Support de cours sur les systemes du management des entreprises : introduction a la logistique
Support de cours sur les systèmes du management des entreprises : introduction à la logistique
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DÉFINITIONET ÉVOLUTIONDE LA LOGISTIQUE'
VERS UNE DÉFINITION
Nous avons vu que le mot logistique est fort ancien puisque les Grecs l'utilisaient déjà, mais il avait alors une consonance philosophique. Comme le note Heskett', le développement de la fonction logistique moderne dans les entreprises a son origine dans la gestion des stocks et le transport des marchandises.
Sans vouloir nous lancer dans une étude exhaustive de l'évolution de sa définition, il nous semble intéressant d'en présenter les principales étapes qui permettent de mesurer l'évolution du concept.
Ce sont les militaires qui ont donné les premiers une utilisation nouvelle au mot logistique. Pour le général Jomini, crédité de la première définition communément acceptée de la logistique militaire, la « science logistique nouvelle » ne serait « rien moins que la science d'application de toutes les sciences militaires ». Dans son effort pour établir une « théorie de la guerre » indépendante de toute situation particulière, il décompose l'art de la guerre en « six parties » dont la quatrième est « la logistique ou application pratique de l'art de mouvoir les armées' ». Pour lui, la logistique comprend les moyens et arrangements qui permettent d'appliquer les plans stratégiques et tactiques. La stratégie décide du lieu de l'action ; la logistique amène les troupes en ce lieu. Bien que la notion logistique, dans le sens plus large d'optimisation économique intermodale dans les transports, soit présente dans certains écrits du xix" siècle qui s'appuient même dessus pour justifier les infrastructures nécessaires à l'évolution économique déclenchée par la révolution industrielle', le mot n'est devenu d'usage courant qu'à l'occasion de la Seconde Guerre mondiale, et notamment sous l'impulsion du général Marshall, alors chef de l'état-major général des armées et conseiller militaire du président Roosevelt et qui devint par la suite le père d'un fameux plan de reconstruction de l'Europe. On peut d'ailleurs qualifier le plan Marshall de gigantesque plan logistique, car il était construit autour de la notion de flux nécessaires à l'optimisation d'un objectif défini au plan politique. En l'occurrence, il fallait mettre à la disposition de l'Europe des ressources de type « capitaux » à la hauteur de ses disponibilités en hommes et en technologie pour atteindre le plus vite possible l'objectif de reconstruction permettant par la prospérité induite de résister « naturellement » au chant des sirènes d'un autre type d'organisation de la société, dans la mesure où la perspective d'une pénurie durable aurait favorisé les thèses collectivistes. On voit donc que, par rapport à Jomini, le plan logistique va bien au-delà des arrangements et des moyens. Il s'agit bien d'un plan stratégique de mise en oeuvre de la politique. Par là, il a quitté le domaine militaire pour entrer dans celui du management.
Le déploiement de l'effort de guerre américain a donc également révélé la logistique comme fonction du management. Elle a en effet été perçue dès le départ comme clé de la victoire. Face à un objectif final clair, la victoire nécessaire au rétablissement des démocraties, l'effort de guerre a été conçu comme une tâche à accomplir pour l'atteindre. Les conditions géographiques et historiques du conflit ont permis aux États-Unis de se transformer en arsenal et en base arrière et de s'organiser en conséquence. La nécessité de disposer massivement de moyens puissants en des lieux très éloignés, sans pouvoir compter sur un soutien local, a dicté la production de l'économie mobilisée, ainsi que la recherche. Cette conversion a été guidée par des hommes d'entreprise et par des hommes qui avaient passé des années à analyser leur organisation et leur fonctionnement. Les mobilisés ont été incorporés dans l'armée à des grades correspondant à leur expérience militaire antérieure, et les officiers de carrière ont été en grand nombre envoyés dans les meilleures écoles de gestion'. Cette approche globale d'organisation, à partir des flux physiques et de tous les flux concourant à la réalisation de l'objectif final, est bien une approche logistique managériale.
C'est ce fort impact normalisateur sur l'amont à partir des objectifs, c'est-à-dire sur le choix des productions et sur l'organisation. qui a clairement fait de la logistique une fonction stratégique majeure, bien au-delà de ce qu'était le vieux train des équipages. Mais ces galons stratégiques n'ont pas été immédiatement reconduits dans les entreprises civiles, une fois la paix revenue, et les militaires eux-mêmes ont eu tendance à en oublier rapidement la justification. Il y a même une complainte du logisticien qui a fait, en son temps, le tour de leurs popotes'. La raison en est sans doute, là encore, que les dignitaires traditionnels, hauts responsables d'entreprises ou militaires, ont eu tendance à considérer la logistique comme une affaire avec laquelle il faut bien vivre, mais auxiliaire. Dès que la pression des événements se relâche, elle retournerait à son rang traditionnel, et notamment, on ne tendrait plus guère qu'à lui confier des missions de portefaix.
Ce n'est guère que depuis une trentaine d'années, et progressivement, qu'une conception globale de la logistique a été préconisée au bénéfice des entreprises en remontant à partir de la distribution physique. Le terme business logistics est donc récent, comme en témoigne le fait que l'association professionnelle américaine concernée ait été créée au début des années 60, sous le nom de Conseil national de la gestion de la distribution physique'. D'évidence, le NCPDM traite de la logistique d'entreprise, comme en témoigne la définition qu'il a donné en 1972 (après plusieurs phases d'évolution) de la gestion de la distribution physique
« Terme décrivant l'intégration de deux ou plus de deux activités dans le but de planifier, mettre en oeuvre et contrôler un flux efficient de matières premières, produits semi-finis et produits finis, de leur point d'origine au point de consommation. Ces activités peuvent inclure, sans que la liste ne soit limitative, le type de service offert aux clients, la prévision de la demande, les communications liées à la distribution, le contrôle des stocks, la manutention des matériaux, le traitement des commandes. Le service après-vente et des pièces détachées, le choix des emplacements d'usines et d'entrepôts, les achats, l'emballage, le traitement des marchandises retournées, la négociation ou la réutilisation d'éléments récupérables ou mis à la ferraille, l'organisation des transports et le transport effectif des marchandises ainsi que l'entreposage et le stockage. »
Il s'agit bien d'une redéfinition dont l'évolution par rapport aux définitions antérieures est intéressante à noter car c'est en réfléchissant à la nature de cette activité, pour en améliorer la gestion, que son champ a été considérablement élargi à plusieurs reprises. La première définition, sous le nom de logistique, remonte à 1948 quand le comité des définitions de l'American Marketing Association a proposé : « Mouvement et manutention de marchandises du point de production au point de consommation ou d'utilisation'.
Cette définition correspond bien toujours à l'image de la logistique communément répandue encore aujourd'hui. Certaines branches industrielles ont évolué plus rapidement que d'autres, et, à l'intérieur des branches mêmes, certaines entreprises ont évolué plus vite que d'autres. Certains pays semblent également avoir admis plus vite que d'autres que la manutention et le transport n'étaient que l'aspect physique de la logistique, aspect que l'évolution de la technologie tend aujourd'hui à rendre subalterne par rapport à tout ce qui, dans la logistique, est autre que les mouvements matériels. On ne peut que constater que ce sont justement ces pays, ces branches industrielles et ces entreprises, où l'évolution vers un concept de gestion à partir de chaînes de flux imbriquées les unes dans les autres est la plus nette, qui sont généralement considérés comme les mieux armés pour aborder l'environnement de demain. On peut corrélativement se poser la question de savoir combien, des entreprises dont les résultats d'aujourd'hui ou la compétitivité de demain semblent très moyens, médiocres ou mauvais, en sont restées à la conception de 1948 de la logistique ? Et parmi celles qui en sont restées là et dont les résultats sont encore bons ou brillants, combien ont la chance d'opérer sur des marchés protégés ?
La première définition (1962) donnée par le NCPDM pour la gestion de la distribution physique était déjà plus large que celle de l'Arnerican Marketing Association :
« Terme employé dans l'industrie et le commerce pour décrire le vaste spectre d'activités nécessaires pour obtenir un mouvement efficient de produits finis depuis la sortie des chaînes de fabrication jusqu'au consommateur, et qui dans quelques cas inclut le mouvement des matières premières depuis leur fournisseur jusqu'au début des chaînes de fabrication. Ces activités incluent le transport des marchandises, l'entreposage, la manutention, l'emballage de protection, le contrôle des stocks, le choix des emplacements d'usines et d'entrepôts, le traitement des commandes, les prévisions de marché et le service offert aux clients.
En plus de l'élargissement des tâches, il faut noter la remontée constante en amont, la gestion des matières entrantes étant considérée dès les années 70 par le NCPDM comme l'une des clés de la productivité de la distribution physique au sens large, ce qui est, d'ailleurs, une des raisons de lui préférer le terme de « logistique d'entreprise ». Quant à l'expression « d'entreprise », elle veut clairement indiquer une distinction d'avec l'art militaire dans la mesure où les contraintes opérationnelles ne sont pas nécessairement les mêmes. Ainsi, en 1964, E. Smykay', notait les différences d'origine budgétaire, dans la mesure où les moyens logistiques des armées, provenant d'un vote au Parlement et nécessitant beaucoup de temps pour être modifiés, sont rigides, alors que ceux des entreprises, dépendant des marchés et de la concurrence, sont beaucoup plus souples, ainsi qu'une différence de nature. En effet, la logistique militaire se fonde sur l'emploi de l'autorité pour remplir sa mission avec succès, alors que celle des entreprises le fait sur la compétition en matière de niveau de service offert.
Ces définitions n'étaient pas toujours très conceptualisées et correspondaient surtout à la description des fonctions regroupées sous le chapeau logistique. Vingt ans après la définition de l'Anierican Marketing Association, celle de Magee a été l'une des premières à clairement englober les flux d'approvisionnement dans la logistique :
« Technique de contrôle et de gestion des flux des matières et de produits, depuis leur source d'approvisionnement jusqu'à leur point de consommation'.
Mais cette définition restait encore très orientée sur des aspects physiques. Heskett, Glaskowsky et Ivie ont été parmi les premiers à proposer une définition plus abstraite :
« Gestion de toutes les activités qui contribuent à la circulation des produits et à la coordination de l'offre et de la demande dans la création d'utilité par la mise à disposition de marchandises en un lieu et à un moment donné'.
Dans un article de la Harvard Business Review, Heskett est, par la suite, revenu à une définition-description plus concrète, illustrant bien l'aspect pragmatique de la réflexion américaine sur le management. Mais cette évolution n'a pas correspondu à un retour vers la mise en avant des aspects physiques de la logistique, bien au contraire :
« La logistique englobe les activités qui maîtrisent les flux de produits, la coordination des ressources et des débouchés, en réalisant un niveau de service donné au moindre coût'. »
Par rapport à cela, il s'agit sans doute d'une caractéristique de l'esprit français que de vouloir mettre une enveloppe abstraite autour d'un concept, sans doute pour en assurer la pérennité en le désincarnant. Ce n'est aussi probablement pas un hasard si Fayol était français et Taylor américain. En sacrifiant à ce désir d'universalité qui doit quand même présenter quelque avantage, nous avons nous-mêmes proposé la définition suivante :
« La logistique est le processus stratégique par lequel l'entreprise organise et soutient son activité. À ce titre, sont déterminés et gérés les flux matériels et informationnels afférents, tant internes qu'externes, qu'amont et aval. Dans le cadre de la poursuite des objectifs généraux à laquelle elle concourt, sa mission consiste à permettre l'élaboration de l'offre de l'entreprise et à en réaliser la rencontre avec la demande du marché. tout en recherchant systématiquement les conditions d'optimalité dans l'exécution. Sa mise en oeuvre procédant de différents acteurs, elle est appelée à gérer en ce sens les tensions à leurs interfaces du fait de la non-identité de leurs objectifs propres'. »
L'inconvénient est que, se voulant très complète, elle est peu compréhensible ou du moins nécessite une réflexion approfondie, ce qui est presque l'antithèse de l'approche américaine. Nous avons donc été amenés à la simplifier en faisant l'hypothèse qu'il valait mieux demander l'effort de découvrir la complexité de ses implications que de risquer, par une définition emberlificotée pour être complète, de ne pas convaincre nos interlocuteurs qu'il y a aujourd'hui beaucoup à gagner à repenser l'organisation et la gestion sur des bases quelque peu différentes. Cela nous a conduit à la définition suivante :
« La fonction de la logistique dans l'entreprise est d'assurer au moindre coût la coordination de l'offre et de la demande, aux plans stratégique et tactique, ainsi que l'entretien à long terme de la qualité des rapports fournisseurs-clients qui la concernent. »
Il faut bien comprendre que cette coordination nécessite notamment des échanges d'information dont l'importance va croissante. La logistique moderne pourrait même être simplement définie comme le processus par lequel l'entreprise gère l'ensemble de ses échanges d'informations et des éléments physiques qui en résultent avec son amont et son aval. Le processus est qualifié de stratégique du fait que l'entreprise s'appuie dessus pour organiser ses propres rouages dans le but d'atteindre ses objectifs de façon optimale, c'est-à-dire au moindre coût, tout en respectant les contraintes qu'elle estime importantes.
Notons que cette définition traduit bien la fonction de « juge de paix » que la logistique moderne apporte pour résoudre les conflits internes entre le commercial et la production. Dans les entreprises où la logistique industrielle et la logistique commerciale sont coordonnées par les mêmes personnes, par exemple Kraft Jacobs Suchard, le commercial est mieux compris et l'industriel mieux respecté.
IMPLICATIONS DE CE CHEMINEMENT
Si la logistique existe vraiment en tant que concept universel, il ne devrait pas y en avoir cinquante définitions, ou du moins toutes les définitions devraient être convergentes, sous des superstructures qui ne seraient guère que la manifestation de la « patte » de leurs auteurs. On mesure ici l'ambiguïté de la situation. Il y a bien une cinquantaine de définitions de la logistique, et celles-ci ne sont que partiellement convergentes. Les divergences ont essentiellement trait à l'étendue du champ d'action de la logistique. La question n'est pas académique. Si la logistique est bien ce qui ressort de la définition de l'American Marketing Association de 1948, les responsables de la production, les responsables des approvisionnements, les responsables marketing et les autres n'ont guère à remettre en cause ni leur pouvoir, ni leurs méthodes. Cela n'empêche d'ailleurs pas des progrès ponctuels issus de l'entente cordiale de partenaires égaux, mais il est alors peu vraisemblable que notre industrie atteigne toute la compétitivité dont elle est potentiellement capable, aux plans national et international. Si le fait logistique existe vraiment et si la définition en est plus large, les présidents-directeurs généraux ont des questions à se poser et il est bien évident que beaucoup d'entre eux ne se les posent pas encore.
Nous retrouvons là la situation qu'a connue le marketing. Il en existe un grand nombre de définitions et le débat sur son domaine d'action aura duré plus d'un quart de siècle. À certaines époques, le Journal de Marketing, revue pilote de la discipline, a véhiculé de véritables controverses à épisodes. En effet, on y trouvait des professeurs de renom qui s'opposaient à d'autres collègues aussi connus, avec des réponses aux réponses à répétition.
Ces querelles se sont retrouvées dans les revues professionnelles des autres pays avancés. Les périodes de controverse ont en général correspondu aux élargissements du domaine, « homologués » par des gens suffisamment célèbres pour leur conférer l'authenticité, par exemple l'extension du marketing au non-lucratif, à la religion, à la communication interpersonnelle, à la politique ou au marketing à l'envers, qui consiste à favoriser le renoncement à un certain type de demande'.
Nous souhaitons apporter la même réponse, en ce qui concerne la logistique, que celle qui a fini par être généralement admise pour le marketing. Le marketing n'a pas véritablement de définition. C'est un concept dont l'application évolue avec l'environnement, ou plus pragmatiquement avec la nécessité des temps, c'est-à-dire qu'il est ancré sur la notion de compétitivité. Ceux qui n'ont pas voulu l'admettre en sont restés à des bornes de l'histoire.
Nous pensons que le concept de logistique englobe maintenant, pour une large part, le concept de marketing et va au-delà, sans d'ailleurs chercher à l'accaparer, pas plus que les autres fonctions traditionnelles de l'entreprise, comme nous essaierons de le montrer dans le chapitre 3. Mais il s'écoulera peut-être encore de longues années avant que ce phénomène ne soit généralement accepté, et il y aura certainement bien des entreprises qui continueront longtemps à gagner correctement leur vie en le niant, tout comme le cas s'est présenté pour le marketing. C'est le propre d'un concept intégrateur dans un univers déjà sophistiqué que de proposer un progrès, donc une amélioration de la rentabilité, et non de représenter un élément primaire dont l'absence rendrait impossible le démarrage d'une organisation. Ce qui est sûr, c'est qu'on peut d'autant plus impunément nier un tel concept, du moins au plan national, que sa diffusion est moins répandue. Mais là où on a perdu des opportunités, on finit par perdre la rentabilité. voire l'indépendance ou même la vie. Parmi celles des gloires anciennes qui ont nié le marketing trop longtemps, bien nombreuses sont celles qui sont devenues, au bout du chemin, des cas d'école de la décrépitude. Le haut niveau atteint et la grande interpénétration des économies nous amènent à penser que la tolérance de l'environnement à l'aveuglement du concept de logistique sera beaucoup moins grande dans l'avenir qu'à l'époque où chaque pays avait déjà bien à faire avec sa reconstruction et son expansion interne.
Il ne faudrait pas non plus croire que la préoccupation logistique n'ait existé depuis trente ans qu'aux États-Unis. On la retrouve en des termes très proches dans tous les pays développés. On la retrouve également à l'horizon où convergent les réflexions sur la logistique de toutes les familles intéressées, gestionnaires, militaires ou ingénieurs de systèmes. Leurs définitions sont aussi intéressantes à analyser pour leur évolution et leur rapprochement, mais nous pensons difficile d'en citer davantage dans ce chapitre. Le point principal est qu'après avoir été d'apparence très différente, elles convergent maintenant du fait que chaque catégorie de logisticiens a pris conscience de son insertion dans un système économique unique.
En ce qui concerne la France, il existe, bien sûr, un courant de pensée sur la logistique d'entreprise depuis déjà plusieurs années, et qui a réuni, comme aux États-Unis, la réflexion de professionnels et d'intellectuels d'horizons différents : ingénieurs, chercheurs orientés vers l'analyse économique et plus généralement vers l'analyse quantitative, dont la recherche opérationnelle, mais aussi chercheurs en gestion d'origine universitaire et/ou des grandes écoles. On peut également suivre cet effort conceptuel dans l'évolution des définitions. Nous nous contenterons de donner ici la définition de l'Association des logisticiens d'entreprise' :
« La logistique est l'ensemble des activités ayant pour but la mise en place, au moindre coût, d'une quantité de produit, à l'endroit et au moment où une demande existe. La logistique concerne donc toutes les opérations déterminant le mouvement des produits telles que : localisation des usines et entrepôts, approvisionnements, gestion physique des encours de fabrication, emballage, stockage et gestion des stocks, manutention et préparation des commandes, transports et tournées de livraison. »
Notons qu'il existe maintenant en France un enseignement de la logistique dans le supérieur, ce qui est un phénomène relativement nouveau, et saluons notamment ce que font certains Instituts universitaires de technologie dans ce domaine. C'est en effet dans ces derniers que l'on peut trouver un enseignement débouchant directement sur des carrières dans la logistique. C'est également le but de certains diplômes d'enseignement supérieur spécialisé offerts dans quelques universités dont l'université de gestion Paris IX-Dauphine et l'université de Lyon II, ainsi que de certains enseignements du Conservatoire national des arts et métiers. Aix-en-Provence est devenu un grand centre d'étude de la logistique, avec l'IUT et le Centre de recherche d'économie des transports à Aix-Marseille II, et l'Institut d'administration des entreprises à Aix-Marseille III (audit logistique). Notons également que lors de sa création, l'École supérieure de commerce du Centre à Tours a fait de la logistique un de ses grands axes de spécialisation et que cela semble lui avoir bien réussi. Cette évolution vers la logistique se retrouve également dans certaines ESCAE, dont celle de Bordeaux, par exemple, ainsi que dans l'enseignement de certains Diplômes d'études approfondies, c'est-à-dire dans le cycle des études conduisant à des doctorats de 3' cycle en gestion. En ce qui concerne les plus cotées des grandes écoles de gestion comme l'ESSEC, HEC ou l'ESCP, l'enseignement de la logistique fait maintenant l'objet de cours à option dont le succès est indéniable, et qui sont pris par des étudiants qui se voient plutôt à terme directeurs généraux que techniciens de la logistique, ce qui veut dire qu'ils l'estiment nécessaire pour leur formation générale. Notons que ces enseignements font généralement largement appel aux professionnels pour les aspects techniques, mais qu'ils sont articulés autour d'apports conceptuels dispensés par des enseignants responsables des cours, qu'ils soient d'ailleurs vacataires ou permanents.
On semble donc, là encore, suivre la route parcourue par les États-Unis quelques années plus tôt. C'est de cet effort commun des professionnels et des enseignants qu'est issu, en effet, l'essor considérable pris par la logistique dans les enseignements des meilleures business sehools américaines comme Harvard ou Stanford. La grande consécration a été le prix Nobel d'économie 1993 coattribué au professeur Robert Fogel de l'Université de Chicago dont les recherches les plus connues portent sur le rôle du chemin de fer dans la structuration et le développement économique des États-Unis.
Notons toutefois que l'industrie privée américaine a favorisé le développement de la recherche sur la logistique et de l'enseignement de la discipline, dont elle est en dernier ressort le bénéficiaire, par la création de chaires d'enseignement et de recherche. Si cela existe également en France, il s'agit malheureusement d'un phénomène marginal et on semble préférer que la « puissance publique prenne ses responsabilités ». Il s'ensuit donc un décalage dans le temps, alors qu'en Amérique du Nord, l'industrie oriente la recherche et la formation dans le sens de ses besoins pour l'avenir. Dès 1978, une étude sur les niveaux de formation et les niveaux de salaires des professionnels de la logistique aux États-Unis montrait ainsi, d'une part, qu'un pourcentage de plus en plus important des responsables dans ce domaine dépendait directement du directeur général, et que, d'autre part, de plus en plus de jeunes cadres avaient choisi cette profession dès le départ, au lieu d'y arriver indirectement et pas toujours de façon très glorieuse, comme c'était généralement le cas jusqu'alors'. Par ailleurs, les rémunérations offertes étaient devenues compétitives avec celles proposées dans les autres fonctions de l'entreprise. Nous reviendrons sur ce problème du statut et de son importance dans le chapitre 3.
Il existe une autre différence, qui n'est pas sans conséquences, entre les systèmes d'enseignement supérieur français et américain. Quand on regarde les programmes offerts en logistique dans les universités américaines, on observe généralement un chevauchement des écoles de gestion et des écoles d'ingénieurs, la plupart des nouveaux diplômés dans les années à venir devant d'ailleurs sortir des écoles de gestion. Dans la plupart des cas, les écoles de gestion et les écoles d'ingénieurs sont affiliées aux mêmes universités et les inscriptions mixtes ne posent pas de problèmes. Certains enseignants interviennent même dans les deux sortes d'écoles. Il est bien évident que le système français d'écoles isolées ne favorise pas un tel processus, alors même que la logistique se situe aux confins de la gestion et de la technologie'. Quant aux universités françaises, il est encore rare que la volonté officielle de pluridisciplinarité ait permis des coordinations de ce type, d'une part, à un bon niveau intellectuel et, d'autre part, avec une orientation vers les besoins des entreprises, mais leur effort va dans ce sens. Notons également que la Fondation nationale pour l'enseignement de la gestion des entreprises (FNEGE), qui a permis l'avènement d'un enseignement professionnel de gestion en France dans les années 70 en finançant les études, sur une période de temps concentrée et essentiellement en Amérique du Nord, d'un nombre considérable de ces professeurs maintenant en place, et le Centre d'études sur les formations d'ingénieurs (CEFI) se sont rapprochés au début des années 80, et que, parmi les premiers travaux importants menés conjointement, a figuré une mission d'études sur les interfaces entre la gestion et la technologie, qui a étroitement associé l'industrie et dont les conclusions ont été présentées aux assises du CNPF'. Il y a donc un certain nombre d'indices qui convergent vers une prise en compte coordonnée du management et de la technologie au sens où l'entendent généralement les ingénieurs.
La logistique d'entreprise
LE SYSTÈME LOGISTIQUE ET SES OPÉRATIONS
Si le cheminement vers une définition fut long et laborieux, la description du système logistique et de ses opérations pose beaucoup moins de problèmes.
3.1. Le territoire de la logistique
Si nous appelons territoire de la logistique le domaine d'activité sur lequel s'exerce son influence, ce qui va au-delà de son champ d'action propre, nous pouvons observer que ce territoire peut être étudié sur trois niveaux, du plus fractionné à l'enveloppe :
les opérations, ou missions élémentaires, du processus logistique ; les sous-systèmes d'organisation : approvisionnement, production, distribution, soutien après-vente, etc.
le niveau du système logistique intégré, qui propose une prise en charge unique, de la conception du produit à son soutien après-vente.
Ces trois niveaux peuvent encore se dire :
- —la logistique est une réalité physique,
- —la logistique est un système d'organisation,
- —la logistique est un outil de compétitivité.
Opérations élémentaires du processus logistique
Fréquemment, la logistique demeure évoquée, de façon parcellisée, comme une succession de fonctions élémentaires concourant tantôt au processus de soutien du marketing, tantôt à celui de la production.
Ronald H. Ballou propose un classement en « opérations de base » et « activités de support », suivant une logique de polarisation des préoccupations vers l'objectif du « service au consommateur » (figure 2.1 page suivante).
Il s'agit là essentiellement d'un regroupement des tâches logistiques explicitées dans la définition de 1972 du NCPDM avec une ouverture sur l'ordonnancement de production. Cette ouverture a été confirmée lors d'un colloque qui a réuni à Harvard, au printemps 1978, les professeurs de logistique parmi les plus connus d'une cinquantaine d'universités américaines et européennes'.
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Rappelons que cette classification trouve son origine dans le consensus issu de l'expérience des professionnels de la logistique regroupés dans le NCPDM et des enseignants et chercheurs dans le domaine. Elle semble assez universelle. Ainsi, à la suite d'une importante étude menée sur la distribution au Québec,
Claude Chriqui a éclaté la distribution physique (prise au sens large) en ses composantes et distingué' six éléments :
- Activités liés au transport :
- — gestion de la flotte de transport,
- — personnel,
- — programmes de livraisons.
- Manutention :
- — déchargement des marchandises reçues,
- — consolidation des commandes,
- —
- Entreposage :
- — localisation des entrepôts, localisation des produits dans les entrepôts.
- Stocks :
- — politique de commandes,
- — intérêts, taxes, assurances.
- Traitement de l'information :
- — statut des commandes, des livraisons,
- — mesures de rendement de la distribution physique.
- Gestion de la distribution physique :
- — application des stratégies de l'entreprise,
- — activités tactiques et de contrôle de la distribution physique.
De plus, il suggère une analyse des coûts de chaque composante pour établir un tableau de bord permettant d'en contrôler la performance économique.
James L. Heskett a appliqué une nouvelle logique analytique à ces éléments en orientant résolument la réflexion vers une vision dynamique de la logistique établie à partir d'une représentation de l'entreprise par les flux qui la traversent. Il soutient le concept de « processus logistique » défini, rappelons-le, comme « englobant les activités qui maîtrisent les flux de produits, la coordination des ressources et des débouchés en réalisant un niveau de service donné au moindre coût » (figure 2.2 page suivante).
Claude Chriqui. « La distribution physique : nouveau champ d'expertise en management ». in Gestion. Revue internationale de ,«stion, Montréal, novembre 1977. Cet article a été reproduit dans la Revue française de gestion, septembre-octobre 1978. Claude Chriqui est professeur à l'École des hautes études commerciales de Montréal.