COURS
DE
DROIT PUBLIC ECONOMIQUE COMMUNAUTAIRE
INTRODUCTION
1°) Définition du droit public économique communautaire (DPEC) Reprenons les 4 mots composant l’intitulé du cours.
Le Droit est un ensemble de règles juridiques obligatoires, dont le respect est normalement sanctionné par un juge.
Le mot « Public » se distingue de « Privé » parce qu’il vise des activités exercées par des personnes publiques, autrement dit des « services publics ».
Le mot « Economique » vise des « activités économiques », au sens de marchandes voire rentables.
Mais, est-ce que les activités publiques peuvent-elles être qualifiées de « rentables » ?
Le groupe de mots « Public » et « Economique » fait référence finalement à l’interventionnisme économique de l’Etat et à la doctrine économique y afférente, le colbertisme.
L’interventionnisme économique a été véritablement inauguré, en tant que politique publique étatique par Louis XIV, puis au XIXe siècle par l’ère Meïji, et enfin, au XXe siècle par le New Deal de Roosevelt, pour ne prendre que quelques exemples marquants.
Aujourd’hui, avec la crise économique internationale de 2008-2009, les Etats interviennent massivement dans leur économie nationale pour soutenir les banques, par exemple, en difficulté.
Enfin, le mot « Communautaire » évoque les institutions européennes, l’Union européenne et le droit communautaire.
En résumé, le DPEC c’est l’ensemble des règles juridiques, produites par les institutions européennes, pour encadrer et limiter les interventions dans le secteur économique des personnes publiques des Etats-membres de l’Union européenne.
Il convient de préciser deux mots dans cette définition :
- les personnes publiques sont, dans chaque Etat-membre, l’Etat, les collectivités locales et les établissements publics ;
- les interventions ci-dessus visées peuvent être indirectes (telles que les aides financières versées par les personnes publiques aux acteurs privés et même les économies qu’elles les aident à réaliser en mettant gratuitement à leur disposition, par exemple, un équipement public) ou directes (comme lors de la création par une personne publique d’une activité économique en tant que service public et par suite de sa prise en charge, totale ou partielle, par là même personne en termes de gestion).
Le cours portera essentiellement sur les interventions publiques directes dans le secteur économique, particulièrement sur l’ouverture à la concurrence des services publics de réseau.
Mais, pour mieux cerner notre matière, il convient avant d’aller plus loin de définir plus précisément la notion de « service public ».
2°) La notion de « service public »
« A mesure que la civilisation se développe, le nombre des activités susceptibles de servir de support à des services publics augmente et le nombre des services publics s’accroît par là même » : cette vision prospective de Duguit a été pleinement confirmée par l’évolution.
En dépit des freins juridiques, résultant notamment du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, les services publics se sont multipliés à tel point qu’ils en sont venus à occuper une position structurelle et structurante dans de nombreuses sociétés à travers le Monde.
C’est ainsi que de grands systèmes de gestion publics, constitués en réseaux, sont devenus les véritables artères du corps social.
Ainsi, le service public, pour ne pas dire les services publics, est une composante tant de la société civile que, et surtout, du tissu économique.
En effet, les premières cités-Etats mésopotamiennes ont éprouvé, plusieurs siècles avant Jésus-Christ, le besoin de mettre en place ce que l’on appelle aujourd’hui des services publics (pour l’enlèvement des ordures ménagères, afin de rendre la justice, ou tout simplement, en vue de maintenir l’ordre dans la Cité).
De fait, toute vie en société génère des besoins collectifs, pas toujours pris en charge par les particuliers, par manque de rentabilité, de moyens ou d’intérêt tout simplement ; pourtant certains de ses besoins peuvent être vitaux pour une telle vie, et ce, particulièrement, pour assurer l’ordre et la stabilité dans n’importe quel Etat.
Il convient de ne pas avoir une vision exclusivement technique ou juridique du service public dans la mesure où la place de ce dernier dans une société donnée est avant tout fonction d’un projet de société, d’un choix politique.
L’exemple américain l’illustre bien, particulièrement au moment de la situation catastrophique de la Louisiane suite au passage du cyclone Katrina, en 2005. En effet, « (…) le passage de Katrina met cruellement en lumière un pan peu reluisant de la réalité américaine. Au pays de la libre entreprise, il ne fait pas bon être noir, pauvre ou malade » .
Réduire la place du service public dans une société particulière à un moment donné, c’est un choix politique avant d’être un choix technique et juridique, mais c’est aussi un choix sociologique au regard de la place du lien sociale, de la solidarité dans une telle société.
Toutefois, attention « ne jetons pas bébé avec l’eau du bain », le service public souffre non pas d’exister, et encore moins d’être moins utile, mais d’être le plus souvent mal organisé et mal géré.
La crise actuelle du service public est moins celle de sa raison d’être que de son management, de sa gestion.
Les précisions sur le concept de service public étant posées, revenons à la mise en valeur de notre matière, le DPEC.
3°) Les intérêts du DPEC
Le DPEC présente deux catégories d’intérêts.
Les intérêts peuvent être, tout d’abord, historique et pratique.
Un service public est une mission d’intérêt général, cela signifie qu’elle permet la satisfaction des besoins fondamentaux d’une société donnée à un moment donné.
Mais, est-ce que les activités économiques sont-elles des services publics ?
Normalement non, pourtant le droit administratif a créé une notion de
« service public à caractère industriel et commercial », associant les « contraires » que sont le « service public » et « les activités industrielles et commerciales ».
Ces services ont un objet économique et sont distribués à partir d’un réseau ; c’est pourquoi, ils sont appelés « services publics de réseau ».
Les intérêts du DPEC sont, ensuite, théorique et politique.
Le choix de la qualification d’activités en services publics est avant tout politique et démocratique.
Ainsi, la logique communautaire des services publics était à l’origine proche de celle des Etats-Unis d’Amérique ; mais, aujourd’hui, elle est plus souple et plus sensible à l’objectif de solidarité et de cohérence sociale, qui est au cœur de la logique de service public.
Le 1 de l’article 3 du traité sur l’Union européenne du 13 décembre 2007 l’exprime de la manière suivante : « L’Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien être de ses peuples ». Il convient aussi de lire le « 3 » du même article.
4°) L’annonce de plan
A la lumière des remarques précédentes, nous développerons deux parties pour illustrer le DPEC.
Ces deux parties sont :
- la notion communautaire de service public et les règles communautaires de déréglementation des services publics ;
- un exemple de service public déréglementé : le marché civil aérien.
PARTIE I
LE SERVICE PUBLIC
A L’HEURE COMMUNAUTAIRE
La conception du service public, précédemment évoquée, se doit d’évoluer dans une société qui, à l’aube du XXIe siècle, retrouve sur le plan économique le chemin du libéralisme.
Ainsi, dans le cadre de la mondialisation de l’économie à l’échelon donc international, et dans celui de la privatisation du secteur public sur le plan interne, le champ de l’action administrative doit revenir à des limites raisonnables.
Par suite, le symbole de cette action, c’est-à-dire le service public, voit obligatoirement son domaine d’intervention mais aussi et surtout sa définition remis en cause.
C’est pourquoi, après avoir évoqué rapidement l’évolution du service public en droit interne (Chapitre I), sera surtout examinée l’influence qu’exerce sur lui la construction communautaire (Chapitre II).
CHAPITRE I
LA CONCEPTION DU SERVICE PUBLIC
A L’EPREUVE DU DROIT INTERNE
L’évolution, que le droit interne fait subir au service public, est multiple.
Tout d’abord, elle fait de l’usager un client : un usagient.
Cela fait du service public une donnée économique, un élément de l’économie de marché ; et ce, alors même que, pendant longtemps, nombreux ont été les auteurs (dont de nombreux économistes) qui pensaient que le service public était « hors marché ».
Par suite, le service public commence à être évalué à la lumière de son efficacité voire de son efficience ; il va de même, et de plus en plus, être évalué.
Loin d’être un esprit chagrin, il convient de souligner que les usagers ont, en effet, moins l’esprit civique et sont moins respectueux de la chose publique ; par suite, ils se comportent de plus en plus comme des clients et attendent d’être traités comme tels, à tort ou à raison ; pourtant, tout dépend des services publics et des circonstances !
Ensuite, l’usager devient « usagien » (contraction entre « usager » et « citoyen »). Il souhaite être écouté et entendu dans la gestion des services publics voire des politiques publiques, au titre de la démocratie participative.
Enfin, le passage d’un état d’offre déficitaire à un état d’offre excédentaire a également été un facteur de changement. Ce contexte nouveau explique que les services publics sont désormais davantage tournés vers la satisfaction du client.
Cette évolution est aussi due à une aspiration croissante de la part des usagers à ce que les organisations publiques prennent mieux en compte leur demande individuelle.
Selon cette logique, il est également nécessaire pour certains services publics d’utiliser les techniques de marketing moderne et notamment la publicité.
En retour, cela induit certainement d’effacer, au moins en partie, la portée de l’intérêt général. Ceci est surtout vrai dans les services publics industriels et commerciaux qui, par nature, avaient déjà tendance à se comporter comme des entreprises privées.
De manière plus étonnante, cette évolution touche aussi certains services publics administratifs. Ainsi, les usagers de l’Education nationale peuvent-ils parfois se comporter comme de simples consommateurs qui, s’ils sont mécontents de la prestation fournie (examen non obtenu ou cours mal professé), portent réclamation.
L’usager ne veut plus, il est vrai, être traité comme un sujet passif. En ce sens, il revendique de nouveaux principes ou droits.
Ainsi, sur un plan strictement interne, la conception du service public évolue, d’une part, en fonction de sa place dans la logique économique de marché, et d’autre part, au gré de la demande quantitative et qualitative des « usagers-clients ».
Toutefois, c’est malgré tout, principalement, à cause de, ou, grâce à, la construction communautaire que la conception du service public évolue le plus.
CHAPITRE II
LA CONCEPTION DU SERVICE PUBLIC
A L’EPREUVE DU
DROIT COMMUNAUTAIRE
Les divergences entre les conceptions interne et communautaire, relatives aux services publics, tiennent au fait qu’elles procèdent de définitions différentes du service public.
En effet, les différents Etats européens ont une appréhension souvent divergente de la notion de service public, découlant le plus souvent de leur histoire étatico-administrative.
De surcroît, la construction communautaire garde une position neutre visà-vis de l’idéologie liée au service public dans la mesure où elle ne prend en considération que ses effets sur le marché.
Certes, les techniques utilisées par le droit communautaire ont eu pour seul but de démanteler les positions acquises par les services publics : c’est d’ailleurs le propre de la politique communautaire de déréglementation des services publics.
Il convient toutefois de souligner avec force, dès maintenant, que le droit communautaire dérivé ne s’est « attaqué » qu’à certains services publics, dans le cadre d’une telle politique, et plus particulièrement aux entreprises publiques monopolistiques, et ce, non pas parce qu’elles assurent un service public, mais du fait de leur structure.
En effet, la politique communautaire de déréglementation ne s’applique pas, en principe, aux fonctions régaliennes de l’Etat, ni aux activités non économiques de ce dernier ou de toute autre personne publique de droit interne.
Par suite, elle ne concerne normalement que les « services publics de réseau », c’est dire que sont essentiellement visés par elle les grands services publics nationaux organisés en réseau, tels que la poste et les télécommunications, les transports terrestres, maritimes ou aériens, l’énergie, et enfin, la radio et la télévision.
Toutefois, cette politique, et surtout sa mise en œuvre, ont permis d’engager le débat sur la place du service public dans la construction communautaire.
En effet, les instances de décision de la Communauté européenne ont pris conscience que la construction communautaire ne pouvait plus évoluer en fonction des seules exigences de la concurrence mais devait également répondre à des objectifs de cohésion sociale.
Finalement, la charge portée contre les services publics de réseaux par les instances communautaires a eu un effet boomerang sur la façon dont ces mêmes instances appréhendaient la place du service public dans la société européenne en devenir.
Etudions donc successivement les trois points ci-dessus évoqués que sont : les différentes conceptions du service public en Europe (Section I), la politique communautaire de dérégulation (Section II) et enfin, la prise en compte par le droit communautaire de la nécessité de certains services publics (Section III).
Section I : Les différentes conceptions du service public en Europe
L’orientation du droit communautaire depuis 1957 jusqu’à une date récente a conduit à s’interroger sur la compatibilité de l’organisation de nos services publics avec les principes communautaires.
En fait, les débuts de la construction européenne ont été marqués par une certaine indifférence à l’égard des services publics.
Ceux-ci ne sont effectivement pas mentionnés dans les traités institutifs, hormis une référence ponctuelle dans le Traité de Rome à propos de la politique des transports.
Le but des promoteurs de la construction communautaire n’est effectivement à l’origine que d’établir un marché commun.
Les activités de service public exercées sous l’égide des Etats membres n’étaient donc pas les premières concernées.
Toute référence majeure aux services publics était d’autant plus exclue en raison de la diversité, voire de l’inexistence, des conceptions du service public dans les autres Etats membres de la Communauté européenne.
La France est ainsi le seul Etat membre où le concept de service public a autant de résonances.
Dans d’autres Etats comme la Belgique, l’Espagne, la Grèce, l’ltalie ou le Portugal qui sont des pays de tradition de droit romain et, au demeurant, ont subi l’influence culturelle de la France, la notion de service public existe sans doute mais elle est loin d’avoir la même portée qu’en France.
Dans les autres Etats-membres, l’idée de service public est certainement admise mais elle ne produit aucun effet juridique particulier.
En effet, chaque service est encadré par une loi spécifique.
De plus, d’un point de vue juridique, le système de Common Law en vigueur dans cet Etat n’a pas rendu nécessaire l’existence d’une notion unificatrice propre aux activités de l’administration comme en France, et par là même, de la détermination de la compétence juridictionnelle administrative.
De même, en RFA, une différence essentielle tient au fait que les activités d’intérêt général sont, compte tenu de la structure fédérale de cet Etat, le plus souvent assurées au niveau local, particulièrement par des länder. On s’apprête même en Allemagne, avant l’été2008, a privatisé la société nationale de chemins de fer, la Deutshbahn.
En outre, le critère qui a justifié l’intervention des pouvoirs publics anglais ou allemands résulte ici, non de l’existence ou l’absence de besoins de service public, mais d’une distinction entre activités marchandes et non marchandes des personnes publiques.
En définitive, ces Etats seront naturellement ceux qui offriront un terrain plus favorable que la France aux nouvelles formes de régulation.
Quant aux nouveaux Etats de l’Union européenne, les Etats de l’Est de l’Europe, ils sont par nécessité économique et pour s’opposer au passé (et donc au « tout public » des anciens régimes communistes) favorables à l’ouverture à la concurrence des monopoles publics.
Pourtant, un changement de perspective dans l’attitude des autorités communautaires à l’endroit des services publics est intervenu à partir de l’Acte unique de 1986.
L’objectif de ce texte est en effet d’instaurer en Europe un marché intégré et étendu aux services.
Il est alors devenu de plus en plus évident que le droit communautaire devait se développer en fonction des idées de libre concurrence et de primauté du marché.
Les avantages attendus sont procurés aux consommateurs en termes de productivité, de qualité de service et d’innovation.
Dans ces conditions, les services publics, du moins ceux du secteur marchand, et surtout parmi ces derniers ceux qui sont placés en position de monopole (comme cela est la tendance en France), ont été perçus comme un frein au libre échange, sauf à démontrer ponctuellement une efficacité supérieure à celle du marché.
En effet, la réalisation d’un marché ouvert et concurrentiel suppose que soit préservée l’égalité des chances entre tous les opérateurs économiques.
Ceci rend donc suspect tout octroi d’une position dominante ou des actions d’Etats cherchant à favoriser leurs entreprises publiques.
Enfin, l’organisation d’un marché unique implique une harmonisation de toutes les législations nationales régulant les marchés, donc même de celles relatives aux services publics de réseau.
A cet égard, le maintien des situations acquises par les services publics de réseau en France paraissait donc insoutenable.
C’est pourquoi, malgré un engagement global fort en faveur de la construction européenne, la France manifesta de sérieuses réserves à propos de la politique souhaitée par certaines instances communautaires, en particulier par la Commission, sur la question des services publics.
Il est vrai toutefois que la finalité d’une entreprise privée privilégiée par le droit communautaire est fondamentalement différente de celle d’un service public défendue par le droit français.
En effet, une entreprise privée a comme vis-à-vis un client ou un consommateur qui n’est servi que parce qu’il a de l’argent.
Au contraire, dans la tradition française, l’intérêt des administrés ne se confond pas nécessairement avec celui des consommateurs.
Compte tenu de cette philosophie différente, seul le service public est réputé capable de satisfaire au mieux toute tâche d’intérêt général, à moins pour l’initiative privée de prouver au cas par cas le contraire.
Le malentendu entre ces deux approches a été d’autant plus grand que, pour certains défenseurs du service public, l’Europe oublie peut être que la concurrence est un moyen et non une fin en soi.
Dans le même temps, pour les artisans de la construction communautaire, le service public est parfois perçu simplement comme le paravent de comportements nationalistes, protectionnistes et corporatistes et de la gabegie financière.
Dès lors, la construction communautaire s’est principalement axée, en vue de la constitution d’un grand marché intérieur européen, à déréglementer les régimes juridiques, parfois très protecteurs voire monopolistiques, des services publics de réseau.
Section II : La dérégulation des services publics de réseau voulue par les institutions communautaires
Il a déjà été souligné qu’un objectif majeur de la politique communautaire était de favoriser la concurrence.
Un des moyens prôné à cet effet par les autorités compétentes est l’ouverture au marché des services organisés en réseaux.
Chacun des Etats-membres a été ainsi amené à procéder à une dérégulation, au moins partielle, des monopoles éventuellement occupés par des services publics.
Malgré certaines résistances, la France n’a pas échappé à ce mouvement.
Néanmoins, la dérégulation engagée ne signifie pas pour autant une ouverture anarchique des réseaux.
En effet, les autorités communautaires ont ici fixé un certain nombre de règles guidées en particulier par le principe de transparence.
§1 : La dérégulation des services publics
Une dérégulation au moins partielle des monopoles des services publics a été amorcée au cours des années 1980, mais a surtout été réalisée dans les années 1990.
Cette dérégulation s’est effectuée sous l’égide de la Commission européenne et du Conseil européen et au moyen de textes de droit communautaire dérivé.
Toutefois, le processus suivi ainsi que le calendrier des réformes ont été différents selon les secteurs afin de tenir compte de la spécificité de chacun d’eux.
1) Le premier secteur à faire l’objet d’une politique de libéralisation a été, à partir de 1987, le secteur aérien.
Celui-ci s’est ouvert au marché selon plusieurs étapes dont la dernière s’est achevée au 1er avril 1997.
Depuis cette date, toutes les lignes sont ouvertes sans restriction à toutes les compagnies des Etats membres de l’Union européenne. Le ciel européen est un ciel ouvert à la concurrence !
Les rapprochements entre compagnies aériennes se sont jusqu’à présent effectués que sous forme d’alliances commerciales.
Trois d’entre elles représentent d’ailleurs actuellement plus de 50% du trafic mondial.
Ce sont Star Alliance créée en 1997 (Lufthansa, United Airlines, …), Oneworld créée en 1998 (British Airways, American Airlines, …) et Skyteam créée en 2000 (Air France, Aero Mexico, Korean Airlines, Czech Airlines et Alitalia). Troisième en terme de taille, cette dernière alliance représente 12% du trafic mondial.
Air France, malgré cette alliance, recherchait depuis longtemps une synergie capitalistique au sein de l’Union européenne et KLM aussi, leurs atouts respectifs les rendent, qui plus est, très complémentaires .
Le nouveau groupe « Air France - KLM » deviendra la première compagnie européenne et mondiale, avec un chiffre d’affaires cumulé de près de 20 milliards d’euros, 540 avions et 106 000 agents (226 destinations).
L’Etat français détient encore 17,9% du nouvel ensemble. Au 31 mars 2007, « Air-France-KLM » a réalisé un chiffre d’affaires de 23,07 milliards d’euros, un bénéfice net de 891 millions et comptait 102 000 salariés.
Cette libéralisation du marché aérien s’accompagne de celle de la gestion des équipements aéroportuaires si l’on en juge par la loi n°2005-357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports, transformant l’établissement public « Aéroports de Paris », en société anonyme (art. 1).
2)Ledomaine des télécommunications est ensuite, avec le secteur aérien, celui dans lequel la libéralisation a été la plus poussée.
Celle-ci a été entamée sur la base d’un livre vert de la Commission de juin 1987 et d’une résolution du Conseil de juin 1988. Cette ouverture a été concrétisée par une directive 90/388/CE du 28 juin 1990 .
Ont dans un premier temps été ouverts à la concurrence, notamment, la commercialisation de matériel terminal de télécommunications, l’aménagement de réseaux privés, ou encore, la téléphonie mobile.
Cette libéralisation s’est poursuivie sous l’empire d’une directive 96/19/CE du 13 mars 1996.
Un paquet de directives sont intervenues le 07 mars 2002 : il accentue l’ouverture à la concurrence tout en préservant une part assez importante et incompressible au service universel.
La directive précise que ce bloc de services doit être fourni à « tous les utilisateurs sur le territoire, indépendamment de leur position géographique, à un niveau de qualité spécifié et, compte tenu des circonstances nationales particulières, à un prix abordable ».
Le service universel ici défini impose donc des prestations de base dans des conditions égalitaires particulièrement sur le plan géographique (assurant ainsi un large et égal accès au réseau), qualitatif (validant l’idée une certaine qualité du service public) et sur le plan tarifaire (visant ainsi à éviter le renforcement de l’exclusion sociale des plus démunis).
3)Les services postaux ont également connu une évolution assez rapide dans le sens de la libéralisation.
Sur le fondement d’un livre vert de la Commission de juin 1992 et d’une résolution du Conseil de février 1994, cette libéralisation a concerné des activités dites à valeur ajoutée de type messageries et transports express.
Elle a été opérée par la directive 97/67/CE du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service et poursuivie par la directive 2002/39/CE du 10 juin 2002 concernant la poursuite de l’ouverture à la concurrence des services postaux.
Depuis 2006, le service universel se borne exclusivement aux envois inférieurs à 50 grammes ou plus de deux fois le tarif de base. Mais, même ce marché est ouvert à la concurrence dans certains Etats-membres tels que la Finlande, la Suède, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’Allemagne.
Cette directive, tout en prévoyant la fin du domaine réservé postal, réaffirme le service universel et l’importance de sa défense et de sa qualité.
De plus, il permet aux Etats de conditionner l’accès à leur marché postal au respect des conditions de travail et des régimes de sécurité sociale, des relations entre partenaires sociaux et des conventions collectives.
De même, les Etats pourront imposer aux prestataires le respect de conditions liées à « la confidentialité de la correspondance, la sécurité du réseau en ce qui concerne le transport des matières dangereuses (…), et le cas échéant, la protection de données, la protection de l’environnement et la programmation régionale ».
Les solutions retenues pour les autres secteurs sont encore en devenir.
4) Pour ce qui concerne, tout d’abord, le chemin de fer, la directive 91/440 CE du 29 juillet 1991 permet un accès de certains tiers aux réseaux dans des conditions assez restrictives.
D’une part, il est reconnu aux entreprises ferroviaires des Etats membres un droit de transit sur les rails des autres Etats mais sans pouvoir y prendre des voyageurs ou des marchandises et moyennant une redevance (payée au demeurant à RFF).
D’autre part, toute entreprise assurant des transports de marchandises dits combinés, c’est-à-dire par conteneurs ou par remorques routes-rails, a accès aux divers réseaux de la Communauté.
Mais ces dispositions sont difficiles à mettre en place en France et surtout à faire accepter du fait, principalement, des résistances des milieux cheminots, qui craignent que la démonopolisation entraîne une remise en cause de leur statut.
Toutefois, il est permis de penser que la situation actuelle de libéralisation très limitée dans ce secteur n’est que provisoire.
Les chemins de fer en Europe doivent en effet faire face à une chute de leur fréquentation.
De plus, conformément à la directive précitée du 29 juillet 1991 a été mise en place dans les réseaux des Etats-membres, une séparation de la gestion des infrastructures et de l’activité de transport.
Or, il paraît dans la logique de ce système d’introduire à terme une véritable concurrence, comme en témoigne l’institution d’un système analogue dans d’autres secteurs, tels les télécommunications, ouverts à la concurrence.
C’est ce que le Livre blanc de la Commission d’octobre 1996 préconise.
Il sera bientôt possible de voir, comme c’est déjà le cas au Royaume-Uni, diverses compagnies de transport de voyageurs exploiter des lignes du réseau national. Mais à quel prix si l’on en juge par l’échec de cette expérience britannique sur le plan sécuritaire.
En effet, de nouvelles directives n°2001/12, 13 et 14 du 15 mars 2001, constituant le premier paquet ferroviaire ont commencé a être transposées en droit français (la date-limite de leur transposition avait d’ailleurs été fixée au 15 mars 2003).
Elles ont été complétées par les directives d’avril 2004 (2e paquet de directives communautaires) et de septembre 2007 (3e paquet de directives communautaires).
Depuis le 1er janvier 2007, le fret ferroviaire a été ouvert à la concurrence. Depuis le 15 mars 2008, les entreprises ferroviaires peuvent accéder à la totalité du réseau ferré européen et plus seulement au Réseau Transeuropéen de Fret Ferroviaire (RTEFF), ouvert en 2003. A partir de 2010, le transport international de voyageurs doit être ouvert à la concurrence.
5) Pour ce qui concerne ensuite l’établissement d’un marché intérieur de l’énergie, les négociations auront été longues et difficiles.
Le compromis obtenu combine le système de l’accès des tiers au réseau (ATR) défendu initialement par la Commission avec celui de l’acheteur unique souhaité par la France.
Ce système mixte consiste à ouvrir à la concurrence le marché de l’électricité pour des consommateurs professionnels de taille significative et qualifiés de « consommateurs éligibles ».
Une question importante à régler par une loi interne est de définir plus précisément la catégorie de ces clients éligibles.
Cependant, EDF reste un intermédiaire unique sur le réseau qu’elle exploite pour acheminer l’électricité produite par ses concurrents vers ces consommateurs.
Mais, se pose, dans le cadre de la libéralisation du marché électrique un double problème :
- d’une part, celui de pannes de réseau liées à l’interdépendance des réseaux européens (telle que celle du 04 novembre 2006 qui a privé 5 millions de foyers française d’électricité ),
- et d’autre part, l’évolution à la hausse de la facture électrique (ainsi, les entreprises (clients éligibles) qui ont choisi, depuis le 1er janvier 2004, le marché libre ont vu leur facture augmentait de 48% (chiffre décembre 2006) !)
6) Encouragés par l’accord obtenu sur l’électricité, les Etats membres et la Commission ont décidé de relancer les discussions autour de l’établissement d’un marché intérieur du gaz.
Un des objectifs recherchés est de rapprocher le prix du gaz naturel à la consommation de sa valeur sur le marché.
Or, à l’heure actuelle, ce prix serait de 40 % à 50 % supérieur en Europe par rapport aux Etats-Unis.
Toutefois, les premiers débats ont fait apparaître une ligne de partage entre les Etats producteurs, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, et les autres Etats acheteurs.
De plus, les positions sont variables entre ceux comme la France ou la
L’ouverture à la concurrence du secteur de l’électricité pourrait ici servir de modèle.
Un point d’achoppement des discussions concerne les contrats comprenant des clauses dites « take or pay ».
Ce sont des contrats par lesquels les Etats importateurs s’engagent à acheter, sur une période de long terme, en général 20 ou 30 ans, auprès d’Etats comme l’Algérie ou la Russie, des quantités définies de gaz aux conditions de prix fixées par ces clauses même si les cours ont baissé.
Ces contrats sont signés dans un but de sécurité d’approvisionnement.
Les Etats signataires, dont la France, craignent que l’ouverture à la concurrence mette en péril financier les compagnies nationales importatrices de gaz dès l’instant où un autre intervenant viendrait à proposer aux industriels français, du gaz à un prix plus bas.
C’est pourquoi, ces Etats demandent des aménagements pour l’ouverture à la concurrence de ce secteur. Pourtant, ce marché a été aussi déréglementé sous l’empire de la directive 98/30/CE du 22 juin 1998 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz.
Toutefois, d’une manière plus générale, on doit constater que les démantèlements des monopoles déjà opérés n’ont pas abouti à un affaiblissement des gestionnaires des services publics correspondants.
Ceux-ci continuent effectivement à bénéficier de positions dominantes compte tenu de leur antériorité sur le marché et à l’image positive qui s’attache au service public.
Par ailleurs, cette dérégulation a dû être accompagnée par une rerégulation des marchés ouverts à la concurrence c’est-à-dire par une redéfinition dans la transparence des nouvelles règles économiques sous l’empire desquelles doivent désormais être exécutées les activités de réseau.
§2 : Les règles communautaires de transparence en matière de dérégulation
La Commission a en effet défini un certain nombre de lignes de conduite saines orientées autour du principe de transparence.
Il convient au préalable d’indiquer que, dans le cadre du fonctionnement, d’un service public, on distingue trois types de fonctions :
- la fonction de gestion : elle consiste dans l’entretien voire le développement du réseau, fondement de l’exploitation du service public ;
- la fonction d’exploitation : elle consiste à mettre en œuvre le service public à partir de, et grâce au, réseau ;
- la fonction de régulation : elle consiste à contrôler, surveiller les acteurs concurrents sur le nouveau marché constitué par le « service public de réseau » ouvert à la concurrence.
A la lumière de la définition de ces trois fonctions, a été affirmée la nécessité d’une dissociation des fonctions de régulation avec celles, d’une part, de gestion (A) et d’autre part, d’exploitation (B).
A) La dissociation des fonctions de régulation et de gestion
Il convient au préalable pour mieux comprendre l’intérêt de cette dissociation de préciser que les fonctions de régulation relèvent de l’Etat, et les fonctions de gestion des réseaux relèvent des opérateurs exploitants.
La régulation consiste à fixer les règles du jeu, ou plus exactement, les conditions d’exploitation des services publics, alors que la gestion s’entend ici comme la prise en charge, l’entretien des réseaux de distribution.
Par suite, la règle de dissociation de ces deux fonctions a été posée afin de garantir l’égalité des chances entre les différents opérateurs économiques.
En d’autres termes, elle répond à l’idée selon laquelle les pouvoirs publics ne peuvent être « joueurs et arbitres ».
Faute de cette dissociation, seraient donc créés les risques d’un abus de position dominante.
Ce transfert de compétences étendues de l’Etat vers l’ART a pu être critiqué au motif qu’il donne la primauté aux experts, au détriment des organes politiques investis de la légitimité démocratique.
Il est pourtant probable que ce type d’institution soit appelé à se développer.
En ce sens, la loi du 13 février 1997 relative aux activités de chemin de fer a créé un nouvel organe baptisé Réseau ferré de France (RFF) doté de compétences de surveillance et de police du réseau.
La séparation organique apparaît néanmoins comme beaucoup plus artificielle que celle mise en place dans le secteur des télécommunications en raison des liens maintenus entre RFF et la SNCF.
De même, ce dernier organisme exerce en principe la maîtrise d’ouvrage des équipements nouveaux tout en pouvant la déléguer à la SNCF.
Par ailleurs, la loi entretient une confusion des fonctions d’opérateur et de régulateur au profit de la SNCF.
Et ce, parce que celle-ci détermine en effet les conditions d’accès au réseau en attribuant les « sillons » ouverts aux opérateurs ferroviaires.
En fait, un des principaux intérêts de cette loi est d’ordre comptable. Elle permet en effet de transférer l’énorme dette de la SNCF, estimée en 1996 à peu près à 20 milliards d’euros, sur les comptes de RFF. Cette dette, en 2004, d’un montant de 40 milliards d’euros.
Cet organisme se rémunère à son tour à partir des péages versés par la SNCF, ou éventuellement d’autres opérateurs, au titre des droits d’exploitation.
Parallèlement à la dissociation des fonctions de régulateur et d’opérateur, le droit communautaire prône ensuite, sans l’interdire directement, la séparation des activités de gestion de l’infrastructure des activités d’exploitation.
B) La dissociation des fonctions de régulation et d’exploitation des réseaux
Il existe effectivement un risque que l’opérateur, détenteur du monopole de la gestion de l’infrastructure, abuse de sa position dominante s’il assure également la fourniture de biens ou de services à partir du réseau.
C’est pourquoi, est exigée comme contrainte minimale la séparation comptable entre les activités en monopole et les activités en concurrence.
A cet égard, une séparation comptable entre la gestion de l’infrastructure du réseau de chemin de fer et l’utilisation des trains est-elle obligatoire depuis 1991 et a été réalisée en France par un décret du 9 mai 1995.
Enfin, le droit communautaire semble imposer une distanciation des entreprises gestionnaires de service public par rapport aux pouvoirs publics.
La directive du 29 juillet 1991 relative aux activités ferroviaires exige ainsi de la part des Etats la garantie de l’autonomie administrative et financière des entreprises ferroviaires.
Ceci implique au moins que l’entreprise ferroviaire soit dotée d’un statut indépendant.
Cette directive ajoute que l’exploitation de ce service public doit répondre aux principes qui s’appliquent aux sociétés commerciales.
Cela a donc pour conséquence d’exclure le système de la régie.
L’ensemble de ces règles déduit de la logique même du droit communautaire a en outre été prolongé par d’autres afférentes à la qualité de service public de certaines entreprises publiques.
Toutefois, cette évolution du « service public français », dans le cadre de la construction communautaire, ne doit nullement omettre que les services publics ainsi concernés sont avant tout des SPIC.
Ceci ne signifie nullement que la construction communautaire ignore la notion de service public ; et ce, d’autant plus que, depuis les années 1990, les institutions communautaires se sont aperçues de l’importance des services publics, particulièrement dans le domaine social.
Dès lors, la conception de service public trouve, certes de façon renouvelée et re-délimitée, un rôle dans le cadre de la construction communautaire ; ce que d’ailleurs la jurisprudence communautaire a entériné dès le début des années 90.
En somme, le droit communautaire a réalisé au gré de son évolution que certains services publics s’avèrent indispensables pour une vie harmonieuse dans une société même libérale.
Section III : La prise en compte par le droit communautaire de la nécessité de certains services publics
Il convient, tout d’abord, de souligner que le droit communautaire distingue deux types d’activités d’intérêt général : celles qui sont non économiques et donc échappent aux règles communautaires de la concurrence et celles qui le sont et qui sont donc soumises à cette dernière.
Le droit communautaire exprime ainsi une conception peut être plus rigoureuse, bien que plus « économique », du concept de « service public ».
C’est ainsi que dans l’arrêt Poucet et Pistre, rendu par la Cour de justice des communautés européennes, le 17 février 19938, la Haute juridiction communautaire a estimé que les organismes de sécurité sociale, parce qu’ils concourent à la gestion du service public de la sécurité sociale, qui n’est pas une « activité économique », expriment une fonction exclusivement sociale. Elle a ainsi relevé que ce service est fondé sur le « principe de solidarité nationale » et « dépourvu de tout but lucratif » ; et ce, d’autant plus que « les prestations versées sont des prestations légales et indépendantes du montant des cotisations ».
Dans le cadre de la construction communautaire, de telles activités sont qualifiées de « services d’intérêt général » (SIG) et se distinguent alors des « services d’intérêt économique général » (SIEG) parce qu’ils poursuivent des objectifs non concurrentiels.
Voir aussi : CJCE 14 décembre 1995, Banchero, aff. C-387/93 ; Rec. I-4663 (point 49) ; CJCE 26 mars
1996, Garcia, aff. C-283-94, Rec. I-1673 ; CJCE 18 mars 1997, Diego Cali et Figli Srl, aff. C-343/95, Rec. I1547 (point 23) ; CJCE 22 janvier 2002, Cisal di Battistello Venanzio et C. Sas et Inail, aff. C-218/00 (points 36 et 45), Europe mars 2002 n°109 (note L. Idot) ; CJCE 19 février 2002, Wouters, aff. C-309-99, Europe mai 2002 p. 5 (points 69 et 71).
Les SIG sont un garant de la cohésion sociale voire territoriale. Ils doivent être accessibles et disponibles à tous, c’est-à-dire universels, abordables, à un prix payables par tous, fournis de manière continue et de bonne qualité. Les SIG sont, en fait, les « anciens » services universels. Il incombe aux Etats de savoir ce qu’ils classent au titre des SIG et de la manière de les organiser et de les financer. Les autorités nationales, régionales et locales sont les mieux placées pour connaître les besoins des administrés. Les activités publiques, qualifiées de SIG, échappent alors au droit communautaire de la concurrence.
Un séminaire sur ce sujet s’est d’ailleurs tenu le 07 janvier 2009 au Comité des régions de l’Union européenne afin de débattre sur le futur des services publics dans l’Union .
Ainsi, sont qualifiables de SIG les services sociaux liés à l’enfance et à la famille ou des services éducatifs et culturels, par exemple. C’est la raison pour laquelle ces services sont exclus du champ d’application de la directive Bolkenstein .
Ce sont même, en droit communautaire, des SSIG (services sociaux d’intérêt général).
Il semble donc à la lecture de ces arrêts que le juge communautaire associe fortement le caractère « non-marchand » de l’activité, renforcé par sa « non-lucrativité », au caractère public de l’activité, à la reconnaissance d’un « vrai service public ». Ce qui sous-entend que la qualification déniée de service public, et par là même, celle d’activité privée est associée au caractère tant marchand que rentable de cette dernière.
C’est d’ailleurs, dans le même sens, que se sont prononcées à l’unisson les juridictions tant judiciaires qu’administratives .
Il importe aussi de souligner, comme l’illustre la loi n°2004-105 du 03 février 2004 portant création de l’Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs et diverses dispositions relatives aux mines , que la gestion des droits sociaux est une activité qualifiée de service public administratif, dans la mesure où cette agence est qualifiée d’EPA et cette activité est sa mission d’intérêt général en vertu de l’articler 1er de la loi.
Il convient, ensuite, de souligner qu’à côté des activités d’intérêt général non économique, le droit communautaire appréhende des activités d’intérêt général qui sont pourtant des activités exclusivement économiques. Ce sont le « service universel » et le « service d’intérêt économique général ».
Pour comprendre comment le droit communautaire les a appréhendé et comment il les traite juridiquement aujourd’hui, il importe d’examiner le travail d’interprétation de la Cour de justice et de la Commission autour de l’ancien article 90 du traité instituant la Communauté européenne (aujourd’hui l’article 86) (§1), pour ensuite, exposer, la façon dont la Commission les traite à travers l’élaboration du droit communautaire dérivé (§2).
§1 : L’évolution jurisprudentielle en vue d’une reconnaissance des services publics
Cependant, à partir de deux arrêts désormais très connus du 19 mai 1993, Corbeau et du 27 avril 1994, Commune d’Almelo , la Cour de justice a assoupli les conditions d’application de ces dispositions et a ainsi donné une réalité jurisprudentielle à la notion de service universel, et plus particulièrement, à celle de SIEG.
Dans la première affaire rendue à propos de la régie des postes belges, la Cour a jugé que des limitations à la concurrence au profit de ce service étaient possibles, y compris pour des activités spécifiques, rentables et dissociables de sa mission d’intérêt général.
Cette dérogation est admise dans la mesure où l’obligation pour la poste belge d’exercer des activités non rentables implique une compensation avec des activités rentables.
En effet, la Cour relève que ce service (universel) doit assurer la collecte, le transport et la distribution du courrier, au profit de tous les usagers, sur l’ensemble du territoire de l’Etat membre concerné, à des tarifs uniformes et à des conditions de qualité similaires sans égard aux conditions particulières et au degré de rentabilité économique de chaque opération individuelle.
Dans ces conditions, si des entrepreneurs privés pouvaient faire concurrence à des services publics postaux dans les secteurs de leur choix, comme le service du courrier accéléré considéré en général comme rentable, cela présenterait le risque que les services de base, jugés moins rentables, soient délaissés.
Ces opérateurs privés seraient donc avantagés compte tenu du fait qu’ils ne sont pas astreints à supporter les pertes réalisées dans les secteurs non rentables.
La théorie de l’équilibre économique, mise en œuvre par la Cour, suppose ainsi de permettre aux services d’intérêt économique général, si cela est indispensable à leur équilibre financier, de procéder à une péréquation tarifaire entre secteurs d’activité.
Toutefois, la condition de la mise en cause de l’équilibre financier du service de base est en l’espèce appréciée strictement.
Mais, ce raisonnement a été prolongé dans l’affaire Commune d’Almelo concernant la distribution d’électricité aux Pays-Bas.
La Cour justifie ici une clause d’achat exclusif (a priori contraire aux règles de la concurrence) dont bénéficie une entreprise par les contraintes d’intérêt général auxquelles cette dernière est assujettie.
Ces contraintes tiennent au fait que cette entreprise « doit assurer la fourniture ininterrompue d’énergie électrique sur l’intégralité du territoire concédé, à tous les consommateurs, distributeurs locaux ou utilisateurs finals, à des tarifs uniformes et à des conditions qui ne peuvent varier que selon des critères objectifs applicables à tous les clients ». C’est la définition d’un service universel.
La Cour note également que cette entreprise doit supporter des réglementations particulières en matière de protection de l’environnement.
Compte tenu de ces conditions économiques spécifiques, des restrictions à la concurrence sont donc possibles pour permettre à l’entreprise investie d’une mission d’intérêt général d’exercer celle-ci.
En somme, ces jurisprudences Corbeau et Commune d’Almelo redonnent une véritable portée à l’exception de l’article 86-2 du Traité de Rome énoncée en faveur des services d’intérêt économique général.
Il est au demeurant remarquable que ces critères soient relativement voisins de ceux que connaît le droit français.
Par ailleurs, cette évolution jurisprudentielle doit être reliée avec les constructions conceptuelles de la Commission.
§2 : L’évolution textuelle et terminologique de la Commission dans les textes de droit communautaire dérivé
En effet, la Commission, dans le cadre de sa réconciliation avec la notion de service public, utilise à ses lieu et place deux notions différentes que sont celle de « services universels », d’une part et d’autre part, celle de « services d’intérêt économique général ».
La première est d’origine américaine ; cette expression est apparue pour la première fois en 1987 dans le Livre vert de la Commission sur les télécommunications mais simplement à titre d’objectifs.
Elle a été adoptée à nouveau par cette même instance en 1992 dans son Livre vert relatif aux services postaux mais cette fois de manière autonome.
Elle a également été reprise par le Conseil en 1994 à propos des télécommunications.
Enfin, en droit interne français, elle figure expressément dans les articles L 35 et L 35-1 du Code des postes et télécommunications tel que modifié par la loi du 26 juillet 1996. D’ailleurs, la loi n°2001-1335 du 28 décembre 2001, instituant le Médiateur du service universel postal, confirme, comme la dénomination de cette nouvelle autorité administrative indépendante l’illustre, l’enracinement de cette terminologie en ce domaine d’activités administratives.
Pour l’heure, le vocable « service universel » n’a pas été utilisé pour d’autres secteurs.
Les textes de droit communautaire dérivé préfèrent en effet se référer à la terminologie « d’obligations de service public » telles que la sécurité d’approvisionnement ou la protection de l’environnement pour le secteur de l’énergie et l’aménagement du territoire pour les transports.
Ces obligations d’intérêt général peuvent aussi s’imposer aux activités privées.
Toutefois, la terminologie d’obligations de service public s’intéresse plus au régime juridique alors qu’en principe, le service public est avant tout une notion.
Dès lors, sur le plan des notions, il y a avant tout celle de service universel qu’il faut retenir.
Le concept de service universel est décrit dans les textes précités comme « un service de base offert à tous, dans l’ensemble de la Communauté, à des conditions tarifaires abordables et avec un niveau de qualité standard ».
Les critères du service universel sont les suivants : égalité, continuité, adaptation et universalité.
De plus, il doit être exercé en fonction de lignes de conduite saines que sont la transparence de la gestion et de la tarification ainsi que le contrôle par des instances distinctes des exploitants.
En d’autres termes, le service universel s’applique à certaines prestations de base, comme la téléphonie vocable ou l’acheminement des lettres, pour lesquelles l’organisme prestataire est assujetti à certaines obligations de prix, de qualité et de couverture du territoire.
Le service universel n’est pas tant une activité, c’est surtout un statut contraignant d’exercice d’une activité. Cette dernière n’est qualifiée de service universel qu’à partir du moment où elle est soumise à des règles rigoureuses d’exercice, parce qu’elle est non rentable et particulièrement utile voire indispensable à une vie sociale harmonieuse.
A ce titre les obligations du service universel intéressant le service de téléphonie vocale entre points fixes ont motivé le maintien jusqu’au 1er janvier 1998 du monopole.
Les charges résultant de ces obligations sont alors financées par des transferts internes, par exemple entre communications nationales et internationales ou rurales et urbaines.
Le concept de service universel a été parfois critiqué, notamment par le Conseil d’Etat dans son rapport pour 1994, comme étant trop restrictif.
Pour cette Haute juridiction, ce serait un service public minimal placé dans un environnement concurrentiel et sans doute peu à même de remplir le rôle d’instrument de cohésion sociale et de lutte contre l’exclusion attendu du service public dans la conception française.
La notion de service universel présente effectivement le risque d’écarter des progrès technologiques ceux qui n’ont accès qu’à ce type de service.
En ce sens, elle risque d’avoir pour conséquence de créer des services à plusieurs vitesses : un service public sans doute accessible à tous mais réduit aux prestations de base et d’autres services fournissant des prestations plus élaborées mais accessibles à ceux qui sont disposés à en payer le prix.
Ces derniers sont qualifiés par la Commission de « services à valeur ajoutée » ou « services d’intérêt économique général ». Ce sont donc des activités d’intérêt général supposées rentables.
Alors que le service universel est un service d’intérêt général indispensable, le service d’intérêt économique général est un service, certes d’intérêt général, mais un peu superfétatoire.
Ils correspondent par exemple à des services de messagerie express ou de téléphonie mobile.
Ces services à valeur ajoutée relèvent du secteur concurrentiel, à moins qu’ils soient considérés comme indispensables au financement du service universel ; ce dernier étant en quelque sorte un noyau incompressible du service public.
Il est alors possible pour les Etats membres de définir des missions d’intérêt général au-delà des obligations du service universel pour peu que les moyens employés restent conformes au droit communautaire.
En définitive, il existerait donc deux cercles de services publics organisés par le droit communautaire.
Le premier est celui des services universels définis par des obligations, réduits à des prestations de base mais bénéficiant d’une présomption de conformité au droit de la concurrence.
Le second cercle est celui des services d’intérêt économique général qui couvrent une sphère plus étendue mais à charge pour eux, et afin de conserver leurs spécificité de service public, de démontrer que les atteintes à la concurrence sont nécessaires et proportionnées.
Il convient, in fine, de ne pas omettre que la dérégulation, commençait dans les années 1970, dans le secteur aérien, et poursuivi depuis, et dont les SIEG et le SU sont en quelque sorte les résultantes, ont permis depuis lors, dans les secteurs d’activités touchés, de faire baisser les tarifs (Cf. l’évolution des coûts des communications téléphoniques, par exemple), d’élargir l’offre et par là même d’améliorer la satisfaction des besoins des consommateurs, et surtout, de permettre un développement des marchés dérégulés. Tout ceci mérite d’être médité en période de crise économique …
CONCLUSION
Seules les années à venir, et plus particulièrement le nouveau siècle, pourront dire si cette évolution lui sera ou non fatale.
Toutefois, sans être prophète, il est possible d’affirmer, surtout au vu des dernières évolutions de l’attitude de la Commission et de la CJCE, que le service public survivra mais à coup sûr différemment.
Et ce, même dans le domaine dit des « SPIC ». En effet, les privatisations des entreprises gérant de telles activités ont connu de tels déboires à l’étranger qu’il convient de réfléchir sérieusement à la libéralisation un peu trop rapide de ces activités.
C’est ainsi que les services d’électricité ont connu en 2001 et 2002 des sérieuses difficultés aux Etats-Unis d’Amérique plongeant même la Californie dans le « noir » !
Les causes de tels problèmes sont toujours les mêmes : la recherche du profit maximum au détriment d’un minimum d’obligations d’intérêt général, et surtout au préjudice des investissements et de l’entretien du réseau, souvent aggravé par des fraudes comptables et financières considérables (le cas d’Enron est à cet égard symptomatique).
Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, ajoutés à la crise des subprimes : le Monde connaît depuis fin 2008 une nouvelle crise financière et bancaire considérable.
En fait, « il est évident que l’économie est en train d’être saccagée par une financiarisation déraisonnable et incontrôlée, et que le secteur de la finance doit être repris en main » .
Par suite, l’Etat doit réinvestir très souvent ces secteurs et la charge pour le contribuable est alors très lourde ; ainsi le Royaume-Uni réinvestit, malgré lui, dans le rail britannique.
Les mêmes causes entraînant (hélas souvent !) les mêmes effets, mais ici avec des effets pouvant être dramatiques parce que mortels : la dérégulation du marché aérien doit elle aussi être surveillée et encadrée.
Il faut donc savoir re-réguler, mais de façon intelligente, parce qu’ « une régulation excessive peut entraver l’activité économique (… . Par suite,) la disponibilité du crédit stimule non seulement la productivité mais aussi la flexibilité et l’innovation » .
Afin de mieux appuyer notre propos, intéressons-nous à présent à un exemple concret d’ouverture communautaire à la concurrence, à travers l’exposé du statut du marché aérien civil.
La Vie, 08 septembre 2005, p. 40.
Remarquons que les EUA sont officiellement « libéraux » certes, mais que tous les héros de séries TV américaines sont des « agents publics » (séries policières (Portés disparus, Alerte à Malibu), hospitalières (Urgences)) et que le protectionnisme économique est une politique d’Etat !
Courson (de) (C.), Modification de la loi relative aux entreprises de transport aérien et notamment à Air France, Rapport, AN, n°1552, avril 2004, p. 7-8.
JOCE L, 24 juillet 1990, n°24, p. 10-16.
JOCE L, 22 mars 1996, n°74, p. 13-24.
2002/19/CE « accès » ; 2002/20/CE « autorisation » ; 2002/21/CE « cadre » ; 2002/22/CE « service universel » : JOCE L, 24 avril 2002, n°108.
Ce qui rappelle la panne généralisée qu’a connue la Californie en 2001 suite à la vente par cet Etat fédéré de la totalité de son réseau à des compagnies privées, qui ne l’avaient ni modernisé, ni entretenu.
Voir sur l’évolution de cette question : .
AJDA 06 mars 2006, n°9, p. 460 (obs. E. Royer).
Voir aussi : AJDA 08 mai 2006, n°17, p. 902 (obs. C. Biget).
Mehdi (R.), Note sous CJCE 10 juillet 2003, Booker Aquaculture Ltd, Hydro Seafood GSP Ltd et The Scottish Ministers, JDI, 2004, n°2, p. 551.
[11] Cass. Crim. 17 mars 1992, Dellong et Tramier, Bull. Crim. p. 298 (n°114) ; Cass. Com. 6 avril 1993, Leduc, D. Soc. 1994 p. 694.
JORF 04-02-2004, n°29, p. 2424.
Aff. C-320-91, Rec. I-2533.
Aff. C-393-92, Rec. I-1477, CJEG 1994 p. 623.
« Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie (…) ».
Soros (G.), La vérité sur la crise financière, Public affairs (filiale de Perseus Books Group), traduit par les éditions Denoël, 2008, p. 189-190.
La liste noire du transport aérien, éditions Privé, 2006.
Soros (G.), op. cit., p. 190.