Cours complet sur le marketing d’achat

Cours complet sur le marketing d’achat
II. Le marketing achat : mieux connaître son marché fournisseur pour l’influencer
Les achats ont connu des évolutions notables au cours des dernières années. Il est vrai qu’à bien observer les pratiques dans la plupart des entreprises, on partait souvent de loin. Les développements théoriques ont accompagné ces évolutions importantes. Lorsque Fayol (1916), au début du siècle dernier, définit les six grandes fonctions d’une entreprise que sont les fonctions technique, commerciale, de sécurité, financière, comptable et administrative, les achats sont englobés dans la fonction commerciale qui consiste à savoir acheter et vendre. Aujourd’hui, les achats occupent une place de plus en plus centrale dans les préoccupations des dirigeants et leur dimension stratégique est largement reconnue (Araujo & al., 1999). Nous proposons, dans cette partie, de présenter le marketing achat et ses modalités.
2.1. Le marketing achat : des origines à aujourd’hui
Dès le début des années 1960, les professionnels de l’achat prennent conscience de l’intérêt de nouer des relations commerciales avec des fournisseurs « actifs ». Dans les années 1980, la taille du portefeuille de fournisseurs fait l’objet de débats importants. Certains préconisent une réduction importante, voire extrême, allant jusqu’à ne travailler qu’avec un seul fournisseur (Morgan, 1987). D’autres alertent déjà sur les dangers de la démarche (Newman, 1989 ; Ramsay, 1990) à long terme. A la même époque, Ben Oumlil et Williams (1989) évoquent des achats « tirés par le marché ». C’est à la fin des années 1980 que Leenders et Blenkhorn (1988) utilisent pour la première fois le terme de « reverse marketing », traduit en français par celui de « marketing inversé », « marketing amont » ou encore « marketing achat ». L’Usine Nouvelle propose en 1988 un titre évocateur : « les acheteurs entrent en Marketing ».
Dans l’esprit des auteurs, comme rapidement dans celui des praticiens qui vont adopter le concept et surtout les pratiques associées, le marketing achat se réfère aux activités achats destinées à identifier les fournisseurs potentiels et à offrir aux partenaires des perspectives de collaboration à long terme.
Les chercheurs s’accordent alors à définir une démarche mettant en cohérence les relations de l’acheteur avec les services de son entreprise (approche interne) et l’ensemble des actions à conduire sur le marché amont (approche externe). Sostènes (1994) résume cette approche interne/externe en définissant le marketing achat comme
« une démarche à la disposition de l’acheteur, qui lui permet de prévoir et d’intervenir de façon active dans la relation d’échange avec le marché amont afin d’adapter les besoins de l’entreprise aux possibilités du marché ou d’influencer l’offre du marché pour l’adapter à ses besoins dans l’intérêt de son entreprise ». Biemans et Brand (1995) présentent le marketing achat comme une synergie des achats et du « marketing relationnel ».
Barriol (1997) distingue 3 phases d’évolution du concept marketing achat dans la littérature : L’émergence, La croissance, la maturité.
L’émergence se caractérise par l’apparition du concept dans la littérature sans aucune définition précise tandis que la période de croissance amène une hétérogénéité des définitions accompagnée de la multiplication des travaux relatifs au marketing achat. Enfin la phase de maturité marque la convergence vers une même définition et une tendance à une stabilité des publications.
Le marketing achat permet de mieux maîtriser les risques d’approvisionnement. Plusieurs exemples récents[1] illustrent l’intérêt de la démarche et montrent à quel point les choix des solutions techniques et des fournisseurs capables d’y prendre part s’avèrent de véritables clés de succès. Le relatif échec dela Playstation 3 de Sony face àla Wii de Nintendo s’explique en partie par la sous-estimation par Sony des difficultés de fabrication de composants électroniques haut de gamme intégrés dans ses lecteurs de DVD. Le choix de Nintendo en faveur de composants plus faciles à sourcer a permis d’assurer une sortie mondiale et d’éviter les retards de livraisons que connaît son concurrent. De la même manière, Airbus souffre aujourd’hui, malgré la reconnaissance unanime des prouesses technologiques caractérisant l’A380, des pénalités de retard qui affectent son résultat.
Si ces exemples témoignent du bien fondé de la démarche marketing achats, il convient d’en observer les modalités de mise en œuvre et de fonctionnement.
2.2. La démarche marketing achat
L’émergence d’une définition commune, va permettre la formalisation de la démarche qui s’accompagne de la mise en place d’outils.
La démarche requiert l’analyse des besoins internes à travers la compréhension du projet stratégique de son entreprise, la déclinaison de la politique achat, l’analyse des besoins spécifiques de la famille d’achat. La pondération des besoins va permettre de définir les critères de présélection des fournisseurs mais aussi pour l’acheteur de prédéfinir les priorités d’actions et sur quelles familles d’achat il pourra continuer son analyse externe. La matrice des achats de Marcel et Nassoy (1985) (graphique 1) prend en compte deux paramètres : le poids financier de la famille achat d’un coté et de l’autre l’évaluation des contraintes internes. Elle permet de déterminer quatre familles achats types achats lourds, achats risqués, achats simples et achats stratégiques. Les familles d’achats étant qualifiées de lourds, stratégiques ou risqués constituent le périmètre d’action privilégiée d’une démarche marketing achat. L’acheteur pour chacune de ces qualifications dispose d’un certain nombre de leviers liés à la gestion des contraintes, le partenariat ou la recherche du coût minimal.
…
L’action sera portée également vers l’intérieur de l’entreprise pour être capable d’influencer les décisions tout au long du processus achat (définition du besoin jusqu’à l’intégration du fournisseur) dans le cadre du centre achat (centre décisionnel achat). Le centre achat est généralement constitué des acteurs internes suivants : Les utilisateurs qui reçoivent le bien acheté et représentent le client final (le marketing ou la fonction commerciale). Les décideurs qui ont le pouvoir du choix final et d’engager la société auprès du fournisseur (Direction générale par exemple). Les acheteurs qui sélectionnent et gèrent le fournisseur. Les conseillers apportent des informations susceptibles d’influencer le choix final (Experts, Juristes, Qualiticiens..).Les prescripteurs qui expriment le besoin sous forme de cahier des charges (Bureau d’étude, Méthodes..).
La compréhension du projet stratégique de l’entreprise va garantir à l’acheteur d’être crédible vis-à-vis de son marché amont.
Ainsi armé de la connaissance interne à travers ou non le cahier des charges, voilà l’acheteur prêt pour l’aventure de l’analyse externe qui consiste dans un premier temps à collecter des informations
Faire une analyse externe consiste à d’abord récolter des informations dans le but de comprendre le projet stratégique des entreprises cibles du marché au niveau du secteur, de la région/pays, technologique, ou des fournisseurs :
- Analyse secteur : comprendre et prévoir l’évolution d’un secteur à travers recherches documentaires, bureau locaux ;
- Analyse Pays ou étude économique : étudier les pays fournisseurs vers lesquels s’orienter ;
- Etude des acteurs : lire le marketing des fournisseurs ;
- Etude technique : apprécier l’opportunité d’une nouvelle technologie
Le marketing achat peut donc permettre d’ajuster le besoin à l’offre du marché fournisseurs , ce qui suppose la plupart que temps que l’acheteur ait un cahier des charges fonctionnel ou non défini et qu’il entame ces recherches de la meilleure source capable de répondre à son besoin ou encore que l’acheteur soit dans une démarche proactive vis-à-vis de son marché amont. Conscient que la notion même de marché est une notion en constante évolution, il doit alors développer une perception fine du marché amont a travers l’analyse pays, région, technique, fournisseurs afin d’en évaluer les risques. L’acheteur ici mène alors une action marketing achat ciblée : acheter pour contribuer aux bénéfices globaux de son entreprise.
L’influence d’un marché amont requiert une connaissance parfaite de son entreprise pour contribuer à son projet stratégique et une perception très fine du marché fournisseurs pour en tirer partie.
L’action sera alors portée vers l’extérieur de l’entreprise _l’Acheteur devient visible_ c’est celui par lequel l’innovation peut arriver.
En devenant visible sur son marché amont, l’acheteur devient le véhicule privilégié de l’image de l’entreprise sur ses bonnes pratiques achats et peut ainsi utiliser cet élément pour cultiver un puissant attrait du marché amont vis-à-vis de son entreprise. Il peut ainsi vendre en externe les bonnes pratiques de la fonction achat.
Cela suppose de connaître ses facteurs d’attractivité. Il peut alors s’appuyer sur la connaissance des besoins fondamentaux de son entreprise en termes d’éthique, de développement durable... Pour certaines entreprises ce besoin sera clairement affiché, tandis que pour d’autres, il le sera de façon plus discrète. Le challenge pour l’acheteur est d’aller chercher cette information qui n’est pas toujours accessible ou formalisée et de la faire sienne.
Ainsi, pro activement, l’acheteur va éduquer son marché fournisseur sur les bonnes pratiques de son entreprise et peut être même du secteur. L’acheteur devra également dans le cadre de sa démarche marketing achat apprendre à lire intelligemment et éthiquement dans le marketing des fournisseurs. La collecte de l’information à ce stade est certainement la phase qui requière le respect des valeurs de l’entreprise. Jusqu’où aller pour recueillir des informations sur son marché amont ? Ses fournisseurs ? L’évolution de ces fournisseurs ? Comment bâtir des scénarios efficaces ? En interne, l’acheteur s’attachera à vendre la fonction achat, et vendre la contribution des achats à l’image de l’entreprise auprès du marché amont mais également auprès des membres du centre achat dans le cadre de l’alignement voir du dépassement des objectifs de développement durable de son entreprise.
Comme en Marketing Ventes, l’acheteur va matérialiser ses choix stratégiques d’achat tout au long du cycle de vie de la famille d’achat en utilisant le mix achat ou les 6 P (Barreyre, 1997): Produit acheté/Service, prix et paiement, le partenariat, le portage, la promotion (communication).
Il ressort d’une étude de Barriol (1997) que les acheteurs semblent privilégier la compréhension des besoins de l’entreprise et celle des marchés fournisseurs au détriment d’une approche plus active qui consisterait à agir sur les environnements internes et externes de l’organisation. Ensuite l’étude met en évidence une grande variété dans la manière qu’ont les entreprises de pratiquer le marketing achat.
2.3. Le marketing achat : enjeux actuels et futurs
Comme le montrent les exemples cités dans le point 2.1., plusieurs enjeux sont associés au marketing achat. ( Perrotin et Heusschen 1993).
Le profit reste l’enjeu le plus communément nommé il semble être le plus facile a évaluer. L’acheteur va pour se faire mettre es sources d’approvisionnement avec un objectif de mise en concurrence réelle ou élargissement du marché à plusieurs sources d’approvisionnement.
Autre enjeu connu, la qualité du produit à acheter qui est définie dans le cahier des charges. Elle induit entre autres , la redéfinition du cahier des charges fonctionnels avec les bureaux d’études. Elle permet la mise en place d’un programme qualité avec certains fournisseurs.
Le service que peut rendre le fournisseur. L’acheteur va ainsi repérer des produits sensibles au service et rechercher des fournisseurs en fonction de leur aptitude à la notion de service.
L’image de l’entreprise que le vendeur perçoit à travers ses contacts professionnels avec l’acheteur. C’est l’enjeu le plus difficile à évaluer dans l’immédiat mais le plus important à long terme. L’acheteur va alors devoir définir une éthique professionnelle basée sur la relation gagnant/gagnant. ( Perrotin , 1993)
Ces enjeux doivent être appréciés par rapport à des facteurs d’évolution du marketing achat :
La Mondialisation pose plusieurs défis à l’acheteur. Ce dernier pourra aider son entreprise à s’adapter au marché local et trouver de nouvelles sources d’approvisionnement en évaluant les risques liés notamment aux fusions et acquisitions du secteur.
L’acheteur devra également intégrer des outils sophistiqués ainsi que des nouvelles méthodes de travail utilisant davantage les systèmes d’information.
2.4. Le marketing achat et le développement de relations partenariales
Dépinay (2008) propose trois étapes en vue de conduire une démarche de marketing achat :
- l’analyse des besoins internes : il convient ici de bien prendre en compte tous les aspects techniques, normatifs, logistiques, financiers, associés au produit
- l’analyse de la situation externe : les marchés fournisseurs sont en perpétuelle évolution, sous les effets conjugués des changements de réglementation et de la mise en œuvre de nouvelles stratégies. Les stratégies collectives ont aujourd’hui le « vent en poupe » dans de nombreux secteurs, ce qui n’est pas sans conséquences sur les relations verticales (Choi et al., 2002).
- les actions d’ajustement (ou l’alignement des contrats) : il convient ici d’ajuster le cahier des charges aux possibilités du marché amont.
Le Livre Vert de la CommissionEuropéennedéfinit la RSEcomme l’« intégration volontaire de préoccupations sociales tout au long de la chaîne de production et d’approvisionnement, conjuguée à un dialogue avec l’ensemble des parties prenantes ». Cette définition a le mérite d’attirer l’attention sur le caractère inter-organisationnel dela RSE. Plusieurs études montrent à quel point la nature des relations développées entre client et fournisseur sont cruciales pour ces derniers. La crise actuelle nous donne chaque jour des exemples proches : question des délais de paiement, tentative de lissage des achats,… Au niveau international, nombreux sont les pays à avoir parié sur des « industries industrialisantes » comme le textile, et qui se retrouvent confronter à un constat d’échec aujourd’hui. Cela est souvent lié à la non-possibilité offerte aux fournisseurs de monter en gamme. L’analyse en termes de chaîne globale de valeur de Gereffi le montre bien.
Les entreprises clientes ont donc un rôle important à jouer en vue de favoriser le développement de leurs fournisseurs. Plus généralement, il est possible de distinguer trois types d’apprentissages découlant des relations inter-organisationnelles pour les fournisseurs situés dans les pays en développement :
- l’apprentissage du métier, ou l’acquisition de nouvelles compétences (nous nous référons ici au fameux « learning by doing ») ;
- l’apprentissage organisationnel, lié à une nouvelle (et meilleure) structuration des systèmes de gestion et de l’organisation elle-même (ceci est d’autant plus vrai que l’asymétrie organisationnelle entre client et fournisseur est importante, le fournisseur ayant alors tendance à adopter certains principes de fonctionnement de son client) ;
- l’apprentissage du comportement relationnel qui permet au fournisseur de développer une véritable « orientation client »[2].
Bien sûr, ces différents apprentissages ne peuvent émerger que si la relation client-fournisseur est suffisamment stable et pérenne.
Le développement des relations de type partenarial apparaît donc comme une évolution souhaitable, tant au sein de la communauté scientifique (Dyer et Ouchi, 1993 ; Cherret, 1994), qu’au niveau des institutions publiques (Commission Technique dela Sous-Traitance, 1987). Certains auteurs proposant même des recommandations pour développer et mettre en place un partenariat achat (Ellram, 1991).
III. Marketing achat et achats responsables : une relation à inventer
Marketing achat et achats responsables se développent aujourd’hui de manière parallèle. Si le développement de relations partenariales constitue une des modalités des achats responsables cohérente avec la démarche marketing achat, le marketing achat, qui change parfois radicalement la nature des relations entre acheteurs et vendeur (Blenkhorm et Banting, 1991), se développe aussi au travers de pratiques parfois peu éthiques. La relations entre marketing achat et achats responsables est donc bien à inventer.
3.1. Le marketing achat : des pratiques parfois contraires à l’éthique
Comme l’expliquent Quairel et Auberger (2005), « l’organisation actuelle de la fonction achat freine la diffusion des pratiques de RSE chez les sous-traitants : la rationalisation des portefeuilles de fournisseurs conduit à une concentration des achats chez un nombre limité de grands fournisseurs ». Donada (1997) met d’ailleurs en garde les fournisseurs contre « les pièges du partenariat ».La comptabilité en open-book, parfois considérée comme une modalité de contrôle des fournisseurs, constitue bien plus que cela. Il s’agit pour les partenaires commerciaux de mettre en commun des informations liées aux coûts des produits ou composants vendus. Cette modalité de fonctionnement nous vient du Japon. La transmission de telles informations de nature stratégique par les fournisseurs à leurs clients y est d’ailleurs une pratique répandue. L’objectif de cette pratique est de renforcer la confiance entre les partenaires commerciaux et de faciliter la négociation. La comptabilité en open-book est souvent présentée comme une pratique dont tout fournisseur est susceptible de bénéficier. Un bénéfice peut provenir des économies réalisées suite à la réflexion conjointe sur les coûts si cette réflexion se développe effectivement. Une autre forme de bénéfice résulte du fait que, en donnant accès à ses comptes, le fournisseur atteste de sa bonne foi et que le prix qu’il propose est alors moins sujet à contestation. En ce sens, le formalisme qu’introduit le développement de l’open-book dans les relations clients-fournisseurs est susceptible de renforcer la confiance mutuelle. Il convient toutefois à prendre garde aux effets pervers trop souvent constatés et qui découlent de l’utilisation des informations fournies comme de simples arguments d’aide à la négociation.
L’utilisation de l’appel d’offres comme outil de prospection du marketing achat peut aller à l’encontre des pratiques éthiques édictées dans certaines entreprises. Pourtant beaucoup d’entreprises profitent des appels d’offres pour étayer leur connaissance d’une entreprise mais aussi leur compréhension du marché.
On notera également que certains non respect des codes de bonnes conduites ou d’éthiques échappent aux fournisseurs de second rang.
3.2. Appliquer les principes du marketing pour développer des achats responsables
Plusieurs auteurs se sont demandé comment les entreprises devaient interagir (Hakansson et Ford, 2002). Leeders et Blenkhorn(1995) ont identifié quatre phases que l’on retrouve en marketing et marketing achat. Chacune de ces phases doit permettre de guider l’acheteur dans sa démarche d’achats responsables.
La première étape est celle d’analyse et de choix. Cette étape repose sur l’analyse interne (basée en grande partie sur les directives de la politique achat) et externe (étude de marchés fournisseurs en incluant la veille technologique, pays ou secteur). L’analyse secteur est destinée à évaluer les risques sectoriels en étudiant le niveau de demande et le niveau de l’offre. Les outils à la disposition de l’acheteur sont notamment les 5 Force de Porter, la matrice des marchés, la matrice de la demande.
Evaluer les fournisseurs en présence et capables de répondre à notre besoin fait partie de l’analyse externe fournisseur avec une résultante liée à la détermination de la liste des fournisseurs « cibles ».
Dans l’analyse interne l’acheteur va classifier ses familles d’achat en fonction de leur importance stratégique. L’analyse marché ou externe doit permettre de collecter des informations sur le marché fournisseurs avant de se lancer dans une analyse approfondie du marché fournisseur dans une perspective actuelle mais surtout future. Il s’agira ici de lire dans le marketing des fournisseurs afin de juger de leur engagement RSE au niveau économique, sociale ou environnementale et de l’adéquation de ces engagements par rapport aux exigences de la politique achat.
Parmi certains outils marketing utilisés dans cette première étape on retrouve la segmentation. La famille d’achat étant un ensemble homogène de produits , activités ou services représentée par un marché fournisseur spécifique pour lequel il est possible de formuler une stratégie achat, on va donc mener une segmentation.
La planification de l’effort marketing constitue la deuxième étape. Elle va permettre de décliner un plan d’actions à court moyen et long terme à travers l’outil Mix Achat des 6 P.
Ensuite il s’agira de mettre en œuvre ce plan d’actions. Le concept de Centre Achat est largement utilisé ici pour développer l’influence de l’acheteur qui devra « vendre » le fournisseur en interne et définir le meilleur moment d’intervention pour l’acheteur. Le modèle Webster et Wind – Combinaison processus et intervenants montre l’influence des intervenants en fonction de chacune des phases du processus achat.
Enfin l’évaluation et le contrôle clôturent le processus global marketing. On va ici aider le fournisseur à intégrer l’entreprise et évaluer les actions de l’action marketing achat. Au final, Plank et Francis (2001) témoignent d’une réduction des conflits avec les fournisseurs lorsque l’on rentre dans la démarche marketing achat.
3.3. De la chaîne globale de valeur à l’ « industrial upgrading »
Fondée sur l’analyse des relations de pouvoir et dépendance, l’approche en termes de Chaîne Globale de Valeur (CGV) explique les phénomènes de mondialisation. Ce faisant, elle n’en constitue pas moins un apport indéniable à la compréhension de la coordination des firmes situées à différentes étapes du processus de production et géographiquement éloignées. Gereffi (1996) estime ainsi que la manière dont les firmes opèrent dans l’économie internationale est de plus en plus déterminée par leur position dansla CGV. C’est donc essentiellement des relations de pouvoir et de dépendance que dépend la forme prise par la coordination des activités le long dela CGV. Adoptercette approche revient finalement à estimer que l’organisation globale de la production lie les producteurs, les fournisseurs de matière première, les traders, les banquiers, les designers, les distributeurs, dans de complexes réseaux économiques dans lesquels la répartition des profits et du contrôle change souvent (Gereffi et Korzeniewicz, 1994).
En dépit de la tendance relevée par Gereffi et Korzeniewicz (1994) de la répartition des profits et du contrôle à évoluer, certaines industries restent structurellement dominées par l’une ou l’autre des deux extrémités de la chaîne. Les auteurs révèlent ainsi que les chaînes « producer driven » se référent à des industries intensives en capital dont la recherche technologique réalisée par les producteurs confère à ces derniers un pouvoir de négociation fort (automobile, aéronautique, informatique,…). En ce qui concerne les chaînes « buyer driven », elles font référence à des industries dans lesquelles les principales barrières à l’entrée se situent au niveau du design et du marketing. C’est notamment ce qui caractérise la confection qui est vue par Gereffi (1996) comme un secteur caractérisé par une concentration des profits et du contrôle aux niveaux de la distribution / marketing et des approvisionnements et par une production externalisée au niveau mondial sur la base de réseaux, pilotés par les acheteurs, de producteurs indépendants. Le pouvoir des distributeurs lié à la maîtrise du design et du marketing, maillons les plus créateurs de valeur dans cette industrie, est renforcé par le développement des centrales d’achat pour la grande distribution conférant aux enseignes le pouvoir d’imposer des mécanismes de coordination rigides, dans le sens où ils ne font pas du tout l’objet d’une négociation, à leurs fournisseurs.
Au terme d’une tentative de formulation d’une théorie des structures de gouvernance des CGV, Gereffi, Humphrey et Sturgeon (2003) ont repéré cinq types de gouvernance. Se fondant sur la définition et l’influence de trois variables que sont la complexité des transactions, la facilité à codifier les transactions et les capacités du parc de fournisseurs, les auteurs aboutissent au repérage de cinq types de gouvernance : marché, modulaire, relationnelle, captive et hiérarchie comme le montre le tableau 1 :
…
Gibbon (2001) a examiné les conséquences pour les fournisseurs situés dans les pays en développement des évolutions des pratiques des enseignes britanniques. Elargissant le cadre de son étude, il montre à quel point les marchés américains, européens et japonais sont segmentés entre eux, si bien que la question des conditions de la compétitivité des pays en développement au niveau global doit, selon lui, se poser en termes de conditions de succès pour chacun de ces grands marchés. Une comparaison entre les résultats obtenus par Gibbon (2001) et ceux obtenus par Palpacuer et Poissonnier (2003) montre en outre que le marché européen est lui même fortement segmenté en interne entre les Etats membres dont la consommation et les structures de distribution diffèrent. Cette reconnaissance d’une segmentation des différentes « chaînes » est ici essentielle dans une optique de compréhension des opportunités d’apprentissage offertes aux fournisseurs. Montrant notamment que la structure de gouvernance de la chaîne destinée à l’Europe est plus égalitaire que celle de la chaîne destinée aux Etats-Unis dans laquelle le pouvoir de négociation des fournisseurs apparaît moins important, Gibbon (2001) révèle l’existence d’opportunités d’apprentissage différentes pour les fournisseurs selon leur participation à l’une ou l’autre chaîne. Ainsi, si le fait de travailler dans la chaîne américaine conduit à un « apprentissage étroit mais très structuré d’expériences centrées sur les compétences », la chaîne européenne offre plutôt des opportunités d’apprentissage « plus large mais plus diffus lié à un accroissement de la souplesse fonctionnelle » (traduit de Gibbon, 2001). Ces différences apparaissent également dans une étude plus récente des pratiques d’approvisionnement des grands distributeurs de vêtements en Europe (Palpacuer, Gibbon et Thomsen, 2003).
Une étude de l’offre marocaine permet d’opérer la même distinction entre filières orientées vers des clients anglo-saxons et français (Belghazi, 2003). La première, caractérisée par des relations stabilisées ou continues avec les donneurs d’ordres apparaît comme étant principalement orientée vers des clients anglo-saxons qui délocalisent parfois directement leurs ateliers de production au Maroc. Ces clients, attentifs au respect des codes de bonne conduite par les fabricants marocains, développent des services de co-traitance et investissent dans les ressources humaines de leur entreprise. Cette stratégie s’appuie sur la fabrication de séries longues, propices à la réalisation d’économies d’échelle (lingerie) et sur une spécialisation des usines par type de produits au sein de l’entreprise et se retrouve plus particulièrement dans les pôles productifs de Rabat et Tanger respectivement numéros trois et quatre de l’habillement marocain en matière d’emploi. La seconde filière que l’on peut qualifier de classique s’oppose à la première principalement au niveau de la discontinuité des relations et de leur court-termisme. Ces dernières, axées sur la réduction des prix, apparaissent caractéristiques des relations entretenues avec les distributeurs français davantage demandeurs de services de sous-traitance d’activités de simple assemblage portant sur des séries courtes. Ce dernier profil de filière dans laquelle l’antagonisme et l’agressivité apparaissent comme des caractéristiques majeures prédomine dans les pôles traditionnels de production de Casablanca et Fez, respectivement numéros un et deux de l’emploi marocain dans le secteur.
Si les opportunités d’apprentissage semblent, au regard de cette analyse, plus importantes dans la filière anglo-saxone, elles existent néanmoins pour les fournisseurs travaillant pour des distributeurs français, se situant peut-être à un autre niveau. Ainsi, centrant davantage leurs recherches sur les effets des relations d’affaires internationales sur la structuration des producteurs, Kalika et al. (1998a ; 1998b) montrent que plus la relation d’affaires entre le client français et le fournisseur marocain est importante, plus la structuration de ce dernier, mesurée par la spécialisation fonctionnelle et le nombre de niveaux hiérarchiques, est développée.
De son côté et s’intéressant davantage aux relations de confiance dans la filière textile-habillement, Hetzel (2000) explique que les distributeurs français ont tendance à accorder plus difficilement leur confiance aux fournisseurs que les distributeurs allemands, ce qui, encore une fois, ne joue pas en faveur des opportunités d’apprentissage offertes à ces derniers, idée par ailleurs confirmée par Usunier (2000).
La littérature fondée sur la notion de CGV fournit donc des enseignements en termes d’opportunités d’apprentissage pour les PME – producteurs. Un de ces enseignements réside dans le repérage de plusieurs CGV, avec des structures de gouvernance propres et surtout dont le fonctionnement n’est pas neutre du point de vue des opportunités d’apprentissage pour les fournisseurs.