serait trop difficile d’abandonner. Voir Liebowitz/Margolis 1990. Shleifer/Vishny 1998 dégonflent, au chapitre 9, l’idée voulant que les entreprises publiques corrigent les déficiences du marché lorsqu’il y a danger de monopole ou d’externalités significatives; en fait, les entreprises publiques sont moins performantes que les entreprises privées, en raison, en particulier, des pressions politiques exercées par les politiciens (151); souvent elles créent des emplois factices et versent des salaires gonflés (152).
compter, en dehors de la tendance de se perpétuer indéfiniment, sa susceptibilité à la recherche de rentes par des groupes d’intérêt agissant sous le couvert de l’intérêt général, de même que l’absence d’incitations nettes à l’innovation pour ceux qui agissent au nom de l’État57.
CONCLUSION
Dans ce chapitre, nous avons examiné ce que la théorie économique propose pour nous aider à comprendre le fonctionnement des marchés et la nature de la concurrence. La présentation du marché tablait sur le modèle néo-classique, qui capte son objet de manière statique et met l’accent sur la tendance vers l’équilibre.
«!Pour beaucoup de fins pratiques en économie appliquée, la théorie reçue de l’équilibre propose un raccourci utile pour comprendre ce qui se passe dans les marchés. En considérant quels sont les effets d’une interférence étatique précise avec le marché (par exemple, pour comprendre comment un prix plafond crée une pénurie, ou un prix plancher un surplus), l’économiste autrichien aura sans doute recours aux simples diagrammes d’offre et de demande de Marshall autant que ses collègues néo-classiques ( ) Rien dans ce texte n’a pour but de dénigrer l’utilité éventuelle de la théorie reçue de l’équilibre comme un algorithme servant à déterminer
57 Sur cette question, voir notamment Henderson 1998; Komesar 1994; Shleifer/Vishny 1998.
58 Sur le droit de la concurrence canadien, dix ans après la réforme de la loi, voir le numéro spécial de la Review of Industrial Organization, vol. 13, nos 1-2 (avril 1998) 1-270.
approximativement les conséquences de changements précis
venant de l’extérieur du système économique.!»59
POUR ALLER PLUS LOIN
Parmi les textes d’introduction à la micro-économie, les plus intéressants évitent de présenter l’économie comme un automate et mettent l’accent sur le rôle des décisions humaines et sur la découverte de nouvelles façons de faire. Le court texte de Kirzner est exemplaire à cet égard!60. Baechler adopte la perspective évoquée dans son livre sur le capitalisme, dont il convient de souligner la quatrième partie. Sur la concurrence on peut lire Salin!61. Ceux qui aiment le style de présentation de David Friedman trouveront une introduction informelle à la microéconomie dans son texte sur l’ordre caché!62. Des textes plus techniques sur la micro-économie sont de la main de Gwartney et Stroup, d’une part, de
59 Kirzner 1997, 52 (traduction)!: « For many workaday purposes in applied economics, mainstream equilibrium theory offers a useful short cut to understanding what happens in markets. In considering what the consequences are of specific governmental interferences in markets (for example, in seeing how price ceilings generate shortages or minimum prices generate surpluses), the Austrian economist is likely to find himself using the same simple Marshallian supply-anddemand diagrams as his neo-classical colleagues. (..) Nothing in this paper is intended to denigrate the possible usefulness of mainstream equilibrium theory to serve as the algorithm for roughly identifying the consequences of specific kinds of exogenous change.!»
60 Kirzner 1997.
61 Salin 1995.
62 Friedman 1996.
celle de Friedman de l’autre!63.Quelques leçons importantes que l’on peut tirer de la science économique sans se plonger en détail dans la microéconomie sont proposées dans Gwartney et Stroup!64. Sur l’à-propos des interventions au nom du droit de la concurrence on lira Liebowitz et Margolis!65.
63 Gwartney/Stroup 1992; Friedman 1992a.
64 Gwartney/Stroup 1993.
4
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Le risque et l’assurance
«!(..) a society in which no one fears the consequences of risk-taking may provide fertile ground for antisocial behavior.!» (Bernstein 1996, 206)
Les décisions des acteurs économiques portent non seulement sur des objets certains (commander ou non une tasse de café et un croissant au café du coin), mais aussi sur des matières qui comportent un aléa, un élément incertain. En achetant un billet de Loto Québec, on sait qu’on a une chance, mais non la certitude de gagner. En entreprenant des études en droit, vous espérez améliorer vos chances d’emploi et le revenu que vous en tirerez. En «!développant!» la région du Mont Tremblant, les promoteurs espèrent attirer une nouvelle clientèle nombreuse qui leur fera récupérer la mise considérable qu’ils font pour ce développement.
Toutes ces situations présentent un élément d’incertitude. Elles diffèrent par leur nature. Dans le cas de la loterie, on connaît statistiquement les chances de gagner et le plus souvent les responsables de la loterie les divulguent. L’amélioration des perspectives par suite des études en droit est moins certaine, surtout avec la prétendue «!saturation!» du marché des avocats et des notaires. Mais dans une économie ouverte, quel sens faudrait-il donner à cette «!saturation!»!? Le chemin que vous parcourez en poursuivant des études en droit est loin d’être inédit et ici également il serait possible de déterminer statistiquement l’éventail de vos chances d’améliorer ainsi vos perspectives. Quant au développement du Mont Tremblant, l’élément incertain est encore plus prononcé; il paraît difficile de déterminer statistiquement ses chances de réussite avec une précision acceptable.
Chacun de nous, à des degrés variables d’une personne à l’autre, prend des risques et entreprend des projets aux issues incertaines. Dans la plupart des questions touchant notre vie, le risque et l’incertitude nous apparaissent comme des coûts. Nous cherchons à les éviter ou à en réduire l’incidence sur notre vie.
Nous différons les uns des autres dans notre préférence et notre aptitude à faire face aux risques. On peut donc s’attendre à une spécialisation dans la tâche d’absorber différents types de risque ou d’incertitude. L’assureur est manifestement mieux placé que le simple citoyen pour absorber le risque d’un incendie dans la maison de ce dernier. Cela explique l’intérêt pour les deux du contrat d’assurance que le propriétaire de maison souscrit auprès de l’assureur.
Devant l’éventualité d’accidents ou d’autres événements avec un élément de risque ou d’incertitude non désiré, nous pouvons adopter plusieurs positions. Le Tableau 1 les résume.
Si des moyens de prévention du risque en question sont connus, il faut déterminer s’il convient de les adopter. La réponse est affirmative pour tous les moyens de précaution dont le coût est inférieur à la réduction du coût du risque qu’ils permettent de réaliser. Il s’agit là du «!calcul préventif!» qui est à la base de la responsabilité pour faute.
Lorsque nous n’avons pas ou pas immédiatement à notre disposition des moyens de réduire l’incidence du risque, il faut l’assumer. Il y a plusieurs manières de le faire. Nous pouvons absorber le risque nous-mêmes, le faire dévier sur un tiers ou l’assurer. L’option d’absorber nous-mêmes les risques est résiduelle; elle s’applique dans tous les cas où aucune autre voie ne peut être empruntée.
Notre société connaît différents schémas qui font dévier un risque sur des tiers. Par exemple, le risque pour les pêcheurs canadiens de ne plus pouvoir pêcher en raison de l’épuisement des stocks de poissons dans les océans est dévié sur la communauté entière sous la forme d’allocations gouvernementales aux pêcheurs. Ce régime comporte une forme de redistribution, dont l’explication est à rechercher, à l’aide de la théorie de public choice, dans le fonctionnement du processus politique.
On peut, enfin, faire appel à l’assurance. L’assurance se distingue de l’option précédente en ce que, en principe, elle fait payer à l’assuré, sous la forme d’une prime certaine, le coût exact du risque qui le concerne. L’assurance substitue à un coût important mais incertain un coût réduit mais certain. L’assureur est l’intermédiaire qui réalise cette substitution. Son intervention, nous le verrons, fait que, pour l’assuré, le fardeau du risque paraît plus léger à porter que s’il devrait l’assumer lui-même. L’assurance procure ainsi à l’assuré un gain de bien-être. Ce gain peut amener l’assuré à entreprendre une activité qu’il jugerait autrement trop risquée.
Imaginons la situation suivante dans un monde plus simple que le nôtre, où l’assurance est inconnue. Nous sommes 3!000 propriétaires de maison et nous cherchons à nous prémunir contre les ravages causés par les incendies de maison.
Bon an mal an, trois maisons passent au feu. Deux parmi ces trois sont des maisons en bois, la troisième est en brique. Le remplacement d’une maison en bois coûte 45!000 écus, celle d’une maison en brique, 60!000 écus. La moitié des propriétaires a une maison en bois, l’autre moitié une maison en brique. Les sinistres coûtent en moyenne 150!000 écus par an, soit deux fois 45!000 écus pour les maisons en bois détruites et 60!000 pour la maison en brique.
En réunissant nos efforts, nous pouvons couvrir ces dégâts par une cotisation de 50 écus par an pour chaque membre du groupe. La somme de 50 écus est l’équivalent certain d’une perte incertaine. C’est la prime d’assurance.
L’arrangement correspond aux mutuelles qui se sont développées au cours de l’histoire pour les risques de sinistres, mais aussi, et même assez récemment, pour les risques de maladie et de chômage. L’intérêt des mutuelles est de permettre la mise en commun ou socialisation des risques (risk pooling).
On pourrait penser que cette différenciation constitue une entrave au fondement de solidarité de la mutuelle. Mais à bien y regarder, la cotisation plus élevée pour les propriétaires de maisons en bois paraît juste. Leurs contributions suffisent justement pour couvrir les pertes prévues de maisons de bois, c’est-à-dire les pertes dans leur catégorie. Si les propriétaires des maisons en brique mettaient à exécution leur menace de quitter, les 1!500 membres qui resteraient devraient se cotiser la somme de 60 écus. Les 3!000 propriétaires peuvent donc rester ensemble à la condition de différencier les contributions (primes) pour correspondre aux risques que chacun impose au pool.
Jusqu’où différencier les assurés? À la limite, dans un monde hypothétique sans friction et avec connaissance parfaite, chacun se trouverait dans une catégorie à lui seul correspondant exactement à son profil de risque particulier. La prime d’assurance serait alors l’exact équivalent certain du risque qu’il demande d’assurer. Dans les faits, il y a cependant des coûts de transaction. Premièrement, il est coûteux d’obtenir l’information nécessaire pour différencier les clients!: il faudrait, par exemple, inspecter l’objet assuré au moment de la conclusion du contrat et régulièrement après. Dans la mesure où cette surveillance reste incomplète, l’assuré peut, en deuxième lieu, s’engager dans des comportements stratégiques qui compliquent la différenciation. Examinons ces coûts de transaction.
Pour les propriétaires des maisons en bois, le coût additionnel de 5 écus ne présente pas d’intérêt. En fait, ils ne le paieraient pas. Étant donné qu’ils constituent le groupe au risque le plus élevé, l’assureur peut se contenter de leur demander la prime de 60 écus par an sans inspection. L’assureur qui agirait autrement verrait ce groupe de clients quitter pour rejoindre le concurrent qui ne fait pas de distinction mais demande uniformément la prime la plus élevée.
Il en résulte que le coût de la différenciation s’impute aux risques qui profitent d’une prime inférieure par suite de la différenciation. Le processus de différenciation se poursuit jusqu’à ce que les coûts de l’information additionnelle à chercher pour une différenciation supplémentaire dépassent les avantages qui peuvent être accordés en conséquence, sous forme de prime réduite. Si les techniques disponibles pour obtenir l’information changent, par exemple du fait de la surveillance que les membres du pool peuvent exercer entre eux ou par suite d’avances techniques dans la communicatique ou des connaissances au sujet des risques, la différenciation que l’on peut économiquement entreprendre s’étendra en conséquence. L’assureur qui refuse alors d’effectuer la différenciation supplémentaire qui se justifierait selon ces critères verrait ses meilleurs clients quitter. Il resterait pris avec les pires risques, ce qui l’obligerait à brève échéance à augmenter ses primes pour correspondre aux risques plus élevés qu’il assure désormais. La concurrence impose ainsi la différenciation. L’assurance implique certes la solidarité, mais seulement à l’intérieur des catégories auxquelles aboutit la différenciation.
Admettons que le remplacement d’une maison en béton passée au feu coûte 75!000 écus. Cette information ne suffit pas pour fixer la prime. Dans le cas envisagé ci-dessus, nous savions en outre, pour chaque catégorie, combien de maisons en moyenne sur 1!500 passaient au feu chaque année.
Cette information permet de déterminer la probabilité qu’une maison d’une certaine catégorie passe au feu durant une année. Elle est ici égale à la fréquence relative. Pour les maisons en bois, la probabilité d’un sinistre est égale à 2 sur 1!500 ou 0,133 %. Pour les maisons en brique, la probabilité est de 1 sur 1!500 ou 0,067 %. La probabilité est un chiffre compris entre zéro et un. Elle formalise la notion intuitive des chances de survenance d’un événement.
À l’aide de la probabilité et du coût du sinistre, s’il devait arriver, nous pouvons déterminer le fardeau exact du risque que court chaque propriétaire. C’est le produit de ces deux valeurs. Pour une maison en bois, c’est 0,00133 * 45!000, soit 60 écus; pour une maison en brique, c’est 0,00067 * 60!000 écus, soit 40 écus. Le produit de la probabilité d’un événement (p) et du coût s’il se réalise (V), ou p * V, s’appelle l’espérance mathématique (expected value).
Dans notre exemple, la prime demandée à chaque assuré correspond à l’espérance mathématique du risque qu’il contribue au pool. L’assurance est alors équitable. En réalité, la prime d’assurance comporte en outre une composante de frais d’administration, que nous ignorons ici.
Dans l’exemple du développement du Mont Tremblant évoqué en début de chapitre, nous ne disposons pas de statistiques permettant de déterminer une probabilité. Pourtant ceux qui décident de s’engager dans ce projet se laissent guider, eux aussi, par les chances de réussite du projet. La probabilité qui traduirait cette idée ne peut correspondre à la fréquence relative, étant donné le caractère assez unique du projet. Elle est ici une notion subjective, qui reflète l’intuition de quelqu’un au sujet des chances de succès. Malgré leur caractère subjectif, de tels estimés peuvent être utiles pour comparer plusieurs projets avec des composantes aléatoires. On calcule alors l’équivalent certain pour chaque option. L’équivalent certain se compose de la somme de l’espérance mathématique des gains (ou pertes) si l’événement se réalise (p * V1) et de l’espérance mathématique des gains (ou pertes) s’il ne se réalise pas ((1-p) * V0). Dans les considérations cidessus, nous pouvions ignorer le deuxième terme, étant donné que l’assureur ne paie rien si le sinistre ne se réalise pas, ce qui veut dire que V0 est égal à zéro.
Il convient maintenant de se demander comment il se fait que l’assureur a un avantage comparatif sur le client en matière d’assurance. La différence vient de ce que pour le client, l’événement contre lequel il s’assure représente une perte dont le poids aux yeux de l’assuré est supérieur à l’espérance mathématique. Pour exprimer cette idée, on dit que les assurés ont généralement une aversion du risque.
Pour que la loi des grands nombres joue, il faut que les risques qui font partie du pool de l’assureur soient indépendants les uns des autres. Si le sinistre assuré devrait se déclarer dans un grand nombre de dossiers en même temps, l’assureur ne pourrait plus traiter ces risques comme équivalents à leur espérance mathématique. Ceci explique pourquoi les assureurs excluent le plus souvent de leurs polices les catastrophes naturelles comme les tornades, les guerres, les épidémies et autres désastres collectifs semblables. Alternativement il est loisible à l’assureur de se réassurer auprès d’un super-assureur comme Lloyd’s, dont les risques sont plus diversifiés que les siens, ou de former un consortium avec d’autres assureurs de manière à former un pool plus diversifié.
La clé de voûte de l’assurance est la diversification (risk spreading). Diversification veut dire la mise en commun de risques indépendants, c’està-dire qui ne connaissent pas des hausses ou des déclins en même temps. C’est le principe qui prévaut dans la constitution de portefeuilles de placements à la bourse.
Il convient maintenant d’ajouter du réalisme au modèle, en examinant les phénomènes qui peuvent faire déraper l’assurance!: les perversités.
Nous avons vu que le marché de l’assurance connaît des coûts de transaction non seulement sous la forme d’informations coûteuses au sujet des risques assurés, mais aussi dans les comportements stratégiques que l’assuré peut adopter en raison du coût de le surveiller. Il faut maintenant examiner cette deuxième dimension des coûts de transaction. Elle se présente en trois volets!: la sélection adverse (a) , le risque moral (b) et la dilution du risque (c).
a.!Nature
Si l’acquéreur d’un produit ou service (ici l’assureur qui cherche à connaître le risque que pose l’assuré) ne peut pas immédiatement en observer la qualité, qu’il pourra cependant déterminer par la suite en s’en servant, il présumera, au moment de la conclusion du contrat, la qualité moyenne ou même la plus basse, comme l’a montré Akerlof dans son célèbre article sur le marché des voitures «!citrons!» (lemons market). À la limite, ce problème d’information pourrait même rendre l’assurance non viable.
b.!Réponses
Une première réponse, juridique, est de sanctionner sévèrement toute réticence de la part de l’assuré au sujet de facteurs susceptibles d’influencer le risque. Dans le contrat d’assurance, le droit exige de la part de l’assuré une bonne foi à toute épreuve (uberissima fides) dans ses déclarations. Le Code civil du Québec, par exemple, énonce cette obligation de déclaration fidèle aux articles 2408 à 2410 et, pour l’assurance maritime, aux articles 2545 et s.. Aux termes de l’article 2410, le défaut de s’y conformer est sanctionné par la nullité du contrat d’assurance à la demande de l’assureur, «!même en ce qui concerne les sinistres non rattachés au risque ainsi dénaturé!». Cette sanction sévère est cependant tempérée dans le cas particulier d’une fausse déclaration au sujet de l’âge de l’assuré, sous réserve du droit de l’assureur d’ajuster la prime (2410 CcQ).
Une deuxième réponse table sur l’idée que l’information qui manque lors de la conclusion du contrat deviendra disponible à mesure que le contrat s’exécute. L’assureur peut donc initialement demander une prime moyenne et accorder des rabais lorsque l’assuré ne fait pas de réclamation pendant une certaine période (experience rating). On connaît ainsi, dans le domaine de l’assurance automobile, le «!taux bon conducteur!».
a.!Nature
Pour la plupart des événements assurés, la probabilité de survenance et l’étendue du dommage varieront selon le comportement de l’assuré; elles peuvent être réduites par des précautions qu’il prend. La probabilité de cambriolage est diminuée par l’installation de lampes autour de la maison, de serrures solides sur toutes les portes extérieures et d’un système d’alarme. La probabilité d’un accident avec la voiture variera selon qu’on l’utilise pour conduire au travail tous les matins ou seulement pour les courses et des balades en fins de semaine.
Ces deux exemples montrent les difficultés auxquelles font face les assureurs en déterminant la catégorie de risque dans laquelle il convient de placer l’assuré. Pour ce qui est des lampes, des serrures et du système d’alarme, l’assureur peut bien, par une visite initiale, constater leur présence ou absence et prendre sa décision en conséquence. Une fois le contrat d’assurance conclu, les ampoules peuvent brûler, les serrures peuvent rouiller au point de ne plus fermer correctement et le système d’alarme peut tomber en panne. Pour l’assuré, il est coûteux de corriger ces défaillances. En l’omettant, sachant que l’assureur ne vient pas inspecter de nouveau, il fait des économies, tout en recevant la même protection. Mais le fardeau implicite d’assurance augmente pour l’assureur. Il en va de même de l’assurance automobile conclue pour un usage de promenade, alors que l’assuré, le contrat une fois conclu, se sert de sa voiture pour se rendre au travail.
Bien entendu, en raison du risque moral, l’assureur voit ses coûts augmenter pour tous les assurés et ajuste ses primes en conséquence. Les assurés finissent par payer le coût de leur discrète insouciance. Si le risque moral est très sévère, l’assurance peut même devenir non viable. C’est pour cette raison que l’on ne peut pas s’assurer contre le risque de faillite de son entreprise ou contre les pertes en bourse.
b.!Réponses
Pour contrer le risque moral, l’assureur peut surveiller (monitor) le comportement de l’assuré une fois l’assurance souscrite, ou il peut tenter d’aligner l’intérêt de l’assuré avec le sien propre. La surveillance de l’assuré pose le problème de coût déjà évoqué ci-dessus. On peut cependant arriver à un résultat comparable par l’experience rating.
Pour aligner les intérêts de l’assureur et de l’assuré, il faut qu’une partie du coût du sinistre se répercute sur l’assuré, qui a alors intérêt à l’éviter. L’assuré doit donc assumer lui-même une partie du coût de la perte assurée, ce qui veut dire que l’assureur devrait refuser d’en assumer la totalité. Deux techniques connues pour arriver à ce résultat sont la franchise et la coassurance.
(i)!La franchise
La franchise consiste à laisser la première tranche du coût de chaque accident, jusqu’à concurrence de la franchise, pour le compte de l’assuré, l’assureur s’engageant à payer les pertes qui dépassent ce seuil. Dans les limites de la franchise, l’imprudence de l’assuré se retourne contre luimême, ce qui devrait lui donner une incitation à la prudence.
Le montant de la franchise peut être fixé à différents niveaux. Cela permet de moduler le système. Tous les assurés ne s’adonnent pas au même degré aux comportements stratégiques qui entraînent le risque moral. Les plus prudents auraient intérêt à se distinguer des autres pour bénéficier de primes inférieures. L’assuré prudent peut signaler sa prudence en acceptant une franchise importante. Ce comportement serait plus coûteux pour une personne imprudente et devrait pour cette raison constituer un indice fiable pour l’assureur, lui permettant de distinguer les prudents et les imprudents.
(ii)!La coassurance et le partage des risques
La coassurance ou le partage des risques engage l’assureur à payer une proportion déterminée des pertes assurées, le reste demeurant pour le compte de l’assuré. Cet arrangement est fréquent en matière commerciale. Les associés dans une société civile partagent le risque commercial de leur entreprise.
Dans la plupart des contrats d’assurance, l’assureur fixe le plafond de sa responsabilité. L’assuré assume alors le fardeau des pertes ou dépenses qui dépassent ce plafond. Il y a coassurance pour les cas où les réclamations dépasseraient le plafond.
(iii)!Le signalling
La stratégie de l’assuré prudent qui cherche à se faire connaître de l’assureur en acceptant une franchise ou une coassurance importante fait partie d’une famille plus large de comportements pour laquelle Spence a proposé le nom de signalling. Le signalling répond au problème de l’information manquante qu’a analysé Akerlof dans son article déjà évoqué sur le marché des voitures «!citrons!» (lemons market).
Spence lui-même a soutenu la thèse voulant que l’éducation permette de signaler un talent supérieur à la moyenne sur la marché du travail!: tous ne peuvent pas obtenir un diplôme universitaire, en particulier une maîtrise ou un doctorat. L’implication est que l’on poursuit des études supérieures dans le seul but de se distinguer du peloton, sans que cela apporte nécessairement des connaissances ou des talents recherchés sur la marché du travail.
On peut se demander alors si les études supérieures en particulier, servant surtout au signalling, ne constituent pas un immense gaspillage. La réponse est négative. Pour comprendre la raison, partons de la considération, élémentaire, que le signalling ne se maintiendra que si le coût de création du signal peut être récupéré dans le prix supérieur obtenu pour le bien ou le service en question. Ici comme ailleurs, la borne supérieure du coût d’un moyen d’information dépend directement de ce qui est disponible comme bien ou service concurrent. À mesure que le coût du signal augmente, se fera sentir la concurrence d’autres modes d’obtenir l’information véhiculée par le signal, y compris l’expérience acquise par l’acquéreur lors d’usage expérimental ou à l’essai du produit ou service.
Le signalling peut prendre bien des formes. Par exemple, le fabricant automobile peut révéler la qualité supérieure de ses voitures en offrant une garantie plus importante que ses concurrents. L’indice est difficile à imiter pour les concurrents fabriquant des véhicules qui tombent plus souvent en panne. Les marques de commerce servent de signaux. Le contenu de ce signal provient de la satisfaction antérieure du client ou d’autres clients et de l’engagement implicite du fournisseur à maintenir la qualité. Dans le cas des marques, l’empêchement de l’imitation vient de la loi plutôt d’une caractéristique matérielle du signal.
Un autre effet pervers possible provient de ce que la possibilité de s’assurer contre sa responsabilité civile provoquerait une baisse de prudence dont les tiers feraient les frais. La thèse paraît à première vue plausible. En l’absence d’assurance, le risque n’est pas apprécié à la valeur
10 Carr/Matthewson 1990.
de son espérance mathématique. Le fait que les gens cherchent à s’assurer montre leur aversion au risque et laisse entendre qu’ils perçoivent le risque comme plus lourd que sa valeur réelle et prennent les précautions en conséquence. L’assurance réduit ce fardeau et du même coup le niveau de précautions. Le phénomène ressemblerait au risque moral, mais touche les tiers (externalités).
Il est permis de douter de l’importance de ces perversités en pratique. La raison est que tout relâchement de prudence se traduirait par des réclamations auprès de l’assureur et provoquerait les réponses de celui-ci au risque moral!: surveillance, experience rating, franchise et coassurance11
L’économie du risque et de l’assurance permet d’expliquer plusieurs institutions juridiques, dans le contrat d’assurance (a), bien entendu, mais aussi dans d’autres domaines du droit (b à g).
Le contrat d’assurance est le véhicule juridique pour déplacer conventionnellement un risque sur une autre personne (risk shifting)12. Pour conclure un contrat d’assurance, l’assuré doit avoir un intérêt susceptible d’assurance. Le Code civil du Québec, par exemple, énonce cette condition aux articles 2418, 2419, 2481, 2511. Cet intérêt peut provenir de la propriété de l’objet assuré (sa maison, sa voiture), mais aussi de la responsabilité que l’assuré engage en cas de sinistre (responsabilité du
11 Cooter/Ulen 1996.
12 Rea 1993, 1998.
conducteur de voiture à l’égard de tiers, responsabilité d’un locataire pour les dégâts causés aux lieux loués).
La condition de l’intérêt susceptible d’assurance est une réponse au risque moral. La personne qui n’a pas cet intérêt pourrait être tentée de provoquer l’événement contre lequel elle s’assure. Pour la même raison, l’indemnité maximale que doit payer l’assureur ne peut dépasser cet intérêt. On connaît cependant l’assurance «!valeur à neuf!» dans l’assurance des résidences. On peut s’attendre à ce que, dans les contrats comportant cette stipulation, le risque moral fasse l’objet d’une attention particulière de la part de l’assureur.
Bien entendu, la sanction sévère de la nullité prête flanc au risque moral symétrique!: l’assureur qui voudrait se soustraire à ses obligations prétextant la moindre inexactitude dans les déclarations de l’assuré. Les règles détaillées du contrat d’assurance visent à contrer ces formes de risque moral aussi bien chez l’assureur que chez l’assuré.
Le risque moral se manifeste encore sous la forme des actes intentionnels de la part de l’assuré visant à provoquer le risque assuré. Il s’agit alors d’un cas voisin de la fraude et la sanction de la nullité à l’option de l’assureur s’impose. Un cas délicat se présente en matière d’assurancevie. Si le détenteur de la police attente aux jours de la personne assurée, il y a risque moral caractérisé, entraînant la résiliation de l’assurance (2443 CcQ). Le cas du suicide de l’assuré est plus délicat. Comme le suicide ne paraît pas refléter un risque moral caractérisé, l’assurance devrait être
13 L’art. 20 de la Loi concernant l’assurance maritime (S.R.C. c. C-22), comme l’art. 2545 CcQ, énonce pour le contrat d’assurance maritime la condition de «!la plus absolue bonne foi!».
maintenue. Le Code civil du Québec permet cependant une exclusion contractuelle de ce risque (2441 CcQ). Mais cette option est tempérée!: si le suicide intervient après plus de deux ans d’assurance interrompue, la stipulation est sans effet.
L’économie de l’assurance a des applications au-delà du droit des assurances. En fait, elle s’applique, moyennant éventuellement des adaptations, à toutes situations où une personne a une action contre une autre pour se faire dédommager d’une perte incertaine. Il est intéressant de se demander en particulier dans quelle mesure la personne dans ces situations pose un problème de risque moral et comment le droit le pallie.
Les projets d’intérêt public (comme les routes) nécessitent le plus souvent la mise à contribution d’une série de propriétés, dont certains titulaires pourraient se comporter en bastions, cherchant à extorquer la part du lion pour leur collaboration ou consentement de vendre. Il y a des techniques pour voiler un projet de ce type (en agissant par mandat clandestin par exemple). Historiquement, on a dû juger que ces moyens ne suffisaient pas toujours. Le pouvoir d’expropriation moyennant juste indemnité paraît exister dans tous les pays.
Une fois le pouvoir d’expropriation admis, se pose un problème de risque moral réciproque. Si aucune indemnité n’est accordée pour un bien réquisitionné pour le service public, les autorités ont tendance à abuser de leurs pouvoirs de réquisition!: un risque moral. L’obligation d’indemniser crée une incitation à la modération pour l’autorité publique et devrait l’amener à considérer si elle ne peut pas procéder par achat ordinaire.
Il y a cependant un revers à cette médaille. La personne qui sait que sa propriété risque d’être condamnée au service public mais qu’il recevra une juste indemnité a tout intérêt à entreprendre des actions de nature à augmenter la valeur de sa propriété, soit pour la rendre inabordable pour le projet envisagé, soit pour augmenter l’indemnité à recevoir. C’est sans doute ce risque moral qui explique que les indemnités accordées sont généralement inférieures à la valeur marchande du bien.
L’examen de l’expropriation nous a fait découvrir une symétrie de risque moral. Cooter et Ulen soutiennent qu’il s’agit d’un problème plus général, pour lequel ils proposent le terme de paradoxe de l’indemnisation15. Dans le domaine des accidents, pour encourager l’auteur de dommages éventuels à prendre les mesures de précaution justifiées, il faut lui faire payer le dédommagement intégral du préjudice pour la victime (test de Hand16). Mais le fait de recevoir cette indemnité a précisément pour effet d’enlever à la victime l’intérêt qu’elle aurait autrement de prendre de son côté les mesures préventives justifiées. Comme, dans notre droit, l’indemnité payée correspond exactement à l’indemnité reçue, il n’y a, en apparence, aucune façon de créer les incitations appropriées pour toutes les parties à cette interaction.
14 Epstein 1985.
15 Cooter/Ulen 1996, 233; 2000, 169, 246.
16 D’après le juge Hand dans United States v. Carroll Towing Co., 159 F.2d 169, 173 (2d Cir. 1947), Voir par exemple Posner 1998, § 6.1, 179-183.
Cooter et Ulen soutiennent que le problème se pose également à propos de l’inexécution des contrats. Il s’agit ici de créer l’intérêt pour le débiteur de s’exécuter et pour son créancier, de ne pas entreprendre des dépenses qui seraient gaspillées en cas d’inexécution.
Le fabricant répond des vices cachés du bien qu’il vend. Il fera une comparaison des coûts des moyens de prévention et des condamnations pour vices cachés ainsi évitées. Si, à la suite de ce calcul, les vices ne méritent pas d’être prévenus ou s’il n’existe pas de moyen de les prévenir, le fabricant agit comme assureur pour les ennuis qui arrivent à l’usager par suite des vices cachés. La prime d’assurance fait implicitement partie du prix d’achat du bien en question. Le régime des vices cachés crée donc une assurance légale obligatoire, car cette garantie ne peut être exclue dans le cas du fabricant. Bien entendu, le régime crée une incitation pour le fabricant à effectuer des recherches, techniques ou autres, pouvant mener à une réduction du coût de cette assurance, c’est-à-dire la somme des coûts de prévention et des coût de la responsabilité pour vices cachés.
Ici également se pose le problème du risque moral, sous la forme d’abus ou de mauvaise utilisation par l’usager. Le Code civil du Québec énonce expressément, en son article 1729, cette défense opposable à l’acheteur qui intente l’action en vices cachés.
Les entreprises commerciales posent généralement des risques non assurables en raison de leur caractère unique et du risque moral qui se présenterait à leur sujet. Les risques sont répartis autrement. Une première technique est la responsabilité limitée des actionnaires de la corporation (en Amérique du Nord) ou de la société anonyme (en Europe). Elle permet à des particuliers de participer à une entreprise sans engager l’ensemble de leur patrimoine. Cette mesure est de nature à augmenter globalement les capitaux disponibles pour des projets commerciaux, les particuliers préférant diversifier leur portefeuille d’actions. Les fonds mutuels tablent sur la même idée de diversification pour offrir à leurs participants une protection relative contre la fluctuation de la valeur des actions.
Le risque commercial de l’entreprise n’est pas assuré intégralement par ses actionnaires. Il est assumé également par ses créanciers. Cela devient évident au moment de la faillite. Lorsque les créanciers reçoivent 10% du montant de leurs créances, ils se sont portés assureurs de l’entreprise pour le surplus. Deux questions se posent à ce sujet, à savoir comment est payée la prime et comment est contrôlé le risque moral.
Examinons d’abord le créancier banquier. Comment le banquier détermine le taux d’escompte applicable à un client particulier? Le banquier cherche d’abord à récupérer à la fin du prêt la valeur qu’il prête aujourd’hui. S’il prévoit de l’inflation ou, si le prêt est libellé en monnaie étrangère dont le taux échange avec la monnaie nationale pourra se modifier en cours de prêt, le taux d’escompte doit en tenir compte.
Le banquier voudra, en deuxième lieu, s’assurer d’une rentabilité de base de l’argent prêté. Il fait son profit sur la différence entre le taux auquel il peut emprunter et le taux auquel il prête.
En troisième lieu le banquier doit couvrir ses frais d’administration. Ceux-ci dépendent en partie de la personne du client et de la nature du projet proposé. Pour certains il faudra faire des vérifications plus étendues que pour d’autres.
C’est cependant sur un quatrième facteur que les clients se distinguent. Il s’agit de la probabilité de remboursement de la dette. Le remboursement est un événement incertain pour lequel la banque agit comme assureur. La
quatrième composante du taux d’escompte proposé au client est la prime
17 Voir par exemple Fama 1965, 1970, 1980; Fama/Jensen 1983; Jensen 1976; Posner/Scott 1980, c. 6.
Une sûreté permet d’abaisser le risque pour le prêteur. La réalisation lui permet de rembourser sa dette par préférence sur les autres créanciers, pour qui, en revanche, elle augmente le risque de n’être pas remboursé!18. Ce n’est toutefois pas autant la réalisation de la sûreté qui intéresse le prêteur que l’effet incitatif de la constitution de sûreté. Le débiteur va tout mettre en oeuvre pour éviter de perdre la sûreté. La sûreté contre le risque moral. Pour les deux raisons, les créances garanties par une sûreté donnent lieu à des taux d’intérêt inférieurs à ceux des créances qui ne sont pas ainsi garanties.
Après la situation du banquier, examinons celle des autres créanciers. Tout comme le banquier, ils sont exposés au risque de déconfiture de l’entreprise débitrice et agissent implicitement comme coassureurs partiels de ce risque. La prime d’assurance pour ces créanciers prend la forme d’une provision «!pour mauvaises créances!». Elle fait partie des frais généraux de l’entreprise créancière et trouve ainsi sa place dans les prix pratiqués par elle. Si les enjeux le justifient, l’entreprise pourrait différencier les clients et leur proposer des conditions de crédit différentes.
En dernière analyse, ce sont les clients qui paient le coût de cette assurance. C’est, pourrait-on dire, le prix à payer pour avoir une société plus innovatrice, mais avec un risque plus élevé d’échec. En moyenne, les gains d’une innovation plus intense devraient bien compenser les frais des échecs involontaires.
Si les affaires du débiteur vont très mal, il vient un moment où il vaut mieux arrêter l’entreprise, liquider ses affaires et permettre aux personnes
qui la géraient de repartir sur une base nouvelle, les dettes impayées étant effacées!: la faillite. En régime normal, la possibilité de se sortir d’une mauvaise aventure (plutôt que d’en traîner le fardeau jusqu’à la fin de ses jours) constitue un encouragement à l’innovation et aux entreprises à risque. Elle pose le risque moral d’une option trop facile de se débarrasser de ses dettes. Le contrôle vient en partie de la réputation entachée de l’individu qui a fait faillite. Les agences de crédit et des circuits informels font circuler cette information.
Un deuxième problème de risque moral se pose à la veille de la faillite. Entre les créanciers d’un débiteur en difficulté se joue un dilemme de prisonnier à de nombreux joueurs. Celui qui se fait rembourser récupère sa mise, mais peut, par son action, provoquer l’effondrement de l’entreprise. L’intérêt de tous est donc de suspendre les actions visant le remboursement anticipé des dettes, mais l’intérêt secret de chacun est de le poursuivre néanmoins individuellement. La faillite résout ce dilemme de prisonnier en plaçant l’ensemble des actifs sous administration.
Il reste que le débiteur, qui voit venir le moment de sa propre faillite, peut tenter d’effectuer des arrangements avec certains de ses créanciers dans l’espoir d’avantages dans la vie après la faillite. De tout temps, ces manoeuvres ont été jugées illicites (risque moral) et sujettes à une action en nullité, l’action paulienne.
Ce chapitre examine l’économie des événements incertains et de l’assurance comme moyen d’y faire face. L’intérêt de l’assurance vient de la possibilité de mettre en commun un grand nombre de risques d’origine diverse, de manière à faire jouer la loi des grands nombres. Cette option est viable dans la mesure où les risques sont indépendants. L’assurance présuppose que les risques sont au moins statistiquement déterminables.
Elle trouve ses limites dans deux perversités, la sélection adverse et le risque moral. Pour contrer ces phénomènes, on a recours à la surveillance de l’assuré et à des techniques de la franchise et de la coassurance, qui lui font assumer une part du risque pour l’amener à la prudence.
L’économie de l’assurance éclaire plusieurs phénomènes, au-delà même du droit de l’assurance, dans les domaines de l’entreprise, du crédit, de la faillite, de l’expropriation, de l’inexécution des contrats.
Plusieurs auteurs d’ouvrages généraux sur l’analyse économique du droit consacrent des passages intéressants aux risques et à l’assurance19. Hargeaves Heap et al. y consacrent un chapitre!20. Sur les politiques souhaitables en matière de risques, notamment pour la vie et la santé humaine, on lira Wildavsky et plus récemment Viscusi21.
19 Chiancone/Porrini 1997, c. 10-12, 175-234, Cooter/Ulen 2000, 44-52, Friedman 2000, c. 6, 63-73, Mackaay 1982, c. 8, 173-192.
20 Hargreaves Heap et al. 1992, c. 4.
21 Wildavsky 1988; Vicusi 1998.
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____________________________________________
L’ordre politique et le pouvoir
«!L'État, c'est la grande fiction à travers la quelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde.!»
(Bastiat 1848, 39)
«!Controlling the government - making it do the right things is a public good.!» (Friedman 1987, 511)
A.!L’origine de l’État .3
1.!Le modèle de coopération 3 2.!Le modèle de domination .3
3.!La domination avec tribut 5
4.!L’origine du pouvoir et sa propagation .6
5.!Le dilemme du prince 9
B.!L’ordre politique actuel . 11
1.!Le citoyen électeur . 11
2.!La classe politique .. 14 3.!La bureaucratie! .. 21
4.!Les groupes d’intérêt .. 27
5.!Leçons de public choice . 30 C.!Les missions de l’État 32
Conclusion 35
Pour aller plus loin .. 36
Quel rôle joue l’État dans cette conception? À première vue, l’État est un acteur particulier. Il peut exercer la contrainte pour imposer ses desseins, en a même le monopole. Au minimum, il a mission d’assurer l’ordre public, qui est un bien collectif, susceptible de constituer une imperfection du marché. La seule mission de maintenir l’ordre public est cependant loin de décrire l’ensemble des tâches qu’assume l’État dans les sociétés modernes.
Interrogé sur le rôle de l’État, le juriste répondrait que l’État veille à l’intérêt général, laissant entendre par là que les marchés n’en sont pas — ou pas toujours — capables ou n’offrent pas les garanties équivalentes. L’action de l’État viserait alors soit à prendre les initiatives que le secteur privé n’arrive pas à assurer, soit à encadrer ou à corriger les résultats du jeu des forces privées. Au-dessus de la mêlée, l’État serait le gardien impartial de l’intérêt général, ayant mission de suppléer ou de corriger. C’est la vision angélique de l’État.
Cette vision ne peut constituer une explication complète de ce que fait en réalité l’État. Quel que soit le sens donné au concept d’intérêt général, il pourrait difficilement rendre compte, par exemple, des subventions et des restrictions à l’importation adoptées au profit de différents groupes d’agriculteurs et d’éleveurs, ou d’autres formes de protectionnisme pratiquées aux frontières nationales contre des industries étrangères et au profit d’industries idoines.
Si la conception de Hirschman a suscité beaucoup d’intérêt, notamment en contrant la tendance de l’économiste à se concentrer sur la seule option de la défection, elle n’explique pas à elle seule le fonctionnement de l’ordre politique. Pour cela nous devons faire appel à d’autres outils. La théorie des jeux fournit des modèles qui permettent de mieux comprendre l’origine de l’État (A). La théorie économique, sous la forme des enseignements de l’École de public choice (choix collectifs), formule un modèle détaillé du fonctionnement de l’ordre politique dans les démocraties représentatives comme la nôtre (B). Sur le plan normatif, la théorie du bien-être (Welfare theory) a proposé une conception des missions proprement confiées à l’État. Il convient d’en apprécier l’à-propos à la lumière des enseignements de public choice (C).
A.!L’ORIGINE DE L’ÉTAT
L’être humain peut améliorer son sort soit en coopérant avec son voisin, soit en lui prenant les fruits de son travail. Ces deux modes peuvent être désignés comme le modèle de la coopération et le modèle de la domination.
1.!Le modèle de coopération
Le modèle de coopération table sur les efforts et l’inventivité des individus et sur la possibilité qu’ils se donnent d’échanger les fruits de leur travail avec d’autres. Nous avons exploré cette voie dans l’étude des rapports entre individus. Elle permet de rendre compte de la découverte de la propriété et de la réciprocité comme fondement du contrat. Les jeux auxquels nous avons fait appel dans ces explications mettent aussi en lumière les dangers guettant les projets qui doivent faire appel à la collaboration de nombreuses personnes. Ces dangers se présentent sous forme de comportements stratégiques comme le resquillage ou l’adoption d’une position de bastion.
2.!Le modèle de domination
Il y a une deuxième voie d’améliorer son sort, qui est celle de prendre les fruits du travail d’autrui. Elle correspond à une conception différente sur la formation de l’État et, surtout, sur sa propagation. On pourrait l’appeler le modèle de la domination. «!Les états commencent généralement avec la défaite de quelqu’un!». Ce modèle peut être représenté par le jeu décrit dans le Diagramme 4-16.
Le jeu présuppose que les joueurs ne sont pas tous au même degré aptes aux deux activités considérées dans le modèle, soit les activités militaires et les activités productives, comme l’agriculture ou l’industrie. Le premier joueur (le loup) excelle dans les activités militaires, l’autre (l’agneau) dans les activités de production. Les joueurs peuvent être des individus ou des groupes qui agissent à l’unisson, que ce soit par la voix de leur chef ou autrement.
Le jeu est asymétrique dans ses résultats pour les deux participants. Si le loup adopte une position pacifique et laisse l’agneau poursuivre ses activités sans entrave, ce dernier obtient de bons résultats (5 ou 6). Si le loup poursuit une politique agressive —il attaque et vainc l’agneau, puis le réduit à la servitude, par exemple— les résultats sont nettement pires. L’agneau aura 2 s’il ne résiste pas à l’agression et 0, dans le cas contraire.
Quelle stratégie doit adopter l’agneau? Si le loup est pacifique, la stratégie agressive est la plus intéressante!: l’agneau peut s’accaparer d’une partie des biens du loup et aura 6 plutôt que 5. Si le loup est agressif, cependant, l’agneau fait mieux de demeurer pacifique, ce qui lui donne 2 plutôt que 0, le loup lui prenant tous ses biens. Le choix est donc indéterminé.
Connaissant l’attitude que va adopter le loup, l’agneau peut maintenant arrêter la sienne!: c’est la position pacifique qui est la plus profitable. Les joueurs vont donc se retrouver dans la case sud-ouest du diagramme.
3.!La domination avec tribut
Cette situation permet cependant aux joueurs d’envisager un changement de situation qui procure un avantage à chacun. Si les joueurs pouvaient se situer à la case nord-ouest, l’agneau ferait un gain spectaculaire. Le changement entraînerait une perte pour le loup, mais si l’agneau accepte de lui verser une partie de son gain de manière à compenser sa perte et lui procurer une prime, il trouverait également un intérêt à ce changement. Le changement aura donc lieu si l’agneau verse un tribut au loup pour «!acheter!» la paix (Diagramme 4-2).
Avec le paiement du tribut de 1,5 au loup, la case nord-ouest présente pour les deux joueurs un gain de Pareto par rapport à la situation où le jeu aboutirait en l’absence d’entente. La valeur précise de 1,5 est arbitraire. Tout tribut qui permet au loup d’obtenir un revenu supérieur à 4, compensant sa perte de 1 (4-3), et qui demeure inférieur au gain de 3 (5-2) que réalise l’agneau est envisageable. Le troc est plausible en ce que l’activité productive, dès lors qu’elle a atteint le stade de l’agriculture, engendre généralement des gains supérieurs aux fruits de la spoliation incontrôlée. La spoliation «!tuerait la poule aux oeufs d’or!».
L’entente est stable dans le temps, en ce que l’agneau, victime de ce forcing, serait mal avisé d’adopter une position agressive. Sur le coup, les joueurs se retrouveraient dans la case nord-est du diagramme, mais au prochain tour, ce serait dans la case sud-est, puis dans la case sud-ouest, case du départ.
4.!L’origine du pouvoir et sa propagation
Les modèles exposés ci-dessus expliquent que de petites communautés ont pu exister sans autorité publique apparente, comme les anthropologues l’ont montré empiriquement et comme Taylor s’affaire à le démontrer théoriquement. Toutefois, selon la formule lapidaire de de Jasay, «!l’anarchie, si on accepte les précédents historiques comme déterminants, ne survit pas!»!. Comment se fait-il que les communautés sans État ont presque partout disparu?
«!La formation des États dans la plupart des sociétés est la suite directe ou indirecte, au moins en partie, de la proximité d’États déjà existants. Cette formation secondaire d’États est relativement facile à comprendre. Les sociétés sans État sont subjuguées, colonisées ou absorbées par des États.!»!.
La communauté sans autorité étatique constituée et, par hypothèse, relativement égalitaire pourrait, laissée à elle-même, durer des siècles. Le «!commonwealth!» d’Islande a ainsi vécu sans état constitué du 9e au 13e siècles!. La situation est stable tant que le mode de vie du groupe n’engendre pas assez de richesses pour susciter la jalousie des autres. C’est le cas des sociétés purement nomades ou vivant de la cueillette des fruits. Il faut attendre l’agriculture avant que la richesse puisse s’accumuler. L’accumulation de richesses au sein d’un groupe éveille la tentation chez d’autres de s’en emparer. Ils passeront à l’action. Menacée par une société déjà étatisée, la communauté sans autorité a intérêt à organiser sa défense.
La mission confiée au chef militaire présuppose un certain pouvoir de contrainte. Les personnes qui acquièrent ce pouvoir pourraient être tentées de conserver le pouvoir, dans la mesure où il permet un resquillage sur l’effort des autres.
Les démarches du chef pour consolider et pour augmenter son pouvoir se heurtent à la vigilance des autres membres!: ils le mettraient à sa place. Pour éviter cela, le chef peut avoir recours à la ruse. Il cache temporairement son jeu, se sert ensuite de son pouvoir militaire (en faisant, bien entendu, des promesses à ses soldats) pour éliminer l’opposition. Il reste alors aux citoyens mécontents la possibilité de fuir et de fonder ailleurs une communauté nouvelle. Pour Taylor, la division (fissioning) est caractéristique des sociétés sans État10. Pour que le pouvoir puisse s’établir et se consolider, il faut donc, en plus d’un certain niveau de développement économique, une certaine densité de population exposant une société à la présence voisine de sociétés rivales (éventuellement sans pouvoir central), ce qui entraîne la nécessité de s’organiser militairement, et, pour écarter la tendance au fractionnement, un territoire borné par des montagnes, par le désert ou par la mer, dont il est relativement difficile de s’évader.
Le pouvoir ne paraît pas historiquement inévitable, mais, une fois découvert quelque part, il tend à se répandre de manière irréversible. Dans l’interaction entre une société sans État et une société étatisée, la première tend à jouer le rôle de l’agneau, la deuxième celui du loup. L’agneau confie, moyennant tribut, au loup sa défense contre d’autres loups11. Ou
encore le loup subjugue des agneaux12. La dynamique du pouvoir constitué
10 Taylor, 1982, 135.
12 Cette observation n’est pas sans exceptions. Au XVIe et XVIIe siècles, la République des provinces unies, toute anarchique qu’elle était en tant qu’union libre de villes jalouses de leur autonomie, a réussi à gagner une guerre d’indépendance et à se défendre contre des États ennemis dont la population était maintes fois plus nombreuse. Voir Plumb [1965], 1988, xxii.
s’étend de cette façon.
Plus le loup réussit souvent cette action, plus il accroîtra la puissance qui lui permettra d’en entreprendre d’autres. Le pouvoir a tendance à se concentrer. Les grands empires établis en Chine, dans la vallée de l’Indus, en Mésopotamie, en Égypte, en Amérique centrale et au Pérou en sont les illustrations historiques.
Même la communauté qui ne s’organise militairement que pour mieux résister aux voisins qui voudraient l’attaquer risque de ne pas échapper à l’emprise du pouvoir. Le chef militaire nommé temporairement voudra rendre sa situation permanente et même la transmettre à ses héritiers (pour assurer ses vieux jours et pour éviter des luttes de succession). La consolidation du pouvoir lui permet cependant d’utiliser ses prérogatives autrement que pour la défense, qui en était la justification première, et de s’en servir pour s’enrichir personnellement ou pour donner des faveurs à ses proches et à d’autres personnes de son choix. Une fois le pouvoir bien assis, qui pourra l’arrêter dans ces démarches?
5.!Le dilemme du prince
La mise en place du pouvoir central donne lieu à des inégalités d’une source inconnue à l’intérieur de sociétés sans État. Le pouvoir servira à redistribuer une partie de la production de la société au détenteur du pouvoir, à ses proches et à quiconque d’autre il désigne, et pour les causes qu’il décide. Il est en outre évident que le chef se réserve l’exercice exclusif de la force, pour éviter la remise en cause de sa position ou de ses décisions. Tout cela permettra au pouvoir de se consolider.
La redistribution constitue une entrave à la propriété privée des moyens de subsistance des citoyens et nuit de ce fait à l’activité économique, qui procure l’assiette de cette redistribution. Le prince titulaire du pouvoir, même s’il ne s’en rend pas compte, fait donc face au choix entre la consommation immédiate de cette assiette (extorsion prononcée) et une retenue relative fondée sur l’espoir d’une assiette mieux garnie à moyen terme grâce à la croissance économique. C’est un choix d’entrepreneur, un pari, si l’on veut, entre la consommation et l’investissement.
Le choix se complique du fait d’autres contraintes auxquelles le prince fait face. À l’intérieur, ses sujets pourraient essayer de se soustraire à son emprise ou, pis, se rebeller et le renverser. À l’extérieur, un prince rival pourrait le battre militairement et l’évincer!: la conquête du voisin pourrait paraître plus rémunératrice que la croissance économique, incertaine, chez soi13.
L’expérience historique montre effectivement une concentration progressive du pouvoir et, dans quelques régions du monde, des empires dans lesquels les titulaires du pouvoir baignaient dans le luxe. L’Europe occidentale constitue une exception notoire à cette dynamique de concentration. Comme nous l’expliquerons dans un chapitre ultérieur, la dispersion du pouvoir et la compétition continue entre ses titulaires a été l’une des conditions particulières qui ont permis la découverte des principes de l’État de droit et des droits fondamentaux dans cette région du monde.
Dans les pages précédentes nous avons présenté une histoire stylisée de l’origine du pouvoir qui fait appel au choix rationnel des citoyens et de celui qui est invité à exercer le pouvoir dans une situation qui demande la production d’un bien collectif comme la défense ou un système
13 Pour stimuler l’économie, le prince aurait intérêt à opter pour l’«!investissement!», c’est-à-dire pour la liberté relative de l’économie en vue de sa croissance à long terme. Il doit néanmoins faire des ponctions immédiates pour se défendre contre une menace extérieure, même venant d’une puissance économique moindre, mais ponctuellement supérieure sur le plan militaire. Le dilemme paraît éternel. Voir Kennedy 1988, 539. Brenner 1985, chap. 1, fait des observations intéressantes sur le dilemme du prince.
14 Snidal, 1986, 32 attire l’attention sur cette analogie.
Les sociétés occidentales ont vu la mise en place progressive d’un ensemble d’institutions ayant pour but d’encadrer l’exercice du pouvoir et d’en prévenir l’abus; elles se sont transformées avec le temps en démocraties représentatives. Il convient d’examiner ce que peut nous apprendre le modèle du choix rationnel appliqué à ce type de sociétés.
B.!L’ORDRE POLITIQUE ACTUEL
L’étude de l’ordre politique au moyen du modèle du choix rationnel est le domaine propre de l’école de public choice (choix collectif)!17. Public choice partage avec l’économie néoclassique la prémisse que les phénomènes collectifs doivent être expliqués comme des compositions d’actions d’acteurs individuels qui sont présumés agir rationnellement et conformément à leur intérêt propre. Cette prémisse peut se justifier par la considération qu’il serait étonnant de voir les personnes qui choisissent leurs démarches rationnellement et conformément à leur intérêt propre dans la sphère privée imbues d’angélisme dès lors qu’elles entrent dans la sphère publique.
L’analyse consiste alors à déterminer, premièrement, la nature de l’intérêt propre des différents groupes d’acteurs dans la vie politique, puis à
15 Point sur lequel l’unanimité est loin d’être réalisée parmi les savants. Oppenheimer 1880, 9 et de Jasay 1998, 16, par exemple, le cherchent dans la conquête. de Jouvenel 1947 le cherche dans la souveraineté.
16 «!You don’t get government out.!» North 1999, 23.
établir, au regard des contraintes inhérentes aux démocraties représentatives, les comportements qu’ils devraient adopter et, enfin, à observer si les prédictions tirées de la théorie fournissent des explications intéressantes et sont conformes à la réalité. Pour fixer les idées, admettons qu’en démocratie représentative quatre groupes d’acteurs influencent de manière importante les initiatives qui seront entreprises au titre des missions de l’État. Ce sont les citoyens électeurs, les élus (politiciens, aussi bien au gouvernement qu’au parlement), les membres des administrations (les bureaux et les régies), par l’entremise desquelles les actions de l’État sont mises en oeuvre, et les groupes d’intérêt, qui cherchent à infléchir l’action du gouvernement dans un sens favorable à leurs membres!18.
1.!Le citoyen électeur
- Objectif
Le citoyen vote dans les élections et dans les référendums. Son intérêt propre est de voter pour les actions et les programmes étatiques dont il retire lui-même un avantage perceptible. L’avantage peut être financier, mais aussi moral. Le citoyen peut par exemple favoriser le politicien ou parti politique qui promet d’appuyer les causes culturelles, morales ou charitables qui lui sont chères.
- Contexte
Il importe maintenant de comprendre le contexte dans lequel le citoyen peut poursuivre cet intérêt. En votant, le citoyen choisit entre plusieurs corbeilles d’actions ou de programmes qui lui sont proposées par les différents candidats. Alors que, dans une transaction privée, il choisit généralement un seul objet à la fois, son vote politique porte sur un objet composé. Certaines composantes lui sont profitables, d’autres ont l’effet contraire et d’autres enfin peuvent lui être indifférentes.
18 Certains auteurs y ajoutent les médias. Trebilcock et al. 1982, 15; Tullock 1993, 40.
Un troisième élément du contexte est que, pour élire le candidat dont le citoyen préfère le programme, il faut de nombreuses voix. Il en résulte que la voix individuelle du citoyen ne sera normalement pas décisive. Le citoyen pourrait alors à juste titre se faire la réflexion que la politique adoptée en fin de compte sera déterminée par les autres, quelle que soit la façon dont il vote. Cette réflexion vaut notamment dans les systèmes à représentation proportionnelle, mais aussi dans les système d’élection par circonscriptions, où dans chaque circonscription est élu le candidat qui obtient la majorité des voix.
Enfin, le citoyen doit se dire qu’il a peu d’assurances que le candidat, une fois élu, réalisera le programme proposé et, à tout événement, qu’il n’a pas d’action pour inexécution contre le candidat qui ne le ferait pas. Tout au plus peut-il voter contre ce candidat tricheur à la prochaine élection.
- Comportement caractéristique
Ces considérations valent pour l’électeur en général. Il peut cependant arriver dans une élection qu’une politique proposée touche particulièrement un groupe d’électeurs précis. On peut penser, à titre d’exemples, à un programme de soutien aux agriculteurs ou à une loi qui abolirait le contrôle des loyers ou encore à une loi qui obligerait tous les travailleurs d’une entreprise à adhérer au syndicat formé au sein de celle-ci. Pour ces électeurs, il est rationnel de traiter l’élection comme si elle portait uniquement sur cette question, de se coaliser avec les électeurs qui ont le même intérêt et de convenir collectivement de voter pour le candidat qui prend les engagements les plus précis et les plus fermes dans le sens de l’intérêt du groupe d’électeurs. Ces électeurs vont s’informer de manière détaillée sur l’enjeu qui touche leur intérêt et à poser ou à faire poser des questions serrées aux candidats sur ce point. Pareilles stratégies sont prometteuses si l’appui du groupe peut faire la différence entre l’élection du candidat et sa défaite. Le candidat, à son tour, a alors intérêt à écouter ces électeurs et à leur faire des promesses. Nous voyons ici à l’oeuvre la logique du groupe d’intérêt, qui sera analysée plus à fond ci-dessous.
2.!La classe politique
- Objectif
19 Le terme est employé ici sans la connotation négative qu’il a parfois en France.
- Contexte
Le politicien en démocratie représentative a le rôle d’arbitre dans l’attribution de programmes recherchés par différents groupes de clientsélecteurs. Il est un powerbroker, ou pour l’exprimer autrement, il achète des voix avec l’argent public sous forme de programmes promis aux électeurs. Afin de se faire élire, il doit convaincre ses électeurs d’avoir entrepris les actions promises et en proposer d’autres qui font leur affaire, compte tenu de la façon dont les électeurs s’informent. Il doit donc soigner son image. Il doit éviter des actions affectant négativement sa crédibilité. Son point de mire est la prochaine élection.
- Comportement caractéristique
Ces contraintes déterminent plusieurs caractéristiques importantes du comportement des politiciens en démocratie représentative. On peut les résumer sous les vocables «!le visible et l’invisible!», «!les avantages concentrés et les coûts dispersés!», «!la myopie!» et «!la ressemblance des programmes!».
Le visible et l’invisible!20.
Le politicien sait que les électeurs en général ne prennent pas la peine de s’informer complètement sur les enjeux des élections, mais que les électeurs qui font partie d’un groupe organisé le suivent de près. La distinction conduit le politicien à une stratégie qui table sur l’écart entre le visible et l’invisible. Il s’agit de rendre visibles les avantages conférés par un programme, tout en en cachant les coûts. Le politicien a en outre intérêt à réclamer ces avantages comme le fruit de son action, même s’ils résultent du fait d’autres personnes ou de facteurs conjoncturels, naturels ou aléatoires. Aux bénéficiaires du programme — le groupe d’intérêt qui l’avait talonné — il insistera sur les avantages du programme et sur son talent à tenir promesse. Si, d’aventure, quelqu’un dans le public en général lui pose la question du coût, il en minimisera l’importance. En comparant les deux discours, on ne pourrait que conclure à la schizophrénie ou à la langue fourchue.
Le politicien préfère créer des programmes dont le coût ne paraît pas dans la comptabilité publique. Le contrôle des loyers, par exemple, confère un avantage apparent aux locataires, sans que les comptes publics ne montrent un coût correspondant. En fait, le programme crée, au moment de son instauration, une perte en capital pour les propriétaires et, par la suite, une diminution de la mobilité des locataires, qui se traduit entre autres par des difficultés accrues pour les jeunes couples à se trouver un logement!21. Tous ces coûts ne paraissent pas dans les dépenses du gouvernement et sont donc relativement à l’abri de l’examen parlementaire.
20 Cf. Bastiat [1848], 1983. L’article qui donne le nom à la collection paraît aux pp. 177-229.
21 Sur les effets non voulus du contrôle des loyers, il existe une abondante littérature économique, résumée dans Arnott 1998 et dans Klappholz 1987.
Les avantages concentrés et les coûts dispersés.
La logique du visible et de l’invisible est liée à une autre leçon centrale de public choice, à savoir que les politiciens tendent à créer des politiques à avantages concentrés et à coûts dispersés23. Cette tendance s’explique du fait que les électeurs s’informent généralement peu, mais de manière détaillée, éventuellement par groupe d’intérêt interposé, sur les programmes qui les concernent de manière directe et importante. Le politicien est donc fortement incité à créer des programmes qui favorisent les membres de tels groupes. Dans le même temps, pour éviter une opposition à son programme et pour ne pas créer des jaloux politiquement dangereux, il a intérêt à en rendre le coût invisible, en le faisant assumer par l’ensemble des contribuables, par l’impôt général, par exemple, ou par ceux qui ne peuvent protester, comme les jeunes qui n’ont pas encore le droit de vote ou les générations futures. Le déficit que le gouvernement crée aujourd’hui engendre une dette publique qui sera remboursée à une date future par d’autres. L’inflation, dont la science économique attribue la
22 Hayek 1960, c. 20, 306-323; Friedman & Friedman 1980, 306; Buchanan 1984., 50; Buchanan 1997, 165-179, 169-170.
23 Wagner 1996, 8-28.
Pour les mesures désagréables que le politicien ne peut éviter de prendre, il invoquera volontiers comme justification les forces qu’il ne contrôle pas : les gouvernements précédents, les puissances étrangères, la conjoncture internationale.
La myopie
On dit souvent que les entrepreneurs, recherchant le profit à court terme au détriment du long terme, obligent le gouvernement d’intervenir pour faire valoir les considérations du long terme. Dans les faits, les incitations ne sont pas ainsi structurées. Si un objet ne se rentabilise que sur le long terme, l’entrepreneur peut parfaitement y investir dans le but de réaliser ce profit. Comme d’autres sont animés par le même esprit, un marché se développera pour le commerce de valeurs qui ne se réaliseront que sur la longue durée. Nombre de petites entreprises agissant actuellement sur l’Internet attirent du capital et se vendent dans cette perspective. Un potentiel de profits à long terme peut ainsi se réaliser dans l’immédiat. Rien dans le fonctionnement du marché ne s’oppose à la préservation de valeurs qui ne se réaliseront que dans le long terme. Le phénomène fait appel à la spéculation, dont nous avons déjà traité dans un chapitre antérieur.
Il en va de même des actifs dont dispose une entreprise actuellement. Si les actifs —par exemple un édifice locatif— ont une valeur à long terme et que l’insouciance de l’entreprise mette en péril cette valeur, la valeur capitalisée de l’entreprise baisse et elle risque de devenir la cible de
24 Voir par exemple Boucher/Palda 2000, 39 s.
tentatives de prise de contrôle. L’entrepreneur acheteur, en modifiant les soins pris des actifs, pourrait tirer un meilleur rendement de l’entreprise, gain à venir dont il peut se servir pour l’acheter aujourd’hui.
Contrastez cela avec la situation du politicien. S’il réussit à faire adopter une politique dont les effets ne seront visibles qu’à long terme, ce n’est pas lui qui récolte la reconnaissance qui en résulterait, mais le politicien qui sera alors élu. On pourrait penser que la bonne action entreprise aujourd’hui mais qui ne porte fruit que dans un avenir éloigné pourrait profiter au parti politique auquel appartient le politicien. Mais le peu de peine que se donnent les électeurs pour s’informer sur l’histoire de la chose politique (mémoire sélective) rend cette perspective illusoire. Il en résulte que le politicien favorisera les initiatives dont les effets positifs seront visibles avant la prochaine élection. Les contraintes du système politique lui imposent une courte vue.
La ressemblance des programmes
Les électeurs sont divisés sur la plupart des questions qui animent la scène politique. Présumons que, sur une série de questions liées, les opinions se répartissent sur une échelle qui va de gauche à droite. Les opinions pourraient se profiler selon une courbe d’opinions de la forme indiquée au Diagramme 4-3, non nécessairement symétrique.
Supposons que dans une circonscription donnée s’affrontent deux candidats qui initialement définissent leurs positions selon leurs convictions et se différencient nettement sur l’échelle. Le premier se situe à gauche de la médiane, l’autre à droite. Leurs positions sont marquées par des lignes verticales au Diagramme 4-3.
Pour l’emporter, un candidat doit obtenir l’adhésion de ce groupe. Il le fait en redéfinissant sa position idéologique vers le milieu de l’échelle. Celui qui y parvient peut alors compter sur les voix correspondant à l’extrémité de la courbe, au-delà de sa propre position — l’alternative paraîtra toujours pire aux électeurs de cette aile — et en outre sur les voix nouvellement acquises au milieu de l’échelle par le changement idéologique. Comme les deux candidats raisonnent de la même façon, l’effet net de cette dynamique est que les positions des deux candidats finissent par se rapprocher. Les candidats se fidélisent ainsi une bonne partie de l’électorat et l’élection se joue finalement sur les voix des électeurs du milieu. Ceux-ci forment le groupe pivot, que l’anglais appelle le swing vote (Diagramme 4-4).
Le schéma exposé ici est connu sous le nom du théorème de l’électeur médian ou central. Le théorème attribue aux électeurs du centre idéologique une influence disproportionnée sur les politiques qui seront adoptées. Ceux qui veulent obtenir des programme précis du gouvernement ont intérêt à faire croire aux politiciens qu’ils se situent dans cette zone. C’est le cas des personnes qui s’organisent comme groupes de pression; il en est de même des minorités de toute nature.
La littérature de public choice et de science politique est divisée sur le réalisme du théorème comme description globale du positionnement des partis politiques!25. Quoi qu’il en soit, les considérations qui précèdent permettent de comprendre pourquoi les groupes de pression ont intérêt à se profiler comme un groupe pivot ense situant entre les deux candidats et en leur promettant leur appui seulement en contrepartie d’engagements qui leur sont favorables.
25 Mitchell/Simmons 1994, 80; Dunleavy 1991, 92-98, 107; Mueller 1989, 189-193; Stearns 1997, 126-127; Udehn 1996, 198.
majorité des citoyens sur l’intérêt général.
3.!La bureaucratie!26
- Objectif
La bureaucratie ou l’Administration est l’ensemble des organisations par lesquelles l’État exécute ses missions. En font partie, à titre d’exemples, les ministères à tous les niveaux du gouvernement; les forces policières; les régies et offices dans le domaine de la santé, de la sécurité sociale, de la protection du consommateur ou de l’environnement, de l’enseignement; les organismes encadrant les professions à exercice exclusif ou à titre réservé, les entreprises d’État (Hydro-Québec) et les commissions qui les surveillent; les organismes de surveillance et réglementation en matière de transport, de radiodiffusion, télécommunication.
Quel objectif pourraient-ils poursuivre? Ils ne peuvent maximiser leur profit à long terme, car le plus souvent, la bureaucratie fournit des services sans contrepartie directe (comme il y en a dans le marché) ou à un prix inférieur au coût. Présumons les bureaucrates dirigeants mus par le souci louable de rendre le meilleur service possible. S’ils croient à leur mission, les bureaucrates dirigeants se donneraient pour objectif d’élargir l’éventail de leurs attributions et des moyens mis à leur disposition pour les accomplir. Avec l’augmentation des responsabilités viennent des récompenses personnalisées comme un salaire plus élevé, un staff plus étendu, une sécurité d’emploi accrue, une installation plus luxueuse, la voiture de service. Niskanen, réfléchissant, en 1994, sur son travail pionnier de 1971, écrit :
«!Mon hypothèse antérieure voulant que les bureaucrates agissent de manière à maximiser leur budget doit maintenant être révisée pour dire qu’ils maximisent leur budget discrétionnaire.!27»
- Contexte
26 Sur ce sujet en général, voir Niskanen 1994, qui reprend, en pp. 3-223, l’étude classique que l’auteur avait fait paraître en 1971. Voir aussi Niskanen 1987, 135-140.
27 «!My prior assumption that bureaucrats act to maximize their budget should now be dropped entirely in favor of an assumption that they act to maximize their discretionary budget.» Niskanen 1994, 281.
pour une contrepartie qui n’est qu’une fraction du coût. Le barème du profit qui oriente les choix des acteurs privés concernant le type et l’ampleur des services proposés fait défaut aux responsables d’organismes bureaucratiques. La bureaucratie ne dispose pas comme point d’orientation d’un indice à maximiser qui reflète la satisfaction des clients, compte tenu du coût.
Les budgets des organismes bureaucratiques sont votés par le gouvernement, donc les politiciens. Toutefois les politiciens qui doivent évaluer l’organisme et décider du budget à lui accorder dépendent souvent d’informations spécialisées, qui sont justement entre les mains de l’organisme lui-même. L’absence d’indices facilement observables pour mesurer la «!performance!» de l’organisme complique la tâche.
L’organisme bureaucratique agit le plus souvent comme monopoleur dans son secteur. Cela paraît tenir du bon sens!: un régime de multiples organismes bureaucratiques fournissant le même service s’attirerait le reproche du gaspillage des fonds publics. En outre, la concurrence avec des entreprises privées risque d’être truquée, étant donné que l’organisme bureaucratique n’est pas contraint de récupérer l’ensemble de ses dépenses dans le prix de revient de son produit. L’organisme bureaucratique est donc par sa nature même un concurrent déloyal : il ne risque pas la faillite à la suite de mauvaises décisions commerciales.
- Comportement caractéristique
L’organisme bureaucratique vise à élargir ses attributions et à augmenter son budget. La pollution persiste-t-elle malgré les budgets importants octroyés? C’est qu’ils sont toujours insuffisants. Donnez-nous des ressources plus amples et vous verrez la différence. Substituez, à la pollution, la criminalité, la consommation de la drogue, le décrochage scolaire, le chômage, le niveau et la qualité des soins publics de santé, la sécurité routière et cetera, et vous verrez apparaître l’éventail de bonnes causes auxquelles les politiciens sont invités à consacrer les deniers public. L’organisme crée, en quelque sorte, la demande pour son propre service aux yeux des politiciens qui doivent décider de son budget. L’élargissement des attributions de l’organisme est d’autant plus facile à réaliser que l’organisme est souvent la source principale de l’information nécessaire pour évaluer sa propre performance. Le contrôle de l’information sur sa mission permet en outre à l’organisme de manipuler son image publique, en fournissant aux médias les seuls renseignements favorables à sa cause!28. Si son budget risque d’être réduit, il peut laisser filtrer des informations sur les services qu’il faudra alors couper et choisir ceux qui sont particulièrement sensibles aux yeux du public. Cela peut créer l’image d’une crise imminente et ne manquera pas de faire pression sur les politiciens —ministres, commissions parlementaires— qui doivent décider de son budget.
28 Les ressources limitées que les médias peuvent consacrer à enquêter, compte tenu du peu de temps que le public se donne pour digérer des reportages complexes, orientent les médias vers l’information facile à obtenir et à digérer. Souvent elle provient de communiqués de presse préparés par les organismes publics et par les informations particulières ou «!scoops!» (fuites) fournis par eux. Pour ne pas tarir cette source d’information, les médias éviteront de prendre des points de vue qui contrarieraient les organismes publics. Il en résulterait un biais général en faveur d’interventions publiques. Voir Trebilcock et al. 1982, 15 s., Tullock 1993, 40-43.
29 Voir par exemple Stroup 1995; Viscusi 1998.
industrie privée comparable!30.
L’organisme abhorre les crises dont il ne contrôle pas l’issue. Comme tout monopoleur, il est amené à éviter les innovations risquées qu’un entrepreneur en situation de concurrence serait justement incité à prendre. L’organisme qui autorise la vente de médicaments est soumis à une structure incitative ainsi conçue « qu'un produit médical qui, en quelques années, aurait permis de prolonger la vie de plusieurs milliers de personnes, restera interdit parce qu'en aucun cas personne ne voudra prendre le risque d'un seul décès qui pourrait être imputé par la presse à des effets cancérigènes secondaires!»31. Les vies qui auraient pu être sauvées sont invisibles; les patients morts après avoir absorbé le médicament sont, au contraire, bien visibles dans les médias.
L’absence de critère précis de décision a une autre conséquence fâcheuse. Comment en effet décider combien de personnes il convient d’employer pour effectuer les missions confiées à l’organisme? Dans le doute, il vaut mieux parer à toute éventualité (pour éviter les crises). Il en résulte que les organismes bureaucratiques produisent généralement plus de services!32 et emploient généralement plus de personnel que ne le ferait l’entreprise privée pour des tâches comparables.
Toutes ces caractéristiques devraient être revues si l’organisme était soumis à la concurrence. Cela perturberait cependant le confort du monopole. On peut donc s’attendre à ce que les responsables des organismes bureaucratiques s’opposent à l’introduction de la concurrence à leur service. Ils invoqueront le gaspillage des fonds publics qui en
30 Niskanen 1994, 77. Niskanen estime que les budgets dans le secteur public croissent au double du rythme d’une industrie en circonstance comparable.
31 Lepage 1992, 190-191.
32 Niskanen 1994, 77.
résulterait, en omettant judicieusement de faire état des coûts, hélas invisibles, résultant des innovations qui en résulteraient.
Un phénomène particulier peut se produire pour des organismes dits de réglementation, qui ont pour but de surveiller des entreprises pour assurer le respect de certaines normes. On peut penser aux organismes de surveillance des monopoles «!naturels!» dans le domaine des services publics (eau, électricité, gaz), des télécommunications ou du transport public!33. En Amérique du Nord, l’approche à l’égard de ces monopoles «!naturels!» était de les concéder à des entreprises à statut privé, mais soumises à une surveillance. La surveillance avait pour but d’éviter l’exploitation de la situation monopolistique, par le contrôle des prix ou du bénéfice.
Une étude récente conclut que la «!capture!» pourrait se produire dans toute situation où l’organisme de réglementation peut créer des rentes pour l’entreprise réglementée en établissant des tarifs, des bénéfices permis, en
33 Voir par ex. Posner 1999a.
34 Ricketts 1998.
35 Levine 1998, 267; Levine/Forrence 1990; Hägg 1997.
contrôlant l’entrée au marché, en réglementant le contenu ou la sécurité d’un produit ou en contrôlant l’impact environnemental des activités de l’entreprise!36. Il faut en outre que les politiques adoptées par l’organisme administratif soient assez complexes pour les soustraire à l’examen continu des politiciens!: les coûts de transaction associés à la surveillance de l’organisme par les politiciens doivent être élevés. Cela crée une marge discrétionnaire dont les responsables de l’organisme pourraient faire bénéficier l’entreprise surveillée, en contrepartie d’avantages qui leur profitent. Une étude récente conclut que, si la capture n’est pas universelle ou inévitable, elle est tout de même assez fréquente pour justifier les nombreuses études qui y ont été consacrées!37. Elle serait par ailleurs difficile à établir.
Dans l’ensemble, Niskanen, en 1994, s’autorise des études de public choice sur les organismes administratifs pour conclure que la croissance des dépenses gouvernementales dépasse celle de la demande du public pour les services gouvernementaux et que la plus grande part de cette croissance constitue un gaspillage, en ce sens qu’elle sert les intérêts des fournisseurs de ces services et du personnel politique, sans pour autant augmenter l’offre utile de services!38.
4.!Les groupes d’intérêt
- Objectif
36 «!Capture can occur in any setting where a regulator can create economic rents: among the most common are in setting rates or rate classifications, determining allowable rates of return, allowing or restricting entry, regulating product content or safety and controlling environmental impacts. In all discourse, the phrase is almost never used with precision, and this creates much confusion.!» Levine 1998, 267. 37 Levine 1998, 271.
38 «!Even a cursory examination of the recent performance of the public sector provides some evidence consistent with two implications of my revised theory of the behavior of bureaus: (1) the increase of real government expenditures is likely to exceed the increase in the popular demand for government services; and (2) much of the increase in real government expenditures is likely to be waste—that is, expenditures that may serve the interests of the suppliers of the services and the poIiticaI officiaIs, but that do not increase the output of these services.!» Niskanen 1994, 279.
individuelle. L’objectif du groupe d’intérêt est d’obtenir par la voie politique des avantages pour ses membres. Il s’agit d’avantages qui ne seraient pas accessibles, ou seulement à un coût nettement supérieur, par l’initiative individuelle ou par le marché privé. Bien entendu, le groupe peut avoir un intérêt à employer le vocabulaire de l’intérêt général; l’hypothèse adoptée ici est cependant que son action ne s’explique qu’à la lumière de la poursuite d’avantages pour les membres.
- Contexte
Ce problème sera d’autant plus aigu que le groupe est grand. Inversement, les groupes d’intérêt sont en général d’autant plus faciles à constituer — et donc nombreux — que le nombre potentiel de membres est réduit. Toutefois les coûts de transaction associés à la mobilisation des membres derrière un objectif commun peuvent se réduire grâce aux innovations en manière de télécommunication (téléphone, fax, Internet). L’usage généralisé de ces moyens de communication facilite la constitution des groupes d’intérêt, même avec de très nombreux membres, comme pour l’initiative populaire d’un référendum sur la réduction de l’impôt, dite «!proposition 13!», adoptée en Californie, en 1978. Certains supputent que l’extraordinaire visibilité politique qu’ont acquise les groupes de gais et de lesbiennes au cours de la dernière décennie du 20e siècle doit être attribuée à ce développement.
Si le problème de l’action collective peut être surmonté, le groupe fait face à un deuxième problème, qui est de choisir les moyens promettant de parvenir à ses fins. À l’intérieur des contraintes du système politique, il doit influencer les politiciens qui ont le pouvoir effectif de lui procurer les programmes recherchés. Cette action demande stratégie et doigté.
- Comportement caractéristique
Le défi posé par l’action collective a existé de tout temps. Au cours de
39 Voir le chapitre sur Les rapports entre individus.
La formule la plus radicale pour surmonter le problème du resquillage potentiel est de se servir de la contrainte étatique pour forcer tout intéressé à adhérer au groupe. Pour les syndicats, cette contrainte prend la forme de l’adhésion obligatoire de tous les travailleurs qui font partie de l’unité de négociation!43. Pour les professions libérales, l’exercice peut être réservé par la loi aux membres, comme c’est le cas dans la plupart des pays pour les médecins, les notaires et les avocats. il faut donc s’attendre à ce que les groupes d’intérêt essaient d’obtenir le privilège de l’adhésion obligatoire. Ils le justifieront en invoquant l’intérêt général, qui prend la forme, dans le cas des professions libérales, de la protection du public contre les incompétents. L’adhésion obligatoire une fois instaurée, elle servira dans les faits de restriction à l’entrée sur le marché, entraînant des prix plus élevés que ceux qui prévaudraient sans cette intervention. En outre, l’adhésion obligatoire de grands nombres de personnes pose un problème d’agence!: les dirigeants de l’organisation peuvent poursuivre des buts qui
40 de Jasay 1989; 1994, 283.
41 En anglais : selective incentives. Olson 1965, 51.
42 Olson 1965, 139-140.
43 Connue au Canada comme la formule Rand.
n’ont pas forcément la préférence de l’ensemble des membres. Une oligarchie peut venir à dominer l’organisation contre l’intérêt de la majorité des membres. Boudon la désigne par le terme loi d’airain de l’oligarchie!44.
Il convient maintenant d’examiner les moyens qu’emploie le groupe d’intérêt dans la poursuite de sa mission. Les groupes s’informent sur les politiques poursuivies par les politiciens et sur les effets de ces politiques pour les membres. Ceci implique qu’ils suivent attentivement ce que disent et ce que font les politiciens relativement aux questions qui intéressent particulièrement les membres. Ils peuvent commanditer des études pour établir spécifiquement l’impact d’une politique adoptée ou envisagée pour les membres.
En possession de ces informations, les groupes doivent décider à quels politiciens accorder leur appui et auxquels, au contraire, s’opposer. L’appui peut consister en contributions financières, ouvertement à la caisse électorale ou de manière plus occulte, par pots-de-vin, et en conseils aux membres sur le politicien pour lequel ils doivent voter. Le groupe peut promettre de collaborer aux actions qu’entend entreprendre le politicien, ou de ne pas tenter de les bloquer (les syndicats par rapport à une politique sociale envisagée). L’opposition à un politicien peut, elle aussi, prendre plusieurs formes!: intervention devant des commissions parlementaires, publication d’une critique de ses idées, débats dans les média, jusqu’à la campagne de dénigrement par des sources obscures.
Outre les appuis, les groupes d’intérêt peuvent aussi procurer aux politiciens des informations. Comme ces derniers ne sont pas forcément bien informés sur les préférences des citoyens et sur les effets des
44 Boudon 1977, 45. Sur les problèmes d’agence, voir le chapitre 4 du présent livre, consacré aux rapports entre individus.
Plusieurs leçons sont à retenir de ce qui précède. Les groupes d’intérêt fonctionnent d’autant mieux que le cercle des membres est restreint. Si les groupes d’intérêt qui réussissent à se constituer représentent de manière disproportionnée des groupes concentrés, voire sectaires, les messages qui parviennent aux politiciens et qui les influencent traduisent de manière tout aussi disproportionnée des points de vue à la fois partiels et partiaux. Les groupes d’intérêt ont une influence disproportionnée par rapport à leur nombre. Dans la mesure où ces groupes réussissent à orienter les politiciens dans le sens désiré par leur membres, les politiques adoptées dans les démocraties représentatives divergeront systématiquement de l’intérêt général.
Pour illustrer l’influence différentielle des groupes concentrés et de la majorité non structurée, il est intéressant de relever l’exemple de l’agriculture. Dans les pays où l’agriculture occupe un petit groupe au sein de la population, elle est lourdement subventionnée; dans les pays où elle occupe une large part de la population, elle est au contraire lourdement taxée!46. Le lecteur vérifiera dans son pays.
La recherche d’avantages par la voie politique constitue un jeu de constriction. La réussite d’un groupe à obtenir par cette voie un avantage qui lui serait inaccessible par le marché invite d’autres personnes à se constituer en groupe dans le même but. Le succès de ces dernières peut à son tour en attirer d’autres et inciter les groupes déjà constitués à augmenter leurs demandes. Nous sommes alors engagés dans un cercle vicieux qui entraîne une intervention toujours plus grande de l’État dans les
45 Friedman/Friedman 1980, 297.
46 Van den Hauwe 2000.
Les économistes utilisent le terme «!rent seeking!» (recherche de rentes), proposée à l’origine par Anne Krueger!48, pour désigner l’ensemble de ces activités. Il y a une littérature importante sur la question!49. La notion recouvre un vaste éventail de mesures!: programmes de subvention ou de gratuité de service; exemptions fiscales, réglementation de l’industrie (permis, imposition de normes de connaissance, de qualité ou de contenu etc.), qui constitue une barrière à l’entrée du marché; restrictions douanières; les exigences de contenu national et bien d’autres. Dans tous les cas, il s’agit d’avantages accordés par voie politique qui ne pourraient être obtenus dans le marché privé ou seulement à des frais beaucoup plus élevés.
Le danger est que la concurrence politique supplante la concurrence économique. Ce changement d’incitations n’est pas neutre. L’incitation à l’innovation est moindre dans l’ordre politique. Les acteurs politiciens n’assument pas personnellement les suites de leurs décisions, ce qui importe surtout lorsqu’elles sont mauvaises. Les sommes engagées dans la recherche des rentes constituent une pure perte!50. La tragédie est que les gains à court terme pour certains finissent par instaurer une logique paralysante pour tous à la longue. Le danger a déjà été reconnu par Bastiat, qui écrit en 1848 la phrase citée en exergue!: «!L'État, c'est la grande fiction à travers la quelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde.51». Un auteur a récemment employé le terme
«!démosclérose!»52.
Olson a bien illustré la logique de la consolidation de la recherche des
47 Mitchell & Simmons 1994, 62.
48 Krueger 1974.
49 McChesney 1997, 1998; Rowley et al. 1988; Tollison 1982, 1997, 1998; Tollison,/Congleton 1995; Tullock 1993.
50 Tullock 1967; pour une confirmation récente Shleifer/Vishny 1998, 81-89.
52 Cobin 1999, 12.
rentes dans son livre sur la grandeur et le déclin des nations!53. Il contraste la remarquable croissance qu’ont connue l’Allemagne et le Japon après la Seconde Guerre mondiale avec celle, faible, des nations vainqueurs, la Grande Bretagne et les États-Unis en tête. Pourtant toute l’infrastructure industrielle allemande et japonaise avait été détruite. L’explication du paradoxe, à ses yeux, doit se trouver dans l’effacement des structures de recherche de rentes en Allemagne et au Japon, d’abord par la militarisation, puis par la défaite, mais non dans les pays vainqueurs.
En somme, public choice propose une lecture plutôt pessimiste des processus démocratiques. Son analyse rend compte de manière convaincante de grand nombre de phénomènes et de comportements qui caractérisent l’ordre politique dans des démocraties représentatives. Globalement elle inspire une méfiance sur le discours de l’intérêt général, considérant les difficultés pour les autorités publiques d’adopter des politiques qu’on pourrait honnêtement qualifier de ce nom, ne serait-ce que la correction des imperfections du marché!54.
C.!LES MISSIONS DE L’ÉTAT
Les considérations précédentes paraissent conduire vers un cul de sac apparent. Le modèle néo-classique attribue à l’État la mission de corriger les imperfections du marché. À l’examiner de près, ce terme s’avère cependant insuffisamment déterminé pour conduire à des préceptes qui font l’unanimité.
Un premier examen paraît soutenir ce point de vue pessimiste. La taille de l’État n’a cessé de croître au cours des quarante dernières années dans
53 Olson 1982.
54 Conclusion contestée dans Wittman 1995, mais dont la thèse est à son tour attaquée dans Wilson
1998.
les pays développés!55. Il est pourtant indéniable que les démocraties représentatives réussissent mieux que les dictatures militaires ou cléricales et les régimes socialistes sur un éventail de critères, allant de la croissance économique et le niveau de prospérité moyenne à la liberté des citoyens!56. Le débâcle de l’expérience communiste, expérience qui a duré trois quarts de siècle en Europe et qui a été infiniment pénible pour les populations qui y ont été soumises, ne fait que confirmer cette conclusion.
L’histoire enseigne, écrit Douglass North, que «!le marché qui fonctionnera effectivement sera structuré par les efforts conscients d’amener les joueurs à se faire concurrence par le prix et la qualité plutôt que (..) en se tuant ou par d’autres moyens.!»!57 Certes, on ne peut faire disparaître l’État dans le premier rôle; mais il faut apprendre à limiter son rôle parmi les «!autres moyens!»!: la contrainte étatique employée pour prendre aux autres ou pour les empêcher de réaliser leurs desseins pacifiques!58.
55 Gwartney et al. 1998, tableau 1, qui démontre une croissance ininterrompue de la taille de l’État dans les pays de l’OCDE, de 27% du PNB en moyenne en 1960 vers 48 % en 1996.
56 Gwartney et al 1996.
57 «!Any market that is going to work well is structured by deliberate efforts to make the players compete by price and quality rather than by killing each other or other means.!» (North, 1999, 23)
58 North/Thomas 1973, insistant sur l’importance pour l’État des respecter la propriété des citoyens.
59 Gwartney et al. 1998.
60 Baechler 1994, 202
retrait relatif de l’État!61, même on ne peut douter que «!les marchés n’existent jamais à l’état de la nature, mais toujours dans un enlacement infini et malaisé avec l’ordre politique!»!62
Quelles que soient les missions pour lesquelles l’État a un véritable avantage comparatif par rapport aux forces décentralisées du marché, encore faut-il, pour confiner l’État à ces missions, parvenir à contrôler sa croissance. Pour cela, la collaboration de ceux-là mêmes dont le pouvoir doit être restreint est indispensable. L’essor de l’Occident est dû à la réussite de cette quadrature du cercle. L’histoire de cette découverte progressive a été compilée dans plusieurs magistrales études récentes!63. Elles montrent que les constitutions ont parfois, mais non toujours réussi à limiter les ambitions de ceux qui cherchent une extension sans principe du rôle de l’État.
La recherche de Buchanan a donné naissance au mouvement de la politique économique constitutionnelle, appelée aussi le nouveau contractualisme. Le mouvement a une revue pour la discussion de ses idées!65. Mais l’unanimité n’est pas faite sur l’approche «!contractualiste!». D’autres privilégient une approche «!évolutionniste!», qui recherche la validité des règles fondamentales en ce qu’elles ont fait leur preuve au
61 Brenner 1994; McMahon 2000.
62 Trebilcock et al. 2000, 232 (traduction). «!Markets never exist in a state of nature but in an endless and uneasy embrace with politics. »
63 Gordon 1999; van Creveld 1999. Voir aussi les études plus anciennes North/Thomas 1973; Jones 1987; Rosenberg/Birdzell 1986.
64 Voir entre autres Buchanan/Tullock 1962; Buchanan 1975, 1991, 1997.
65 Constitutional Political Economy. Buchanan 1990, 1993.
cours de l’histoire. Voigt fait le point sur ce débat en cours et à suivre!66.
CONCLUSION
Dans ce chapitre nous avons examiné les apports du modèle économique à la compréhension de phénomènes politiques. Cet examen nous a permis de prendre nos distances par rapport au modèle angélique, qui voit l’État comme le gardien impartial de l’ordre public, que l’on peut appeler sans frais à corriger tout dérapage des rapports entre citoyens. Si la plupart des observateurs sont d’accord sur l’idée que l’État pourrait utilement assumer certaines missions de ce type, il demeure que dans le fonctionnement concret des États, les pouvoirs suffisants pour accomplir ces missions peuvent aussi servir pour spolier les citoyens au profit des détenteurs du pouvoir ou de groupes qu’ils privilégient.
Public choice fait une lecture pessimiste de l’ordre politique. Il nous met en garde contre les multiples façons dont l’ordre politique peut être tourné au profit d’intérêts particuliers et souligne la difficulté d’entreprendre une action collective. Elle conduit à un scepticisme sur la possibilité de confier quelque rôle que ce soit dans l’intérêt général. Ce pessimisme est-il entièrement justifié dans les faits? Nous avons déjà relevé l’observation faite par de Jasay sur l’acceptation des citoyens de participer aux projets collectifs, lors même qu’ils savent que d’autres peuvent resquiller!67. Ridley s’appuie sur la biologie pour affirmer la tendance humaine à collaborer au-delà de ce que les enseignements de public choice
66 Voigt 1999.
67 de Jasay 1989; 1994, 283.
nous amèneraient à croire possible!68.
Toute conception de l’ordre politique, toute proposition de réforme doit montrer comment elle circonscrit les perversités dénoncées par public choice. Dans l’analyse des institutions juridiques, nous serons parfois conduits à conclure que telle loi ou telle politique gouvernementale ne peut s’expliquer autrement que par les considérations relevées par public choice. La portée normative de ces analyses est fondée sur une perspective plus optimiste, à savoir que les institutions peuvent être conçues prudemment de manière à favoriser l’intérêt général, avec l’espoir de réussir à les implanter dans cet esprit.
POUR ALLER PLUS LOIN
68 Ridley 1997. 69 Mitchell/Simmons 1994 70 Crozet 1997.
71 Wolfelsberger 1995.
72 Mueller 1989; la première édition est Mueller 1979.
73 Mueller 1997.
74 de Jasay 1998; Gordon 1999; van Creveld 1999.
6
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Le marché noir
«!L’histoire des activités illégales est aussi ancienne que celle des lois elles-mêmes.!»
(Sauvy 1984, 19)
«!Does anyone want to live in a country where the “underground economy” could not survive because of governmental regimentation and control? »
(Flaherty 1989, 6)
Introduction!: La nature du marché noir .2
A.!Le fonctionnement du marché noir 4
1.!Le marché noir et ses participants ..4
2.!Le marché noir et l’État 7
B.!Le statut moral du marché noir 8
1.!Le marché noir et la solidarité .8
2.!Le marché noir et les missions de l’État . 10 Conclusion 13
Pour aller plus loin .. 14
INTRODUCTION!: LA NATURE DU MARCHE NOIR
Le marché noir est l’ensemble des activités économiques volontairement réalisées en marge des contrôles de l’État!. Les transactions sont conclues au marché noir pour éluder une interdiction, restriction ou imposition décrétée par l’État. «!Toute rigidité est naturellement favorable au travail noir!» écrit Sauvy!. Le phénomène soulève deux questions. La première concerne la viabilité du marché noir et ses effets sur le marché officiel. La deuxième porte sur les implications du marché noir pour les missions de l’État. Certains n’y voient qu’immoralité!; d’autres le considèrent au contraire comme la soupape de sécurité essentielle contre l’État qui se fait trop envahissant!.
Le marché noir englobe un vaste éventail de secteurs. Quelques exemples :
- le trafic d’objets ou de services réglementés (les cigarettes en contrebande; oeuvres contrefaites; marques de commerce illégalement imitées)
- le «!travail au noir!» (construction au noir, aide à domicile clandestine ou travailleurs immigrants en situation irrégulière)
- les séquelles d’un contrôle des prix, de restrictions sur l’importation ou d’un autre régime protectionniste (par exemple, pas-de-porte versés dans les marchés où les loyers sont sévèrement contrôlés; produits vendus audelà des quota accordés ou en dehors des contextes permis).
L’ampleur de cet éventail montre la diversité des phénomènes visés. La réglementation qu’on cherche à éluder en passant par le marché noir est fort variable. Les services à domicile, la construction clandestine et les cigarettes offertes en contrebande s’expliqueraient par le simple souci d’éluder la fiscalité et les charges sociales jugées trop onéreuses. Le travail des immigrants irréguliers cherche à contourner les restrictions de la liberté de mouvement des personnes. Le contrôle des prix est institué dans l’espoir de mater l’inflation ou les pénuries dues aux crises ou aux guerres, mais entraîne des distorsions contrées par le marché noir. L’avortement clandestin, la pornographie enfantine, la vente des organes du corps contournent des règles dont le fondement est la protection des personnes, éventuellement contre leurs propres décisions.
Le marché noir a sans doute existé depuis l’apparition d’un pouvoir étatique constitué. Seule son ampleur a varié, en fonction de la pesanteur des contraintes imposées par le pouvoir aux échanges entre citoyens!.
L’ampleur du marché noir est, par la nature même du phénomène, difficile à saisir. Il était sans doute plus large dans les défuntes économies socialistes que dans les économies de marché occidentales. Les estimations pour ces dernières varient de quelques pour cent au quart ou même au tiers de l’économie officielle!9. Une étude respectable du marché noir au Québec!10, y compris les activités criminelles, arrive à un estimé se situant entre 1,97 pour cent et 2,55 pour cent du produit intérieur brut.
Il y a lieu de s’interroger d’abord sur le fonctionnement du marché noir, puis sur son statut moral et ses implications pour les missions de l’État.
A.!LE FONCTIONNEMENT DU MARCHE NOIR
La restriction, l’interdit ou l’imposition d’un produit ou service a pour effet de diminuer la quantité qui peut être offerte et d’augmenter le prix auquel elle sera négociée. Dans le cas d’un interdit, le quota est même égal à zéro et le prix théoriquement infini. L’augmentation de prix, à son tour, provoque une recherche de moyens pour offrir le produit à coût moindre. À mesure que se creuse l’écart entre le prix légalement permis et le prix réalisable en contournant la restriction ou l’interdiction légale, l’intérêt, pour les fournisseurs touchés, de considérer la voie du marché noir augmente.
Le fonctionnement du marché peut être examiné du point de vue de ses participants et dans ses effets pour l’État.
Les caractéristiques du marché noir pour les participants peuvent à leur tour être examinées du point de vue des fournisseurs et de celui des consommateurs.
a.!Le marché noir et les fournisseurs
La demande qui se manifeste dans le marché officiel se prolonge dans le marché noir, moyennant des ajustements pour les risques que courent participants en s’y engageant. Pour opérer sur le marché noir, il faut développer du capital humain — réseau de contacts, savoir faire. Cela vaut
9 Frey/Pommerehne 1982, 9, 17; Debare 1992, 20 s., présente le chiffre de 15 % pour l’économie française; McKenzie/Lee 1991, 197, font état d’estimés allant jusqu’à 15 % pour les États-Unis; de Soto 1989, 12, l’estime à 38,9 % au Pérou; Brenner 1994, 169, Seldon 1998, 79, qui reprend des estimés paru dans The Economist 1998, allant de 6 % pour la Suisse à 24 % pour l’Italie.
10 Fortin et al. 1996, 96.
autant, cependant, pour un nouveau marché officiel sur lequel on voudrait opérer et ne constitue pas un trait distinctif du marché noir.
Le marché noir repose sur les forces créatrices d’ordre spontané et fonctionne en partie comme un marché ordinaire. Se situant en dehors de la légalité, il a cependant plusieurs particularités importantes du point de vue des fournisseurs qui y opèrent. D’abord les efforts de l’État à faire respecter sa loi entraînent une augmentation des coûts de production et de transaction au marché noir par rapport au marché officiel. En deuxième lieu, le marché noir exclut généralement la possibilité de faire appel aux tribunaux pour faire sanctionner l’inexécution des engagements, ce qui est également de nature à augmenter les coûts de transaction. Enfin, les fournisseurs n’ont pas les moyens disponibles dans le marché officiel pour faire connaître leur produit et pour garantir sa qualité, ce qui se traduit par un problème d’information pour les consommateurs.
Quant à la difficulté de faire respecter les engagements, la théorie des jeux permet de prévoir qu’elle pose peu de problèmes dans les rapports personnalisés et de longue durée. Les problèmes surviennent dans les rapports qui périclitent et dans les rapports anonymes et ponctuels. La première éventualité peut donner lieu à des moyens extraordinaires, éventuellement violents, pour amener les participants à respecter leurs engagements. Dans les rapports anonymes, l’obligation de payer comptant à la livraison suffit généralement pour pallier la difficulté pour les fournisseurs de faire respecter les engagements. Elle entraîne la nécessité de mettre en place un système de blanchissement de l’argent.
b.!Le marché noir et les consommateurs
Pour le consommateur également, le marché noir présente, par comparaison au marché habituel, plusieurs caractéristiques particulières. Le prix pratiqué sur le marché noir est majoré d’une prime de risque. Dans le cas du marché de la drogue, la prime est importante. Dans le cas des marchés noirs constitués pour déjouer la fiscalité et les charges sociales, la prime de risque est compensée par les charges ainsi évitées. Ces charges proviennent de la réglementation qui, en matière de qualité et de sécurité dans la construction par exemple, fonctionne comme une assurance de qualité obligatoire dont le coût est incorporé dans le prix officiel du produit ou du service. Le marché noir permet d’escamoter la charge qu’est la prime d’assurance déguisée, mais au prix d’une prime d’illégalité. Pour être viable, la marché noir pour ces produits et services doit offrir des prix nettement inférieurs à ceux du marché officiel.
11 Akerlof 1970.
donc plus dangereux, dans le but de créer rapidement une dépendance chez les consommateurs!12.
En dernier lieu, là où le marché noir pratique des prix plus élevés que ne le ferait le marché officiel qui est interdit, il a un effet redistributif régressif. Le marché noir discrimine alors contre les pauvres. On peut s’attendre à ce que ceux qui réussissent le mieux dans le marché officiel seront également les plus aptes à tirer profit des possibilités qu’offre le marché noir. Toutefois dans le marché de la construction (et d’autres services) au noir qui coexiste avec le marché officiel, c’est justement les prix plus bas pratiqués grâce aux charges sociales et réglementations sur la sécurité évitées qui permettent aux pauvres de s’offrir des produits ou services qui leur seraient autrement interdits!13.
12 Thornton 1991, 95 s.
13 Priest 1994.
14 «!History ( ) supports the finding that prohibition is impossible to achieve in the economic sense!», Thornton 1991, 5.
mesure que plus de personnes font transiter leurs activités par le marché noir.
Le marché noir est donc viable, mais soulève un problème moral; il provoque la force répressive de l’État. Cela justifie un examen du statut moral du marché noir.
B.!LE STATUT MORAL DU MARCHE NOIR
Le recours au marché noir peut constituer un simple resquillage de la part de ceux qui s’y engagent sur les efforts des citoyens honnêtes, qui respectent les règles, paient leurs contributions etc. Le trafic d’oeuvres piratées est généralement de ce type. Il s’agit d’une immoralité individuelle. Les institutions d’action collective dans le marché privé — les sociétés civiles ou commerciales, la copropriété par exemple — ne tolèrent pas ou très peu ce resquillage. Il n’y a pas lieu de le traiter différemment dans la sphère publique.
La règle ainsi contestée a été adoptée, faut-il présumer, suivant les procédures qui en assurent la légalité. Elles devraient également en assurer la légitimité, qui est essentielle au maintien de l’état de droit. Il serait
15 De Soto 1989.
16 Hirschman 1970/1995.
impensable de faire respecter par la force publique chacune des règles qui composent le droit d’une société. Le bon fonctionnement du droit table largement sur l’acceptation des citoyens de s’y conformer. D’une manière générale, cela procure à l’ensemble de la société les grandes économies de l’ordre de coopération. Cette acceptation exprime la légitimité du droit. La socialisation des jeunes leur inculque les règles de conduite traduisant cette acceptation. C’est, pourrait-on dire, le contrat social continu. Les participants au marché noir révoquent, du moins en partie, leur adhésion au contrat social.
Présenté de cette façon, le problème est fondamental. Il met en cause la thèse voulant que l’état de droit est assuré du seul fait que les règles de droit sont adoptées suivant les procédures constitutionnellement prévues à cet effet. La désobéissance civile que constitue le marché noir signale les limites à l’autorité de l’État. L’étendue du marché noir rappelle cette vérité que le régime juridique, tout légal qu’il soit dans sa forme, n’est légitime que dans la mesure de sa conformité aux règles que des citoyens ou des groupes particuliers pourraient développer entre eux, dans des contextes décentralisés, comme amorces d’ordres spontanés!17. L’agrégation qui s’opère par des procédures parlementaires et bureaucratiques déforme les préférences que les citoyens expriment dans le contexte décentralisé des marchés.
17 Priest 1994.
18 de Jasay 1998, 6.
Le marché noir a existé de tout temps. Sa seule existence ne met pas en cause la légitimité du droit et de l’État. Ce qui doit faire réfléchir, c’est son ampleur au regard de l’importance des missions assumées par l’État. À l’heure actuelle, entre 45% et 55% du produit national brut des sociétés occidentales transite par les mains de l’État!19.
L’économie du bien-être reconnaît à l’État la mission de corriger les imperfections du marché. Elle reconnaît à ce titre les biens collectifs (ceux qui peuvent difficilement être réservés et dont la consommation par l’un n’empêche pas la consommation par d’autres), les externalités (effets d’une action sur les tiers dont le décideur ne ressent pas le coût dans sa décision) et les monopoles. La réduction des coûts de transaction et d’information, souvent présentée également comme une mission de l’État, peut être analysée comme une forme de bien collectif. Nous avons vu aux chapitres précédents que l’unanimité n’est plus faite sur les imperfections qui seraient actionnables en ce sens et que, de toute façon, les actions entreprises au nom de l’État dépassent clairement ce qui pourrait être raisonnablement qualifié d’imperfections du marché.
Nous nous sommes alors tournés vers public choice pour mieux comprendre les actions de l’État. Cet examen nous a fait douter de la version où l’État agit dans l’intérêt général pour corriger les dérapages de l’ordre créé à l’occasion de l’interaction des citoyens. Au contraire, beaucoup d’actions de l’État résultent de la recherche de rentes par des groupes d’intérêt. Le seul fait qu’une politique ait été adoptée ou une loi votée suivant les procédures démocratiques en place ne garantit pas qu’elle reflète l’intérêt général.
19 Gwartney et al. 1998, tableau 1.
travail, qui provoque la construction au noir, l’analyse est moins facile. À première vue, il s’agit d’une partie de la rémunération des travailleurs, versée sous forme d’un avantage en nature. Toutefois, cet avantage est non négociable, même pour les travailleurs qui seraient prêts à se contenter de moins ou qui estimeraient pouvoir assurer leur santé et sécurité autrement. À cela on opposera l’argument des coûts de transaction associés à une hypothétique négociation individuelle. L’existence même du marché noir montre cependant que l’objection est en partie justifiée et que cette législation impose un avantage qui peut bien dépasser le niveau que demanderaient les travailleurs. La législation se traduit par des prix plus élevés pour les consommateurs et écarte les plus pauvres du marché.
Le schéma mis en lumière ici est employé à d’autres endroits, où l’État impose une assurance, qui aurait pu être assumée dans le marché privé, mais y greffe une mesure de redistribution, qui, elle, serait plus difficilement réalisable dans le marché privé. C’est le cas par exemple de l’assurance-chômage, de l’assurance-santé, du régime des accidents du travail, du régime des rentes, des programmes du bien-être social.
Ces régimes paraissent imposer plus de bien que ce que certains, notamment les plus pauvres, souhaitent et acceptent de financer. Priest, faisant écho à De Soto, perçoit en pareils cas une justification morale au marché noir!20.
20 Priest 1994, 2283.
prix que paient les consommateurs!21. L’explication tourne donc de nouveau vers des formes déguisées de recherche de rentes.
D’autres formes de marché noir se situent dans des zones plus nettement teintées de considérations morales. L’interdiction de prostitution, là où elle est pratiquée, pourrait être soutenue pour des raisons de santé publique. Mais avec les avances de la science médicale, cette raison ne paraît plus convaincante. L’intervention serait alors justifiée par le souci d’empêcher le «!troc du désespoir!»!22 ou encore pourrait traduire un autopaternalisme. Par autopaternalisme, il faut entendre la restriction qu’on adopte dans un moment de lucidité pour s’empêcher, dans ses moments de faiblesse, de succomber à la tentation d’accomplir un acte qu’on regretterait par la suite. Elster a décrit le phénomène au moyen de l’histoire d’Ulysse et les sirènes!23. On présume que toute personne, dans ses moments de lucidité, s’interdirait de s’engager dans la prostitution. Il s’agit là d’une hypothèse qui se prête à la vérification. L’expérience — séculaire d’ailleurs — pourrait nous apprendre que le désespoir est moins grave qu’appréhendé et que les effets secondaires de l’interdit le sont plus!24. L’interdiction constituerait alors un pur paternalisme.
21 Rockoff 1993.
22 Calabresi,/Bobbitt 1978, 116. Le terme employé est “!desperation bidding!”.
23 Elster 1984, 1985.
24 Pour la prostitution, un rapport récent va dans ce sens: Welzer-Lang et al. 1994.
25 Trebilcock 1993, 147 s.
Quel que soit le jugement moral qu’on adopte au sujet des interventions paternalistes, les enseignements de Public Choice permettent de penser que l’imposition à l’ensemble de la société d’un mode de vie préféré par un groupe particulier est un avantage qui peut être recherché par celui-ci à titre de rente, tout comme les autres rentes, financières ou non!26. L’interdiction de certaines pratiques sexuelles en privé ou de la vente de pornographie peut être considérée comme une rente de ce type. Le marché noir trouverait ici une certaine justification comme réponse à ces interdits.
L’interdiction de contrats de mère porteuse ou de vente d’organes paraît relever plus clairement de l’autopaternalisme. L’autopaternalisme présumé se prête toutefois à la correction par l’expérience. Il paraît donc sage de s’ouvrir prudemment à l’expérience de ce qu’on voudrait interdire et de mesurer le risque de regret. Ici comme ailleurs, on ne peut éliminer les risques, mais on peut tenter de les apprivoiser!27. Dans le cas de transfert d’organes, le Code civil du Québec, en son article 25, admet le don, mais non la vente, au motif sans doute que l’attrait de l’argent conduirait à des décisions regrettées par la suite. Pour ce qui est du contrat de mère porteuse, plusieurs cas de regret sévère se sont déjà présentés. L’interdiction dans ces cas paraît plus facilement justifiable, un éventuel marché noir perdrait autant de justification.
CONCLUSION
Le marché noir se compose d’activités volontairement soustraites à l’emprise réglementaire de l’État. Il constitue un resquillage sur les efforts des citoyens honnêtes, mais en même temps, et d’autant plus que le recours au marché noir se multiplie, une réaction contre un État jugé trop envahissant sur le plan fiscal ou réglementaire.
26 Thornton 1991, 143.
27 Wildavsky 1988.
Le marché noir est viable malgré la répression. Il fonctionne pour partie comme le marché ordinaire, en ce que l’exécution des contrats peut être assurée par les forces créatrices d’ordre spontané. La théorie des jeux permet de dégager les conditions de stabilité des contrats. Le marché noir est en concurrence — déloyale — avec le marché officiel.
L’illégalité du marché noir entraîne cependant plusieurs coûts!: primes implicites pour le risque de découverte et de condamnation; circulation imparfaite d’information, par la réputation, la publicité et autres moyens, et charge concomitante pour l’acheteur de veiller à ses propres intérêts; qualité moins bien assurée; absence de garantie.
Le statut moral du marché noir est ambigu. Il varie selon les secteurs. Autant est contestable le resquillage sur les efforts des citoyens honnêtes pour financer les biens collectifs nécessaires à l’ordre public, autant l’on comprend les tentatives de se soustraire à une réglementation résultant de la recherche de rentes, y compris un paternalisme déplacé.
Quelles que soient les vertus qu’on lui prête, une interdiction, restriction ou imposition qui n’est pas acceptée risque de provoquer les effets d’un marché noir avec les caractéristiques propres qui résultent de son illégalité. Ces effets compromettent les vertus réclamées pour cette intervention.
POUR ALLER PLUS LOIN
Le livre incontournable est l’étude de la situation péuvienne aux années 1980!29. Sur la logique de l’interdiction et ses conséquences on lira
28 Thornton 1991, 149 s.
29 de Soto 1989.
Thornton!30. On trouvera un regard mondial sur le phénomène du marché noir chez Sauvy!31.
30 Thornton 1991.
31 Sauvy 1984.
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Conclusion
Le présent livre est le premier de deux tomes qui présentent une lecture économique des institutions juridiques. Il vise à fournir un minimum de «!culture économique!» et une trousse d’outils pour l’analyse économique du droit!!: une conception des décisions individuelles, des rapports entre individus, du marché, des décisions risquées et de l’assurance, de l’ordre politique et du marché noir. Ces concepts permettent de comprendre des phénomènes problématiques tels les biens collectifs, les externalités, le resquillage et les problèmes de l’action collective, les coûts de transaction, le problème de la surveillance incomplète (principal-agent theory), les comportements stratégiques. Ils nous seront utiles dans l’analyse des institutions juridiques, dont bon nombre ont justement pour but de prévenir ou de circonscrire ces dérapages et ainsi d’éviter les gaspillages. Elles sont en ce sens efficaces, comme le soutient Posner.
2 L’ANALYSE ECONOMIQUE DU DROIT - FONDEMENTS
droit positif, de déterminer les principaux effets de règles proposées et de prendre position sur l’à-propos de les adopter. La logique visée ici n’est pas nécessairement explicite dans les textes de loi ou de jurisprudence. Elle permet néanmoins — nous espérons en convaincre le lecteur — d’en rendre compte. Le lecteur découvrira un outil pour la doctrine juridique dans ses missions les plus nobles, qui justifie le temps mis à se familiariser avec les fondements présentés ici.
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[1] De Lolme, The Constitution of England, 1770, cité par Dicey [1915] 1982, 5. Le livre paraît aujourd’hui oublié, malgré une grande influence en son temps, d’après Lacorne 1991, 172, 179 et 284. Le titre de l’ouvrage de de Lolme y est donné comme : Lolme, Jean-Louis de, Constitution d’Angleterre ou Etat du gouvernement anglais comparé avec la forme républicaine et avec les autres monarchies d’Europe, Amsterdam, 1771. Une édition anglaise élargie et améliorée paraît en 1772 (Encyclopaedia britannica, 1946, Vo Delolme).
[2] Malaurie 1991, 9.
Cousineau 1991. Migué 1979, 73-82. Il convient de préciser que le salaire minimum n’est pas le seul facteur qui affecte le chômage. La législation anti-discriminatoire et la rigidité de la législation du travail en matière de congédiement et l’imposition d’un fardeau d’avantages sociaux étendus agissent dans le même sens. Voir Palda 1998, tableau 8.
[5] Le salaire minimum au Québec a augmenté au 1er octobre 1992 de 5,55$ à 5,70$. Cette
augmentation de 2,7% dépassait le taux d’inflation qui était de 2%. Le taux de chômage au Québec en 1992 était près de 12%. Depuis, le salaire minimum est passé à 6,70$ en 1996, à 6,80$ en 1997 et à 6,90$ en 1998. Palda 1998 démontre (Tableau 8) que le ratio du salaire minimum par rapport au produit intérieur brut au Québec est passé de 47% en 1989 à 55% en 1997. Le chômage était toujours de 11,4% au Québec en 1997 et 10,4% en 1998 (Institut 1999, 13, 14).
[6] Hirshleifer 1984, 355.
«!Law, like language, is not a gadget that a man can contrive at will!». Leoni 1991, 218.
[8] «![I]n the great chess-board of human society, every single piece has a principle of motion of its own, altogether different from that which the legislature might chuse to impress upon it!» Smith 1790, 234 (Partie VI, section II, chap. II in fine).
[9] Voir Mokyr 1990, 133; The New Encyclopædia Britannica, 1985, t. 28, 467, Vo Petroleum.
Demsetz 1967, sur la foi de récits de Eleanor Leacock. L'exactitude historique, du moins la généralité, des faits relatés a été mise en doute. Voir McManus 1972.
Sur ces différents modes de rationnement voir entre autres Baird 1980, 3-6; Weise 1981, 27.
[12] Conceptuellement, il n’est pas nécessaire que ce territoire ou cet agent appartienne au domaine physique!: le territoire peut être un domaine abstrait d’activités, l’agent peut être une corporation ou un État.
Bartlett 1989, 142.
[14] Murray 1984, 146; Bartlett, Randall, 1989, 197.
Riker 1990, 177. Le sociologue Opp exprime un point de vue similaire!: Opp 1991. Dans le même sens Vanberg 1988.
Riker 1990, 177!: «!…microeconomists have explained phenomena by deduction in a rational choice model of theorems that parallel empirical laws!».
Voir Brennan et Buchanan 1985 (chapitre 1); Hargreaves Heap 1995; Hirshleifer 1987 (deuxième partie); Schelling, 1960, 1980, 1984; Schotter 1981, 1986; Schüßler 1990; Sugden 1986.
Axelrod 1984, 1986a et b, 1988; Brams 1975, 1985; Elster 1989; Hardin 1980, 1982, 1990; Nicholson 1989, 1992; Oye 1986; Stein, 1990; Stern et Axelrod 1989; Taylor 1982, 1987, 1990.
Boudon 1977, 1979, 1984; Coleman, 1990a, 1990b; Opp 1983.
Pestieau 1984.
Goetz 1984, 8-36; Kerkmeester 1989; Mackaay 1988.
[23] De Jasay 1989; Parfit 1986; Schmidtz 1991; Ullmann-Margalit 1977.
Le terme «!échange!» est employé ici en son sens large, par opposition au sens juridique plus restreint du contrat nommé par lequel les deux parties se donnent une chose contre une autre.
Smith 1776, 13 (Liv. I, chap. II).
Braudel 1985, 20.
Emprunté à Friedman 1986, 120 et s. La lecture de ce livre est recommandée à ceux qui veulent approfondir les sujets abordés dans le présent chapitre.
Le principe des avantages comparatifs a été articulé pour la première fois par l’économiste anglais David Ricardo (1772-1823).
[30] Smith 1776/1937, 4 (Liv. I, chap. I).
[31] Id., 13 (Liv. I, chap. II).
[32] Knight [1921], 1971.
Mackaay 1980; Lemennicier 1991, c. 3. En anglais, dans une très abondante littérature, Calabresi 1970; Shavell 1987; Landes/Posner 1987; Dewees et al. 1996.
Beito 1990, 1997, 2000; Benhamou/Lévecque 1983; Bernstein 1996; Ewald 1986, 205 s.; Siddeley 1992.
Akerlof 1970.
[36] Dionne/Harrington 1990, 18.
[37] Pour des raisons constitutionnelles, l’assurance maritime est plutôt régie au Canada par la législation fédérale!: Loi concernant l’assurance maritime (S.R.C. c. C-22). Voir art. 20 et s. de la loi.
Spence 1973.
Riley 1987.
[40] Akerlof 1970.
Wolfelsberger 1995, 17-18.
«!the neutral provider of the public interest!», Barry 1989, 76.
[43] Un bon résumé se trouve dans!: Hardin 1997.
[44] Hirschman 1970.
[45] «!States generally start with somebody's defeat. » (de Jasay, Anthony 1998, 16) 6 Ce jeu est décrit par Wolfelsberger 1995, 30-33, et par Benson 1994, 133 s.
«![a]narchy, if historical precedent is to be taken as conclusive, does not survive!»,de Jasay 1989, 217. Dans le même sens van Creveld 1999, 11. Évidemment, l’anarchie entre les États continue. Baechler 1971, 126, affirme qu’elle a été essentielle à l’essor du capitalisme.
Taylor 1982, 130 (traduction); voir aussi 168.
Cette définition s’inspire de celle que donne Pestieau 1989, 215.
Sauvy 1984, 55.
Par ex. Debare 1992, 57.
Par ex. De Soto 1989, xv, 259.
[53] Sugg/Kreuter 1995; 't Sas-Rolfes 1995.
Voir par exemple Archambault/Greffe 1984; Barthe 1988; Benson 1981; Benson/Baden 1985; Couvrat 1988; de Grazia 1983; de Soto 1989; Debare 1992; Fortin 1996; Gaertner/Wenig 1985; Hamowy 1987; Harding/Jenkins 1989; Heertje/Cohen 1980; Heertje/Barthelemy 1987; Klatzmann 1982; Lae 1989; Lemennicier 1992; Mirus/Smith 1981; Mirus 1984; Pestieau 1989; Portes et al. 1989; Priest 1994; Renooy 1990; Sauvy 1984; Schäfer 1984; Sennholz 1984; Tanzi 1982; Thornton 1991.
Debare 1992, 5; Sauvy 1984, 10.
[56] Fortin 1996, 3.
[57] Pour emprunter le terme de Jon Elster 1989b, 3.