Cours de management participatif et inclusive de la chose publique
Cours de management participatif et inclusive de la chose publique
L’accès au pouvoir donne accès à la richesse de la Nation. La gestion de la chose publique doit être participative au niveau local et inclusive au niveau national. Pour cela, il faudra que la gouvernance soit consensuelle et légitime tout en s’imprégnant d’une culture des résultats. Nous exposons ici l’exigence de valorisation de certains principes élémentaires de gouvernance et de la conduite des affaires publiques : Gestion participative et inclusive, Gouvernance consensuelle et légitime, Culture des résultats et de rendre compte.
I. Gestion de la chose publique
L’accession, la gestion et la conservation du pouvoir découle d’une vision permanente de l’Etat colonial centralisé et totalitaire. Il faut reconnaître que les pays africains ont hérité d’un système de construction des institutions étatiques entièrement calqué sur les mœurs politiques de l’ancienne métropole coloniale. La volonté des dirigeants depuis les indépendances, de ne pas aller au-delà des carcans règlementaires et légales qui furent dans un premier temps imposés, n’a jamais auguré d’une société véritablement organisée et moderne. Il est important de repenser la gestion de la chose publique pour plus de participation citoyenne et d’inclusion sociale.
1. Gestion participative au niveau local
En Afrique, on note que les populations ne se sentent pas concernées par le service public, mais plutôt s’en éloignent. Pour elles, le service public est essentiellement une affaire de l’Etat et l’Etat c’est la classe dirigeante, ceux qui ont le pouvoir. Partant de cette conception, la population s’exclut d’office de la vie de la nation. Sur un autre plan très spécifique dans certains pays, l’Etat est assimilé à un individu et de ce fait, les structures de l’Etat son confondues à celui-ci. Une telle conception a conduit à une personnification ou personnalisation du pouvoir. Il manque l’appropriation et le contrôle du bien public. La participation des citoyens à la chose publique devant se faire sentir par la contribution, l’appropriation et le contrôle du bien public pour bénéficier du service public de qualité. L’existence d’un large fossé entre gouvernants et gouvernés d’une part ; et, de l’écart entre citoyen et la chose publique d’autre part, semble avoir pour origine la manière dont sont gérées les structures de Etat (BENASSIM, K. Venance). La décentralisation est une étape, mais non suffisante, pour approcher les institutions aux citoyens. Il faudra enclencher le processus d’appropriation et de gestion participative.
Pour que la démocratie puisse s'enraciner en Afrique, il faudrait qu'elle soit portée par des forces sociales et culturelles organisées à la base ; des institutions et des réseaux sortis tout droit du génie africain, de la mémoire culturelle, de la créativité institutionnelle et surtout des aspirations des gens eux-mêmes et de leurs traditions propres de solidarité. Dans un contexte d’africanisation démocratique, les institutions locales sont fondamentalement importantes pour apporter des aspirations populaires et instaurer la gestion participative. La démocratie à la base, comme condition d’exercice du pouvoir, des droits et libertés locaux, est compatible avec les valeurs et cultures africaines. L’inclusivité des populations depuis la base est susceptible d’engendre la stabilité des institutions.
2. Gestion inclusive au niveau national
L’Afrique connait encore des situations, qui d’un point de vue de l’administration politique et des exigences démocratiques, présentent des individus convaincus d’être envoyés par Dieu pour gouverner leurs compatriotes, et développant une culture personnelle d’appropriation du pouvoir. Comparons les situations camerounaise et malienne : le Cameroun vient de réélire le Président Paul Biya, au pourvoir depuis 1982 ; tandis que la junte malienne vient de déposer un Président démocratiquement élu et qui allait céder le pouvoir démocratiquement dans un mois. Retour sur le Mali, pour mieux apprécier, les tares d’une gestion et d’un pouvoir qui avec le temps, s’est installé dans une forme d’apathie inacceptable, et a par conséquent généré l’obscurantisme. Amadou Toumani Touré est son propre bourreau et responsable de la débâcle des institutions. Le président s’est senti trop sûr de lui et a perdu le fil conducteur des urgences de transformation et d’émancipation effectives d’une société encore dominée par des traditions ancestrales obscurantistes. Réussir une élection démocratique est de loin différent de construire une société démocratique, laquelle suppose l’élévation du niveau de compréhension et d’adhésion des citoyens par rapport aux idéaux de la démocratie, aux comportements démocratiques et à la pratique démocratique. C’est à la capacité et à l’habitude de formatage d’une société dans des pratiques et des usages démocratiques donnant lieu à des alternances sans heurts ni tricherie au sommet du pouvoir, que l’on reconnaît la maturité d’un peuple.
En somme, en renvoyant le Cameroun et le Mali dans un mixeur des pratiques et des méthodes de gouvernance, on découvre une similitude exprimée par l’absence du sentiment républicain chez les acteurs civils d’une part et militaires d’autre part. Les uns voient le pouvoir comme un bien confiscable, aliénable et susceptible de conquête et de conservation par des voies illégales, illégitimes et malhonnêtes, pendant que d’autres le voit comme un outil impersonnel de gestion, de commandement; d’orientation et de programmation pour le destin heureux de la cité. Scandales sur scandales, division pour régner, bafouillage des règles, dilution des responsabilités, déstructuration des institutions, une vraie monarchie : arrogance, manigance, cynisme et banditisme caractérisent la gouvernance de certains pays africains. Diviser pour mieux régner est un poison mortel pour une nation. Nous plaidons pour une gestion du pouvoir qui soit inclusive, c’est-à- dire qui intègre toute les composantes socio-politico-ethniques du pays. Une telle perspective de gestion inclusive du pouvoir pose l’exigence d’une nouvelle culture politique mettant en exergue des valeurs de l’ouverture, du dialogue et du compromis démocratiques.
II. Autre style de gouvernance
Le drame de la mauvaise gouvernance est d’abord le drame d’une prédisposition mentale incapacitante au changement. Le confort matériel allié à une sous culture obscurantiste, a enfermé les acteurs dans des processus de dépravation inqualifiables. Ce que l’on retient après plus d’un demi-siècle de politique locale et de gouvernance nationale, c’est la faillite de l’instauration de véritables règles de jeu démocratiques dans la conduite des politiques. De ce point de vue, qu’il y ait eu ou non la pratique des élections ne change vraiment pas grand-chose dans les conclusions cardinales. Nous devons réinventer d’autres styles de gouvernance basés sur les aspirations des peuples.
1. Gouvernance consensuelle
L’universalité de la démocratie doit intégrer deux éléments fondamentaux de la gouvernance africaine : Ethnie et tribu. Ces deux éléments sont des données sociologiques qui fonctionnent comme un levier électoral ou d’accession au pouvoir. Il faudra que la loi fondamentale (constitution) les intègre dans la gestion consensuelle de la nation et du pouvoir. Pour le demi-siècle qui vient, une partie du rôle des intellectuels, des gens de culture et de la société civile africaine sera justement d'aider d'une part à articuler une pensée panafricaine de la démocratie à partir des données sociologiques et culturelles objectives, et d'autre part à « internationaliser » la question de la démocratisation de l'Afrique, dans le droit fil des efforts des dernières années visant à mutualiser le droit international et qui ont vu l'apparition d'instances juridictionnelles supra-étatiques.
Pour celles et ceux qui désespèrent d'imaginer un jour les critères de la bonne gouvernance économique et sociale s'imposer sur le continent, la gouvernance consensuelle est le meilleur des remèdes. Cette forme de gouvernance sera basée sur la représentativité sociologique de la Nation. Cette culture consensuelle de gestion politique du pluralisme sera, pour la nouvelle génération, une chance pour un engagement politique lucide et dé-clientélisé. Ainsi, sera née une mémoire collective pour demain. Cette mémoire sera faite d’une nouvelle culture du dialogue politique. Les pays gagneraient à faire de la gouvernance consensuelle un principe politique indispensable d’une vraie démocratie. Ce style recommande la participation effective de toutes les couches de la société à la direction des affaires publiques. L'approche consensuelle de gouvernance implique la recherche d'une dynamique endogène de changement. Les schèmes de pensée des modèles majoritaires, comme seule référence normative sans considération des approches ethniques, contiennent souvent les germes de leur propre corruption. La gouvernance consensuelle est un style de gouvernement qui peut faire en sorte que la politique soit davantage gestion de la chose publique, plutôt que mobilisation, compétition conflictuelle et enjeu de pouvoir. Elle a l’avantage de résoudre la problématique de l'identité dans une société multiethnocommunautaire. La gestion du pluralisme constitue un défi majeur dans la conjoncture actuelle marquée par un clientélisme forcené, une confiscation des pouvoirs et un laminage insupportable des droits fondamentaux. La théorie consensuelle de gouvernance n’est pas exempt des effets pervers, mais ses dynamiques endogènes de changement sont plus importantes pour réhabiliter et légitimer l’autorité publique.
2. Gouvernance légitime
Les pays africains n'ont pas de problème constitutionnel majeur au niveau des textes, mais des problèmes considérables de gouvernance, c'est-à-dire de gestion, d'application, de pilotage et de participation, génératrice de démocratie et de développement. Dans les études comparées de la problématique de la gouvernance, en joignant des approches juridiques et constitutionnelles comparatives au dilemme de l'effectivité du droit, il ressort qu'une « démocratie de proximité » redresse les dérapages d'une « gouvernance débridée ». La légitimité vient du peuple. Donc l’exercice du pouvoir requiert son adhésion, sa bénédiction et son contrôle. Le peuple sénégalais vient de démontrer à la face du monde sa détermination pour le changement. Il a exprimé la volonté profonde d’alternance politique des peuples africains. Cette révolution sénégalaise dont le but visait le changement par la voie des urnes est une leçon de démocratie et de légitimité populaire garantie par la constitution sénégalaise. Le nouveau pouvoir a reçu un mandat pour renforcer les institutions, libérer la justice, rompre avec la monarchie républicaine, apporter de la rigueur dans la gestion du bien public, promouvoir le mérite, en somme, mettre le pays sur les rails et le train en marche et, pour finir, organiser la gestion publique transparente. Il s’agit d’une démonstration de lucidité, de modernité, de maturité politique et démocratique sans égal ailleurs sur le continent. On avait déjà vu la Côte d’Ivoire dans un jeu politique élevé du genre faite d’alliances stables et de calendrier inviolable, mais sans plus.
III. Une nouvelle culture politique
Au Sénégal, le Conseil Constitutionnel aurait pu entrer dans l’histoire en bloquant la candidature de Wade. Hélas, cela n’a pas été le cas pour une cause profonde et fondamentale : la sous culture d’autoritarisme et de soumission incapacitante des institutions au pouvoir en place. Nous devons changer des mentalités pour s’inscrire dans une culture de responsabilité à tous les niveaux de la chargée publique.
1. Culture des résultats
Un résultat implique généralement une sanction, positive ou négative. La « culture du résultat » est devenue le principe universel de management, où l'indicateur de performance se retrouve désormais investi du rôle de « juge suprême » de la performance, voire de la compétence des acteurs. Les indicateurs sont en effet la lunette optique, la grille de lecture de la performance. La culture du résultat semble donner de bons résultats dans le secteur privé. Un entretien d’évaluation est organisé chaque année entre le salarié et son supérieur hiérarchique afin de définir les objectifs de l’année suivante et les critères de réalisation de ces objectifs. L’entretien passe en revue les critères de l’année en cours et les écarts entre les prévisions et les réalisations. A partir des objectifs et d’une grille d’évaluation composée de critères quantifiables, les responsables de services publics doivent rendre des comptes. Il faut qu’ils soient évalués sur leur bilan individuel.
La société politique doit s’inscrire dans une dynamique républicaine, dans la perspective de la responsabilisation, dans le combat pour l’égalité, où les citoyens contribuent en tant qu’acteur et non spectateur, à la transformation des structures de la Nation. La mise en place des services publics de proximité avec une spécialisation des actions, la signature des contrats de performance, des contrats opérateurs et des contrats d’objectifs, peut concourir à l’optimisation des services rendus. La culture des résultats est une réalité objective au Rwanda, où chaque administration publique (y compris le gouvernement et les ambassades) s’assigne annuellement des objectifs à atteindre avec un contrat de performance. Au début de chaque année, il y a une évaluation publique : moins de 70 %, le chef de service risque de perdre son poste ; entre 70 et 90 %, les responsables reçoivent des brimades ; et plus de 90 %, le chef de service reçoit des diverses récompenses. Par exemple, un Chef d’établissement scolaire qui n’a aucun élève ayant réussi l’examen national quitte son poste. C’est une coutume. Les établissements d’enseignement sont soumis à des normes de performance et sont jugés d’après le taux de réussite aux examens. Bref, les statistiques montrent une augmentation d’efficacité selon les indicateurs officiels, mais l’opinion publique constate une diminution considérable de la qualité des services rendus. Voilà des effets pervers induits par la politique du résultat et le management par l'évaluation à éviter. D’où la proposition de passer d'une logique de la récompense à la logique de la responsabilité.
2. Culture de rendre des comptes
L’art de la gestion du pouvoir et de l’orchestration des événements politiques qui marquent la manifestation de l’autorité publique, traduit d’abord la culture profonde du pouvoir, et la conception du destin public. Il y a d’un côté, le sentiment d’une humilité et d’une simplicité résultant des usages propres et des coutumes d’une société, et de l’autre côté une extrapolation permanente, un dédain et une présentation constante du pouvoir comme un mythe inaccessible. En somme, le choix doit être fait entre un accent placé dans l’acceptation d’un minimum de consensus social et politique d’une part, et un accent tourné vers l’arrogance définitive et le recul du consensus renvoyé ou converti en mysticisme. Entre ces deux images diamétralement opposées, découle la conscience républicaine, la signification de la citoyenneté et l’interprétation à la fois du rôle et de l’autorité de l’Etat.
Rendre des comptes, c’est être comptable des décisions que l’on prend et de leurs conséquences, qu’elles soient positives ou négatives. Il s’agit d’une exigence des sociétés modernes et démocratiques. La responsabilité est au cœur de toute forme de gouvernance, qu’elle soit locale, nationale, africaine ou mondiale. La gouvernance, c’est aussi rendre des comptes devant les institutions publiques et le Peuple. Dans cette conception de rendre des comptes, tous les responsables la jouent modeste, sans une once d'arrogance démonstrative, car aucun d'entre eux ne peut se targuer d'être « proche du chef » - et donc protégé par lui -, ni au-dessus de la « rule of law », qui, avec les mots contrôle, audit et responsabilité, est un peu le bréviaire de la gouvernance moderne.
3. Gouverner, c’est aussi prévoir
Au niveau de responsabilité publique, l’imprévoyance est une forme d’aveuglement impardonnable. Cela nous oblige à dire à tous ceux qui veulent s’investir dans la vie politique de bien peser l’impact de leurs décisions sur la vie quotidienne de la nation. Lorsqu’on prend la décision d’assurer la gratuité des soins dans les hôpitaux, sans y prévoir le moindre médicament pour les patients, on se demande quelle est la portée réelle d’une telle décision sur le quotidien des populations ?... Nous sommes dans une phase de l’histoire où la prévoyance doit s’inscrire durablement au cœur de la vie politique pour nous éviter le ridicule et le dénuement dans un monde qui nous observe avec pitié et qui constate, depuis des décennies, notre incapacité à construire notre avenir et notre propre bonheur. La vie politique exige aujourd’hui, non seulement de l’audace, de la prévoyance et de l’humilité, mais aussi et surtout de s’éloigner des certitudes qui conduisent souvent à des catastrophes que l’orgueil et l’arrogance des uns et des autres transforment en tragédies et en humiliation pour tout un peuple.