Master en Sciences de Gestion, mention Management, spécialité Prospective, Stratégie et Organisation
2006-2007
FICHE de LECTURE
pour l’UE DSY 222 du Professeur Yvon PESQUEUX rédigée par François VARIN
Une révolution du management le modèle Google
de Bernard Girard, MM2 éditions - 2006
SOMMAIRE
Consultant en management, chroniqueur radio, conférencier, Bernard Girard étudie l’impact des nouvelles technologies depuis la naissance du PC. Il est l’auteur de la première enquête francophone approfondie sur le Net (CAPA, 1995), d’ouvrages sur la réduction et l’aménagement du temps de travail ainsi que de plusieurs articles, parmi lesquels :
- GIRARD B., LAUTIER G., Réussir les 35 heures, éditions Maxima, 1999
- GIRARD B., Histoire des théories du management en France de 1800 à 1940,
- GIRARD B., Vers un nouveau pacte social, Revue Française de Gestion n° 100, 1994
- GIRARD B., Le temps de travail des cadres, revue de l’ANDCP, septembre 1998
Il analyse, depuis son origine, les différentes facettes de l’entreprise Google.
Postulat : Principe premier d’une démonstration, admis comme un fait reconnu et indiscutable, mais qui est indémontrable ou indémontré.
L’ouvrage repose sur deux postulats, explicites et implicite :
- les révolutions du management sont inventées dans quelques entreprises phares qui explorent des marchés nouveaux (Ford, Toyota…), connaissent une croissance vive et occupent rapidement des positions dominantes ;
- Google pourrait bien être une de ces entreprises, lieu de prédilection à l’invention d’un nouveau modèle lié à l’ère internet ;
- lorsqu’on porte un « grand » projet et qu’on incarne des valeurs fortes au sein de l’entreprise, le leadership est naturel et conduit au succès par le changement.
Hypothèse : Proposition résultant d’une observation ou d’une intuition et devant faire l’objet d’une vérification.
- Google remplit les conditions de survenance d’une révolution du management ;
- Google innove dans plusieurs domaines : production, opérations industrielles, RH,
relation clientèle, etc ;
- Les dirigeants de Google incarnent un projet : rendre disponibles pour tous, gratuitement, toutes les informations du monde ;
- Les dirigeants de Google ont dû s’adapter à la croissance très rapide de l’entreprise, leurs seuls modèles d’organisation étant celui des entreprises récentes de leur secteur et celui de l’université ;
- Les dirigeants de Google ont eu de la chance (conjoncture économique, juridique et financière favorable) ;
- Les innovations de l’entreprise bousculent de nombreuses habitudes managériales et représenteront certainement des modèles de changement dans beaucoup d’autres
entreprises.
L’auteur est amené à revenir sur l’histoire de l’entreprise pour montrer les conditions d’apparition d’éléments d’un nouveau modèle (environnement). Ces éléments sont des réponses à des situations nouvelles que l’entreprise a rencontrées. La forte personnalité des fondateurs de Google les a conduit à rechercher des solutions innovantes qui leur permettaient de mener à bien leur projet en respectant leurs valeurs.
Les apports nouveaux en terme de management sont principalement dans les domaines des ressources humaines (recrutement, motivation, encadrement par la technologie), de la gouvernance d’entreprise et de la relation client.
Les révolutions du management sont inventées dans quelques entreprises phares qui explorent des marchés nouveaux (Ford et GM en automobile, la grande distribution, Toyota, Google sur internet), connaissent une croissance vive et occupent rapidement des positions dominantes.
Google est le lieu d’innovations en RH, production, relation clientèle, conduite des opérations industrielles. L’entreprise met en place de manière systématique (techniques érigées en modèles) des principes issus d’autres entreprises ou de l’université.
Deux étudiants, Larry Page et Sergeï Brin, se rencontrent à Stanford en 1995. Ce sont deux passionnés de maths et d’informatique qui veulent passer leur doctorat alors que les autres étudiants partent majoritairement travailler dans la Silicon Valley, débauchés par les entreprises de la net économie.
Ils travaillent ensemble à l’invention d’un mode de classement des pages sur le web. Existaient jusqu’alors thesaurus et automatisme dans des domaines spécialisés avec beaucoup de bruit (résultats non pertinents). Leur invention consiste en un nouveau système de classement de pages par pertinence. Dès le départ, ils nouent des liens étroits avec la communauté scientifique. Google produit des problèmes qui intéressent les chercheurs (qui cherchent à les résoudre).
Sergeï Brin et Larry Page ont connu des circonstances favorables lors de la création et du développement de l’entreprise. Beaucoup d’informaticiens se sont retrouvés disponibles sur le marché du travail, à la suite de l’éclatement de la bulle internet. L’environnement juridique est particulièrement favorable : la clause de non-concurrence est interdite en Californie, ce qui favorise la circulation des idées. Les brevets publics ne sont publiés que plusieurs mois après leur dépôt.
Brin et Page ont de vraies qualités d’entrepreneurs : charisme, arrogance, ambition, passion, anticonformisme, amitié et confiance.
Le modèle économique de Google est bâti sur la gratuité pour l’utilisateur. On retrouve ce modèle sous diverses formes dans le monde économique. Dans tous les cas (médias, carte de crédit), les prestations sont proposées à deux types d’acteurs, annonceur et lecteur, client et commerçant... Tout l’art du management est alors de trouver le bon compromis le prix du produit et les ventes de prestations.
Le premier point avancé dans la philosophie de l’entreprise est : « Focus on the user ». D’où la volonté de faire des pubs les plus invisibles possible. Ce fut un coup de génie, car les pubs n’interfèrent pas avec les résultats, et le format impose des pubs informatives.
Le succès de la transaction autonome en ligne pour les annonceurs a deux raisons :
- la simplicité du processus, la qualité et convivialité des pages écran
- nous faisons plus confiance à des machines qu’à des hommes : Google a mimé le mécanisme qui dans nos relations avec les autres nous permet de construire la confiance : possibilité de faire un apprentissage, de miser d’abord un peu, de revenir en arrière en cas de déception, de procéder par séries d’essais et d’erreurs.
Par ailleurs, le fait de mettre en meilleure position les annonceurs qui rapportent le plus les incite à investir dans un apprentissage dont ils tirent directement profit.
Google a toujours refusé de devenir portail ou fournisseur de contenu bien qu’il y ait un marché pour les supports spécialisés dans la critique des produits de grande consommation, se positionnant comme un média indépendant.
Il fallait donc trouver des solutions pour ramener les internautes sur la page d’accueil :
1. Inciter les propriétaires de sites à glisser un outil de recherche dans leurs pages, ce qui assure une présence massive sur le web
2. Etendre les techniques de recherche à de nouveaux médias
3. Faire de la recherche l’outil autour duquel s’organise toutes les activités de
l’internaute.
Dans tous les cas, on retrouve des services qui exploitent, déclinent et organisent les possibilités du moteur de recherche.
Tout se passe comme si une meilleure connaissance des techniques d’interrogation incitait à rester fidèle au moteur de recherches utilisé.
Ce n’est que lorsque la clientèle a été constituée qu’ils se sont interrogés sur la manière de la rentabiliser. Ils ont suivi le même procédé pour construire l’organisation. Ils ont construit un système de gouvernance original qui leur a permis de développer des méthodes de management qui sortent de l’ordinaire.
Henri Fayol : « L’unité de commandement est une règle d’une nécessité générale et continuelle, dont l’influence sur la marche des affaires est au moins égale à celle de n’importe quel principe : si elle est violée, l’autorité est atteinte, la discipline compromise, l’ordre troublé, la subtilité menacée ».
L’efficacité paradoxale du triumvirat tient pour beaucoup, sans doute, à sa capacité à mettre un frein au développement excessif des egos de dirigeants qui ont très bien réussi. En les poussant à rechercher des positions d’influence, l’amour de soi contribue d’abord à leur succès, mais il peut aussi les amener à prendre leurs désirs pour des réalités et à commettre de grosses erreurs. Les actionnaires de Google attendent d’Eric Schmidt, recruté comme PDG, qu’il défende leurs intérêts, tandis que les utilisateurs mettent leur confiance dans la capacité de Brin et Page à résister aux pressions du marché.
Sous couvert d’améliorer les performances de l’entreprise, toutes les réflexions sur les systèmes de gouvernance accentuent les contrôles et limitent leurs marges de manœuvre. Les dirigeants de Google ont su trouver une formule qui leur conserve de larges marges d’autonomie tout en les mettant à l’abri de qques-uns des défauts les plus fréquents chez les dirigeants, dont celui qui consiste à s’entourer de collaborateurs dociles.
« Google ne veut recruter que les meilleurs » peut-on lire sur les pages du site consacrées au recrutement. Cet élitisme est à peu près identique chez Amazon et Microsoft. C’est le contexte très particulier d’une industrie informatique qui fait, lorsque la situation économique lui est favorable, le siège des universités pour embaucher des étudiants.
L’argent n’est pas le seul moteur des doctorants : ils l’ont prouvé en préférant leurs études à un emploi bien rémunéré. Ils sont donc plus motivés, plus rigoureux. Or les dirigeants de Google font plus que tout autre confiance aux maths et à la rationalité. L’expérience de leurs recherches leur a appris l’autonomie et l’innovation contrôlée (sujet de thèse dans un cadre).
La crise de la Net économie en 2001 a permis le recrutement d’excellents ingénieurs peu chers (payés en actions). L’importance du recrutement chez Google peut se mesurer : en 2005, 1 salarié sur 14 était employé au recrutement (1% dans les entreprises américaines traditionnelles). Dans une entreprise en croissance très rapide, la qualité du recrutement est primordiale. Augmentation des effectifs ne doit pas rimer avec dégradation du capital humain. Ram Shiram (un des premiers investisseurs de Google) : « Recrutez des cadors et ils recruteront d’autres cadors. Si vous recrutez des gens moins bons, ils recruteront des médiocres ou des mauvais ».
Google a développé son originalité dans le processus de recrutement avec l’organisation des entretiens, universités d’été, concours de maths… La gestion du processus de recrutement est organisée de manière industrielle (segmentation du recrutement). Le processus de sélection est le plus original : jusqu’à 8 entretiens par des pairs pour évaluer les capacités techniques du candidat, sa capacité à comprendre et résoudre les problèmes techniques de l’entreprise.
- il est flexible et ses effectifs varient rapidement en fonction de la demande
- les diplômes et titres universitaires sont utilisés pour évaluer les traits de personnalité : préférence pour le futur, rigueur dans le raisonnement, autonomie… alors qu’ils servent à mesurer les compétences techniques ailleurs
- les entretiens sont réservés à l’analyse des compétences techniques (tests de personnalité classiquement).
Recruter les meilleurs, c’est bien. Les garder, c’est mieux. Google fait confiance en la motivation intrinsèque des gens (proximité avec le monde Open Source).
Google a réinventé un mécanisme basé sur l’organisation du temps de travail des ingénieurs et développeurs, en place dans les centres de recherche de 3M, décrit en 1998 dans Wired, un journal que Page et Brin lisaient probablement :
- 80% du temps de travail est consacré à la mission pour laquelle ils sont payés
- 20% du temps de travail est dédié à des recherches personnelles.
On est dans la logique du salaire d’efficience (George Akerlof au début des années 80) comme variante du potlatch (don contre don) analysé par Marcel Mauss : les entreprises payent leurs salariés au-dessus du prix du marché parce qu’elles savent que les salariés feront des efforts supplémentaires pour les remercier de leur générosité. Le temps que Google donne à ses salariés lui est rendu sous forme d’informations, d’innovations et de contacts (ces 20% ne concernent pas les personnels administratifs).
Dans le même esprit, le cadre de travail mis à la disposition des salariés est un moyen de les faire rester plus longtemps en leur apportant une hygiène de vie.
L’équipe qui a développé un projet le présente pour validation à des collègues d’autres départements et pas à la hiérarchie. Ce groupe de collègues sélectionne les projets, arrête certaines recherches, etc. C’est une utilisation non académique des compétences qui favorise fortement l’implication des plus anciens ingénieurs dans ces groupes de travail.
Ces peer reviews aident à la création d’une hiérarchie parallèle basée sur la compétence technique et la réputation (transversalité). Eric Schmidt : « Si vous ne voulez pas perdre vos geeks, il faut trouver un moyen de leur offrir des promotions sans en faire des managers ».
Comment offrir des perspectives à des ingénieurs de haut niveau sans multiplier les positions de management qui les éloignent de ce qu’ils savent faire le mieux et bureaucratisent l’entreprise ?
Ce contrôle par les pairs est également un formidable vecteur de qualité. Les discussions approfondies entre collègues favorisent l’émergence d’un langage commun (indispensable en informatique).
Ce principe impose de rédiger la documentation en même temps qu’on écrit le code. C’est vrai pour les tests et tout le contrôle qualité aussi : il n’est plus confié à des spécialistes dans le cadre d’une division traditionnelle du travail, mais pris en charge par le communauté de travail, un peu à la Toyota.
Ce modèle de travail présente donc des avantages (qualité, échanges entre collègues, gestion de produits, très motivant), mais également des inconvénients (prend du temps et de l’énergie, développement de comportements politiques, clientèlisme, alliances entre experts).
L’innovation est un processus bureaucratique dans les grandes entreprises. Les propositions hors cadre stratégique sont retoquées. Cela évite aussi de sortir des innovations que l’entreprise serait incapable de commercialiser (risque).
La procédure est simplifiée chez Google qui privilègie deux critères : faisabilité technique et intérêt pour l’utilisateur. Des économies sont réalisées sur le travail préparatoire du dossier (réunions plus haut), le contrôle a priori est supprimé pour les projets réalisés dans le cadre des 20% du temps de travail alloués aux projets personnels. Les gains sont immédiats tant en terme de délais que de développement.
Les cercles de qualité japonais des années 70 insistaient déjà sur la capacité qu’a chaque collaborateur à contribuer au perfectionnement de l’outil de production (programmes avec primes pour les idées les plus originales ou les plus rentables).
Les collaborateurs participent au développement des produits chez Google, même alors que l’entreprise a grandi, grâce à :
- la règle de recrutement des meilleurs. Une direction accepte plus facilement des idées venues d’ingénieurs de haut niveau
- la légitimité de tous ces collaborateurs passionnés du web
- les réseaux de contacts que chacun entretient dans la Silicon Valley (observation de ce qui se passe dans toutes les start-up)
- la culture de l’honneur (trouver sa place dans la galerie des inventeurs du web)
- la circulation rapide des idées grâce à l’organisation qui favorise les contacts entre équipes qui travaillent sur des projets différents (utilisation des outils modernes, comme blogs, etc). Larry Page se serait investi personnellement dans la conception des bureaux : ils peuvent favoriser ce croisement des idées et expériences qui sont à l’origine de tant d’innovations.
L’organisation de Google permet d’aller très rapidement de l’idée à la réalisation, ce qui est un moteur puissant de la motivation.
Enfin, la sortie rapide des nouveautés segmente la clientèle simplement : les pionniers (passionnés, aventureux, compétents, tolérants) qui testent, essayent, critiquent et améliorent, et les autres. Les pionniers remplacent des chercheurs. C’est institutionnalisé via le Truster Tester Program (réservé aux proches des collaborateurs). Google applique la politique du
« release early, release often », inventée par ses tenants et notamment Linus Torvalds, créateur de Linux. Cette méthode permet à Google d’échapper à la bureaucratisation et de rentabiliser ses investissements en R&D.
Les entreprises les plus innovatrices ne sont pas toujours les plus rentables. Peter Drucker : « L’industrie informatique n’a pas fait un centime… Intel et Microsoft gagnent de l’argent, mais regardez tous ceux qui perdent de l’argent dans le monde. Il n’est pas sûr du tout que le solde de l’industrie soit positif ».
Si les entreprises veulent rentabiliser les investissements en R&D, il leur faut profiter pleinement des quelques mois pendant lesquels elles ont un plus par rapport à leurs concurrents. Pour cela, elles doivent investir massivement dans le marketing, la création d’une marque, d’un réseau commercial.
Google a su trouver un mécanisme qui lui permet de tirer parti de ses innovations, qui repose sur deux éléments : la vente de publicité et l’aide apportée aux innovateurs. En rachetant des entreprises et leurs innovations, Google est le premier à bénéficier d’une hausse de trafic qui serait autrement allée chez d’autres.
Une des forces de Google est donc sa capacité à introduire en permanence des nouveautés dans son offre sans pour autant mettre au rebut ce qui existe déjà.
L’étape suivante fut incarnée par Microsoft : profitant de la loi de Moore, Bill Gates a proposé à la planète la Ford T de bureau avec tous les accessoires. Mais là aussi : complexification, risque de régressions lors des évolutions, etc.
Le couteau suisse de Google rend chaque outil autonome. Il ne se substitue pas à l’existant, mais l’enrichit et le complète. Cette approche impose de développer des outils de petite taille. Elle permet aux utilisateurs de choisir les outils qui leur conviennent.
Chez Google, c’est la fonction recherche qui joue le rôle de l’articulation des outils du couteau (avec interface aussi simple et reconnaissable que le couteau rouge avec croix blanche).
L’offre de Google évolue depuis quelques années dans deux directions parallèles :
- l’amélioration et la segmentation de la recherche (sur mesure)
- le développement d’outils qui visent à faire de Google la base d’un poste de travail
La confiance dans les chiffres se manifeste partout : la politique tarifaire, les prises de décision, les échanges entre ingénieurs et les choix de dévelopement des produits nouveaux. La puissance de calcul est mise au service de la gestion la plus quotidienne. Les comportements des utilisateurs sont en permanence scrutés, analysés, traités. On ne se fie plus à l’intuition, mais aux données que l’on fait parler, que l’on explore pour mieux comprendre mais aussi prédire les comportements des utilisateurs. Les volumes importants de données manipulées permettent de segmenter très finement la population, de découvrir des niches qui seraient invisibles sur des échantillons plus étroits.
On rencontre ce genre de modèle chez Zara, H&M, Procter & Gamble, avec une double différence chez Google :
- Pas de centralisation à outrance : Google distribue largement les informations
La culture mathématique pousse à l’abstraction, à rechercher le général derrière le particulier. Google intéresse la communauté scientifique à ses problèmes, qui sont devenus des sujets de thèse pour des chercheurs.
Chez Google, rien ne peut être avancé qui ne s’appuie sur des données et ne puisse être prouvé. Cela évite les développements fumeux et erreurs de raisonnement les plus courantes : impression qu’un événement qu’on vient de découvrir est récent, qu’il se répète fréquemment, confusion classique entre volume et durée (l’augmentation du nombre de détenus dans les prisons s’explique par exemple par l’allongement de la durée des peines).
Dans un article publié dans la Harvard Business Review, Thomas Davenport cite plusieurs entreprises qui ont fait de l’analyse des données de leurs clients un outil stratégique majeur.
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Les études de « span of control » aboutissent au résultat suivant : la structure hiérarchique est efficace si elle se compose d’un manager au moins pour 7 salariés. Ce ratio n’est pas appliqué chez Google (il est de 1/20 fin 2005 et 1/40 fin 2004). Northcope Parkinson parle de la propension naturelle du management à gonfler inutilement les effectifs : « le volume de travail augmente avec le nombre de personnes pour le réaliser ». Brin et Page ont su limiter les coûts de coordination (réunions, rapports, négocier et expliquer les décisions, contrôle…) en jouant sur plusieurs paramètres comme la règle des 20% et surtout en créant des équipes de petite taille, très autonomes, en mettant à leur disposition des outils pour communiquer, échanger et partager.
Le coup de génie de Google a été de confier à de petites équipes des projets à objectif limité et échéance proche : rarement plus de 6 semaines. Ce modèle a d’autres avantages, comme d’améliorer la productivité et l’efficacité. En pratique, cela oblige :
- à se donner des échéances que la hiérarchie peut facilement contrôler
- à aller à l’essentiel (acheter un programme qui marche plutôt que de le réécrire)
- à pousser à l’économie de moyens.
Les petites équipes imposent de conserver une certaine polyvalence et permettent surtout de réduire les coûts de contrôle. Ils peuvent être allégés pour des salariés qui travaillent en petits groupes dont la mission est mieux définie et qui se surveillent mutuellement. Il est difficile de se comporter en « passager clandestin » quand chacun est sous le regard de ses collègues. La pression des pairs contribue au moins autant à l’efficacité de l’équipe que la supervision d’un manager contre lequel les collaborateurs peuvent se liguer.
Google a choisi des équipes de 3 à 6 personnes. Plusieurs études montrent que la pression des pairs dans les petites équipes est particulièrement efficace :
- les équipes fonctionnent d’autant mieux que leurs membres sont plus qualifiés
- une certaine hétérogénéité améliore les performances de l’équipe ; Google a fait le choix du métissage des expériences, des formations, des cultures
- la concurrence entre équipes améliore la productivité
- ces équipes sont d’autant plus efficaces qu’elles évitent de reconstituer en leur sein des structures hiérarchiques.
James D. Thompon identifie trois types de coordination possibles :
- le mode séquentiel basé sur la hiérarchie
- le mode réciproque qui repose sur des interactions constantes entre acteurs (médecin et infirmière dans un hôpital)
- le mode communautaire : les acteurs autonomes partagent des ressources communes (établissements scolaires).
En plus des infos classiques sur le personnel de l’entreprise, on trouve sur l’intranet de Google les compétences, les projets confiés, le contrat d’objectifs… Chacun sait tout de tout le monde ou presque.
Chaque fois qu’ils en ont l’occasion, les dirigeants de Google incitent leurs collaborateurs à utiliser les dernières technologies, commes les blogs. La coordination entre acteurs appartenant à des services différents se fait sans intervention de la hiérarchie. La relation étroite entre division du travail, structure hiérarchique et organisation peut sauter… En pratique, des groupes, des communautés se constituent pendant quelques jours, quelques semaines ou quelques mois, puis se défont lorsque le sujet perd de son actualité ou de son intérêt. Le bénéfice est immédiat :
- gain de temps
- qualité et profondeur d’une information extrêmement dense
- autonomie des acteurs
Chez Google, les communautés informelles qui se construisent dans toutes les entreprises sont outillées et mobilisées.
Superviser 20 ou 30 personnes plutôt que 7 ou 10 modifie les comportements. Plus question de contrôler le travail de ses collaborateurs dans le plus petit détail ! Le manager doit aller à l’essentiel : aux objectifs en amont, aux résultats en aval, ce qui impose un management plus rationnel que charismatique. Les entrepreneurs de la nouvelle économie renversent la tendance classique dans toutes les entreprises à associer savoir, vérité et position hiérarchique : plus on est élevé dans la hiérarchie, plus on sait officiellement de choses, plus ce que l’on dit a des chances d’être vrai ou du moins jugé comme tel. L’intuition, le flair, peuvent céder la place à l’analyse.
- Années 70 et 80 : l’arrivée des grands systèmes informatiques a conduit à centraliser la paie
- Années 80 : l’arrivée des PC personnels a favorisé une certaine décentralisation vers des managers de proximité
- Années 90 : les ERP regroupent et coordonnent
- Les réseaux informatiques servent maintenant de modèles aux constructions
théoriques des entreprises en réseau.
Une part du succès de Google vient de sa capacité à inventer ou mettre en œuvre un système de production très puissant que ses concurrents ne peuvent pas copier, tout simplement parce que c’est le secret le mieux gardé de l’entreprise.
De la contrainte de capacité informatique énorme, Google fait un atout en empilant des grandes quantités de PC bas de gamme. La redondance est rapidement devenue une des pièces maîtresses de l’usine qu’ils allaient construire ; la solution pour faire tenir tous les PC dans un lieu : des armoires toutes simples qu’on peut déplacer. Plutôt que de confier l’informatique distribuée (gestion des réseaux) à un informaticien prisonnier des modèles d’hier, ils ont recruté un médecin, Jim Reese, neurochirurgien qui s’intéresse à l’informatique médicale, pour appliquer aux problèmes rencontrés des modèles empruntés à ce que l’on sait de l’organisation de la matière cérébrale. Toute cette usine est basée sur une « killer application » développée en interne qui permet de sécuriser les données et le réseau, faciliter maintenance et évolutions, optimiser la production et réduire les coûts.
On peut constituer rapidement une armée de PC avec de l’argent, mais on peut beaucoup plus difficilement mettre rapidement au point un système de gestion de ces machines. C’est donc cette spécificité qui constitue une barrière à l’entrée importante. Google a intégré les technologies et innovations venues d’autres domaines.
Les conflits entre commerciaux et équipes marketing n’existent pas (l’information produite par le client arrive directement, les tensions entre commerciaux qui veulent vendre les produits qui partent vite et le marketing ceux à forte marge n’ont pas lieu d’être).
Cette automatisation lève également un obstacle indirect à l’innovation en rendant inutile la formation des commerciaux aux nouveaux produits. Elle modifie également les stratégies d’acteurs :
- rend inutiles toutes les tactiques qui consistent à avancer ou retarder un achat
- réduit les effets pervers des rémunérations flexibles
Donc elle atténue les variations d’activité et lisse les cycles.
Cette automatisation est ce qui met le plus sûrement les responsables de l’entreprise à l’écoute de ses clients et utilisateurs. Elle élimine les biais des sondages et de compte-rendus de commerciaux.
Le traitement de la déception du client passe du domaine privé au domaine public (blogs). Le client exerce sur l’entreprise une pression beaucoup plus forte. Le revers de cette automatisation de la relation commerciale est l’émergence d’un pouvoir des consommateurs.
On ne connaissait pas jusqu’à présent d’entreprise en permanence sous le regard de milliers d’observateurs partout dans le monde. Chaque fois que Google est cité quelque part, il y a de bonnes chances qu’un des observateurs en fasse part aux membres de son groupe… Google n’a pas à faire de communication lors d’un rachat d’entreprise par exemple.
Seuls 30% des blogs sont écrits en anglais. Il se crée une géographie de l’information un peu particulière, avec des zones d’ombre et terra incognita.
L’internaute n’est pas condamné à prendre pour argent comptant les infos : il a immédiatement accès aux sources, commentaires, critiques.
Le moteur de recherche s’est imposé rapidement grâce à ces communautés, véritables viviers de compétences où puiser des collaborateurs. Les tendances sont là, à l’état brut, dans les conversations qui évaluent les innovations.
Sur la diffusion des innovations, la courbe de Rogers a vieilli… Franck Bass, souvent présenté comme le fondateur du marketing scientifique, a développé un autre modèle qui repose sur trois éléments : la taille du marché, le coefficient d’innovation et le coefficient d’imitation. Les coefficients sont variables. Basss introduit les notions de compétences, d’apprentissage et de durée. Les communautés ont tiré la courbe de Rogers vers le haut et la gauche : les leaders d’opinion sont plus nombreux et la profondeur de leur réseau social plus grande.
La notion de conformisme remplace dans certaines évolutions de ce modèle la notion d’apprentissage. Elle explique que ce ne sont pas les meilleurs produits qui marchent.
Une dimension psychologique, propension à consommer, à acheter, a également été ajoutée au modèle pour améliorer sa qualité prédictive… Certains pionniers n’ont pas peur du risque, mais se rapprochent, s’informent mutuellement. Les communautés réduisent le risque. Les communautés ne se contentent pas d’accélérer l’adoption d’innovations, elles contribuent à créer des positions dominantes. Mais la multiplication d’échanges entre pionniers favorise la sélection des meilleures solutions et évite le développement des produits médiocres.
Ces communautés ont construit autour de Google une surveillance de tous les instants :
- sur les produits dans la tradition de l’Open Source : toute innovation fait l’objet de discussions approfondies
- sur la stratégie : pas une décision qui ne soit commentée, analysée…
Chaque jour, ingénieurs et managers reçoivent des revues détaillées de ce qui se dit sur le web de l’entreprise, de ses produits… de façon à corriger immédiatement les défauts. Analystes et journalistes lisent ces blogs. Les questions sur la stratégie ont fini par convaincre les dirigeants à afficher plus clairement leurs objectifs.
Ces communautés tiennent leur pouvoir d’influence grâce à leur pouvoir sur l’actif majeur de l’entreprise : sa réputation. Or une étude menée sur eBay a montré qu’une bonne réputation fait vendre plus et plus cher. D’autres études en tests à l’aveugle a montré une nette augmentation de la satisfaction client grâce à la bonne réputation de Google.
Les communautés n’ont pas de représentant élu dans les conseils d’administration, comme les actionnaires ou les salariés. Mais en donnant la parole aux consommateurs qui ne l’ont pas d’ordinaire, elles déplacent les lignes, modifient les équilibres et les rapports de force au sein même de l’entreprise, devenant une partie prenante à part entière.
Ces communautés interviennent dans le débat politique, en tant que réseaux de citoyens face au lobbying des industriels du câble et de la téléphonie par exemple (qui veulent réglementer l’activité sur le net).
On associe en général aux parties prenantes, stakeholders, la notion de propriété (d’une partie des actifs de l’entreprise, le capital pour les actionnaires, les compétences et savoir-faire pour les salariés). Ces communautés permettent aux clients et consommateurs de s’approprier cet autre actif immatériel qu’est la réputation ou plutôt, la marque.
Sur d’autres modèles économiques, journaux, télévisions, portails proposent des pubs contextualisées et adaptées au profil renseigné des internautes. Les pubs peuvent aussi être présentées dans un autre contexte (plus efficaces).
Les acteurs qui visent les gros annonceurs ont la faveur des professionnels de la pub. Enjeu : tout le marché des grandes marques. Doivent-elles se plier aux règles de Google ? Peuventelles s’en passer ?
Les grands opérateurs de réseaux voudraient bien reprendre la main. Google pourrait avoir à partager ses recettes avec les marchands de « tuyaux ». Les opérateurs ont besoin d’un changement de loi pour pouvoir choisir qui ils distribuent ou pour pratiquer des politiques tarifaires différenciées.
Sur les droits d’auteur et copyrights, le conflit est classique : on le voit à chaque fois que des « disruptive technologies » mettent au rebut des industries entières basées sur des technologies plus anciennes. Il oppose 2 modes de diffusion des œuvres. Dans le premier, les propriétaires des droits sont protégés et rémunérés, dans le second ils ne sont pas… encore.
De grandes marques ont déposé des plaintes contre Google pour utilisation frauduleuse de marques par des concurrents (l’enjeu est naturellement la valeur de ces marques). Les décisions judiciaires non homogènes obligeraient les marques mondiales à s’adapter à la situation.
Mais Google a déjà signé des accords avec la plupart des acteurs de la BI, Cognos, Business Objects… qui se sont spécialisés dans l’exploitation des données en entreprise. L’entreprise s’est assuré le soutien de Dell et Adobe et pourrait bénéficier de l’amertume de tous ceux que Microsoft a par le passé rudoyé.
Le projet de Google est mondial (40% CA hors USA), mais il se heurte à des résistances culturelles en Asie, Europe et Moyen-Orient : le refus de subir une représentation historique et culturelle du point de vue américain notamment.
D’immenses capacités de stockage sont nécessaires, notamment en vue du projet de numérisation des bibliothèques de Google. Les freins sont-ils seulement physiques ? Ils pourraient venir aussi du modèle de gestion des données, qui a sans doute ses limites.
Lesquelles ? Quand les atteindra-t-il ?
L’exploitation des données que les moteurs de recherche recueillent peut être sensible. Une étude (recherche) de Matta Security Limited sur la CIA a permis de trouver des infos confidentielles tout en respectant les législations…
Sur la protection des données privées, les Européens ont choisi de légiférer : une directive européenne de 1995 transposée en droit français en 2004 donne la possibilité aux citoyens d’accéder à leurs informations personnelles.
Les Américains, encouragés par l’industrie du marketing direct, ont choisi l’autorégulation. Qu’ils soient juristes, économistes ou experts des nouvelles technologies, les spécialistes américains hésitent aujourd’hui entre justice et marché. « Dès lors que nous admettons des droits de propriété, nous acceptons que des faits soient propriété personnelle et que leur propriétaire puisse mettre des restrictions à l’usage qu’on en fait » : Jessica Litman, professeur de droit à Détroit.
George Reyes, DAF de Google : « La fraude aux clics est la plus grande menace sur l’économie d’internet. Il faut faire quelque chose rapidement, car c’est une menace pour notre modèle économique. »
Eric Schmidt : « Le prix que l’annonceur est prêt à payer déclinera s’il découvre qu’il y a des clics frauduleux. Le système devrait se corriger de lui-même. » Yahoo ! et Microsoft sont confrontés au même problème et ont choisi de faire face. Ce que fait Google également (car des problèmes à court terme devraient surgir avant que l’annonceur ne s’en aperçoive).
La fraude au clic est une variante d’un phénomène plus général qui touche tout l’internet : le spam. Il est tentant de tromper les algorithmes de classement des résultats ou des pubs, aussi bien pour les annonceurs que leurs concurrents. Reste que l’on se trouve dans une situation inédite où le succès de l’entreprise incite ses clients à développer des techniques qui dégradent la qualité de ses performances. On savait que le vieillissement pouvait altérer les performances d’un produit, mais on est là beaucoup plus proche de la logique de la termite qui détruit lentement les armatures en bois dont elle se nourrit.
A modèle économique nouveau (basé sur la gratuité et les marchés à double versant), problèmes nouveaux : la gratuité conjuguée aux capacités limitées des machines peut conduire au rationnement. On reproche parfois à Google de fermer des marchés en multipliant les services sous forme bêta. Sa technique du rationnement l’amène, au contraire, à ouvrir des marchés et à abandonner de vastes espaces à ses concurrents. A terme, le rationnement menacerait l’une des grandes avancées du modèle : la connaissance directe des
comportements des utilisateurs.
Que se passera-t-il s’il apparaît que le trafic progresse plus rapidement en Asie qu’en Europe alors même qu’il apparaît que le CA réalisé avec les annonces croît plus vite en Europe ? L’entreprise subventionnera-t-elle le trafic asiatique avec les revenus européens ?
Acceptera-t-elle d’être un service public sur les marchés publicitaires les plus étroits ?
La machine a innover connaît également quelques ratés : les 20% du temps de travail des ingénieurs sur les projets personnels se transforment en 30% dans la réalité. L’augmentation du nombre de projets ne peut conduire qu’à en refuser de plus en plus, ce qui générera immanquablement une frustration chez les ingénieurs.
Les versions bêta permettent d’occuper le terrain avant que la concurrence n’ait eu le temps de s’imposer, mais elles peuvent également inciter Google à laisser en vie des produits médiocres, révélant ainsi l’existence d’une demande potentielle que d’autres vont satisfaire avec de meilleurs produits.
Les clients restent assez fidèles aux produits qu’ils connaissent. Google a des difficultés notables à s’imposer sur des marchés bien occupés par Microsoft ou Yahoo (cartes, finances, etc). La résistance de technologies médiocres n’est donc pas une surprise.
La structure en couteau suisse a aussi ses limites : dominer le marché de la recherche n’aide pas à construire des parts de marché ailleurs (contrairement à Microsoft qui piège les consommateurs avec des outils intégrés).
La GRH a permis d’attirer et de conserver un personnel de grande qualité. L’entreprise fait largement appel à la sous-traitance et l’intérim : cette structure rappelle le système des castes indiennes, faisant naître des conflits entre les enfants gâtés que sont les ingénieurs et les personnels administratifs ou commerciaux.
La multiplication de millionnaires dans l’entreprise pourrait être une source de dérives :
- délits d’initiés sur les ventes d’action ? (déclaration de vente à l’avance obligatoire)
- mais rien n’empêche de manipuler la communication de l’entreprise
- les ventes enverraient au marché des signaux négatifs, mais c’est un équilibrage de portefeuille
- facteurs psychologiques : les salariés sont plus sensibles aux risques que court l’entreprise
- les ventes ne modifient pas le rapport de force au sein du conseil d’administration
- ce faisant, les dirigeants se libèrent de la pression des marchés
- cet enrichissement rapide modifie le comportement des managers et de leurs
collaborateurs.
Par ailleurs, Google a créé une fondation : Google-org. Tout cela risque de détourner les dirigeants de l’entreprise de son quotidien. Certains partent en évoquant le besoin de souffler et de retrouver l’atmosphère des petites entreprises.
En résumé, les défis des prochaines années pour Google ne ressemblent que de loin à ceux des entreprises au mode d’organisation plus traditionnel.
Néanmoins, rarement entreprise aura autant fait appel au « capital social ». Google est aussi la première entreprise à avoir su tirer parti du développement de communautés de fans, d’observateurs, critiques autant qu’évangélistes.
L’histoire de Google met en évidence quelques-uns des problèmes qui intéressent toutes les entreprises :
système de gouvernance dans une entreprise en forte croissance
questions de personnel (motivations intrinsèques, petites équipes, contrôle des pairs, effets de réputation)
utilisation de la technologie pour résoudre des problèmes habituellement traités par hiérarchisation et division du travail
renouvellement de la relation avec des clients devenus acteurs à part entière grâce à la technologie (Google a éliminé ce qui dans l’organisation fait obstacle à la prééminence du client : conflits entre ceux qui rencontrent prospects et clients et ceux qui produisent et gèrent). Chacun est vraiment responsable des résultats.
Google est appelée à devenir un modèle pour beaucoup d’entreprises, mais son influence ira probablement bien au-delà. Dès lors que les clients ont la possibilité de se réunir en communautés, de s’exprimer, les entreprises seront amenées à changer de pratiques, à revoir leurs politiques de communication.
Les annonceurs demanderont rapidement aux médias de leur fournir des informations aussi fiables que celles que leur offre Google, et notamment de nouvelles manières de mesurer l’audience.
Quant aux salariés qui auront goûté aux avantages des petites équipes, hiérarchies allégées et coordination par la technologie, il en feront certainement des critères de choix de leur employeur là où le marché du travail leur sera favorable.
Au-delà, Google a probablement ouvert une voie dans la gestion des clients en communautés regroupées sur le web.
Enfin, les techniques de management des « travailleurs du savoir » de Peter Drucker devraient influencer durablement le marché du travail en rendant ces employés, dont on sait qu’ils deviennent une ressource rare, particulièrement exigeants.
Je regrette que Bernard Girard ne cherche pas à conceptualiser le nouveau modèle qu’il identifie chez Google. Il montre quels sont les éléments nouveaux séparément, mais ne les relie pas dans une théorie, même partielle, des organisations. Il n’explique pas non plus que ces éléments ne peuvent pas s’agréger pour former un modèle.
Il me semble qu’une analyse plus détaillée du mode de fonctionnement du triumvirat à la tête de l’entreprise, composé de Sergeï Brin, Larry Page et Eric Schmidt, aurait été particulièrement intéressante, dans la mesure où l’auteur revient sur tous les cas d’échec que l’Histoire permet de recenser, notamment au niveau politique.
Bien que Bernard Girard ne théorise pas ces évolutions et ne détaille pas les réorganisations nécessaires, on trouve dans le livre plusieurs éléments d’analyse intéressants. Il ressort clairement que les dirigeants fondateurs ont eu de la chance, ont bénéficié d’une conjoncture favorable et que, guidés par un projet d’entreprise fort, ils se sont adaptés naturellement à leur environnement très changeant. Ne mobilisant aucune des théories de l’organisation, le livre ne s’attarde jamais sur la construction des réponses aux problématiques concrètes de l’entreprise.
S’il fait quelques commentaires sur la nécessaire expression d’une stratégie, l’impact de la croissance sur les structures, l’utilisation de toutes les nouveautés dans les systèmes, il constate certaines formes d’organisation et l’innovation qu’elles peuvent représenter plus qu’il ne les explique.
On trouve d’ailleurs au fil des pages des éléments pour imaginer quels seront demain les modes d’exercice du leadership et du management dans des entreprises mondiales,
globalisées, aux structures décentralisées, aux prises avec le multiculturalisme, faisant évoluer leurs systèmes en permanence. A ce titre, Google est peut-être le lieu privilégié d’étude du rôle de l’innovation technologique sur l’organisation. Chaque innovation, qu’elle vienne de l’entreprise ou non, est intégrée dans son quotidien pour optimiser la production, les relations entre acteurs, etc.
En revanche, il insiste sur la valeur d’exemple d’une entreprise ayant particulièrement bien réussi en quelques années, ainsi que sur le respect de leurs valeurs par les dirigeants (malgré quelques entorses) qu’ils ont transformé en projet d’entreprise. Il convainc le lecteur que les modes de gestion de certains pans entiers des entreprises seront conduits à évoluer dans les années qui viennent (RH et relation client notamment).
L’ouvrage de Bernard Girard se place entre la vulgarisation et la théorisation. J’attendais sans doute l’auteur dans le monde 3 (connaissances objectives, celui des théories) de Karl Popper alors qu’il se positionne dans le monde 2 (expériences subjectives, processus mentaux).
Au final, le livre est intéressant, instructif, se trouve être un premier complément de « Google Story » de David-A Vise, et une porte d’entrée à une étude approfondie de l’entreprise, son projet, son modèle économique, mobilisant toutes les sciences de gestion, qui reste à réaliser.
Dorillou Bernard et Vincent Charles, Le client au cœur de l’organisation, Editions de l’organisation 2001
Drucker Peter, L’avenir du management, éditions Village Mondial 1999
Dupuy François, L’alchimie du changement - Problématique, étapes et mise en œuvre, Dunod 2001
Pesqueux Yvon, Durance Philippe, Apprentissage organisationnel, économie de la connaissance : mode ou modèle ?, Cahiers du LIPSOR série recherche n°6, septembre 2004
Pesqueux Yvon et Triboulois Bruno, La dérive organisationnelle – Peut-on encore conduire le changement ?, L’Harmattan, collection « Dynamiques d’entreprises » 2004
Vise David-A, Maniez Dominique, Google story, Dunod 2006