Cours management : fondements et principes
Cours management : fondements et principes
Le management est une activité, ou plus précisément une série d’activités intégrées et interdépendantes, destinées à faire en sorte qu’une certaine combinaison de moyens (humains, financiers,) puisse générer une production de biens ou de services économiquement et socialement utiles et rentables.
Cette activité peut comporter plusieurs dénominations. Pour certains, ces différents vocables sont nécessaires, et renvoient à des particularités qu’ils convient de distinguer, alors que pour d’autres, ces distinctions n’ont tout simplement pas lieu d’être, tant que le travail de gérer se ressemble, où il se pratique.
Les termes tels que « gestion », « administration », « management », peuvent comporter quelques fines distinctions. Mais, à cause de la grande proximité des définitions qu’en donne tous les dictionnaires et les manuels de management, on peut les considérer comme synonymes, donc interchangeables et indifféremment utilisables.
Le terme moderne « management » est actuellement défini dans la langue française comme « conduite », « direction d’une entreprise », alors que le verbe correspond « manager » prend le sens de « manier », « diriger ». Les autres termes les plus couramment utilisés sont « gérer » et « gestion » et « administrer », « administration » qui signifiaient respectivement conduire, diriger, gérer à bien, gérer en défendant les intérêts de ceux qui nous confient leur patrimoine.
Il apparaît donc que les sens et nuances sont réellement très proches et tout à fait favorables à une utilisation quasi indifférente des divers termes désignant l’activité du gestionnaire.
Manager, gérer, administrer, c’est tout à fait à la fois « arranger », « Prendre soin de », « conduire », « gouverner », « manier », etc. C’est ainsi que les définitions les plus classiques se rapportent à des activités, des tâches ou des opérations que doit assurer le gestionnaire dont le noyau intégrateur : Panifier, Organiser, Diriger et Contrôler, les fameux PODC.
Les Classiques en management
Parmi les classiques figurent plusieurs noms ; nous avons retenu ce qu’on peut qualifier d’incontournables, à savoir Smith, Taylor et Fayol. Nous avons également pris en considération ceux qui ont été occultés tel que Ibnu Khaldoun ; ou moins cités, comme Weber, dont les pensées pourraient élucider les phénomènes sociaux et organisationnels.
Ibn Khaldoun (1331-1406) : un précurseur oublié
La contribution arabe dans la pensée managériale a été souvent ignorée et négligée. L’apport de Ibn Khaldoun est fort intéressant et ce sous plusieurs angles (compréhension des faits sociaux et du comportement humain à travers deux concepts fondamentaux : umran et assabyia).
Ibnu Khaldoun, un des plus grands historiens du monde arabo-musulman, est souvent reconnu comme le père de la sociologie moderne. Il enseigne à Tunis et au Maghreb, puis s’exila au Caire face au rejet de ses idées modernes par les malikites. Il fut Cadi (juge) au Caire et conseiller de sultans. Il occupa beaucoup de postes administratifs ou religieux.
Ibnu Khaldoun établit au XIVè siècle « traité de sociologie » œuvre qui fut reprise 400 ans plus tard par Auguste Compte. Ses ouvrages les plus réputés est « Muqaddima » traduit en français sous le titre « Prolégomènes ». Dans la Muqaddima, introduction en trois volumes de son Kitab al-Ibar , on retrouve l’histoire des Arabes, des Persans et des Berbères.
Anorld Toynbee dit de lui qu’il a « conçu et formulé une philosophie de l’histoire qui est sans doute le plus grand travail qui ait jamais été créé par aucun esprit dans aucun temps et dans aucun pays ».
Ses fameuses citations :
« L’homme est fils de ses habitudes et de son milieu non fils de sa nature et de son mélange d’humeurs ».
« La richesse des nations « Oumam » réside dans ses personnes, contempleurs du travail, qui le maîtrisent et qui y excellent ».
« vérifier les faits investiguer les causes ».
« l’examen et la vérification des faits, l’investigation attentive des causes qui les ont produits, la connaissance profonde de la manière dont les événements se sont passés et dont ils ont pris naissance ».
« les empires ainsi que les hommes ont leur vie propre (....) Ils grandissent, ils arrivent à l’âge de maturité, puis ils commencent à décliner (....). En général, la durée de vie (des empires) ne dépasse pas trois générations (120 ans environ) . »
Ibnu Khaldoun nous enseigne non seulement qu’il n’y a pas de réponses simples dans ce domaine (les causes du déclin d’une société sont multiples), et qu’il est donc nécessaire de convoquer plusieurs niveaux de connaissance (psychologie, sociologie, économie, histoire,..) mais il nous enseigne surtout que si les connaissances contemporaines sont insuffisantes pour résoudre certaines questions fondamentales, il est dès lors indispensable de les critiquer et de s’en libérer, pour en penser de nouvelles.
Son œuvre
Ibnu Khaldoun a eu un impact sur la culture et la pensée arabe. Il a introduit la notion d’histoire cyclique fondée sur des facteurs profanes générés par l’affaiblissement naturel des générations sédentarisées, héritières des conquérants nomades, mais que la richesse et le mode de vie urbain entraînent un cycle inexorable de décadence.
Il se consacre à l’histoire et à la science politique, où le réalisme acquis dans ses activités administratives et militaires, lui permit d’analyser avec esprit critique les différentes traditions ou opinions recueillies.
Fort de son expérience politique et militaire il pratique la critique historique des faits relatés par les auteurs même de renommés qui l’ont précédé. Il critique par ailleurs l’école historique arabe dont les œuvres avaient tendance à se limiter aux généalogies des familles régnantes, et estimaient qu’une place aurait dû être faite au déroulement des faits sociaux expliquant la naissance, la durée et la disparition des différentes dynasties étudiées. Il fût à même d’appréhender les événements avec objectivité, car il était fort peu porté à moraliser (ce qui, a la vérité eût été un comble dans son cas).
La Muqaddima, œuvre principale d’Ibnu Khaldoun, retrace l’histoire de la civilisation maghrébine du 14ème siècle et témoigne de sa complexité, sur le plan des techniques, du savoir ou des formes de gouvernement. De son analyse émergent deux concepts fondamentaux : l’umran et l’assabyia. L’umran désigne les phénomènes humains, la civilisation, la société, tout ce qui caractérise les organisations humaines dans les aspects de leur vie matérielle.
« La vie sauvage, l’adoucissement des mœurs...les divers genres de supériorité que les peuples obtiennent sur les autres....les occupations auxquelles les hommes consacrent leurs travaux et leurs efforts ».
Mais l’umran est également désigné à travers les aspects sociaux, culturels et spirituels : « La religion, la cité, le domicile, la puissance, l’abaissement et l’accroissement de la population, sa diminution, les sciences et les arts (...) Enfin, tout ce que la nature des choses peut opérer dans le caractère de la société ».
L’umran peut être urbain (hadari) ou rural (badawi). La majorité de la population vit cependant dans l’umran badawi, dont l’umran hadari n’est qu’un prolongement. Il semble en quelque sorte y avoir une interprétation évolutionniste et hiérarchique de ces deux modes de vie :
« La civilisation de l’umran hadari marque le plus haut degré du progrès auquel un peuple peut atteindre : c’est le point culminant de l’existence de ce peuple et le signe qui en annonce la décadence. L’umran hadari, état auquel aboutit l’umran badawi, la royauté, le peuple et tout ce qui marque dans la société humaine ont un temps limité pour exister, à l’instar de chaque individu d’entre les êtres créés ».
L’assabyia, souvent traduit par « esprit de corps », est cette « force motrice » qui permet à un groupe humain organisé de se reproduire. Le concept est forgé dans l’histoire des Etats maghrébins du Moyen-Age et ne vaut que pour eux. C’est bien ce principe qui accompagne chez Ibnu Khaldoun le mouvement des sociétés maghrébines de cette époque (le passage des campagnes à des cités organisées et riches) de leur reproduction (succession de période d’ascension-déclin) sur le temps long.
Conception de l’Homme
L’homme se distingue de tous les êtres vivants par des attributs qui lui sont propres :
Les sciences et les arts sont le produit de la réflexion, faculté qui distingue l’homme des animaux, et l’élève de toutes les créatures.
Le besoin d’une autorité qui puisse le réprimer et d’un pouvoir qui le contraigne. En effet, tous les animaux, l’homme est le seul qui ne saurait exister sans cela et, si comme on l’assure, on trouve quelque chose de semblable parmi les abeilles et les sauterelles, c’est, chez ces insectes, le résultat de l’instinct, non de la réflexion ni du jugement.
L’effort que fait l’homme pour assurer sa subsistance et les différents moyens par lesquels il s’y emploie. En effet, Dieu ayant soumis les hommes à la nécessité de se nourrir afin de conserver leur vie et de maintenir leur existence, il les dirige lui-même vers le désir et la recherche de ce qui leur est nécessaire. Le Dieu a dit « Dieu a donné `tous une nature spéciale, puis il les a dirigés » (Coran, Sourate XX, vers. 52)
La sociabilité, c’est-à-dire la tendance qui porte les hommes à demeurer et à se fixer ensemble, soit dans les villes, soit sous des tentes pour y vivre en société et pour satisfaire leurs besoins, car la nature les porte à s’entraider dans la recherche de la subsistance (...).
L’état social a deux aspects : la vie nomade qui se déroule dans les plaines, sur les montagnes, ainsi que sous les tentes des nomades qui parcourent les pâturages situés dans les déserts ou à la limite des sables. La vie sédentaire se passe dans les cités, les villages, les villes et les hameaux ; l’homme s’y tient afin de pouvoir à sa sûreté et d’être protégé par les murailles. Dans toutes ces conditions (d’existence) apparaissent des facteurs essentiels qui affectent la vie sociale inhérente à l’état de civilisation.
En résumé, les idées d’Ibnu Khaldoun offre une grille et une méthodologie de lecture des phénomènes sociaux ainsi que organisationnels. Les concepts tels que assabyia (esprit de corps), sa conception de l’homme comme étant un animal politique, impliquant une vision politique des rapports entre les êtres; ses appels d’adopter une attitude critique sont au tant d’éléments qui justifient l’intégration d’Ibnu Khaldoun dans différents cours (sociologie, histoire, ) y compris en management.
Autres précurseurs
Adam Smith et accessoirement, Charles Babbage sont les principaux précurseurs occidentaux de la pensée administrative dominante. Un des principes les plus fondamentaux, depuis Smith, est celui de la division et de la spécialisation du travail, principe qui a mené jusqu’à l’élaboration des conceptions actuelles. Charles Babbage est celui qui a fourni, entre Smith et Taylor, un supplément de vertu économique à la division du travail.
Adam Smith (1723-1790) : Les vertus de la division du travail
Smith a imaginé la notion de « main invisible », métaphore qu’il applique au fonctionnement du marché, entité considérée comme autonome et autodéterminée. Cette « main » cachée derrière les multitudes d’échanges et de transactions, règle de façon implacable et « invisible » tout ce qui constitue la trame de fonctionnement et d’évolution de la société, en particulier en matière économique.
La pensée de Smith se cristallise autour deux mots clés, à savoir : « concurrence » et « marché libre » : la course à la satisfaction de l’intérêt personnel met tout le monde en compétition. Et chacun, en cherchant à toujours augmenter ses propres gains, contribuerait à animer la concurrence et à participer à l’augmentation des gains de la société.
Au sujet des salaires, tout secteur en expansion attire de la main-d’œuvre par la hausse des rémunérations due à la pénurie momentanée d’employés spécialisés du secteur en question. Il sera ainsi vite saturé et les salaires redescendront proportionnellement à l’augmentation de l’offre de force de travail qualifiée. Là aussi, l’équilibre est atteint grâce à la concurrence entre travailleurs qui selon les conjonctures, convoitent les industries en essor ou désertent celles en déclin, jusqu’à ce qu’il y ait adéquation avec la demande.
Les vertus de la division du travail selon Smith sont :
L’accélération de la production et le gain de temps ; L’augmentation des habilités ;
L’amélioration de la capacité à innover.
Par la spécialisation étroite, par le caractère limité et répétitif d’une tâche élémentaire, on devrait non seulement être bien plus rapide, parce qu’on gagne du temps à ne pas changer de tâche, donc d’outils, de rythme, mais en plus, devenir bien plus habile et, même, inventer des façons de travailler qui feront qu’on ira encore plus vite, tout en faisant mieux. L’habileté et l’innovation semblent, selon Smith s’acquérir par la répétition de tâches élémentaires.
Cependant, Smith a émis des réserves quant aux bienfaits de la division du travail. Il consacre tout un passage à ce problème, où il évoque le fait que la « stupidité » peut gagner les « masses » appliquées à exécuter un travail de plus en plus subdivisé, alors qu’au contraire les sociétés non encore industrialisées contribuent par « la variété des sollicitations » que procure un travail non parcellisé, à l’ « entretien et l’éveil de l’intelligence ».
Charles Babbage (1792-1871) : la minimisation du coût du travail
Professeur de mathématiques, il était aussi économiste. Il s’est intéressé à ce devraient faire les personnes qui souhaitent devenir « maîtres manufacturiers » et être en mesure de vendre d’une façon rentable leur marchandise, grâce à un coût de production aussi bas que possible. Babbage est smithien. Il prône la recherche de moyens d’abaisser les coûts. C’est dans son livre intitulé « On the Economy of Machinery and Manufactures », publié en 1832, que Babbage expose son raisonnement.
Babbage reconnaît explicitement une première formulation de « son » principe par un italien, un certain Gioja, qui aurait publié à Milan en 1815 une œuvre intitulée « Nuovo prospetto delle scienze economiche ». Ensuite, très différemment de ce qu’on laisse entendre généralement, ce principe partait du souci clair de savoir comment un manufacturier pouvait abaisser ses coûts par la baisse des salaires payés.
L’argument de Babbage se centre principalement sur la nécessité d’acheter l’exacte quantité et qualité de travail nécessaire pour chaque tâche précise que permet une plus grande subdivision du travail : force physique pour la tâche 1, dextérité pour la tâche 2, doigté et précision pour la tâche 3.
Il n’est plus question des avantages tels avancés par Smith, mais de prix à payer pour des gestes et des capacités limitées et spécifiques. Plus on rendra ces gestes et capacités accessibles moins cher on payera le travail. Toutefois, peut-on simplifier tous les emplois en termes d’opérations et de capacités en vue de payer moins cher le travail ? Il serait bien temps d’admettre qu’enfin payer moins cher le travail ne sera jamais synonyme de rendre le travail plus productif.
Les piliers de la pensée managériale
Nous faisons référence aux incontournables de la pensée managériale à savoir : Taylor et Fayol; ceux qui ont dominé et marqué l’enseignement de la gestion et du management. Ils ont également déterminé les pratiques managériales. Nous nous pouvons ignorer l’apport de M. Weber, moins enseigné, dans la compréhension des rationalités et non pas la rationalité de l’organisation. La lecture de Weber nous aide à redécouvrir l’importance d’une perspective institutionnelle des organisations.
Frederick Winslow Taylor (1856-1915) : l’organisation scientifique du travail : OST
Accepté à Harvard Taylor a interrompu brusquement ses études. A l’âge de 18 ans Taylor se retrouve comme apprentis dans une usine qui appartenait à des amis de la famille. Il y restera quatre ans et y apprendra les métiers de modeleur et de mécanicien, malgré, disait-on dans son entourage « son solide dégoût pour le travail manuel ».
Puis attiré par la mécanique, Taylor entra dans une entreprise où d’autres amis figuraient parmi les propriétaires : La Midvale Steel Co. Il apprit encore davantage le travail de mécanicien et monta jusqu’à devenir un ingénieur en chef à l’âge de 28 ans, après avoir, entre-temps, pris des cours et réussi à obtenir un diplôme d’ingénieur-mécanicien au Stevens Institute. Après avoir quitté l’entreprise La Midvale en 1890, il excerca son nouveau métier d’ingénieur conseil en organisation. C’est à ce titre qu’il travailla pour la campagnie la plus célèbre dans ses écrits la Bethlehem Steel.
L’approche de Taylor
A la lecture de Taylor, nous avons l’impression qu’il connaissait les travaux de Smith et de Babbage, dont il ne fait aucune mention. Taylor n’a pas inventé quelque chose de totalement neuf ; il a plutôt synthétisé les idées de l’époque, 19ième siècle, sous le titre de « scientific Management ». Le terme management signifie à l’époque « organisation et direction des ateliers » plutôt que « gestion globale d’entreprise » ou « travail de hauts dirigeants ».
Le souci de Taylor à l’époque consiste à trouver une solution au problème de la flânerie qui est à l’origine de la non-rentabilité et de la perte de l’efficacité. Taylor a identifié deux sortes de flânerie : en premier lieu, « la flânerie naturelle » qui s’exprime par la tendance de tous les hommes à la paresse ; et en second lieu, la flânerie systématique qui se traduit par un effet de contagion entre les ouvriers ( la mauvaise graine).
L’origine du problème, selon Taylor, réside dans la non-connaissance « objective, scientifique » de ce qu’est « une journée loyale de travail » par des employeurs et des employés. C’est-à-dire la journée que le dirigeant est réellement en droit d’exiger et que l’ouvrier a l’obligation de fournir pour le salaire reçu.
La fameuse Organisation Scientifique du Travail (OST) constitue une réponse à cette non-connaissance d’une journée effective de travail, source de guerre entre employeurs et employés et la cause des pertes. L’OST est régie par un ensemble de principes qui sont au nombre de quatre à savoir :
Le premier Principe
« Les membres de la direction mettent au point la science de l’exécution de chaque élément du travail qui remplace les bonnes vieilles méthodes empiriques ».
Il s’agit ici de ce que plusieurs auteurs ont dénommé l’«appropriation réelle du travail par les dirigeants ». Taylor s’explique sur le fait qu’il est inadmissible pour la direction de continuer à ignorer ce que font réellement les employés dans l’exercice de leur tâche et, il s’indigne qu’elle ignore totalement comment ils font.
Le deuxième Principe
Les dirigeants « choisissent d’une façon scientifique leurs ouvriers, ils les entraînent, ils les instruisent de façon à leur permettre d’atteindre leur plein développement alors que dans le passé chaque ouvrier choisissait un travail et s’entraînait lui-même du mieux qu’il pouvait ».
Il s’agit du fameux principe « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ». Après avoir déterminé et défini ce qui est à faire et comment le faire, il faut encore que la direction choisisse quel type de travail confier à quel type d’employé.
Le troisième Principe
Les dirigeants « collaborent cordialement avec leurs ouvriers de façon à avoir la certitude que le travail s’éxécute conformément aux principes de la science qui a été créée ».
Ce principe conduit à ce que la direction s’assure que le travail « scientifique » est effectivement respecté et mis en œuvre par les ouvriers. « Tout votre travail, dit Taylor aux dirigeants, sera inutile si quelqu’un ne fait pas appliquer la science par les ouvriers.» La combinaison de ce principe et du dernier a entraîné la coupure, entre ceux qui ont pour métier de penser et ceux ont pour métier d’exécuter.
Le quatrième Principe
« Le travail et la responsabilité du travail se divisent d’une façon presque égale entre les membres de la direction et les ouvriers. Les membres de la direction prennent en charge tout le travail pour le quel ils sont mieux qualifiés que leurs ouvriers alors que dans le passé tout le travail et la plus grande partie de la responsabilité impliquée par ce travail incombaient aux ouvriers ».
Ce dernier principe est le plus ambigu. Taylor reconnaît qu’il est « peut-être le plus difficile à comprendre ». Ses explications sont confuses, car il parle de « division presque égale du travail entre l’ouvrier et la direction », de travail assuré exclusivement par l’ouvrier et qui doit désormais « être divisé en deux parties », de ce que tout acte de l’ouvrier doit « être précédé et suivi par quelque acte accompli par quelqu’un se trouvant du côté de la direction ». Et il ajoute que l'harmonie entre les parties doit être érigée en règle générale au lieu de la discorde.
L’usage de l’approche de Taylor
Les principes de Taylor ont profondément influencé le monde entier, y compris l’URSS, en matière de rationalisation et de rentabilisation du travail. Taylor est le fondateur de ce que l’on a appelé la « one best way » (la meilleure façon de faire) définie « scientifiquement » par des études rationnelles et systématiques de la part de la direction. Il est aussi le père de la conception dite l’homo economicus, c’est-à-dire une conception qui consiste à poser, comme postulat sur la nature humaine, la croyance simple que tout humain n’est motivé que par le désir de maximiser ses gains matériels.
Que ce soit à la Midvale ou à la Bethlehem Steel où il a conduit ses expériences les plus célèbres, Taylor est toujours arrivé à augmenter de façon spectaculaire les rendements tout en obtenant des augmentations de salaires pour les salariés. Ainsi, dans les ateliers de la Midvale, il réduisait le nombre d’employés pour le travail d’inspection de 120 à 35, il augmentait le rendement et le taux de précision de 60 %, les salaires de 80%. A Bethlehem Steel, de loin l’expérience la plus connue et la plus citée, il réduisait les effectifs de manutention d’environ 600 employés à 150, augmentait le rendement par ouvrier selon un rapport moyen de 10 à 59 et augmentait les salaires des employés de 1,15 à 1,88 par jour.
Les retombées négatives de l’approche de Taylor
Le système de Taylor a eu pour effet de donner aux managers un moyen redoutable de contrôle sur l’ouvrier : individualiser, séparer, décomposer, chronométrer et enfin imposer un contenu de tâche où l’employé n’est plus rien d’autre qu’une réserve d’énergie interchangeable à volonté. Toutefois, certaines idées de Taylor ont été occultées. A partir de 1901, Taylor a insisté sur la nécessité de maintenir l’esprit d’équipe entre employeurs et ouvriers, de construire une « sincère et amicale collaboration », de consulter systématiquement et d’ « écouter l’ouvrier », de lui laisser, après étude de la norme scientifique, « le choix des outils et procédures » car c’est lui qui sait quoi faire, de « partager », une fois les frais payés, les surplus avec les employés, et de « renoncer au pouvoir égoïste » arbitraire et dictatorial. (Taylor, 1957 : 16, 29, 33, 48, 58, 60-69, 92-94, 126,135, 230 et 306)
Les contradictions dans l’approche de Taylor
Le système de Taylor comporte plusieurs contradictions à savoir :
1-Taylor évoque à plusieurs reprises la sincère collaboration, la recherche de participation et de contribution de la part des ouvriers, la nécessité de demander leurs avis, de se fier à leurs suggestions. Par contre si l’on juge par ses propres rapports de ses expériences avec, par exemple, les employés de la Midvale ou de la Bethlehem Steel, il s’agit bien plus de diktats, de règles imposées et de luttes que de franche coopération.
2- Taylor critique les employeurs, qui refusent de payer suffisamment leurs « bons » ouvriers, mais lui-même préconise de ne pas donner « une augmentation supérieure à 60% », car alors, dit-il, beaucoup d’ouvriers se mettraient à « travailler d’une façon irrégulière » et auraient tendance à devenir « extravagants et dissipés ».
3-Taylor insiste sur la nécessité de payer en fonction du rendement, et même, il préconise « s’il reste un bénéfice » une fois « tous les frais payés », de le « diviser entre le personnel l’entreprise ». Cependant, cela ne l’empêche pas de ne rien trouver à redire lorsque, à la Bethlehem Steel, les ouvriers de manutention n’obtiennent aucun partage, quand la compagnie réalise près de 800% de gains (rendement, baisse des coûts).
4-A la même Bethlehem Steel, Taylor est à l’origine de la mise à pied d’environ 450 ouvriers sur 600 après ses travaux de rationalisation de la manutention; il affirmait sans cesse que son souci restait le bien du travailleur.
5- Taylor est le défenseur de la poursuite de « l’optimum », de la réalisation sans fatigue et sans surmenage de la capacité potentielle « raisonnable et loyale » de chaque ouvrier alors que, que nous l’avons vu son système de transport de gueuses, par exemple conduit à l’épuisement de l’individu « normal ».
6- En dépit de multiples exhortations à laisser l’ouvrier « choisir, suggérer, donner son avis », etc., il impose des normes et des outils définis par la direction. Il dit que « l’ouvrier bien apprécié est celui qui « doit faire ce qu’on lui demande du matin au soir ». Il n’hésite pas à qualifier l’ouvrier de « bœuf », un homme particulièrement stupide.
Au-delà des contradictions, Taylor demeure un des plus grands piliers de la pensée managériale. Son œuvre a fait écho dans le monde industriel sans exclusion. Ses idées ont traversé les frontières. Toutefois, elles n’ont pas eu le même effet ; certaines ont été occultées, notamment celles se rapportant à la qualité des relations entre employés et employeurs ; d’autres ont été, à tort, associées à Taylor (le travail à la chaîne ainsi que le salaire à la pièce et le système « initiative-incitation ». Sa déposition devant la chambre des représentants en constitue un résumé des idées mise en veilleuse:
« Si vous voulez que votre affaire soit bénéficiaire, vous ne pouvez pas traiter les uns ou les autres injustement ou d’une façon égoïste. Vous devez supprimer les buts égoïstes et les actes injustes » (Taylor, 1957 :230)
Enfin, c’est à partir de l’industrie d’acier que Taylor a concu son système. Comment donc à partir d’un cas spécifique peut-il élaborer une théorie et des principes ayant des prétentions universelles?
Henri Fayol (1841-1925) : L’organisation administrative
Henri Fayol, ingénieur et grand chef d’entreprise, a été le pilier de la pensée administrative moderne basée sur la systématisation du travail de dirigeant, depuis la prévision jusqu’au contrôle en passant par la décision. Le management lui doit, jusqu’à aujourd’hui, à peu près tout ce qui constitue son contenu pratique et également presque tout ce qui en fait matière à enseignement. A côté de Taylor, Fayol constitue le second pilier fondamental de la pensée administrative. Ces deux personnages constituent le tendem de base dans tout manuel sur la gestion.
Fayol est connu surtout pour son ouvrage, le premier traitant de gestion globale de l’entreprise et de tâches des dirigeants, intitulé Administration industrielle et générale. Ce livre, publié pour la première fois en 1916, alors que Fayol avait déjà 75 ans, est un livre ne dépassant 150 pages, écrit dans un langage simple et direct.