INTRODUCTION A LA
THEORIE DES ORGANISATIONS
François Pichault
INTRODUCTION A LA THEORIE DES ORGANISATIONS
Présentation
Le cours vise à introduire les étudiants à l'analyse des organisations modernes, à partir de l'examen d'un certain nombre de variables qui en caractérisent le fonctionnement: division et coordination du travail entre opérateurs, départementalisation, mécanismes de liaison entre unités, systèmes d'autorité et flux de communication formelle, systèmes de pouvoir et flux de communication informelle, processus de prise de décision et de définition des objectifs, type d'environnement, etc. Son ambition est à la fois descriptive (repérage de différentes formes organisationnelles sur base des variables sus-mentionnées) et explicative (initiation aux grands débats théoriques de la théorie contemporaine des organisations, à travers l’examen des perspectives rationnelle, contingente et politique). Il recourt à de nombreuses études de cas afin de concrétiser le propos.
Objectifs
Les principaux objectifs assignés au cours sont les suivants:
- proposer une initiation critique à un ensemble de notions et de modèles explicatifs habituellement utilisés en théorie des organisations;
- amener les étudiants à appliquer ces notions et modèles au diagnostic de situations organisationnelles concrètes.
Supports
Le support théorique du cours est l'ouvrage de J.NIZET et F.PICHAULT: Introduction à la théorie des configurations. Du “one best way” à la diversité organisationnelle,Québec/Bruxelles, Gaëtan Morin/De Boeck Université, 2001. Par ailleurs, les étudiants disposent ci-après d'un syllabus écrit, constitué de certains compléments théoriques et d'un dossier d’études de cas. Les deux supports (livre et syllabus) sont indispensables pour l’assimilation du cours.
Evaluation
Un examen écrit est organisé à la fin du 1er semestre: il est centré sur le diagnostic d'une situation concrète d’organisation, à partir d'une grille qui aura été élaborée et appliquée à plusieurs études de cas durant le cours. Pour les étudiants qui n'ont pas obtenu une note globale de 12 lors de cette première épreuve, un examen oral est prévu en 2e session: celui-ci aborde les grandes questions théoriques qui traversent l'ensemble du cours.
Plan du cours
INTRODUCTION (syllabus)
0.1. La théorie des organisations: objet ou point de vue?
0.2. La différence entre discours analytique et discours normatif
0.3. Description, compréhension, explication (déterminisme/interactionnisme)
0.4. Du manager au système d'action
0.5. Perspectives d’analyse du cours
CHAPITRE 1: C0OPERATION AU TRAVAIL
1. Division et coordination du travail des opérateurs
1.1. Division du travail entre opérateurs (verticale et horizontale)
1.2. Coordination du travail entre opérateurs
1.3. Modes d’organisation du travail (de l’OST au modèle californien)
2. Départementalisation, différenciation et liaison entre unités
2.1. Formes de départementalisation
2.1.1. Départementalisation par input et par output
2.1.2. Span of control
2.2. Différenciation horizontale et verticale
2.2.1. Les interdépendances entre flux de travail
2.2.2. Les interdépendances d’échelle
2.3. Mécanismes de liaison entre unités
2.4. Formes structurelles (en clocher, plane ou revitalisée)
CHAPITRE 2: ACTEURS ET POUVOIR
0. L’autorité et la communication formelle (syllabus)
0.1. Pouvoir et autorité
0.2. Les flux de communication formelle
0.2.1. Systèmes de flux formels
0.2.2. Les différents types de communication formelle et les structures
de réseaux
0.2.3. L’importance de la communication informelle
0.3. L'autorité: sources et conditions d’acceptation
1. Les typologies des acteurs
2. Les modalités de l’exercice du pouvoir (sources du pouvoir,pression et légitimation)
3. La localisation du pouvoir dans l’organisation3.1. Comment analyser la localisation du pouvoir?
3.1.1. Identifier les acteurs formellement habilités à prendre les décisions
3.1.2. Déterminer les acteurs qui influencent les processus de décision
3.2. Les systèmes d'influence
3.1.1. Le système de contrôle personnel
3.1.2. Le système de contrôle bureaucratique
3.1.3. Le système de contrôle idéologique
3.2.2. Le système des compétences spécialisées
3.2.5. Jeux politiques et effectivité des mécanismes de coordination
3.3. Relations entre coalitions d'intérêts internes et externes
4. Conflits et réactions aux conflits (syllabus)
CHAPITRE 3: PRISE DE DECISION ET OBJECTIFS
0. Le schéma classique du processus décisionnel (syllabus)
0.1. Exposé du schéma
0.2. Limitations psychologiques de la rationalité (cognitives et émotionnelles)
0.3. Limitations sociologiques de la rationalité
1. Les buts considérés isolément
1.1. Buts de mission et buts de système
1.2. Le degré d'opérationnalité des buts
1.3. Buts officiels et buts opérants
1.4. Buts spécifiques aux acteurs
2. Les rapports entre buts
2.1. Systèmes de buts intégrés
2.2. Systèmes de buts conflictuels
CHAPITRE 4: FACTEURS CONTEXTUELS
0. Contingence versus constructivisme
1. Age et taille
2. Technologie
2.1. La thèse de Woodward
2.2. Critiques et compléments
3. Marché
3.1. Degré de stabilité du marché
3.2. Degré de complexité du marché
3.3. Degré d’hostilité du marché
4. Culture nationale (syllabus)
CHAPITRE 5: LES CONFIGURATIONS
0. La délimitation de l’enveloppe organisationnelle
1. La configuration entrepreneuriale
2. La configuration missionnaire
3. La configuration mécaniste
3.1. Les caractéristiques générales de la configuration mécaniste
3.2. Les variantes de la configuration mécaniste
4. La configuration adhocratique
5. La configuration professionnelle
6. Synthèse des différentes configurations
7. Les hybrides
7.1. Configuration pure et hybride
7.2. Hybrides par juxtaposition et par superposition
7.3. Questions théoriques liées aux hybrides
8. Le changement organisationnel (théorie du “cycle de vie”) SYLLABUS COMPLEMENTAIRE
INTRODUCTION
0.1. La théorie des organisations: objet ou point de vue?
Un vieux débat, au sein des sciences humaines, oppose les partisans d'une définition des disciplines en termes d'objet et en termes de point de vue. Les premiers revendiquent, en quelque sorte, un “territoire” pour chaque discipline: la sociologie s’occuperait des groupes sociaux, la psychologie des individus, l’économie du marché, etc. Les seconds défendent au contraire le principe d'une spécificité du regard disciplinaire, indépendamment de l'objet envisagé. Ces derniers tendent à représenter aujourd'hui la position dominante. Selon une telle conception, la sociologie étudie n’importe quelle réalité par référence à des mécanismes sociaux (appartenance à des groupes, rapports de pouvoir, croyancs collectives, etc.); la psychologie peut étudier la même réalité, mais cette fois par référence à des mécanismes mentaux (processus cognitifs, affectifs, émotionnels, motivations, etc.); si l’économie s’attaque à son tour à cette réalité, elle se réfère quant à elle à des mécanismes de marché (minimisation des coûts, maximisation des gains, etc.).
0.2. La différence entre discours analytique et discours normatif
La théorie des organisations donne souvent lieu à des prolongements pratiques. Sans doute constitue-t-elle un corps de connaissances permettant de comprendre et d'expliquer le fonctionnement des organisations. Cet ensemble de connaissances est construit sur l'observation de situations concrètes, passées ou présentes (=modèles), mais n'a d'intérêt pour l'homme d'action (le gestionnaire) que dans la mesure où il comporte un aspect prédictif (du type “telle intervention amène tel résultat”) qui l'aidera dans son activité de manager.
Il s'agit donc de marquer clairement la frontière entre l'observation et l'analyse du fonctionnement des organisations (= niveau analytique), d'une part, et les principes que l'on entend préconiser pour atteindre tel ou tel objectif (= niveau normatif), d'autre part. Dans le premier cas, on cherche avant tout à décrire une réalité, afin de mieux la comprendre et surtout de l'expliquer le plus objectivement possible (voir point 0.3.). Dans le second, on se place au contraire sur un plan délibérément normatif, en recherchant ou en privilégiant certaines orientations d'action susceptibles de transformer la réalité existante.
Toutefois, cette différence de niveau ne justifie nullement la rupture que d'aucuns se plaisent à entretenir entre les deux sphères, prétextant que le gestionnaire et l'homme d'action, confrontés à des problèmes quotidiens immédiats, n'ont ni le temps ni les moyens de s'embarrasser de préalables théoriques. Nous restons persuadés que, quelle que soit sa nature, l'intervention en organisation ne peut se passer d'une compréhension raisonnée des contextes dans lesquels elle est appelée à opérer. Inversement, l'accumulation de connaissances sur le “facteur humain” dans l'organisation est inutile et vaine si elle ne peut déboucher sur une amélioration concrète des modes de gestion en vigueur.
Attention: la frontière entre niveaux analytique et normatif ne tient pas tant à une prétendue neutralité du chercheur qui disparaîtrait une fois qu'il se mue en consultant. Elle se réfère davantage, à notre avis, à l'orientation même de ses analyses dans la mesure où elles débouchent, une fois passé le cap du simple constat, sur la poursuite d'une certaine forme d'efficience organisationnelle.
0.3. Décrire, comprendre, expliquer
L’analyse d’une organisation —comme de n’importe quel autre objet social— peut être subdivisée en trois étapes: description, compréhension, explication.
Toute démarche scientifique débute par une tentative de description systématique de la réalité analysée, à l'aide d'outils statistiques, de monographies, de typologies, etc. Nous serons ainsi amenés à opérer certaines distinctions conceptuelles et à regrouper certains éléments à première vue disparates, afin d'aboutir à une appréhension plus fine du réel. Il faut bien reconnaître qu'une partie importante de la production actuelle des sciences humaines et des sciences de gestion se cantonne bien souvent à ce premier stade, en offrant tout au plus un dégrossissement de la réalité observée, sans faire appel à de véritables schémas explicatifs. Ces derniers sont pourtant le but ultime de toute analyse scientifique.
L'explication proprement dite consiste à établir des relations incertaines entre les phénomènes observés. Elle suppose donc le test d'une ou de plusieurs hypothèses, entendues comme des propositions douteuses, susceptibles d'être infirmées par les faits. La recherche de causes ne signifie pas nécessairement l'adoption d'un schéma de causalité linéaire. Comme le suggère Simiand (Le salaire, l’évolution sociale et la monnaie, Paris, Alcan, 1932, pp.15-25), puisque notre objectif est d'atteindre une connaissance raisonnée du réel, il convient d'y opérer une hiérarchisation entre causes et conditions, même dans les cas d'interdépendance où les faits reliés peuvent être tour à tour considérés comme variable explicative ou à expliquer. Les causes constituent, par rapport au fait étudié, les antécédents les plus proches, dont la relation au fait est considérée comme la plus générale (tout X est suivi de A) et pour lesquels la réciproque de cette relation demeure vraie (tout A est précédé de X). Les conditions apparaissent, en quelque sorte, comme des causes de second ordre, entretenant avec le fait étudié des relations de dépendance moins immédiates mais toujours significatives. Puisque nous tentons d'obtenir une représentation simplifiée de la réalité, il n'est pas nécessaire d'y faire figurer l'ensemble des éléments susceptibles d'être pris en considération. Parmi ceux-ci, l'explication vise à la fois à identifier une cause —ou un ensemble de causes— et des conditions qui s'y rapportent. Tout modèle élaboré en sciences humaines est donc nécessairement de nature probabiliste.
L'approche déterministe repose essentiellement sur deux postulats: tout fait social peut être expliqué par des phénomènes (a) qui lui sont antérieurs et (b) qui sont nécessairement extérieurs aux sujets impliqués dans l'apparition de ce fait. En d'autres termes, le fait social est le résultat d'un processus qu'il convient de reconstituer en examinant le contexte dans lequel il s'est développé; ce contexte prend le plus souvent la forme de contraintes sociales qui pèsent sur les velléités d'action individuelles.
L'approche interactionniste se base au contraire sur des phénomènes (a) qui se produisent simultanément au fait social étudié et (b) qui reflètent généralement les intentions des acteurs concernés. Plutôt que de retracer, pour chaque fait social, le processus qui a conduit à son émergence, on tâche ici de montrer dans quelle mesure il résulte de la combinaison d'actions simultanées, dont on entend dégager la “rationalité”.
0.4. Du manager au système d'action
0.4.1. L’étude du rôle des managers: de Fayol à Mintzberg
Au début du XXe siècle, les activités administratives commencent à prendre une certaine ampleur, mais leur prise en compte effective dans les pratiques managériales reste faible, tant l'attention des responsables continue à être centrée sur l'organisation des activités industrielles.
Quelques patrons “éclairés” prennent cependant conscience de la nécessité d'organiser de façon plus rigoureuse le développement des activités administratives. C'est vers cette époque qu'est publié le célèbre traité de Fayol (Administration industrielle et générale, 1916), énonçant un ensemble de règles relatives à la gestion des organisations.
Il distingue une série de fonctions (ensemble d'opérations de même nature):
a) les fonctions classiques
- techniques (production-transformation des biens et des services)
- commerciales (échanges de l'entreprise avec l'extérieur, achats et ventes)
- financières (recherche et gérance des capitaux)
- comptabilité (informations sur la situation économique de l'entreprise)
- sécurité (celle des installations et du personnel)
b) la fonction administrative proprement dite (ce qui est nouveau)
Fayol la définit par une série de tâches:
- prévoir
- commander
- organiser
- coordonner
- contrôler (concordance résultats/décisions)
Cette fonction administrative est diffuse dans l'organisation: tout membre participe à l'administration. L'importance de cette fonction varie cependant selon la position du membre que l'on considère: plus on se rapproche du sommet de la hiérarchie, plus elle prend de l'importance. Cela signifie que le top management a essentiellement des fonctions administratives.
- | planning | (=prévoir chez Fayol) |
- | organizing | (=construire d'une manière abstraite l'organigramme et sa charpente avec définition des différentes fonctions) |
- | staffing | (=recruter et former les personnes adéquates pour occuper les différentes fonctions) |
- | directing | (=commander chez Fayol) |
- | coordinating | (=coordonner chez Fayol) |
- | reporting | (=contrôler chez Fayol, c'est-à-dire l'ensemble des informations qui permettent le contrôle ou la reddition des comptes) |
- | budgeting | (=prévision budgétaire, une partie du planning en fait) |
On parle du POSDCORB d’Urwick. La seule nouveauté par rapport à Fayol est la distinction entre organizing (fonctions abstraites) et staffing (personnes dans les fonctions).
Les nouvelles orientations prônées par Fayol et Urwick se heurtent d'abord à de vives critiques avant d'être progressivement acceptées par les responsables managériaux. Il est vrai que plusieurs d'entre elles s'opposent nettement aux principes tayloriens, qui ont pourtant commencé à faire leurs preuves dans le monde industriel, mais dont l'entrée dans l'univers administratif ne s'opérera que bien plus tard.
Un des principes fondamentaux du fayolisme, qui sera repris plus tard par Urwick, est celui de l'unité de commandement: selon lui, l'organisation idéale devrait s'inspirer de la hiérarchie militaire où chaque maillon (chaque travailleur) n'a au-dessus de lui qu'un seul chef dont il reçoit les instructions et qui surveille le bon accomplissement de son travail. Les raisons invoquées sont plutôt d'ordre vaguement psychologique (la pluralité des ordres risque d'entraîner l'incohérence et l'incompréhension chez le subordonné).
O
O O
O O
O ————> O
X Y
A son tour, le taylorisme va petit à petit se développer dans le domaine administratif, même si ses origines sont d'abord à situer dans le secteur industriel.
En réalité, Taylor était préoccupé par l'organisation du travail en atelier et par l'improductivité du travail ouvrier (importance des temps morts et tendance à la flânerie). Il pensait qu'une partie importante des problèmes ainsi rencontrés provenaient d'un manque de communications entre travailleurs et patrons.
C'est sur cette base qu'il propose de rationaliser le travail ouvrier par l'étude systématique des temps et mouvements, qui permet de dégager une sorte de “modèle” de la meilleure manière de faire, établie “scientifiquement”. Cette méthode idéale doit pouvoir être clairement enseignée aux ouvriers et ceux-ci se verront alors proposer des standards —des normes de production— à atteindre.
La grande idée de Taylor est l'intervention du Bureau des Méthodes, échelon intermédiaire entre le chef d'atelier et le contremaître. Celui-ci est assisté par le Bureau, qui est chargé de la préparation du travail d'exécution (répartition entre les différents opérateurs, définition des procédures optimales et du temps nécessaire pour les accomplir, vérification du rythme et de la manière dont le travail a été effectué —à l'aide de fiches remplies quotidiennement— et rémunération des ouvriers) et son rôle est réduit à de la simple surveillance. L'intervention du Bureau des Méthodes repose donc sur le principe de la séparation radicale entre travail de conception et d'exécution: le travailleur ne pense pas, il a simplement à obéir à ce que l'on lui dit de faire. Par ailleurs, il ne s'agit pas d'en faire un spécialiste: au contraire, l'ouvrier doit n'avoir qu'un minimum de tâches à accomplir si bien que sa responsabilité en tant qu'exécutant ne porte que sur un minimum de gestes.
Le taylorisme continue aujourd'hui a exercer une forte influence sur l'organisation du travail industriel et administratif. Signalons le succès qu'il a connu également en URSS, où Lénine s'est montré un fervent admirateur de Taylor.
Ford va venir compléter le système taylorien en réussissant à articuler plus étroitement la sphère de la production et celle de la consommation (principe des salaires élevés donnés aux ouvriers pour qu'ils puissent racheter le surcroît de production obtenu grâce à l'élévation du rendement du travail ouvrier).
C'est Ford également qui va prôner l'introduction des chaînes de montage (avec le principe du convoyeur qui réduit encore davantage les gestes humains à accomplir: c'est à présent la machine qui apporte le matériau à l'homme et non l'homme qui va vers la machine). La chaîne de montage va encore accentuer la parcellisation des tâches de l'ouvrier.
L'ensemble des principes énoncés par Taylor et Ford portent le nom de scientific management. Notons qu'il s'agit de principes édictés par des hommes de terrain (ingénieur, industriel), qui sont les premiers à lancer les bases d'une “science” du management.
Weber s'intéresse essentiellement aux grandes organisations. Celles-ci ont tendance à se développer selon un modèle bureaucratique, dont Weber tente de dresser le type-idéal, et en estimant qu'il s'agit là de la tendance qui leur permet d'optimiser leurs performances.
Les membres de l'organisation bureaucratique sont des experts à temps plein: ce sont des gens formés, spécialisés dans leur fonction.
L'organisation bureaucratique se répand de plus en plus dans la vie sociale (administrations publiques, grandes entreprises, armée, Eglise, etc.). Seules les petites entreprises échappent encore à son emprise.
Toute la pensée classique en organisation —dont nous venons de présenter les principales orientations— repose sur des postulats rudimentaires, notamment dans le domaine psychologique:
1. l'homme est censé se comporter de manière logique et rationnelle, en adoptant un comportement d'optimisation;
2. l'opérateur n'agit qu'en réponse à des stimulants déterminés;
3. l'homme a une tendance naturelle à la paresse et il faut donc le superviser de manière assez stricte;
4. si un problème se pose, il y a nécessairement une solution meilleure que les autres pour le résoudre (hypothèse du one best way);
5. le rôle du chef est donc naturellement de rechercher la meilleure solution et de la mettre en oeuvre, la vie de l’organisation étant considérée comme la résultante de son action.
Durant l'entre-deux guerres, un certain nombre de psychologues sociaux ont commencé à s'intéresser de près aux problèmes du travail, surtout à la suite des nombreuses situations d'insatisfaction et de manque de motivation engendrées par le taylorisme.
On connaît tout d'abord les études de Hawthorne, qui ont marqué un pas décisif dans ce domaine. Un département de l'Université de Harvard, dirigé par E.Mayo, est contacté par les responsables de l'usine de Hawthorne, dans laquelle règne un climat social relativement satisfaisant, pour y étudier les moyens d'améliorer les performances. Une équipe de chercheurs y est envoyée, avec à sa tête Roethlisberger & Dickson.
En menant des enquêtes complémentaires dans certains ateliers, ils observent l'adoption, dans un groupe, de pratiques informelles qui ne correspondent pas aux procédures officielles. Ce groupe élabore ses propres normes en matière de productivité légèrement supérieures aux standards officiels (pour pouvoir constituer des réserves de manière à faire face aux coups durs ou aux brusques renforcements d'autorité —“vous n'avez pas atteint votre score”) mais sans exagérer car la direction s'en rendrait compte et en demanderait rapidement davantage (de plus, il ne faut pas léser ceux qui ne parviennent pas à suivre le rythme). Apparaissent donc des mécanismes d'auto-régulation informelle, en marge des normes officielles, et qui expriment une tendance spontanée du groupe à résister aux pressions extérieures. Cette observation a pu être reproduite dans d'autres contextes.
Parallèlement aux découvertes d'Hawthorne, les travaux de Kurt Lewin, disposant d'un gros programme de recherche en sciences sociales sur le leadership et le changement, vont contribuer à donner une impulsion décisive au mouvement des relations humaines dans l'entreprise. Lewin en arrive à montrer qu'un leadership démocratique ou participatif (où le leader discute avec les opérateurs des objectifs, des moyens à mettre en oeuvre, de la manière de distribuer le travail, etc.) est aussi efficace qu'un leadership autocratique (où seul le leader détermine les rôles, la manière de procéder, etc.) mais donne plus de satisfaction aux participants.
De la même manière, dans ses études sur les processus de changement, Lewin montre que celui-ci a plus de chances de bien s'opérer si les membres du groupe dans lequel il a lieu ont coopéré à la décision de changement; par ailleurs, il risque de donner de moins bons résultats si les participants en sont simplement informés.
L'insistance sur les normes de groupe informelles en matière de productivité et le leadership démocratique sont caractéristiques du mouvement des relations humaines. Il s'agit, en réalité, d'un mouvement très américain à l'origine. Il va se répandre en Europe dans les années '55-'60.
Différentes critiques ont été adressées à ce courant théorique.
Plusieurs auteurs ont montré que la principale faiblesse des relations humaines est de considérer l'organisation comme une système uniforme et fermé, sans interférences avec les phénomènes économiques et sociaux extérieurs. On a finalement remplacé un “one best way” par un autre. Là où le taylorisme ne voyait d’autre salut que dans l’optimisation des cadences, les relations humaines insistent sur la nécessaire prise en compte de la motivation des individus, seule garantie à leurs yeux du succès organisationnel. Mais de nombreux doutes se font jour à cet égard. Ainsi Clark Kerr observe-t-il qu’il n’y a aucune corrélation entre la fréquence des actions de grève et la pratique d'un leadership participatif ou autocratique. En réalité, beaucoup d'autres variables interviennent. Il y a des causes plus larges que les seules interactions à l'intérieur de l'entreprise pour expliquer le conflit: les structures économiques environnantes, les phénomènes idéologiques, l'ensemble du monde externe interviennent également à part entière.
D'autres critiques portent sur le caractère statique de l'analyse des relations humaines, qui ne tient pas compte des interactions liées au changement. L'aspect paternaliste est également fortement remis en cause. Mayo est effectivement un ethnologue qui a pu observer que dans les sociétés rurales, les élites prenaient en charge le développement social. A l'heure actuelle, les patrons devraient donc logiquement prendre le relais de ces élites traditionnelles déficientes!
De plus, certains chercheurs soulignent la non-reproductibilité de l'effet bénéfique du management participatif: parfois, il vaut mieux changer les situations que de tenter à tout prix de le faire avec les hommes!
S’opposant à toute la tradition classique et à son discours normatif, à la suite de certains théoriciens comme Simon, Mintzberg va privilégier une attitude beaucoup plus analytique. Au lieu de proposer le portrait idéal d’un chef planificateur, poursuivant l’efficacité (école classique) ou soucieux de faire participer et de valoriser le potentiel de ses hommes (école des relations humaines), Mintzberg va se décider à observer, durant de longues périodes, l’activité quotidienne de grands dirigeants. Pour l’essentiel, voici ce que ses observations lui ont montré (voir à ce sujet Aktouf, Le management: entre tradition et renouvellement, Boucherville, Gaëtan Morin, 1989):
— Le travail du gestionnaire n'est pas ordonné, continu et séquentiel, ni uniforme, ni homogène. Il est, bien au contraire, fragmenté, irrégulier, haché, extrêmement changeant et variable. Ce travail est aussi marqué par la brièveté : à peine le manager a-t-il fini une activité qu'il lui faut sauter à autre chose, et ainsi de suite sans arrêt.
— Le travail quotidien du dirigeant n'est pas une série d'actions issues de son initiative, de sa volonté transformée en décisions, après examen des situations. C'est bien plutôt une série ininterrompue de réactions à toutes sortes de sollicitations qui viennent du milieu environnant, soit externe soit interne.
— Le dirigeant passe plus des deux tiers de son temps en communication verbale, sous forme de discussions en face à face, de réunions, de coup de téléphone, etc.
— Le dirigeant est une sorte de point focal, d'interface ou de point de convergence entre plusieurs séries d'intervenants, internes et externes, dans la vie de l'organisation. Il doit constamment assurer, réaliser ou faciliter les interactions entre toutes ces catégories d'intervenants pour permettre le fonctionnement de l'entreprise.
Mintzberg a formulé, à partir de ses observations, ce qui va très rapidement assurer sa notoriété: les trois séries de rôles principaux, subdivisés en rôles secondaires, que le gestionnaire passe son temps à assumer. C'est ainsi que, nous dit-il, le manager remplit des rôles interpersonnels, des rôles informationnels et des rôles décisionnels.
Les rôles interpersonnels regroupent des rôles secondaires:
Le gestionnaire représente l'organisation dans toutes sortes de cérémonies, vis-à-vis des sollicitations externes, relevant de son statut de dirigeant et relatives à l'image de l'entreprise.
Le manager est celui qui motive ses troupes, qui les guide, qui galvanise ses collaborateurs, qui donne l'exemple.
Il crée et entretient des réseaux d'informateurs, participe à des conseils d'administration d'autres compagnies, est membre de différents clubs, assure la continuité et le développement de contacts nécessaires au meilleur fonctionnement de l'entreprise.
Les rôles informationnels se subdivisent en rôles:
Le gestionnaire recherche et reçoit toute information pertinente à la conduite de l'entreprise, à la meilleure connaissance de son environnement ou de l'impact de ses activités.
Il diffuse, à l'intérieur de l'organisation, les éléments pertinents de l'information reçue, s'assure que la bonne information va au bon destinataire, provoque les actes nécessaire à la meilleure exploitation des données en main.
Les rôles décisionnels son les rôles suivants:
Le gestionnaire est à l'affût, dans et hors de l'entreprise, des occasions d'expansion, d'amélioration et de lancement de projets nouveaux.
Il fait face à toute situation nouvelle, s'assure, à chaque fois où c'est nécessaire que des correctifs sont apportés et vérifie que les réactions aux situations de crise ou de perturbations sont appropriées.
Il veille à ce que chacun dispose, au moment voulu des moyens voulus pour réaliser sa part d'activité dans l'organisation. Dans la partie d'organisation qu'il dirige, il délivre les autorisations requises et approuve les programmes de travail.
Il prend part à toutes sortes de discussions devant engager son institution, la représenter, notamment vis-à-vis des partenaires et interlocuteurs externes.
Parallèlement à cette évolution vers des approches plus analytiques que normatives, de nouvelles conceptions vont voir le jour où l’organisation n'est plus vue comme la résultante de l'action d'un chef mais comme un système d'activités de deux ou plusieurs personnes, coordonnées en vue d'atteindre un même ensemble d’objectifs.
Dans cette perspective nouvelle, défendue notamment par un auteur comme Barnard, la fonction fondamentale du chef est de:
- fixer et maintenir un ou des objectifs communs;
- assurer la poursuite de ces objectifs par un système de communication adéquat;
- soutenir la contribution des membres par un équilibre entre rétributions et contributions, de façon à ce qu'ils continuent à participer à l'organisation.
La perspective est ici beaucoup plus sociologique puisqu'on y reconnaît d'emblée la dimension collective de l'action.
- en rapport réciproque avec son environnement, de tels échanges lui garantissant une certaine autonomie;
- formé de sous-systèmes en interaction, cette interdépendance lui assurant une certaine cohérence;
- subissant des modifications plus ou moins profondes dans le temps, tout en conservant une certaine permanence.
Un tel système est la plupart du temps finalisé (avoir un but) et hiérarchisé (avec certaines parties qui dépendent d'autres).
On appelle structure formelle le système établi dans l'intention explicite d'atteindre certains objectifs, qui dispose à la fois de règles (conçues pour prévoir et modeler le comportement des membres dans le sens de ces objectifs, qui ont donc une fonction coercitive) et d'un ensemble structuré de statuts reliés par des canaux de communication et des lignes hiérarchiques clairement définis.
Ce système formel est en fait largement dépendant du contexte dans lequel il se trouve: c’est ce que tenderont à établir les théoriciens de la contingence structurelle (Woodward, Burns et Stalker, Lawrence et Lorsch, etc.). Ecartant définitivement le principe du “one best way”, ces auteurs montrent que le contexte économique, culturel, technologique, dans lequel une organisation opère conditionne en grande partie son mode de fonctionnement. Pour le dirigeant, il ne s’agit plus en réalité que d’adapter la structure de son organisation aux contraintes du contexte, sous peine de voir ses performances diminuer. Son rôle s’efface donc sous le poids des déterminations de l’environnement.
0.5. Variables fondamentales et perspectives d’analyse du cours
On se souvient que Weber fut un des premiers auteurs à dresser une sorte de portrait idéal du fonctionnement des organisations bureaucratiques. Le modèle auquel il aboutit —qui est une représentation simplifiée de la réalité— comporte un certain nombre de variables, prenant certaines valeurs et s'articulant d'une manière “typique”. Il est clair, cependant, qu'aucune organisation concrète ne répond parfaitement à tous ces critères: la plupart du temps, elle s'en approche par certains aspects et s'en éloigne par d'autres.
Il s'agit en fait d'une méthodologie originale qui a été mise au point par Weber et qu'il qualifie d'idéal-typique. Le type idéal est une sorte de schéma conceptuel, construit à partir des tendances effectives que l'on peut observer, à des degrés divers, dans la réalité. Celles-ci sont extrapolées et amenées à une sorte d'état “pur” en fonction des objectifs que le chercheur assigne à son étude. Il s'agit donc d'une sorte d'étalon auquel on pourra rapporter le réel. La méthodologie idéaltypique opère en deux étapes qui doivent être clairement distinctes: dans un premier temps, on effectue un travail purement conceptuel de construction du type idéal; dans un deuxième temps, ce “tableau imaginaire” nous permet de retourner vers le réel et de mener notre investigation à l'aide d'un instrument de mesure. On pourra alors apprécier à quel point le réel effectif s'approche de ce modèle “pur”.
C'est une méthodologie analogue que nous allons appliquer au diagnostic des organisations. Weber a construit un type idéal concernant les organisations bureaucratiques, mais il s'agit seulement d'un cas de figure possible. Nous allons donc tenter, dans la suite du cours, de repérer les variables qui permettent de caractériser les diverses formes d'organisation en fonction des valeurs qu'elles prennent.
- un système d'action collective, dont le problème majeur consiste à définir les modes de coopération les plus efficaces entre ses membres;
- qui doit faire face à un environnement donné et établir avec lui des relations plus ou moins durables;
- qui est caractérisé par la poursuite de certains objectifs communs;
- qui est traversé par de multiples jeux de pouvoir entre ses membres dont l’adhésion est problématique dans la mesure où ils poursuivent leurs propres objectifs.
Plusieurs termes importants ressortent de cette définition et vont constituer les variables fondamentales des différents types idéaux d’organisation que nous distinguerons:
- les structures de coopération —ou de coordination— entre membres
(chapitre 1)
- le contexte dans lequel se situe l'organisation et avec lequel elle est en relation (chapitre 2);
- les objectifs dont la réalisation est poursuivie (chapitre 3); - les acteurs et leur pouvoir (chapitre 4).
Ces différentes variables renvoient en fait à des perspectives d’analyse très différentes, qui proviennent des diverses conceptions de l’organisation que nous avons exposées précédemment. Certaines d’entre elles présentent l’organisation comme la résultante de l’action d’un dirigeant qui conçoit et formule sa stratégie de façon optimale et ensuite la met en oeuvre: convenons de parler à ce sujet de la perspective rationnelle.
D’autres soulignent le poids des contraintes du contexte, auxquels le dirigeant doit adapter ses choix stratégiques, sous peine de voir les performances de l’organisation diminuer: il s’agit de la perspective contingente. Ces deux premières perspectives ont en commun de mettre l’accent sur les choix que le dirigeant doit poser pour assurer le fonctionnement optimal de son organisation.
Le cours s’organise à la fois autour des quatre variables fondamentales que nous avons énumérées, et des trois perspectives que nous venons d’esquisser. Les structures de coordination (chapitre 1) peuvent être vues, dans un premier temps, comme le reflet d’une volonté managériale (perspective rationnelle). Dans un second temps, elles doivent aussi être envisagées dans leurs interrelations avec les contraintes du contexte (perspective contingente): tel est l’objet du chapitre 2. Quant à la définition des objectifs et au pouvoir des acteurs (chapitres 3 et 4), ces variables renvoient indiscutablement à la perspective politique. Le chapitre 5 tentera de proposer une articulation entre ces différentes perspectives.
CHAPITRE 2: ACTEURS ET POUVOIR
0. L’autorité et la communication formelle
D’une manière très générale, on peut définir le pouvoir comme une capacité d’influence sur autrui (nous reviendrons plus loin sur cette définition): le pouvoir suppose donc toujours l’existence d’une relation entre acteurs. Par contraste, l’autorité est un attribut: il s’agit d’un phénomène de croyance selon lequel une légitimité est accordée à celui ou celle qui en bénéficie ainsi qu’aux actions qu’il ou elle entreprend.
On a longtemps considéré que seule existait l'organisation officielle. Les études de Hawthorne et de Barnard ont cependant montré qu'il y avait aussi, dans toute organisation une vie informelle, liée au besoin de maintenir une identité, à l'adhésion des membres de l'organisation à un ensemble plus vaste, etc.
STRUCTURE | CONCEPTION CLASSIQUE | CONCEPTION MODERNE |
- FORMELLE | la ligne hiérarchique | la structure officielle |
- INFORMELLE | le reste | le pouvoir |
En réalité, il s'agit d'une opposition factice: quand des relations de pouvoir sont légitimées, elles entrent dans un système d'autorité et deviennent par conséquent formelles ou officielles. Mais elles engendrent ou stimulent à leur tour des relations conflictuelles informelles. Les structures formelles ou informelles se répondent donc et s'articulent sans cesse l'une à l'autre, de manière éminemment dynamique. Il est totalement artificiel de figer le système dans sa structure formelle.
La distinction formel/informel n'est proposée qu'à des fins purement analytiques mais il faut garder à l'esprit l'interdépendance effective entre ces deux types de structure. Convenons que la structure formelle renvoie à l'existence de règles ou de prescriptions écrites, qui constituent le cadre de l'action quotidienne des membres de l'organisation.
0.2.1. Systèmes de flux formels
L'organigramme est sans doute la première chose qu'on présente dans une firme comme moyen de mieux la connaître. Il n'est qu'une représentation du flux d'autorité qui permet de repérer la répartition officielle des fonctions, avec les liens de subordination et de travail: on observe ainsi qui est subordonné à qui et qui travaille avec qui, dans quel département. Il s'agit, la plupart du temps, d'une représentation trop fruste et simpliste pour obtenir une vision valable de la complexité organisationnelle.
Le flux de travail (work flow) est une autre manière d'aborder la structure formelle de l'organisation. Il s'agit de la séquence des travaux nécessaires pour qu'un input devienne un output. Dans une aciérie, le flux de travail se présente de la manière suivante:
Dans un hôpital, le flux de travail se présente de la manière suivante:
entrée du patient—>inscription—>consultation—>traitement éventuel —>paiement —>sortie
Dans une administration, le flux de travail se greffe sur le circuit suivi par les dossiers traités. Il ne s'agit pas d'un flux hiérarchique. Il peut faire l'objet d'un contrôle par la hiérarchie mais peut également avoir lieu sans relation avec la hiérarchie ni sans étapes hiérarchiques. Ce flux de travail, qui coexiste avec le flux d'autorité, est très important à observer dans la mesure où il conditionne les relations quotidiennes dans la vie des organisations.
L'analyse du flux de travail comporte deux étapes:
• la description du travail à effectuer et de la manière de le faire (qui fait quoi, avec quel outil et à quel moment?);
• l'étude des réglementations en vigueur, particulièrement dans le cadre des structures bureaucratiques.
La première phase suppose la description des postes de travail, même situés à des niveaux très hauts dans l'organisation, et non des fonctions (qui peuvent quant à elles être exercées par différents services et plusieurs personnes): elle suppose une analyse minutieuse des tâches affectées à chaque poste et pas seulement des tâches que les agents doivent accomplir selon les règles écrites en vigueur.
Mais cette description du poste de travail aboutit finalement au simple énoncé d'un ensemble de tâches et est donc sociologiquement assez pauvre. C'est la raison pour laquelle il semble plus intéressant de recourir à des notions comme celle de rôle et de statut, à partir de la position occupée dans la division du travail et dans un système de communication. Attention: il ne s'agit pas de notions formellement définies comme telles, mais plutôt de concepts qui nous permettent d'appréhender la réalité.
Quant au statut, il ne s'agit pas d'une notion juridique. Dans la plupart des organisations, le statut juridique n'est d'ailleurs pas clairement établi, sauf peutêtre dans les administrations publiques. Nous l’entendrons comme, d'une part, l'ensemble des droits, privilèges et immunités dont jouit une personne ainsi que, d'autre part, l'ensemble des devoirs, restrictions, limitations et prohibitions qui gouvernent ses attitudes.
Dans une organisation, le statut est lié à la position hiérarchique et à la compétence et peut être plus ou moins formalisé. A un extrême, le statut est très marqué: dans l'administration publique, l'Armée, l'Eglise, etc. Il se caractérise alors par un apparat institutionnel avec cérémonies d'intronisation, prestations de serment, insignes et habits distinctifs, etc. A l'autre, il est très peu marqué: groupements coopératifs, etc.
Le statut garantit une certaine stabilité psychologique des personnes: grâce à lui, tout n'est pas tout le temps remis en question. Il permet d'établir plus ou moins clairement où l'on se trouve, d'où vient la communication, etc. Certaines de ses manifestations empêchent cependant de mener à bien des projets de changement: ceux-ci risquent en effet de modifier le statut auquel les membres de l'organisation sont attachés et qu'ils vont tenter de défendre envers et contre tout.
0.2.2. Les différents types de communication formelle et les structures de réseaux
Les communications hiérarchiques ou descendantes (line) suivent, comme leur nom l’indiquent, la ligne hiérarchique. Elles constituent la base des relations entre un supérieur et ses subordonnés, dans le cadre de la supervision directe (le chef commande à X, Y et Z).
Mais à côté de la ligne hiérarchique proprement dite, nous avons également des communications de type fonctionnel (staff), par lesquelles se marque l’influence des analystes et autres experts.
L’influence de ces personnes en position de staff est non négligeable, même si elles ne font pas partie de la chaîne d’autorité hiérarchique. Leur pouvoir effectif contredit le principe de l'unité de commandement préconisé par Fayol. On parle alors d’une communication de type “hiérarchico-fonctionnel” (linestaff), qui combine le principe de la ligne hiérarchique avec la multiplication des interventions de spécialistes. Ce type de communication ne vas pas sans poser un certain nombre de problèmes. Il se peut, par exemple, que l'on rencontre des conflits entre les services de contrôle (en position fonctionnelle) et les responsables de services (en position hiérarchique vis-à-vis de leurs subordonnés). Dans ce cas, le travailleur risque de recevoir des directives ou des injonctions contradictoires de la part de son chef et de la part du service fonctionnel concerné. De plus, les objectifs des différents services en position fonctionnelle ne sont pas toujours les mêmes: les uns visant à contrôler les performances dans la perspective de l'accroissement de la productivité, les autres cherchant à faire respecter les règles élémentaires de protection du travail en vue de maintenir une certaine paix sociale dans l'organisation, etc. Autre cas: un Bureau des méthodes, situé dans la logique taylorienne, qui cherche à formaliser le travail d'exécution et n'entend pas que le travailleur participe au travail de conception et un service du personnel, sensibilisé par la question de la formation, qui met en place des initiatives allant dans un sens contraire aux interventions du premier, etc.
une fois que le mécontentement est exprimé, il est déjà quelque peu apaisé.
Officiellement, et sur le plan des principes, personne ne veut se montrer opposé à ce type de communication dans l'entreprise. Mais, dans les faits, de nombreuses difficultés apparaissent qui entravent leur bon fonctionnement.
1. Il y a d'abord une distance non négligeable entre la base et le sommet (problème des différences de statut dans l'organisation). Une telle distance sociale est perçue différemment selon la position que l'on occupe.
2. Les échelons intermédiaires jouent également un rôle de filtre dans la remontée de l'information utile et pertinente pour la direction: à chaque échelon, les acteurs tentent de maintenir leur monopole sur une “zone d'incertitude”, ce qui altère la communication.
Plusieurs “recettes” ont été imaginées pour améliorer ce type de communication: citons notamment la fameuse boîte à suggestions, où le personnel est invité à émettre des suggestions sur lesquelles la direction statue. Toutefois, de tels moyens ont rencontré plusieurs problèmes concrets lors de leur mise en oeuvre: faut-il stimuler ou non les suggestions par un système de récompenses?, quel doit être le rôle du supérieur immédiat (le contremaître) face à l'agent qui émet une suggestion?, etc.
Actuellement, les cercles de qualité et de progrès constituent une formule parfois plus efficace pour stimuler la communication du bas vers le haut ou de la périphérie vers le centre.
D'autres moyens parallèles par lesquels transitent les communications ascendantes peuvent être trouvés dans l'action de la délégation syndicale (exprimant les revendications de la base) ou l'intervention de représentants des travailleurs dans le conseil d'entreprise. Notons cependant que le conseil d'entreprise est également une voie privilégiée de transmission de l'information du haut vers le bas.
Il en va ainsi notamment du workflow, qui est la séquence des travaux depuis l'input initial jusqu'à la sortie du produit: il constitue un flux de communication à part entière, caractérisé par des contacts directs entre agents et plus ou moins encouragé par la direction sauf s'il n'apparaît pas possible de résoudre le problème de cette façon, auquel cas la communication doit remonter la ligne hiérarchique.
Un certain nombre de communications ont également lieu entre les services auxiliaires et leurs clients opérationnels. Ce type de communications représente l'essentiel des relations clients/fournisseurs: tel est le cas, le plus souvent, des services d'entretien, des pools de dactylographie, etc. Ces services occupent au fond une position de maîtrise sur des ressources rares. Ils sont au service des autres mais organisés de manière centralisée, pour des raisons essentiellement économiques (limitation du personnel nécessaire). Sans doute les responsables de ces services n'ont-ils généralement pas le statut suffisant pour imposer leurs vues aux autres services. Toutefois, la gestion des priorités et des urgences en leur sein devient souvent un enjeu stratégique dans leurs relations avec les autres services.
D’une façon générale, il y a beaucoup de chance de rencontrer de la communication latérale dès que l’on met en place dans l’organisation des dispositifs transversaux (groupes de projet, comités inter-départementaux, structure matricielle, etc.)
On a envisagé jusqu'ici des relations entre deux acteurs —qu'ils soient individuels ou collectifs. Mais la majorité des communications qui caractérisent la vie de l'organisation ne s'effectuent pas sur un mode aussi linéaire et simplifié, de personne à personne ou de groupe à groupe. La plupart des relations qui se nouent sur le lieu de travail apparaissent dans le cadre d'un travail collectif, dont la manifestation extérieure est la réunion. Toutefois, on parlera ici de communication collégiale au sens strict pour désigner les communications qui se nouent entre les membres d’un groupe appelés à participer à un processus de prise de décision.
Examinons les principaux avantages d'un tel mode de communication:
- il s’agit tout d’abord d’un puissant moyen de coordination entre décideurs, favorisant les échanges de connaissances et offrant la possibilité de corriger l'information des participants;
- les décisions ainsi adoptées prennent en compte, du moins en principe, les différents aspects d'un problème;
- ces décisions voient également leur légitimité renforcée: l'autorité qui s'exprime apparaît davantage impartiale: il ne s'agit pas de l'arbitraire d'un seul;
- la continuité de la gestion est par ailleurs garantie: il y a beaucoup de chances de rencontrer une certaine continuité dans les politiques mises en oeuvre, même dans le cas du départ ou de l’arrivée de personnages-clés;
Un certain nombre de désavantages sont néanmoins à pointer:
- le risque de dissolution des responsabilités;
- la longueur et la lenteur des procédures nécessaires;
- leur coût souvent élevé;
- le risque de renforcement du pouvoir des bons orateurs et de ceux qui savent manipuler.
Les relations entre le centre et la périphérie d’une organisation peuvent être organisées de différentes manières: il s’agit des réseaux de communication, caractérisés selon le type de communication dominant dans l’organisation.
Si la majorité des flux de communication descendent depuis le “sommet”, en passant par une série d’échelons intermédiaires (flux hiérarchiques), ou encore s’ils descendent et remontement directement de et vers un point central (communication à la fois descendante et ascendante), on parle de réseaux à structure centralisée: ce type de structure est en principe plus efficace pour régler rapidement des problèmes simples, même si cela peut engendrer certaines insatisfactions pour les partenaires de la périphérie. Il se justifie aussi davantage dans un environnement hostile.
0.2.3. L’importance de la communication informelle
On se souvient des expériences de Hawthorne qui ont permis de mettre en évidence l'importance des communications informelles entre membres d’une organisation, alors qu'elles ne sont pas prévues dans la structure officielle. Selon Barnard, de telles communications sont utiles dans la mesure où:
- elles correspondent à un besoin de communiquer des opérateurs qui leur permet de protéger, d'une certaine manière, l'intégrité de leur personnalité (même dans des situations de travail aliénantes)
- elles leur offrent la possibilité de mettre en évidence certains traits de leur caractère, de s'exprimer et de s'intégrer à des groupes plus vastes (fonction de socialisation);
- elles suppléent à l'insuffisance des communications formelles.
La tentation de nombreux responsables managériaux est de diminuer l’importance des communications informelles. Le développement des technologies de réseau permet aujourd’hui de formaliser de plus en plus les communications entre membres d’une organisation (messagerie électronique, etc.). Toutefois, il faut bien se rendre compte que la communication formelle ne représente qu’une part minime des échanges à l’intérieur d’une organisation, lesquels reflètent largement les jeux de pouvoir entre acteurs. Ceci explique l’échec ou le succès mitigé de nombreuses initiatives managériales cherchant à “officialiser” les communications informelles par le biais de cercles de qualité, de journaux d’entreprise, d’agendas électroniques, etc.
Weber propose de distinguer un certain nombre de fondements de l'autorité formelle (ou officielle):
2. l'autorité traditionnelle, basée sur la perpétuation de traditions immémoriales, non écrites, qui donnent d'emblée une légitimité à celui qui exerce le pouvoir; ainsi, l'adage suivant lequel “le roi est mort, vive le roi” traduit bien que peu importe la personnalité du roi, l'important est qu'il y en ait un pour poursuivre la tradition.
3. l'autorité rationnelle-légale se fonde sur la croyance en des lois et des règles découlant d'une loi fondamentale (constitutionnelle ou autre). Ces lois et règles déterminent qui a le pouvoir, comment il l'exerce, etc.
Certaines combinaisons peuvent avoir lieu entre ces trois types: ainsi, l'autorité rationnelle-légale, la plus fréquente dans nos démocraties occidentales (entreprises, administrations publiques, hôpitaux, etc.), peut se voir renforcée par la présence d'un leader charismatique, etc. Quant à l'autorité traditionnelle, elle est devenue aujourd'hui beaucoup plus rare.
A ces trois types classiques, on peut sans doute ajouter un quatrième, à la suite des travaux de Milgram sur la soumission à l'autorité: il pourrait se nommer “autorité scientifique” et serait basé sur la croyance en l'omniscience et la bonne foi du scientifique, dont la seule intervention dans un processus de décision suffirait à justifier les situations les plus extrêmes. Dans cette perspective, le recours croissant aux experts —psychologues, ergonomes, consultants en organisation, responsables de Bureaux des Méthodes, conseils en informatique, etc. — témoigne de la présence dans l'organisation d'une forme d'autorité qui ne relève pas exactement des trois types précédents.
Si l'autorité est légitime, parce que basée par exemple sur un fondement légal, elle n’est pas pour autant nécessairement acceptée. Or, l'autorité n'est effective que lorsqu'elle est acceptée.
Il est clair qu'on n'envisage pas ici le cas des institutions totalitaires mais celui d'organisations qui n'englobent pas toute la vie des membres. Les sources de satisfaction, pour les membres, sont les suivantes:
• leurs activités, ce qu'on leur demande d'effectuer, leur métier, leur rôle;
• leurs relations avec les autres membres (supérieurs, collègues, subordonnés);
• leur statut pécuniaire et social (considération sociale, prestige); • l'orientation générale de l'organisation (accord sur les buts pousuivis).
Ces satisfactions sont évaluées en regard de celles que l'on pourrait connaître ailleurs. Bien sûr, il faut se demander dans quelle mesure ces alternatives existent et si les membres de l'organisation les perçoivent et savent même qu'elles existent.
CHAPITRE 2: ACTEURS ET POUVOIR
4. Conflits et réactions aux conflits
En conséquence, le conflit entre intérêts divergents peut être vu comme un état normal de l'organisation. On peut cependant s'interroger sur la manière dont les responsables managériaux le gèrent au quotidien. Nous pouvons à cet égard nous référer aux travaux de March et Simon (1969) cherchant à repérer les diverses réactions managériales possibles face à l'apparition de conflits.
Les responsables de l'organisation peuvent tout d'abord tenter de venir à bout des situations conflictuelles en stimulant la recherche d'informations supplémentaires et de solutions nouvelles en vue de résoudre les problèmes qui semblent être à l'origine des conflits.
Ils peuvent aussi chercher à modifier les objectifs des membres de l'organisation, en les persuadant du bien-fondé de leurs propres positions.
Dans l'utilisation de la persuasion, il existe une croyance implicite selon laquelle, à un certain niveau, les objectifs sont communs et le désaccord au niveau des objectifs secondaires peut être transcendé par référence aux objectifs communs. On comptera moins sur le rassemblement d'informations que dans l'activité résolutoire ( ). Comme dans le cas de la résolution des problèmes, cependant, le phénomène de l'évocation jouera un rôle considérable —dans ce cas ce sera l'évocation de critères appropriés (c'est-à-dire d'objectifs que l'on n'avait pas encore fait rentrer en ligne de compte) (1969, p.128).
Une troisième stratégie possible est la pratique du marchandage, qui conduit à l'élaboration de compromis à plus ou moins long terme.
Enfin, les gestionnaires peuvent mettre en œuvre une méthode plus directement politique, en constituant des alliances stratégiques et des rapports de force unilatéraux vis-à-vis de certains groupes afin de faire triompher l'un ou l'autre point de vue.
Les deux premiers types de réaction sont de nature fondamentalement rationaliste: ils considèrent que les conflits, liés à l'existence d'objectifs individuels contradictoires, sont temporaires et peuvent toujours être dépassés. March et Simon les qualifient d'analytiques. Les deux derniers types font davantage appel à la stratégie de nature politique et reconnaissent le rôle déterminant des rapports de pouvoir entre individus ou entre groupes. Cette fois, le désaccord sur les objectifs est présenté comme une donnée structurelle qu'il est vain de chercher à éliminer ou à surmonter. Les stratégies politiques sont cependant plus rares dans la mesure où, comme le notent March et Simon, elles entraînent certaines conséquences négatives pour l'organisation:
En tant que processus de prise de décision, la négociation a des effets potentiellement destructeurs pour l'organisation. La négociation crée presque nécessairement des contraintes sur les systèmes de statuts et de pouvoir dans l'organisation. Si ceux qui sont formellement les plus puissants gagnent, la perception des différences de statuts et de pouvoirs dans l'organisation ( ) sera renforcée. S'ils n'ont pas gain de cause, leur position est affaiblie. En outre, la négociation reconnaît et légitime l'hétérogénéité des buts dans l'organisation (1969, p.129).
Tout en mobilisant des mécanismes de relations sociales différents, les réactions analytiques sont assez proches l'une de l'autre: les tentatives de persuasion ne recourent-elles pas souvent, en effet, à la sélection et à l'interprétation biaisée de l'information?
Quant aux deux réactions de type politique, elles se distinguent davantage dans la mesure où elles comportent des a priori sur le pouvoir des acteurs et leur capacité à mobiliser des ressources pertinentes. Si on recherche l'élaboration de compromis (attitude c), on suppose que la partie adverse acceptera d'accommoder quelque peu sa position, de “mettre de l'eau dans son vin”, de négocier. Le désaccord sur les objectifs demeure entier, mais il y a de bonnes raisons de penser que l'on se mettra d'accord sur une sorte de moyen terme où chacun y gagnera un peu, tout en devant céder du terrain. Si l'on recourt à l'établissement de rapports de force unilatéraux (attitude d), on suppose que la partie adverse ne cèdera pas et agitera constamment la menace d'un exit, appuyée notamment sur son expertise légitime. On tente alors de repérer les alliances possibles ou, à défaut, les oppositions à jouer.
CHAPITRE 3: PRISE DE DECISION ET OBJECTIFS
0. Le schéma classique du processus décisionnel
Le modèle rationaliste constitue sans doute l'une des perspectives les plus classiques pour étudier la question de la formation des décisions. Il se place délibérément sur un plan normatif, en proposant un schéma idéal de comportement pour les décideurs.
En outre, le décideur dispose d'outils d'évaluation efficaces qui l'aident à surveiller le bon accomplissement du processus — principe de contrôle — et à réviser en conséquence ses objectifs, les ressources affectées à la solution du problème ou la décision elle-même — principe de rétroaction.
Par ailleurs, le rationalisme postule que le pôle de décision est unique: soit parce que le gestionnaire est seul à décider, soit parce les divers intervenants dans la prise de décision (gestionnaires, ligne hiérarchique, technocrates, concepteurs de programmes, etc.) partagent fondamentalement les mêmes valeurs et les mêmes objectifs: on élimine d'emblée toute possibilité de conflit entre décideurs sur les objectifs à poursuivre. Ces derniers sont considérés comme donnés et restent inchangés de la formulation à l'implémentation et au contrôle — principe d'invariabilité des objectifs —: ils se ramènent, la plupart du temps, à la poursuite du profit.
Le schéma rationnel de la prise de décision est récapitulé à la figure 1. Il s'applique aussi bien aux décisions stratégiques (qui concernent l'ensemble de la vie de l'entreprise) qu'aux décisions opérationnelles.
Dans une telle perspective, la formation des stratégies est conçue comme un processus séquentiel dans lequel le décideur a pleine maîtrise sur l'élaboration de la décision proprement dite et sur son implémentation ultérieure, le suivi de cette dernière étant assuré par des outils d'évaluation sophistiqués.
Si des problèmes se posent au stade de l'implémentation (résistances au changement, par exemple), c'est qu'ils n'ont pas été correctement appréhendés a priori ou que l'analyse préalable des solutions possibles n'a pas été menée adéquatement. En principe, rappelons-le, tous les membres de l'organisation sont censés adhérer aux objectifs du décideur.
Si on adopte une vision analytique —et non normative— du processus de prise de décision, on est obligé de constater que le schéma présenté précédemment exige un certain nombre de conditions de la part du décideur:
• une connaissance précise des facteurs internes et extermes, de l'environnement, des ressources disponibles, etc.);
• une connaissance de l'ensemble des voies d'action possibles;
• une connaissance du futur, c'est-à-dire des effets de ces actions, marqués par l'automaticité, la probabilité ou l'incertitude;
• un système de choix cohérent (pour pouvoir comparer les solutions, il faut une échelle unique de référence, avec un principe de transitivié logique: si A>B, B>C, alors A>C. Mais peut-on comparer entre elles des valeurs aussi diverses que la rentabilité, le prestige, la sécurité personnelle ou la localisation géographique?);
• la volonté de rechercher la meilleure solution (optimisation).
Cela fait évidemment beaucoup de conditions. On peut considérer que ce schéma est utile pour explorer la forme des prises de décision dans l'entreprise ou chez le consommateur. Mais peut-on vraiment affirmer que l'acteur est toujours aussi pleinement rationnel et omniscient?
Beaucoup d'auteurs, en théorie des organisations, se sont basés sur un tel schéma. Des consultants continuent d'ailleurs aujourd'hui à inciter les managers à se comporter de cette manière: ce qui montre bien le caractère normatif du schéma.
L'homo oeconomicus est en effet censé disposer d'une information complète sur toutes les voies d'actions possibles et leurs effets, agir selon un système de valeurs cohérent et établi une fois pour toutes (fonction de préférence ou courbe d'indifférence) et adopter un comportement d'optimisation (maximisation du profit ou de l'utilité). En revanche, l'homme “organisationnel” de Simon dispose d'une information partielle sur les voies d'actions possibles et leurs effets, prend ses décisions en fonction de motivations variables et de ressources qui lui sont propres (certainement pas un système de valeur cohérent), sans grande cohérence et se caractérise par un comportement de simple satisfaction (il arrête ses recherches au moment où il a trouvé une solution satisfaisante par rapport au niveau d'aspiration qu'il s'est —consciemment ou inconsciemment— donné, souvent en fonction de son expérience passée). Il n'y a donc jamais d'inventaire de toutes les solutions possibles et optimisation de la sélection.
Plusieurs auteurs ont exploré la piste ouverte par Simon en matière de limitations à la rationalité. Voici quelques uns des modèles auxquels ils ont abouti:
• suboptimisation: le décideur est submergé par l'information et est pressé par le temps; il privilégie par conséquent certains objectifs et certaines informations une fois pour toutes;
• quasi-satisfaction: au lieu de se référer à un objectif, dépendant d'un certain niveau d'aspiration, on aurait tendance à se reporter à des règles “morales” simples qui existent dans le corps social et que l'on fait siennes, comme le respect de l'égalité, la privatisation ou, au contraire, la nationalisation, etc.
Ces éléments de réflexion ont été conceptualisés par Lindblom dans sa théorie de “l'incrémentalisme”: les chefs d'entreprise prennent des décisions qui améliorent ou corrigent des décisions antérieures, prises par d'autres, à la suite de multiples essais et erreurs. La première solution qui apparaît meilleure que les précédentes est choisie. C'est l'art du “muddling through”, la “débrouille” qui opère a posteriori. Il a montré qu'aucun administrateur ne peut appliquer sérieusement la méthode rationnelle, incarnée à l'époque par la recherche opérationnelle; qu'il pratique “instinctivement” une méthode de comparaison à la marge entre quelques solutions empiriques, tous fins et moyens confondus (niveau analytique); qu'il vaut mieux qu'il agisse de cette manière dans la mesure où il prend moins des risques (niveau normatif). Il s'attache donc à montrer la supériorité logique du modèle d'ajustement a posteriori sur le modèle de la rationalitéabsolue, a priori.
La rationalité est par ailleurs limitée également sur le plan émotionnel. La plupart des décisions sont en effet évaluées, par le décideur, en termes de risques à prendre. Sans doute s'agirait-il pour lui de mettre en oeuvre un processus heuristique: mais, comme le plus souvent, il ne dispose guère de temps, sa réaction “naturelle” est plutôt l'hypervigilance, qui peut alors donner lieu, soit au statu quo (il vaut mieux ne pas changer), soit à de soudaines prises de décision quelque peu insensées (under stress), dans une sorte de fuite en avant où il s'agit de faire quelque chose à tout prix. La décision est alors prise dans un climat de tension émotionnelle, qui conduit à décider n'importe quoi.
L'apport de ces analyses n'en a pas moins été capital dans la mesure où il a permis de prendre conscience du caractère relatif de la rationalité des acteurs. Il a d'ailleurs suscité de nombreuses recherches qui ont tenté de mieux cerner la pluralité des objectifs susceptibles d'apparaître dans la vie des organisations. Il a ainsi ouvert la porte à une réflexion fondamentale sur le caractère plus ou moins collectif de la prise de décision.
Dans la plupart des cas, le décideur n'est pas seul. Il convient en effet de prendre en considération le fait que le décideur peut se croire seul au moment du choix mais n'est en fait jamais seul car son choix est délimité, voire orienté:
a) en amont:
- par certaines décisions déjà prises, qui vont délimiter le cadre de sa propre décision
- par les acteurs qui vont tenter d'orienter cette décision
- par les acteurs qui vont la préparer (en éliminant certaines solutions)
- par les acteurs-relais qui transmettent l'information nécessaire avant de prendre la décisision (censure, déformation, etc.)
b) en aval:
- ceux qui vont exécuter la décision peuvent eux-mêmes décider d'exécuter ou non la décision; le décideur va être tenté d'anticiper l'attitude des exécutants (vont-ils ou non accepter d'exécuter telle décision?), cela signifie que sa décision est prise en fonction de ses informations sur les capacités et les motivations des exécutants potentiels.
La décision peut aussi explicitement émaner d'un groupe: se pose alors la question de la formation des décisions collégiales.
Certains théoriciens vont d’abord voir le P.D.G. comme une sorte de coordonnateur au sommet qui intègre les attentes des différents membres: il est chargé de fixer les buts communs, mais n'est pas libre de les fixer: il doit tenir compte des fournisseurs, des clients, des cadres, etc. Comme le suggère Barnard, le chef tente de maintenir l'équilibre organisationnel en négociant les objectifs avec les différents contributeurs. On peut encore signaler la théorie des équipes selon laquelle chaque membre est payé pour accepter les objectifs de l'organisation: il y a une sorte de contrat par lequel il accepte les objectifs fixés, une fois pour toutes, contre rémunération. Ce n’est donc plus ici le chef qui détermine seul les objectifs organisationnels: ceux-ci sont plutôt vus comme le résultat d’un consensus entre les différents membres de l’organisation.
L’étape ultérieure sera la prise en compte du caractère conflictuel de la prise de décision.Reprenant les critiques adressées par Simon à la théorie classique des organisations, Cyert et March (A Behavorial Theory of the Firm, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1963) mettent ainsi en évidence les tensions qui apparaissent nécessairement lors de la formulation des objectifs communs. Ces derniers ne peuvent pas être considérés comme la manifestation d'une rationalité unique et objective, formalisée par l'un ou l'autre expert (perspective “taylorienne”). Ils ne peuvent pas se ramener davantage à l'expression d'un choix majoritaire ou consensuel (perspective des “relations humaines”).
Dans ce dernier cas, on cherche avant tout à satisfaire les différents acteurs à tour de rôle: ceux qui gagnent aujourd'hui savent qu'ils devront céder du terrain demain. En réalité, on cherche à éviter l'incertitude par des ajustements à court terme (arrangements internes, ententes avec la concurrence pour un partage a priori des parts de marché, etc.). On recourt à des solutions simples, portant davantage sur les symptômes que sur les raisons profondes. On recourt de préférence à des solutions déjà pratiquées dans le passé (on a déjà fait cela, ça a marché), souvent à l'encontre des parties les plus faibles de l'organisation, ceux qui ne possèdent guère de pouvoir.
Beaucoup de critiques se sont élevées à l’encontre de cette vision “politique” du processus de prise de décision. Les choses se passent-elles ainsi dans la réalité? Un chercheur français, Tabatoni, s'est efforcé de résumer l'ouvrage de Cyert et March en une série de propositions qu'il a soumises à des gestionnaires de grandes firmes françaises et à des consultants. La plupart d'entre eux ont confirmé le diagnostic.
C'est donc en définissant le problème qu'on prend l'avantage de la décision, en veillant à rendre la solution choisie conforme à ses propres objectifs. Le financier tentera de poser le problème du changement technologique en termes de coûts, etc. Le processus de résolution de problèmes n'est donc pas un processus intellectuellement neutre, puisqu'on définit les problèmes conformément à ses propres intérêts. Plus on intervient tôt dans la prise de décision (en “amont”, c’est-à-dire au stade de la définition du problème), plus on a de chances de peser sur la suite du processus.
CHAPITRE 4: FACTEURS CONTEXTUELS
4. Culture nationale
L’idéal du bon comportement n’est plus l’exécution irréfléchie, automatique, des ordres et des règles, mais la capacité à travailler comme s’il n’y avait pas de supérieur hiérarchique pour indiquer la voie à suivre […]. Seuls sont efficaces les systèmes de gouvernement qui nous enjoignent d’être nousmêmes, de savoir employer nos propres compétences, notre propre intelligence, d’être capables d’auto-contrôle. Le management postdisciplinaire est une tentative pour forger une mentalité de masse qui économise au maximum le recours aux techniques coercitives traditionnelles (Ehrenberg, 1991, p.226).
Autre dimension culturelle repérée par Hofstede : la distance à l’autorité. Lorsque celle-ci est élevée, cela permet de justifier le recours à une forte différenciation verticale de la structure et à la départementalisation par input, ainsi que la centralisation de la prise de décisions (Hofstede, 1991, pp.35-37). Dans son étude comparative des cultures française, américaine et néérlandaise, d’Iribarne montre combien la France demeure ainsi la patrie de l’honneur, des rangs, des corps, etc. : cela se traduit par un modèle de gestion basé sur la stricte séparation entre le formel et l’informel, dans lequel une approche par contrats interpersonnels, du type M.B.O., s’avère difficilement concevable (1989, pp.95-96). Comme le soulignent Maurice, Sellier et Silvestre, dans leur célèbre enquête au sein de plusieurs dizaines d’établissements industriels en France et en Allemagne,
Enfin, l’attention portée au sens de ce que l'on fait, au climat social agréable, à l’épanouissement dans le travail, etc. —que l’auteur qualifie quelque peu maladroitement de « féminité » — conduira vraisemblablement à privilégier les buts de mission, les plus susceptibles de procurer une signification importante au travail effectué. A l’inverse, l’enquête d’Hofstede montre que les buts de système, plus égoïstes (croissance, efficience, etc.), se rencontrent davantage dans les cultures qu’il désigne comme « masculines », valorisant la réussite professionnelle, le défi, la performance, etc. (1991, p.94).
Il est certain, comme le note d’Iribarne (1998), que les relations entre cultures nationales et organisations sont sans doute beaucoup plus complexes et moins mécaniques que ne le suggèrent les résultats d’Hofstede, ce dernier n’hésitant pas à parler en termes de « programmation culturelle de l’esprit »
La continuité de chaque culture, alors même qu’elle est marquée par de multiples évolutions, vient de la stabilité du système d'oppositions fondamentales sur laquelle elle est construite […]. De manière générale, l’existence d’une continuité culturelle n’est nullement incompatible avec le caractère évolutif de l’organisation de la société. Elle correspond au fait que cette organisation prend sens dans des repères qui sont beaucoup plus stables qu’elle […]. La coexistence de l’unité d'une culture et de la variété des fonctionnements concrets d’organisations se comprend très bien, elle aussi, quand on comprend la culture comme référentiel de sens (d’Iribarne, 1998, pp.124-125).
Nous rejoignons ainsi une vision plus constructiviste, où la culture n'est pas un donné, mais un construit, forgé par les interactions entre acteurs.
2. L'actionnariat de la Chaîne est partagé entre trois frères: X, Y et Z. A la suite des difficultés qu'elle a rencontrées aux débuts des années '70 (avec le rétrécissement de la demande, rejaillissant sur ses marges bénéficiaires très étroites), elle rechercha des partenaires financiers. Un groupe suisse et une filiale de la Société Générale apportèrent les nouveaux moyens nécessaires, mais le frère aîné, X, par ailleurs PDG de la Chaîne, voulut préserver l'influence prépondérante de la famille, à qui appartient toujours la majorité des actions.
3. Quant à Y et Z, ils occupent respectivement les postes de directeur financier et de directeur commercial. Le directeur du personnel est entré en fonction plus récemment et a été engagé après un passage de plusieurs années par la recherche universitaire. Signalons que la direction commerciale et la direction du personnel sont chacune subdivisées en deux blocs: l'un pour les succursales situées au Nord du pays, l'autre pour celles situées au Sud.
4. Par ailleurs, les dirigeants de la firme ont créé un certain nombre de filiales: l'une spécialisée dans le conseil, l'installation et l'exploitation des systèmes informatiques, l'autre s'occupant essentiellement des transports de marchandises, etc. Ces filiales ont bien sûr comme principal client la Chaîne de Distribution, qui recourt à leurs services aussi bien pour la gestion informatique que pour le transport des marchandises du siège central vers les différentes succursales.
6. X est parvenu à créer dans la firme un véritable “esprit-maison”, qui se traduit par des rapports très personnalisés, où tout le monde tutoie tout le monde, y compris l'inférieur visà-vis de son supérieur hiérarchique. Différents moyens sont mis en oeuvre dans cette perspective: la publication d'une Gazette (journal d'entreprise, destiné à favoriser l'investissement de l'ensemble des travailleurs dans la défense des objectifs de la firme), la réalisation de films-vidéo fournissant informations commerciales et directives pour l'exécution du travail quotidien, et surtout la production d'un nombre considérable de notes de service, envoyées à chaque agent (à peu près 17 000 notes différentes par an, en moyenne!) et destinées à impliquer le personnel dans la réussite de la firme. La teneur de cet esprit-maison se dégage immédiatement d'une simple lecture de la Gazette:
7. Celui qui, chaque jour, est disposé à beaucoup travailler, à faire un maximum pour servir les clients-consommateurs, celui qui est disposé à cet effet à respecter des horaires difficiles, celui-là pourra faire partie de l'équipe ( ). Il est possible de garantir une sécurité et un avenir favorables à cette équipe, parce qu'elle joue bien le jeu. Elle n'admet que les bons joueurs (n° spécial, 25e année).
8. A nous de montrer que nous sommes capables, malgré nos défauts et nos erreurs, de propulser notre entreprise au premier rang, au profit de ses patrons sans doute, mais plus encore afin d'assurer notre sécurité d'emploi (décembre 1980).
9. Les administrateurs et les directeurs attendent de tous les membres du personnel qu'ils deviennent avec eux des “entrepreneurs”. Cela signifie travailler durement, penser positivement, oser prendre des risques et être ouvert aux changements nécessaires. Les récompenses iront dès lors à qui de droit (novembre 1983).
11. Les dirigeants tentent d'ailleurs de promouvoir certaines formules de participation des travailleurs à l'actionnariat de la firme: Si donc vous voulez devenir propriétaire d'une part de la firme dans les semaines qui viennent et si vous cherchez un bon placement qui sera d'un rendement élevé, vous pouvez décider d'acheter ces actions ( ). Si votre sensibilité sociale vous commande de faire autre chose que de vous lamenter ou de seriner toujours les mêmes refrains concernant l'emploi, vous pouvez contribuer à créer vraiment des emplois en investissant dans une entreprise commerciale ( ). Lorsque vous rentrerez chez vous le soir, la tête ou les jambes lourdes, vous pourrez vous consoler en pensant que vous avez travaillé aussi pour faire fructifier votre propre argent (extrait d'une note adressée à l'ensemble du personnel).
12. La participation des travailleurs est un leitmotiv dans la firme. Régulièrement, des réunions sont organisées avec des responsables de la direction du personnel pour que les travailleurs puissent exprimer leurs suggestions et leurs critiques. Mais il faut bien constater que le personnel est plutôt désabusé à l'égard de telles initiatives, dans la mesure où il a le sentiment d'y subir un endoctrinement. Pour la direction cependant, il s'agit de faire clairement prendre conscience à chacun que travailler dans la Chaîne, c'est comme vivre ensemble sur un même bateau.
14. L'esprit-maison se prolonge encore à travers l'organisation de nombreuses sessions de formation, souvent centrées sur le développement de la personnalité et destinées à “souder l'équipe”, selon les dires du directeur du personnel. Mais les résultats de ces sessions sont assez décevants: la plupart des stages sont raccourcis, surtout pour le personnel de vente, sous prétexte que “la meilleure formation est celle du terrain”. Seuls les cadres bénéficient de formations à part entière, destinées à renforcer la motivation de leurs subordonnés, à simplifier le travail de ces derniers, à gérer les conflits, etc.
15. La Chaîne a de tout temps travaillé avec l'informatique: d'abord avec un système de cartes perforées, ensuite avec un système de lecture optique. Aujourd'hui, les lecteurs optiques assurent l'enregistrement des mouvements de stocks (entrées et sorties de caisse); ils sont connectés à des mini-ordinateurs installés dans les différentes succursales, dont les informations sont à leur tour envoyées chaque soir, via le réseau téléphonique commuté ou sur un disque magnétique, à l'ordinateur central de la société. Le système de lecture optique —et même le système des cartes perforées qui l'a précédé— permettent de diminuer de façon drastique les frais de personnel. L'étiquetage des produits —qui occupe une partie importante du personnel employé dans la grande distribution et y représente, par conséquent, un coût relativement élevé— est ici rendu inutile. Une succursale peut donc fonctionner avec une vingtaine de travailleurs en moyenne, chiffre nettement inférieur à ce qui est habituellement observé dans les grandes surfaces analogues.
17. Dans chaque succursale, un système de roulement des tâches est mis en place. Les guichetiers d'une semaine effectuent la mise en rayon des marchandises la semaine suivante, puis la gestion des stocks. De nombreuses tâches sont donc adjointes à l'activité traditionnelle de caissier: encodage des demandes de réapprovisionnement, réassortiment des rayons aux heures “creuses”, saisie parallèle des états de stocks afin de pouvoir vérifier la concordance avec le montant des sorties à la caisse, etc.
18. Il est intéressant de noter qu'aucune classification des agents par type d'activité n'est en vigueur dans la Chaîne: chacun est censé être à même d'effectuer toutes les tâches. Dans ce contexte, il n'y a guère de possibilités de promotion, même barémique, puisque les diverses tâches au sein du magasin sont jugées équivalentes. Seuls le gérant et le second de magasin reçoivent davantage de responsabilités en matière de gestion: ils sont nommés à ce poste après une série d'entretiens approfondis avec le directeur du personnel, sans que leur ancienneté semble constituer un élément déterminant.
19. Néanmoins, il n'est pas rare que certains agents se voient confier des responsabilités spécifiques dans la gestion du magasin, sans que l'on sache toujours clairement les raisons qui ont présidé à leur sélection: l'un est plus spécialement affecté aux “Fruits et Légumes”, l'autre au “Non Food” (équipements électro-ménagers, etc.). Cette prise de responsabilité ne les dispense pas d'assumer l'ensemble des autres tâches: il leur est simplement demandé de se donner complètement dans la fonction qui leur est ainsi attribuée et de ne plus se sentir limité par la durée normale de travail. Cette formule assure l'identification plus étroite des intérêts du travailleur à ceux de l'entreprise, tout en assouplissant le cadre rigide des horaires de travail.
21. Toutefois, il faut avouer que le système de rémunération est assez difficile à comprendre pour le travailleur. Certes, le salaire de base apparaît plus élevé qu'ailleurs mais, en l'absence d'une classification de fonctions et vu le système de rotation des tâches, personne ne sait combien un travailleur peut gagner pour une fonction déterminée. D'autant plus que le partage semble difficile à établir entre ce qui est qualifié d'heures “tardives” (calculées par jour, après 18h) et les heures “supplémentaires” proprement dites (calculées par semaine, en surplus de la durée normale de travail), les premières étant évidemment moins bien payées que les secondes. Les syndicats réclament depuis longtemps qu'une heure à la fois tardive (après 18h) et supplémentaire (excédant la durée de travail réglementaire) bénéficie d'un double bonus alors que la direction entend plutôt considérer les heures ainsi prestées comme de simples heures tardives.
22. De plus, diverses primes viennent encore compliquer la lecture de la fiche de paie: primes de déplacement, de rendement, frais de voiture, formations à l'extérieur, récupérations de congés, etc. Par ailleurs, certains cadres ont bénéficié, tout un temps, d'avantages spéciaux: notamment des chèques-repas. Mais comme ceux-ci étaient échangés aux caisses contre de l'argent, le système perdit rapidement son caractère confidentiel et obligea la direction à l'abandonner, face aux protestations des opérateurs.
24. La procédure d'embauche dans la Chaîne est assez longue et complexe. L'appel aux candidatures se fait par voie d'affichage interne, de petites annonces dans la presse, de lettre aux anciens étudiants stagiaires, de notes envoyées aux écoles, etc. Le candidat doit d'abord remplir un formulaire de candidature qui, outre les questions traditionnelles relatives aux emplois précédents, à la qualification, à l'âge, etc., comprend certaines questions portant sur les sports pratiqués, sur les associations dont il est membre, etc. L'intérêt porté à la vie privée, et en particulier aux loisirs des agents, est manifeste au sein de la Chaîne. En témoigne la note suivante:
25. J'apprends que tu as été absent à deux reprises, au cours des six derniers mois, par suite de blessures occasionnées par des matches de football. Je ne peux absolument pas tolérer que ton hobby puisse nuire à l'exécution efficace de ton travail. C'est une question d'honnêteté à l'égard de la firme et de tes collègues. De plus, cela crée une mauvaise atmosphère de travail. Tu seras d'accord avec moi que le travail passe avant le délassement et que ton activité professionnelle ne peut pas souffrir de tes activités de loisirs (17/11/81).
26. Une fois le formulaire de candidature rempli, le candidat doit se présenter à trois entretiens de sélection mais la décision finale d'embauche appartient en principe au chef hiérarchique de l'unité concernée. Un tel système responsabilise le chef d'unité car on peut toujours lui demander des comptes au cas où les choix qu'il a opérés s'avèrent peu pertinents. Il existe cependant des contre-exemples: ainsi cette note émanant de X, le PDG, et signalant que “les fils et filles, beaux-fils et belles-filles des membres du personnel peuvent être recrutés après approbation du dossier par moi-même”.
28. La longueur de la procédure de recrutement et de sélection contraste avec la fréquence et la rapidité des mises à pied. A nouveau, seul le responsable hiérarchique de l'agent —et non le service du personnel— décide du licenciement éventuel. C'est en principe la mauvaise performance enregistrée au terminal (chiffre d'affaires moyen, nombre d'erreurs) qui sert de base de justification. Mais la décision du supérieur peut encore être motivée par un comportement qui risquerait de nuire au climat de travail ou au “bon fonctionnement” de l'équipe. Les syndicats parlent à ce sujet de pur arbitraire. Il n'est pas rare que des témoignages à charge de l'intéressé soient recueillis, voire sollicités, auprès de ses collègues. Le supérieur a d'ailleurs intérêt à agir de la sorte, puisqu'il sait qu'il peut très bien lui-même être sanctionné à cause du mauvais rendement de son équipe. L'insécurité est donc grande au sein de la firme et le taux de roulement très élevé, ce qui explique la faiblesse des mouvements revendicatifs.
30. Les dirigeants de la Chaîne n'hésitent pas non plus à recourir fréquemment aux heures supplémentaires (avec une moyenne de 9h/mois par travailleur). Les syndicats sont parvenus à calculer que si la durée conventionnelle de travail était strictement respectée, 412 emplois supplémentaires devraient être créés. Dans la même perspective, il est intéressant de noter que la planification des effectifs dans chaque succursale s'effectue uniquement sur base des prévisions en matière de chiffre d'affaires et de rendement moyen: si un surplus apparaît dans le personnel d'une succursale, il est mis à la disposition d'une autre succursale, en fonction de ses besoins.
31. Le contrat de travail reflète clairement cette volonté de souplesse. L'article 5 stipule, notamment, que “en cas de besoin, l'employeur pourra modifier les tâches définies cidessus, selon les nécessités du service et compte tenu des capacités physiques et mentales de la personne”. Quant à l'article 14, il annonce que “l'employé est tenu d'assurer toutes les autres prestations compatibles avec sa fonction, que l'employeur sera amené à lui demander pour les besoins de l'entreprise, sans que cela puisse avoir pour conséquence une dévalorisation de sa fonction principale”. Par ailleurs, les travailleurs à temps partiel doivent s'attendre à prester un horaire variable.
33. Vous pensez bien, ce sont des hommes, pas des robots! La gestion des horaires, elle est mieux faite par moi que par l'informatique. On peut toujours s'arranger quand un homme est malade ou fatigué. Mais tout cela n'apparaît pas dans l'horaire officiel qu'on nous fait faire sur l'ordinateur. De toute façon, l'ordinateur ne sait pas tenir compte de toutes les circonstances qui apparaissent dans le travail quotidien.
34. Notons encore que, dans la Chaîne, l'exécution de chaque type de tâche est codifiée de manière très stricte et que les manquements à la méthode officielle sont sévèrement sanctionnés. Ainsi, tout caissier doit-il décharger pièce par pièce le contenu du chariot de chaque client et le transférer dans un deuxième chariot, afin de mieux contrôler les fraudes éventuelles. Cependant, cette obligation est très peu respectée dans les faits. Particulièrement en période de forte affluence aux caisses et surtout lorsque les chariots ne sont pas trop chargés, la plupart des agents s'abstiennent de transvaser les marchandises: après tout, puisque leurs performances sont constamment comptabilisées, cela leur permet de gagner du temps. La pratique se déploie malgré la présence —continuellement rappelée dans les notes de service— d'inspecteurs anonymes dissimulés parmi la clientèle.
36. Toutefois, la réaction syndicale a été très vive lors de l'instauration de ce système. Il faut souligner que les représentants des travailleurs, appartenant aux deux principaux syndicats du pays, étaient parvenus, quelques mois plus tôt, à mobiliser les chercheurs de différentes universités pour dénoncer, dans un livre qui fit grand bruit dans la presse, certains abus liés à l'organisation du travail de la Chaîne. Plusieurs membres de la Fédération Belge de la Distribution, défenseur traditionnel des intérêts patronaux, s'en étaient même émus et avaient été jusqu'à manifester publiquement leur sympathie aux syndicats. Mais les dirigeants de la Chaîne et leurs actionnaires ont estimé qu'ils étaient victimes d'une action diffamatoire orchestrée par la concurrence et, après avoir porté plainte, ont obtenu gain de cause auprès des tribunaux compétents.
37. Quoi qu'il en soit, l'affaire avait partagé l'opinion et les syndicats étaient provisoirement en position de force pour négocier les modalités du contrôle de la productivité des caissiers. Le compromis auquel ont abouti les négociations maintient l'impression des temps les plus longs —afin de continuer à stimuler le rythme de travail des agents— mais sans possibilité de discriminer les performances individuelles. Toutefois, une mesure “personnalisée” des performances de chaque travailleur reste toujours possible sur le plan technique, chaque agent étant identifié par son numéro de code. Il suffit, pour s'en convaincre, de se référer aux listings imprimés automatiquement en cas d'erreurs de caisse: toutes les opérations y sont reprises et minutées, par code d'opérateur.
39. Quant à la direction, confrontée à cette situation dans de nombreuses succursales, elle tente de rappeler à chaque guichetier, par l'envoi de notes de service personnalisées, son devoir de loyauté envers l'entreprise en lui expliquant l'intérêt d'une gestion optimale de l'ouverture des caisses. Elle menace également les caissiers de contrôles-surprise effectués par des inspecteurs anonymes chargés de veiller à la stricte application des consignes.
40. Dans un tout autre domaine, signalons encore la méthode très originale de fixation des prix qui a été mise au point par la direction commerciale de la Chaîne. Une équipe d'une dizaine d'enquêtrices, travaillant chacune dans un secteur géographique déterminé, est chargée de fournir régulièrement des informations sur les prix proposés par les concurrents. Elles font chacune leurs emplettes dans d'autres grandes surfaces en suivant les indications d'un listing qui pointe les produits “à suivre”. Les enquêtrices cochent les articles où la concurrence propose des prix plus avantageux et envoient ces formulaires au siège central de la firme.
41. L'ensemble de ces informations y est enregistré chaque jour et le lendemain, l'ordinateur sort sur listing, pour les articles et dans les différents secteurs géographiques concernés, les deux prix les plus bas. Une équipe de reponsables est alors chargée de déterminer, pour chaque secteur —car la concurrence peut être plus ou moins vive selon le secteur considéré— les ajustements de prix à effectuer en fonction du prix d'achat du produit. Lorsque ces décisions sont prises, l'ordinateur imprime pendant la nuit les listings de prix réajustés ainsi que les étiquettes à afficher en rayon. Les nouvelles indications de prix sont envoyées le lendemain aux différents points de vente et actualisées dans la mémoire des mini-ordinateurs locaux.
1. Cette Agence de presse emploie environ 120 personnes, dont 75 journalistes. L'informatisation, entamée depuis 1985, fait une large place à l'utilisation des réseaux, que ce soit en mode local (système de traitement de texte intégré, géré par un ordinateur central) ou dans les relations avec l'extérieur (liaisons automatiques avec les agences de presse étrangères, terminaux portables connectés par ligne téléphonique à l'unité centrale).
4. A l'heure actuelle, la plupart des agences de presse internationales étant équipées debases techniques analogues, les informations sont désormais transmises de façon automatique et permanente, par l'intermédiaire de lignes louées. De plus, les journalistes attachés à l'Agence disposent de terminaux portables grâce auxquels les informations qu'ils ont récoltées sont aisément “déversées” dans l'unité centrale. Par ailleurs, le système intégré de traitement de texte prend en charge la transformation automatique des dépêches en mode télex, avant l'envoi aux rédactions des journaux quotidiens. De nombreuses retranscriptions sont donc ainsi évitées.
9. Il est toutefois intéressant d’observer que, dans les faits, la répartition des tâches entreles rédacteurs s'effectue aujourd’hui bien souvent en fonction de critères négociés au sein de chaque équipe (compétences personnelles, souhaits exprimés en début de journée, etc.). Cette organisation “clandestine”, qui relève presque du marchandage, offre aux différents partenaires la possibilité de maintenir ou de retrouver une zone de liberté dans la réalisation de leur travail.10. Pour les rédacteurs responsables, il s'agit au fond de reconstituer, de manière informelle, leurs anciennes prérogatives (le pouvoir de distribuer le travail aux rédacteurs). Ces prérogatives tendent, on l’a vu, à être progressivement éliminées dans le nouveau système de travail: leur rôle se limite en effet désormais à un travail de coordination, plus “technique” que “hiérarchique”. Le comportement qu'ils adoptent —en totale contradiction avec le rôle qu’ils sont pourtant invités à jouer vis-à-vis de leurs équipiers— les aide à retrouver une certaine marge de manoeuvre. De plus, il leur permet de se réserver la rédaction des textes de synthèse, activité plus valorisante qui s'effectue généralement en fin de journée, et de confier aux rédacteurs la mise en forme des informations brutes envoyées par les agences de presse ou les correspondants.
14. Par ailleurs, les rédacteurs ont à leur disposition une imprimante qui leur permet d'obtenir à tout moment une copie “papier” du texte qu'ils sont en train de traiter. En réalité, cette possibilité est fréquemment utilisée, particulièrement lorsqu'ils ont à rédiger une synthèse à partir de plusieurs dépêches et surtout lorsqu'ils ont à traduire un texte dans l'une des langues nationales. Dans ce dernier cas, il faut cependant noter que l'agent peut utiliser une fonction du système informatique qui lui permet de subdiviser l'écran en plusieurs zones afin de visualiser en parallèle le texte original et le résultat progressif de sa traduction. C'est l'argument de la complexité du travail à effectuer qui est invoqué pour justifier le dédoublement des supports et le recours à des pratiques manuscrites: les copies imprimées sont donc annotées avant la saisie proprement dite, ce qui ralentit considérablement le rythme de travail.
1. Numéro 65, rue des Clercs. De grands panneaux publicitaires encombrent le trottoir,dans des relents de poussière. Liberté a perdu sa vitrine où tournaient dignement, sous l'oeil des passants et des conducteurs de trams, les braves rotatives des années cinquante. Depuis mai 1990, le journal s'imprime, dans un nouvel habillage visuel, sur un matériel flambant neuf, qui a coûté 1,3 milliard de francs, dans un zoning des environs de la capitale.
2. Depuis cette date toutefois, Liberté (299 emplois, dont 114 journalistes, 75 administratifs et 110 techniciens) est déficitaire. Le conseil d'administration du groupe CECOPRESS, propriétaire du journal, vient de concocter un plan de redressement. Outre son édition matinale, Liberté fusionne ses multiples éditions de la journée en une seule, mise en librairie au plus tard à 6 heures. Le journal va également légèrement réduire son nombre de pages, resserrer les boulons dans les suppléments (culture, économie, temps libre) et comprimer les effectifs de journalistes en jouant sur les départs naturels.
4. Aujourd'hui, de plus en plus de journalistes se voient proposer un statut d'indépendant,qui les contraint à travailler à la prestation et à être rémunérés en conséquence. Aucun nouvel engagement n'a lieu. En cas de besoin, on recourt à des journalistes généralistes, rétribués pour la rédaction de "billets" sur des sujets divers qui leur sont imposés: le plus souvent, il s'agit de jeunes qui, tout en se plaignant des conditions dans lesquelles ils sont ainsi "exploités", sont forcés d'accepter ce statut d'indépendant (pigiste) plutôt que de subir le chômage. "A terme, déclare le responsable des pages politiques, il n'y aura plus ici que des techniciens et des administratifs, avec des nuées de pigistes aux alentours!".
5. "C'est bien plus une crise d'identité qu'une crise économique", résume un autre anciende la rédaction, grand spécialiste des pays de l'Est. Triste aboutissement de huit années très difficiles, pendant lesquelles le groupe CECOPRESS, propriétaire du journal, a été déchiré par les querelles d'actionnaires et l'instabilité de la gestion.
6. Le quotidien vendait encore 180.000 exemplaires en 1983. Il est passé sous la barre des150.000 cette année. De 1990 à 1991, l'érosion atteint presque 10%.
8. La démission en mai 1991 du directeur général du groupe, A.B., renforce les inquiétudes. Pourquoi a-t-il jeté l'éponge? Pour porter le chapeau du démarrage catastrophique de la nouvelle imprimerie, sans aucun doute. Mais, selon d'autres versions, également à la suite de divergences avec le reste du management du groupe. Il aurait voulu préserver coûte que coûte la rédaction, dans la mesure où il était persuadé que la finalité première d'un journal comme Liberté était de fournir une information de qualité. "A.B. a sous-estimé le degré de délabrement du journal lui-même", analyse élégamment une grande signature du quotidien.
9. Quoi qu'il en soit, les mesures de redressement étaient impérieuses: sur les 400 millionsde bénéfice consolidé qu'engrangeait le groupe dans la période faste, bon an mal an, le quotidien en apportait la moitié, l'autre part étant amenée par les toutes-boîtes du groupe. Liberté passant dans le rouge, c'est tout le groupe qui sera en perte d'une cinquantaine de millions pour 1991, d'autant que d'autres titres sont, eux aussi, en perte, tandis que l'unique périodique du groupevoit fondre ses lecteurs. Malgré les plans d'économies, CECOPRESS ne devrait pas retrouver le chemin des bénéfices avant 1994.
11. Quant aux journalistes, ils se montrent eux aussi très critiques à l'égard de la nouvelleimprimerie. Ils ne manquent pas de rappeler le démarrage pénible de celle-ci durant l'été 1990. "Les problèmes techniques ont coûté très cher, rappelle un responsable des problèmes politiques internationaux, parce que Liberté, bien souvent, n'arrivait pas à temps en librairie. C'est dur pour un quotidien qui réalise deux tiers de ses ventes au numéro et un tiers seulement par abonnement! C'est dur aussi, après coup, de rattraper des lecteurs qui ont perdu l'habitude de trouver leur quotidien en kiosque et se sont accoutumés à d'autres titres. Et pénible de garder des annonceurs publicitaires qui craignaient comme la peste que le journal, donc leur publicité, ne sorte jamais des rotatives ". Mais le plus difficile à supporter pour les journalistes était sans doute de s'apercevoir que leurs articles ne trouvaient pas l'écho qu'ils espèraient. "Un de ces jours maudits, se souvient une journaliste de l'équipe économique, nous avions trois scoops en page politique. Le journal n'est pas sorti. A la rédaction, certains avaient les larmes aux yeux".
12. L'affaire Hersant, les ratages de l'imprimerie, puis les restrictions: la rédaction est exténuée. "Après des années de réunionite, forcément, une certaine lassitude s'installe car on sent bien qu'on n'a plus rien à dire", soupire une tête pensante de la rédaction.
14. Dans la confusion actuelle, ni le management, ni la rédaction ne savent plus commentpositionner Liberté. La stratégie menée par A.B. consistait à prendre le marché en tenaille en assurant partout la présence de deux quotidiens du groupe CECOPRESS. Liberté en haut de gamme (un lectorat intellectuel, principalement dans le milieu des décideurs politiques et économiques) et, sur un créneau plus populaire, un quotidien régional comme Les Nouvelles.
15. Pour regagner le terrain perdu dans la capitale, Liberté tente de se repopulariser un brin: plusieurs articles à sensation ont d'ailleurs été publiés récemment, à propos d'une affaire de rapt d'enfant. "C'est une vue à court terme, s'irrite une belle plume du journal. L'évolution démographique est telle qu'inévitablement, le nombre de lecteurs va continuer à diminuer. Cela ne sert à rien de faire de la prostitution".
16. Mais les choses ne sont pas facilitées par une rédaction à qui le simple mot "marketing" fait peur "Nous aurions préféré supprimer toutes les éditions de la journée pour concentrer nos forces sur la seule édition du matin et faire vraiment du travail de qualité", raconte la responsable des pages sociales. Seulement voilà, les éditions de la journée représentent encore plus de 20.000 exemplaires diffusés: un bon septième des ventes totales. Le groupe Hersant, à Paris, a finalement décidé de maintenir une édition de journée, malgré le coût, pour des raisons stratégiques
18. Pour preuve de la perte de prépondérance de la rédaction: la nouvelle configuration del'équipe dirigeante. Finie l'époque où les journalistes élisaient des représentants qui participaient à des discussions informelles avec la direction afin de déterminer les grandes orientations du journal: aujourd'hui, c'est un comité de crise qui remet un avis sur toutes les décisions à prendre, depuis les choix de politique éditoriale jusqu'à la récente décision de rouvrir le centre de documentation au public externe. Ces avis sont transmis au conseil d'administration, qui prend les décisions effectives. Et c'est ensuite le rédacteur en chef de Liberté qui est chargé de les appliquer aussi bien aux journalistes, aux techniciens qu'au personnel administratif. Le rédacteur en chef agit donc au nom du C.A., en disposant de peu de marge de manoeuvre.
19. Le comité est présidé par l'héritier des fondateurs et actionnaire majoritaire qui fixel'agenda des réunions, organise les comptes-rendus, et dispose d'une enveloppe budgétaire pour mener à bien les missions qui lui sont confiées. Autour de la table se retrouvent également le secrétaire général, préposé aux diversifications audiovisuelles, le directeur financier, le rédacteur en chef de Liberté, et P.C., l'ancien patron des toutes-boîtes gratuits (un secteur dont le bénéfice est suffisant pour compenser les pertes des quotidiens), en qui beaucoup voient le nouvel homme fort du groupe. Il a la faveur de Robert Hersant, qui l'a d'ailleurs soutenu lorsqu'il s'est imposé dans le comité, au mépris de toutes les règles de promotion interne. Agé de 44 ans, économiste, brillant orateur, unanimement reconnu pour son dynamisme personnel, il occupe aujourd'hui le poste de directeur commercial et est mêlé de près à toutes les nouvelles initiatives du groupe. Le récent départ d'A.B. n'est évidemment pas sans rapport avec ce rôle grandissant de P.C.
21. Mais en 1983, lors de l'élection d'un administrateur, la branche majoritaire préfère choisir Robert Hersant, le magnat de la presse française, plutôt qu'un représentant familial de la minorité. S'ensuit un long feuilleton juridique qui rythme l'érosion des ventes.
22. Exit la minorité familiale, remplacée par Robert Hersant. Sans être associé à la gestionquotidienne, celui-ci est tenu au courant de l'évolution de CECOPRESS. P.C. se rend d'ailleurs régulièrement à Paris pour l'informer. En attendant que la situation exige de faire directement appel à son expérience du business de la presse?
23. Les changements d'actionnaires ne constituent d'ailleurs pas un douloureux privilègede CECOPRESS. Le concurrent direct de Liberté, le groupe INFOPRESSE, alimente la rumeur depuis quelques mois. Deux clans se partagent l'actionnariat à parts égales, et l'un d'eux cherche à se désengager. "La famille T. n'est pas vendeuse", affirme-t-on officiellement. Chez INFOPRESSE, on a toutefois donné quelques tours de vis aux budgets.
24. Ce chassé-croisé entre actionnaires familiaux et des groupes financiers et industrielssévit dans tout le pays. Une véritable maladie de la presse quotidienne ? Partout en Europe, les groupes familiaux abandonnent la partie, écrasés par la mauvaise conjoncture qui surgit au moment où la modernisation des journaux requiert de lourds investissements techniques. Mais, en Belgique, compte tenu de l'étroitesse d'un marché divisé de plus en deux zones linguistiques, ce virus pourrait bien être fatal si l'on n'y prend pas garde à temps.
2. Avant de donner leur démission à leur ancien employeur, ils parvinrent à persuader deux de leurs collègues, Marie Beaumont et Franck Rossi, de se joindre à eux et de devenir actionnaires minoritaires. Tandis que Walsh et Bridges avaient chacun 40% des parts de la nouvelle entreprise, Beaumont et Rossi en recevaient chacun 10%. Rossi était un rédacteur et auteur qui jouissait d'une très bonne réputation et Beaumont était considérée comme une excellente productrice de films et de vidéos.
3. Au début, leurs affaires n'ont pas été faciles et ils ont survécu grâce aux clients qui les avaient suivis lorsqu'ils avaient quitté l'autre entreprise. La concurrence était rude et leur ancienne firme semblait tout faire, de façon subtile, pour bloquer leur réussite. Cependant, ils ont beaucoup travaillé et leur réputation se mit à croître, en même temps que le nombre de leurs employés et leurs profits. A la fin de la deuxième année, les quatre associés gagnaient le double de leurs anciens salaires, tout en amassant un capital important. Selon eux, ils avaient choisi la bonne voie et auraient bientôt l'agence de leurs rêves. Ces premières années furent passionnantes.
(*) La présentation de ce cas est tirée de l'ouvrage de G.Morgan: Images de l'organisation, (trad. de l'anglais par S.Chevrier-Vouvé et M.Audet, Québec, Presses de l'Université Laval/Editions Eska, 1989, 556p.).
5. Au cours de la troisième année, cependant, les choses commencèrent à changer. Les longues heures et le rythme de Multicom finissaient par fatiguer Walsh et Bridges. L'un et l'autre avaient de lourdes obligations familiales et voulaient avoir plus de loisirs. Ils insistèrent de plus en plus sur la nécessité de “mieux s'organiser” afin de mieux contrôler le personnel et les activités du bureau qui, selon eux, étaient parfois bien près du désordre total. Quant à Beaumont et Rossi, tous deux célibataires et respectivement âgés de 30 et 31 ans —soit près de dix ans plus jeunes que les autres associés— ils aimaient ce style de vie et voulaient vraiment conserver à l'entreprise son caractère. Ils auraient été heureux d'assumer une plus grosse partie du travail et des responsabilités, en retour d'une augmentation de leur part de capital-actions, mais Walsh et Bridges hésitaient à leur accorder plus de contrôle.
7. Au cours de la quatrième année, les tensions augmentèrent et l'on en vint presque à la rupture. Les quatre associés avaient souvent de longues réunions concernant l'organisation du bureau et les différences d'opinion étaient plus marquées que jamais. Walsh et Bridges voulaient se diriger vers un mode d'organisation plus “systématique”, tandis que Beaumont et Rossi plaidaient pour le statu quo. Ces divergences avaient un impact sur les relations personnelles et sur la vie au bureau en général. Beaucoup de membres du personnel estimaient que Multicom risquait de perdre ce qui rendait l'entreprise unique en son genre et que travailler n'y était plus aussi agréable qu'avant.
8. Les quatre principaux associés percevaient ce changement et en discutaient fréquemment. Cependant, ils ne parvenaient pas à s'entendre sur ce qu'il fallait faire. Leur sentiment de frustration les amena à abandonner progressivement la règle d'or implicite qu'ils s'étaient donnée aux débuts de Multicom, selon laquelle les quatre associés participeraient à toutes les décisions importantes relatives à la politique générale de l'entreprise. Walsh et Bridges commencèrent à discuter entre eux et à penser que la seule chose possible était d'exercer pleinement leur autorité et de lancer un plan de réorganisation globale du bureau. Ils décidèrent d'en parler à Beaumont et Rossi lors d'une réunion dès le lendemain.
10. La semaine suivante, Walsh et Bridges convoquèrent tout le personnel pour lui expliquer leurs plans. Pratiquement, cela signifiait une définition plus claire des responsabilités de chacun (désormais codifiée dans un organigramme et un règlement d'ordre intérieur), une normalisation des règles concernant l'échange de personnel entre projets et un contrôle plus serré des conditions d'absence du personnel pendant les heures ouvrables. Ils proposèrent également un certain nombre de réformes allant dans le sens d'un renforcement des procédures administratives (justification des dépenses, rapports d'activité mensuels, description plus précise des tâches à accomplir, etc.).
11. Ce fut une réunion unique dans l'histoire de Multicom, tant par sa nature que par son atmosphère. Pendant des semaines on parla des différends entre les quatre associés et du souffle de changement qui semblait balayer le bureau. Bien que certains membres du personnel aient bien accueilli les changements proposés, d'autres ne les appréciaient pas du tout. Le personnel continua de travailler beaucoup, avec le sérieux et le souci de la qualité qu'exigeait le type de service fourni par Multicom, mais chacun savait bien que les choses n'étaient plus désormais comme avant; on ne travaillait plus, on ne s'amusait plus à la façon de Multicom.
12. Walsh et Bridges, quant à eux, étaient très satisfaits. Ils se sentaient en plus grande sécurité et pouvaient envisager le moment où ils se débarrasseraient d'une bonne partie de leurs contraintes et laisseraient fonctionner le bureau selon le système de travail qu'ils avaient mis au point.
14. Toutefois, grâce aux nombreux clients qu'elle avait réussi à fidéliser, Multicom a pu continuer à obtenir d'excellents résultats sur le plan financier, mais elle perdit graduellement sa réputation d'agence à la fine pointe de la nouveauté. On pouvait compter sur elle pour du travail solide, sérieux et à long terme, mais de l'avis de certains clients déçus, “cela manquait un peu d'originalité”.
15. La nouvelle entreprise de Beaumont et Rossi, Media 2000, hérita de nombreux clients de Multicom et, en adoptant le style organisationnel dont leur ancienne agence s'était faite la pionnière, ils créèrent de nouveau “une agence où l'on s'amuse”, qui finit par employer 80 personnes et qui eut bientôt la réputation d'une agence pleine de talent et de créativité. Beaumont et Rossi sont aujourd'hui heureux de la réputation de leur entreprise et de son succès financier et se rappellent de Multicom comme “d'un bel apprentissage”. En y repensant, ils estiment que leurs différences d'opinion avec Walsh et Bridges ont constitué un “coup de pot” qui les a incités à chercher des conditions de travail encore plus satisfaisantes et plus lucratives que celles dont ils bénéficiaient jusqu'alors.
1. Ce call-center, créé en 1992 dans la banlieue de Bruxelles est la filiale d’un groupe britannique. Il a connu, en quelques années, une croissance foudroyante de son chiffre d’affaires et de son personnel: de 40 collaborateurs en 1992 jusque 600 aujourd’hui et ce, malgré des horaires de travail atypiques (travail de nuit, le week-end, etc.), des conditions salariales très peu attractives et des exigences élevées en matière de flexibilité du temps de travail (disponibilité).
3. En plus de services classiques de télémarketing, le call-center prend en charge une partie importante des relations habituelles entre une société quelconque (appelée ici le client) et sa propre clientèle (appelés consommateurs finaux). Il joue donc une fonction d’intermédiation —voir la figure 1, où la relation (3) est remplacée par les relations (1) et (2)— que ce soit pour une très courte période (un week-end, par exemple, pour la présouscription, par les clients d’une banque, à un emprunt d’Etat lancé le lundi suivant) ou pour un terme plus long: cela dépend, en fait, de la stabilité relative des projets confiés au call-center. Un tel processus d’externalisation pourrait bel et bien s’apparenter au concept “d’entreprise virtuelle”, qui désigne un arrangement provisoire entre différentes entités, susceptible de disparaître juste après la fin du projet particulier qui les lie.
5. Les principales activités du call-center sont réparties en 3 départements: télémarketing national, télémarketing international, support technique. Ces trois départements entretiennent chacun des liens spécifiques avec le service de fulfilment, chargé des envois de documents et/ou d’échantillons de produits aux consommateurs.
6. Grâce à une base de données sophistiquées permettant une segmentation raffinée de la clientèle en groupes-cibles, le département du télémarketing national prend en charge diverses activités de prospection et de vente couvrant le marché de masse national, y compris les campagnes de “réponse directe” (prise de commandes après une émission de téléachat, après la publication d’annonces publicitaires, etc.). Il regroupe environ 200 employés, à faible qualification, mais capables de travailler simultanément sur différents projets: le fait de travailler sur plusieurs projets étant perçu par les téléopérateurs comme un facteur motivant, à la fois sur le plan de la diversification et de l’apprentissage. La plupart de ces projets sont caractérisés par une très grande volatilité, ce qui présuppose des opérateurs prêts à “bondir rapidement sur la balle”. Les équipes sont donc constamment remodelées en fonction de l’ampleur des projets qui émergent. La plupart de ceux-ci concernent des biens de grande consommation, qui ne nécessitent généralement aucune compétence technique, mais essentiellement des connaissances commerciales et une aptitude à opérer efficacement par téléphone. On se trouve ici face à une activité de télémarketing pur, où le travail des opérateurs consiste à informer le consommateur, à promouvoir, et surtout à vendre le produit.
8. Enfin, environ 100 personnes, très qualifiées, travaillent dans le département de support technique. Ils doivent faire état à la fois de connaissances techniques et linguistiques, puisqu’ici, tous les projets concernés sont localisés dans le domaine des technologies de l’information. De nouveau, aucune activité de vente directe n’est présente: les téléopérateurs doivent fournir une assistance technique aux consommateurs en répondant à leurs diverses demandes d’information concernant un produit particulier: installation d’un nouveau logiciel, problèmes de spécification ou de configuration, etc. Ils prennent en charge les activités de type “helpline” traditionnellement assurées par le fabricant d’équipements ou le fournisseur de logiciel. Etant donné le haut niveau de qualification requis, les projets sont nécessairement d’une durée minimale d’un an, le plus souvnt avec renouvellement tacite. Il n’est plus ici question de travailler sur plusieurs projets à la fois: les téléopérateurs sont désormais hyper-spécialisés.
9. Les interactions de chaque unité avec le département de fulfilment sont utilisées commemesure de leurs résultats respectifs: en effet, l’efficacité de leurs actions se reflète dans l’intensité du travail demandé au département de fulfilment (envoi de documents et/ou de produits au consommateur final).
10. On doit noter, cependant, que la subdivision officielle en trois départements opérationnels principaux est fortement remise en cause par les responsables de deépartement, étant donné que les distinctions ainsi introduites sont impossibles à maintenir dans le long terme, dans un contexte d’évolution incessante et de volatilité extrême des projets. Une autre structure organisationnelle devrait émerger dans un futur proche, davantage centrée sur le type de produits concernés et/ou le type de marché visé.
12. Ces différents responsables se réunissent par département au minimum une fois parsemaine, souvent en collaboration avec le DRH et/ou le service informatique, afin de débattre des différents aspects de l’ensemble des projets du département, en cours ou récemment signés. Par ailleurs, les contacts informels entre eux sont journaliers. Notons cependant que dans le cas du département de support technique, certains projets sont très cloisonnés par rapport au reste du département, à la fois en termes physiques (occupation de l’espace) et opérationnels. Cet isolement résulte d’une exigence émise par les clients eux-mêmes, et a pour but d’assurer la confidentialité des informations. Bien que la communication informelle reste très importante avec les autres équipes de travail, c’est toutefois par messagerie électronique que transitent la plupart des informations.
13. Sur le plan technique, il s’agit en fait de pouvoir transmettre les informations de manière rapide et fiable à des collaborateurs localisés dans divers départements sur le même site ou sur d'autres sites, aux clients donneurs d’ordres, voire directement aux consommateurs. A cette fin, une base de données à la fois relationnelle et ouverte est installée sur différents serveurs, auxquels sont connectés tous les PC de l’immeuble principal (au nombre de 400). L’ensemble de l’architecture repose sur le principe du client-serveur, la tâche du serveur central se limitant à la gestion des données en temps réel, et non à l’affichage et à la présentation des données à l’écran. Cette seconde tâche est assurée par un programme spécifique, installé sur chacun des PC, autorisant un dialogue permanent avec la banque de données.
Ce système consiste en un certain nombre de disques durs supplémentaires auxquels les utilisateurs du réseau ont accès et pour lesquels ils décident eux-mêmes de la destination des données qu’ils désirent enregistrer.
15. Les deux systèmes sont interconnectés via un réseau Ethernet à grande capacité detransmission. A côté de ces systèmes de gestion des données, les différents utilisateurs disposent également d’une connexion Internet (pour la consultation ou l’envoi d’informations en dehors du call-center) et Intranet (pour la consultation ou l’envoi d’informations au sein même de la société, telles que des listes de téléphone, des “news”, etc.). Notons encore que cette seconde connexion permet également de gérer certaines parties de la banque de données, l’objectif étant de permettre aux clients eux-mêmes —toujours dans un souci de transparence totale— d’accéder on-line aux éventuelles modifications de données relatives aux consommateurs. Par voie de conséquence, la liaison avec les clients s’établit de plus en plus via Internet, et surtout Intranet, notamment pour la transmission des rapports d’activité destinés à contrôler le niveau de service réalisé par le call-center (voir infra).
16. Quant au consommateur final, il a la possibilité d'entrer en relation avec la société enutilisant, outre le téléphone, le fax, le courrier électronique, Internet ou le courrier normal. Les dirigeants parlent de plus en plus d’ailleurs de leur société en termes de “communication-center” plutôt que de call-center.
19. Dans ces conditions, il n’est pas réellement surprenant d’observer un taux de turnovertrès élevé parmi le personnel: même s’il s’agit surtout de jeunes au parcours professionnel atypique, ceux-ci parviennent à capitaliser sur l’image de marque à la fois “high-tech” et innovante de ce type de société pour se constituer un CV qui renforce leurs chances sur un marché de l’emploi de plus en plus incertain. Plusieurs avouent d’ailleurs qu’il s’agissait là de leur principale motivation à l’entrée. De nombreuses difficultés se posent donc en termes de motivation, malgré les diverses actions entreprises par le responsable des ressources humaines: programmes de formation, team building, activités “outdoor”, services de transport gratuits, etc. Le problème est de taille dans la mesure où, malgré les déclarations optimistes des dirigeants du call-center qui parlent de “sang neuf” à propos de l’arrivée incessante de nouveaux collaborateurs dans l’entreprise, les effets pervers du turnover se font sentir au quotidien: surcoûts d’une socialisation sans cesse réamorcée, recours intensif au travail intérimaire qui menace sérieusement le niveau de qualité garanti au client, surcharge permanente de travail pour le personnel restant, etc.
21. Dans le département de support technique, les vidéoscripts sont toujours présents mais, cette fois, comme simple support. En outre, un programme de formation dédié est organisé, de manière intensive, au démarrage de chaque nouveau projet: la plupart du temps, les opérateurs vont suivre, chez le constructeur ou le fournisseur de logiciel, voire chez ses clients, une session de 4 à 8 semaines. Le client se déplace également régulièrement pour donner des compléments de formation technique, voire convie les opérateurs à se rendre eux-mêmes en clientèle pour assister à l’un ou l’autre séminaire (le plus souvent aux États-Unis). Un système de formation continue (un jour toutes les deux semaines et deux heures d’auto-apprentissage journalier) permet aux opérateurs de mettre à jour régulièrement leurs connaissances. Etant engagés dans des projets de moyen, voire de long terme, les téléopérateurs —dont la plupart possèdent déjà un diplôme universitaire— acquièrent ainsi rapidement une expertise spécialisée, tout en disposant d’une grande autonomie dans la façon de gérer les demandes des consommateurs finaux.
23. L’organisation du call-center est évidemment très fortement influencée par le type demarché sur lequel il évolue, en pleine émergence. Alors qu’elle était en situation de quasi monopole lors de sa création, la société doit aujourd’hui faire face aux offensives de nouveaux concurrents, menant une véritable guerre des prix qui risque de devenir de plus en plus exacerbée. L’une des stratégies possibles pour le call-center serait d’abandonner le marché du télémarketing national aux concurrents, qui ne constitue plus, désormais, sa compétence de base.
Cas n°6: Le groupe Blanchard en pleine expansion
1. La recherche, chez Blanchard, c'est l'objectif prioritaire. Il n'est pas étonnant, dès lors, que le bilan de près de quarante ans d'activités soit des plus impressionnants.
2. Le Dr Jacques Blanchard est un homme de combat, respecté pour son autorité naturelle et sa rigueur. Son combat, il le mène avec pour armes les hommes et la recherche. Car c'est sur ces deux piliers qu'est basée toute la vie de l'entreprise. Au départ de la petite société pharmaceutique, Jacques Blanchard a développé un groupe qui aujourd'hui occupe dans le monde plus de 6000 personnes et est présent dans plus de cent pays. Cela ne s'est pas fait en un jour: il a bien fallu, en effet, recourir à des capitaux externes (deux holdings français et suisse aujourd'hui actionnaires majoritaires) pour soutenir la croissance du groupe dans un marché où la concurrence se fait de plus en plus vive, mais Jacques Blanchard garde une minorité de blocage et est toujours resté PDG du groupe.
4. L'Institut de Recherche Blanchard est organisé en divisions de recherches, regroupant des scientifiques de haut niveau, aux compétences hyper-spécialisées. Les unes sont des équipes de chimie qui assurent la synthèse de nouveaux composés. Les autres sont des équipes de pharmacologie, qui vérifient l'intérêt pharmaceutique des molécules créées.
5. Avec les deux types de compétences, la chimie et la pharmacologie, les équipes de chercheurs peuvent conclure des alliances entre elles sur un projet bien défini, puis se séparer une fois le projet mené à bien, pour aller nouer d'autres collaborations au sein de l'Institut avec d'autres équipes. Et ces véritables "joint ventures" entre équipes d'une même institution se dessinent sur base de négociations. Lorsque les pharmacologues estiment tenir une voie théorique prometteuse, ils ont à présenter leur projet aux équipes de chimistes. Si le projet est convaincant, il démarre. Ainsi débute une véritable grande aventure, qui aboutira peut-être à la production d'un médicament. Les scientifiques disposent en réalité d'une grande liberté dans la réalisation de leurs recherches —et en sont d'ailleurs très fiers, par rapport à leurs collègues d'autres sociétés pharmaceutiques dont la marge de manoeuvre est beaucoup plus étroite. Leurs seuls rapports avec la hiérarchie et avec Monsieur Monnard ont lieu lors de réunions hebdomadaires, où l'on fait le point sur l'avancement des différents projets en vue de tenir l'objectif assigné par les actionnaires. Une fois un produit arrivé en phase terminale et ayant passé avec succès tous les tests imposés par la législation, le relais est passé aux équipes de production.
7. En 1988, la revue britannique SCRIP a nommé Blanchard "laboratoire ayant, au monde, réalisé le plus d'innovations". L'entreprise avait, cette année-là, quatre nouveaux médicaments à son actif.
8. La maison excelle dans plusieurs domaines et se lance régulièrement avec succès dans de nouveaux secteurs de recherche. Son plus ancien terrain d'excellence est, bien entendu, le diabète avec Diabéton. Aujourd'hui, des recherches sont poursuivies pour créer des antidiabétiques d'un type nouveau, qui faciliteraient l'action de l'insuline ou même la remplaceraient. Mais en endocrinologie, une autre substance originale est venue s'ajouter depuis lors: l'Isométradine. La cancérologie est l'un des domaines abordés plus récemment par Blanchard. Un médicament performant est d'ores et déjà sorti de sa recherche, la Farétracine, non encore commercialisée chez nous: celle-ci s'est révélée efficace dans le traitement du mélanome malin disséminé.
9. Pour vérifier l'efficacité des nouvelles molécules synthétisées dans les troubles de la mémoire, le vieillissement cérébral, la maladie d'Alzheimer ou les troubles psychologiques, ils ont créé avec l'Université de Bordeaux de nouveaux modèles comportementaux basés sur les connaissances de l'Ethologie, domaine cardio-vasculaire.
11. Toutefois, la filiale belge n'a pas pour vocation première la recherche: rappelons que celleci est concentrée dans l'Institut de Recherche du groupe. Elle est, comme chaque filiale, essentiellement centrée autour de deux activités: la production de composants et la commercialisation des médicaments.
12. Evoquons tout d'abord la production de certains composants entrant dans la fabrication du médicament antidiabétique, qui reste une des valeurs sûres du groupe. Quelque 25 personnes y travaillent, dont 3 ingénieurs de recherche, deux médecins et une vingtaine d'assistants de laboratoire spécialisés. Les assistants de laboratoire travaillent en petites équipes de 4 à 5 personnes, qui se succèdent de 6h en 6h, car la production —qui requiert des conditions physiques très sévères— ne peut s’arrêter. Les membres de ces équipes sont chargés chacun de la surveillance d’un aspect particulier de la production. Il faut savoir que les contraintes techniques sont extrêmement lourdes et imposent le respect de procédures et de normes très rigoureuses face à un appareillage des plus sophistiqués. Les procédures sont élaborées par un groupe d'experts à Paris, pour l'ensemble des filiales du groupe. La filiale belge éprouve d’ailleurs quelques difficultés de recrutement pour ces assistants car ils doivent à la fois faire preuve de bonnes compétences en biologie tout en devant se plier à un régime de travail très strict, édicté par les experts: consignes de sécurité
13. Signalons par ailleurs que la fabrication finale du médicament antidiabétique s'effectue en France, la Belgique n'ayant la responsabilité que de certains composants. La même politique est pratiquée pour toutes les filiales, ce qui permet au groupe de satisfaire les objectifs qu'il s'est assignés en matière de fabrication de nouveaux produits.
14. La filiale belge est également chargée de la commercialisation de l'ensemble des produits du groupe dans le Bénélux. Sur les 55 personnes rattachées à cette activité, 5 sont pharmaciens et 50 sont des représentants sans qualification particulière, formés à l'intérieur du groupe (3 semaines de session intensive) et soumis à des obligations de chiffres d'affaires. Ils sillonnent le pays et sont souvent contraints à de longues attentes dans les cabinets médicaux avant d'être reçus par les médecins à qui ils présentent les différents produits du groupe, assortis d'actions promotionnelles (échantillons, agendas et gadgets divers). Leur fonction ne leur permet guère de se montrer particulièrement innovateurs. Ils ont à vendre des produits à une clientèle présélectionnée —produits dont ils ne connaissent par ailleurs que le descriptif promotionnel qu'il sont chargés de présenter— et les actions promotionnelles qu'ils sont invités à entreprendre sont en fait déterminées par la direction commerciale. Toutefois, les produits qu'ils doivent promouvoir auprès des médecins sont très variés, ce qui leur permet de rencontrer aussi bien des généralistes que des spécialistes: ils doivent en effet pouvoir vendre indifféremment des médicaments relatifs au traitement du diabète, aux maladies cardio-vasculaires, à la cancérologie, etc. Certains apprécient cette variété de tâches, d'autres la critiquent au contraire car elle les empêche d'acquérir une véritable expérience.
16. Les cinq départements de la filiale (production, marketing, GRH, logistique/technique et magasins/entrepôts) sont directement soumis à l'autorité du directeur de la filiale mais dépendent aussi des directions correspondantes au niveau du siège. Chaque responsable de département en Belgique entretient en effet d'étroites relations avec son homologue parisien: dans certains cas (comme dans le département commercial), ils sont même perçus comme des “agents” au service du siège, tant leurs déplacements à Paris sont fréquents.
17. A ce propos, des tensions sont apparues récemment au sein du département commercial: le responsable du département, nommé directement par le siège parisien, se voit reprocher un style autoritaire, méprisant parfois. “Il ne sait pas déléguer”, entend-on à plusieurs reprises parmi les représentants. Il impose de manière très détaillée, voire tatillonne, des consignes à suivre et des résultats à atteindre, sans tenir compte de l'évolution de la conjoncture et des différences entre régions. En réalité, les tensions sont plus vives du côté francophone, qui semble moins bien admettre ces méthodes de gestion un peu trop calquées sur le modèle dominant du “culte de la performance”. La plupart des représentants francophones ont en effet eu un passé professionnel au sein de grands groupes pharmacologiques, à fort taux de syndicalisation, et dont les méthodes commerciales sont davantage centrées sur la personnalisation des contacts avec la clientèle.
1. Cet organisme compte 115 personnes réparties en fonction des deux activités de base de l'organisation: l'activité de prêt à des familles nombreuses à faibles revenus qui remonte aux origines de l'organisation en 1950 et l'activité de rénovation/location de logements à des familles nombreuses à faibles revenus, qui date de 1984. Outre ses fonctions de bailleur de fonds et de propriétaire social, l'organisation offre une aide “technico-sociale” aux familles propriétaires et locataires. Le nombre de dossiers instruits varie peu d'une année à l'autre: environ 1000 par an pour l'activité de prêt et environ 250 par an pour l'activité de rénovation/location.
2. L'organisation compte huit services différents en central: le secrétariat de la direction (3 secrétaires), le service des prêts, le service financier et comptable, le service de la gestion des affaires notariales, le service des contentieux, le service des paiements, le service extérieur et le service informatique. Une partie du personnel est délocalisée, soit dans les 3 secrétariats régionaux chargés de recevoir les candidats emprunteurs et d'instruire le début de leur dossier, soit dans les 4 antennes locatives chargées de gérer les dossiers de rénovation et de location des immeubles. Un des dysfonctionnements majeurs de cette structure, dénoncé par la plupart des membres du personnel, est le cloisonnement excessif des différents services, fonctionnant chacun selon sa propre logique, sans que ne soit mis en place de réel lieu d’échange d’expériences. Il n'existe pas, d’ailleurs, de service du personnel: la gestion des ressources humaines est donc du ressort de la direction générale et de la ligne hiérarchique. Par ailleurs, il existe peu de possibilité de promotion, étant donné le faible nombre de niveaux hiérarchiques séparant l'employé de base du Directeur Général (3 maximum).
4. Les secrétariats régionaux sont au nombre de trois: ils sont composés d’un responsable, de 2 employés (de niveau secondaire supérieur ou enseignement supérieur de type court) et d'une ou deux dactylos selon les cas. Les employés et le responsable du secrétariat régional reçoivent les candidats emprunteurs et doivent constituer un dossier en suivant une liste préétablie de documents tels que le rapport d'expertise, les déclarations fiscales, la composition du ménage, etc. Néanmoins, les situations personnelles des candidats emprunteurs s'avèrent tellement variées qu'elles supposent chacune une approche spécifique, laissée à l'appréciation des employés. Sans diplôme spécifique en matière sociale, c'est au fil du temps et sur le tas que ces derniers ont appris à remplir leur fonction d'interface, ce qui leur a permis de se créer, de manière informelle, une sphère d'autonomie par rapport au siège central. Lorsque les documents ont été récoltés et analysés, ils établissent un résumé de la situation de la famille et envoient le tout au service des prêts. Les dossiers établis en secrétariat régional —de façon manuscrite— sont alors revus dans leur totalité par le service des prêts avant d'être soumis au conseil d'administration. Les employés des secrétariats régionaux et leurs responsables pensent que ce contrôle systématique est superflu dans une série de dossiers et qu'avec plus de moyens informatiques et plus de personnel, tous les dossiers pourraient très bien être constitués entièrement à leur niveau. Ils se plaignent d'une surcharge de travail chronique qui oblige
les responsables à rentrer chez eux avec des dossiers à terminer. Les secrétariats régionaux sont soumis à l’autorité de la même Directrice que le service des prêts (voir infra).
6. Le service extérieur est composé de 5 architectes, dont le responsable de service, et de deux inspecteurs. L'inspecteur le plus âgé possède un diplôme de secondaire supérieur, le plus jeune est gradué en droit. Les architectes du service extérieur sont chargés de certaines expertises, de visites aux emprunteurs pour les conseiller dans leurs travaux mais aussi pour évaluer la conformité des travaux entrepris par rapport aux devis: au fil du temps, ils se sont constitués des spécialités, qui leur sont désormais reconnues, et traitent plus particulièrement certaines expertises (toitures, sanitaires, rénovation, isolation, etc.). Les inspecteurs du service extérieur visitent les emprunteurs à la demande des services des affaires notariales et des contentieux (voir infra). Statutairement, ils ont essentiellement un rôle de contrôle mais dans l'exercice de leur métier, ils sont souvent amenés à conseiller les familles, voire à les aider dans certaines démarches sociales ou administratives. Les membres du service extérieur sont très peu souvent (un jour/semaine) présents au siège, la majorité du temps ils sont en déplacement chez les clients et disposent ainsi d’une grande autonomie puisqu'ils sont isolés les unes des autres. Cependant, une fois par semaine, ils se réunissent au siège pour échanger les informations qu'ils ont récoltées sur le terrain.
8. On a décrit jusqu’à présent la branche prêts, qui représente près de 95% du chiffre d’affaires de l’organisme. Toutefois, le Directeur Général a lancé, depuis une quinzaine d’années, une deuxième activité, à laquelle il est très attaché: la rénovation/ location. Les 4 antennes délocalisées, placées sous la responsabilité d'une Directrice très proche du Directeur Général, fonctionnent avec deux architectes, deux dessinateurs, deux assistants sociaux, deux techniciens et deux secrétaires. Le mode d’organisation du travail y est très différent par rapport à celui de la branche prêts: l’acquisition/rénovation d’immeubles, d’une part, et l’activité locative proprement dite, d’autre part, s’opèrent sur un mode largement collectif, avec de nombreuses réunions d’équipes et de partage d’expériences entre intervenants techniques et intervenants sociaux. Chacun est censé être à même d'intervenir sur tous les dossiers, quelle que soit sa formation d'origine, et de proposer en la matière les initiatives les plus appropriées. Les décisions d'acquisition de nouveaux immeubles sont néanmoins toujours soumises au Directeur Général. Il en va de même pour les devis de rénovation et les listes d'affectation des candidats locataires. Cependant, les refus du Directeur aux propositions des architectes ou des assistants sociaux sont rares et font l'objet d'un échange de points de vue. La Directrice insiste sur le caractère totalement spécifique des demandes adressées à son service, où est constamment interrogé le rapport à la mission sociale de l’organisme, et où toute forme de routinisation semble difficilement tenable.
10. Il faut souligner que le service informatique fonctionne sans budget spécifique et sans plan directeur. En ce qui concerne la branche prêts, une nouvelle application a été installée sur l’ordinateur central, il y a trois ans, par une firme de consultance extérieure. Cette application permet notamment de synthétiser l’ensemble des données relatives à un prêt et d’en calculer les modalités de remboursement. Des terminaux de saisie ont été placés dans le service des prêts, pour y encoder les données envoyées par les secrétariats régionaux. L’application semble tourner à la satisfaction générale. Du côté de la branche rénovation/location, une application a été mise au point il y a quelques années mais sa rigidité et son manque de convivialité sont fréquemment dénoncés. Ceci a conduit les équipes à acquérir des PC sur leurs fonds propres et à développer, de façon quelque peu anarchique, leurs propres applications. Le service informatique parle à ce sujet de “bricolages” et se plaint des nombreuses interventions rendues ainsi nécessaires.
12. Le laboratoire préconise avant toutes choses la constitution d’un groupe d'accompagnement chargé de valider les données récoltées, le diagnostic opéré et les pistes de réflexion dégagées. Après quelques réticences, le Directeur Général accepte le principe de ce groupe. Le comité de pilotage est constitué de tous les responsables de service et des trois responsables de secrétariats régionaux. Initialement, le Directeur Général était opposé à la présence de ces derniers dans la mesure où ils n'avaient pas le même statut hiérarchique que les responsables de service. Le laboratoire obtient cependant qu'ils participent aux réunions concernant le processus de prêt, compte tenu de leur position clé dans celui-ci. Un tel comité permet en fait, pour la première fois dans l’histoire de l’organisme, d’engager une dynamique de décloisonnement en constituant un lieu de débat et de partage d’expériences entre les cadres de niveau supérieur. Petit à petit, il va devenir un véritable lieu collectif de décision et un puissant levier de changement organisationnel, qui se réunit à intervalles réguliers.
13. Il faudra trois réunions du comité de pilotage et de nombreuses rencontres individuelles pour obtenir un accord sur la description du processus existant, c’est-à-dire l’ensemble des activités qui s’enchaînent entre la demande de prêt par une famille et la décision d’octroi ou de rejet de ce prêt. Dans un premier temps, les activités composant le processus sont définies de manière très générale par le laboratoire qui identifie quatre étapes: l’instruction du dossier du candidat emprunteur (secrétariats régionaux), le traitement du dossier (service des prêts), la soumission du dossier au Conseil d’Administration (Directeur Général et Directrice du service des prêts), la rédaction de l’acte de prêt (notaires et service des affaires notariales ).
15. Les secrétaires régionaux insistent de leur côté sur les multiples tâches qu’ils prennent en charge, notamment la sélection et le filtrage des demandes provenant des familles. En effet, sur 100 candidats emprunteurs reçus, 50 n’introduiront pas de demande de prêts et sur les 50 demandes introduites, 25 seulement atteindront le stade de l’examen au service des prêts. Les secrétaires régionaux et leurs rédacteurs soulignent à quel point ce travail d’accueil, d’écoute, d’aide à la constitution d’un dossier, de conseil et d’accompagnement, de réorientation voire de prévention est ignoré par les autres services et peu reconnu dans le fonctionnement institutionnel (faiblesse des moyens alloués, manque de légitimité statutaire des personnes le réalisant, etc.).
les membres des secrétariats régionaux, ces derniers conservant la possibilité d’interroger à tout moment, depuis leur poste de travail, les fichiers centraux de l’application “prêts”.
17. Les réactions du comité de pilotage sont favorables, à l’exception du Directeur du service finances/comptabilité et de la Directrice du service des prêts —tous les deux à moins de 3 ans de l’âge de la retraite— ainsi que, dans une moindre mesure, du responsable du service des affaires notariales. Le premier considère que la menace de la concurrence a été amplifiée de manière démesurée: il affirme que l’organisme doit avant tout comprimer ses coûts et prône, par conséquent, la diminution du rôle joué par les secrétariats régionaux par le biais d’une constitution des dossiers directement au siège central; il reproche d’ailleurs au laboratoire de ne pas avoir suffisamment exploré le scénario de la centralisation. La deuxième ne s’oppose pas au principe de la décentralisation mais met en doute la capacité des membres actuels des secrétariats régionaux à constituer localement les dossiers de prêt et se montre très sceptique quant aux vertus supposées de l’informatique distribuée. Quant au troisième, il se montre réservé et multiplie les mises en garde prudentes. En revanche, la Directrice du service rénovation/location et le responsable du service extérieur soutiennent avec enthousiasme la logique de décentralisation, établissant constamment un parallèle avec le mode de fonctionnement de leurs propres services. Quant au Directeur Général, il affirme de plus en plus nettement son soutien au scénario de la décentralisation.
19. Dans la foulée des recommandations du laboratoire, une série de groupes de travail sont initiés, irradiant l’ensemble de l’organisation: un groupe “système d’information”, dont l’objectif est de rationaliser les données nécessaires à la constitution d’un dossier d’emprunteur; un groupe “processus de prêt”, destiné à réfléchir aux moyens de raccourcir et de regrouper les différentes étapes du processus; un groupe “gestion des prêts”, étudiant les possibilités de meilleure coopération entre les services extérieur, affaires notariales, contentieux et paiements; un groupe “gestion des ressources humaines”, chargé de définir le profil de poste d’un futur DRH et de définir les différents chantiers qui lui seront confiés, etc. Dans un premier temps, ces groupes de travail rassemblent des membres du comité de pilotage mais, très vite, ils s’élargiront à d’autres membres du personnel. Dès le départ, le groupe “système d’information” comprend d’ailleurs des représentants des utilisateurs du futur système d’information distribué. Durant cette période, le Directeur Général se montre très actif, soutient l’ensemble de la démarche et participe à la plupart des groupes de travail.
20. Le groupe “système d’information” s’engage rapidement dans un travail de rationalisation extrêmement fouillé, qui consiste à examiner chacun des formulaires intervenant dans la constitution du prêt. Plusieurs représentants des futurs utilisateurs se montrent à cet égard particulièrement motivés.
22. Le premier secrétariat régional dans lequel se déroule l’expérimentation se voit rapidement surchargé de travail, le nouveau mode de fonctionnement se superposant à l’ancien. Toutefois, malgré le stress et l’accroissement du volume d’activités, les différents protagonistes sont unanimes: le travail est devenu bien plus intéressant et valorisant; tous les dossiers peuvent bel et bien être constitués localement; les gains de temps sont indiscutables, puisque de nombreux aller-retour entre le siège et les secrétariats régionaux (demande d’informations complémentaires, fourniture de certains documents, etc.) sont désormais évités grâce aux échanges informels entre métiers différents. La secrétaire régionale se montre particulièrement enthousiaste, alors que ses compétences avaient été préalablement mises en doute: il n’est pas question, pour elle, d’arrêter l’expérimentation après un mois. Quant aux autres secrétaires régionaux, ils attendent leur tour avec impatience. De son côté, la Directrice du service des prêts est omniprésente, multipliant les déplacements dans les régions et prodiguant à profusion ses consignes de traitement des dossiers.
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Les titres, rémunérations, taille et décoration du bureau, place de parking, place dans l'annuaire, etc. sont autant de signes attachés non pas à un rôle, mais à un statut. Ils ont une grande importance dans la vie des organisations mais ils comportent un certain nombre de restrictions: en effet, plus on devient visible, sur le devant de la scène, plus on est surveillé sur le plan du langage, de la vie privée, des loisirs, etc.
March et Simon qualifient ce quatrième type de “politique” mais il nous semble que l'on peut tout autant désigner par ce terme le troisième type, qui fait explicitement référence à l'existence de conflits d'intérêts, de menaces, etc.
Nous faisons ici référence aux trois attitudes possibles que sont susceptibles d'adopter, selon Hirschman (1970), les membres d'une organisation: la soumission à l'autorité (loyalty), la critique de l'autorité (voice) et le départ pur et simple de l'organisation (exit).
La prise de décision étant assimilée à un processus de résolution de problème.
Toutefois, il faut signaler que la direction du call-center consacre un pourcentage important de sa propre masse salariale à des programmes de développement visant à améliorer les attitudes commerciales, les capacités linguistiques et techniques, les comportements managériaux (leadership, teamwork, etc.), etc.