Cours sur le rôle du management stratégique et opérationnelle
2.2 La gestion de la relation client, du management à l’opérationnalisation
Dans cette perspective, le terme anglais CRM (Customer Relationship Management) rend compte de la double acception de la démarche : à la fois volonté stratégique et mise en œuvre opérationnelle. Ainsi, la GRC peut être vue sous des angles différents : une stratégie d’entreprise, un processus relationnel, un processus technologique ou un principe d’efficacité organisationnelle (Peelen et al., 2006).
La première approche proposée par Peelen et al. (2006) appréhende la GRC comme une stratégie qui comprend l'ensemble des activités marketing destinées à établir, développer et maintenir des relations d'échange fructueuses. Pour arriver à ces fins, la GRC doit devenir une stratégie d’entreprise impliquant l’ensemble des fonctions de l’organisation (marketing, système d’information, finance…) dans une approche transversale (Jain, 2005). Cette volonté doit être accompagnée par la mise en place et le développement d’infrastructures informatiques permettant l’échange d’informations. Or, bien que la plupart des dirigeants d’entreprise reconnaissent les données clients comme une ressource critique, peu d’entre eux fournissent l’impulsion nécessaire à la mise en place de programmes visant à préserver la valeur de leurs données (Rapport Accenture 2006 ; Henneberg, 2005).
Selon la deuxième approche, la GRC vue comme un processus relationnel fait abstraction de la dimension technologique de la relation avec les clients en se centrant sur la nécessité d’accorder une attention accrue aux clients. Elle considère la GRC comme un « processus permettant de traiter tout ce qui concerne l’identification des clients, la constitution d’une base de connaissance sur la clientèle, l’élaboration d’une relation client et l’amélioration de l’image de l’entreprise et de ses produits auprès du client » (Peelen et al., 2006, p.2).
Définie comme un processus technologique, la GRC correspond à « l’automatisation de processus d’entreprise horizontalement intégrés, à travers plusieurs points de contact possibles avec le client (marketing, ventes, après-vente et assistance technique), en ayant recours à des canaux de communication multiples et interconnectés » (Metagroup 2000 in Peelen et al., 2006, p. 1). Cette définition, la plus communément partagée dans les entreprises, envisage clairement la GRC dans le cadre des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Le risque majeur dans l’entreprise en HC est le fait que les moyens techniques se substituent trop aux moyens humains. Pour les clients de PME habitués à des échanges interpersonnels, cet « éloignement humain » au profit de « relations technologiques » peut être mal vécu.
Enfin, certains auteurs ou praticiens vont un pas plus loin en recommandant de ne pas s’intéresser à tous les clients, mais de se focaliser sur certains segments seulement. Dans cette perspective, la GRC reprend une dimension stratégique dans un processus aval : en effet, les systèmes de CRM ont généralement deux grandes fonctionnalités, le datawarehousing (qualification et stockage des données client) et le datamining (exploitation des données client afin de transformer les « données » à proprement parler en « connaissances client » et de les utiliser in fine en front office via les différents canaux de communication ou en interne pour une approche analytique du marché et la définition de stratégies marketing). Ainsi, l’entreprise cherche à optimiser conjointement sa rentabilité et la satisfaction de certains clients, en se focalisant sur des segments de clientèle offrant le plus de potentiel, en définissant des actions marketing et des processus centrés sur ses clients (Peelen et al., 2006). L’ensemble de ces approches s’accordent sur un point principal : il est fondamental de bien connaître les clients (que ce soit selon des canaux formels –NTIC- ou informels –relations humaines-). Cette connaissance des clients doit notamment permettre une meilleure anticipation des besoins, le développement de ventes croisées, etc. Dans cette perspective, il semble que les entreprises en HC doivent faire face à des problématiques spécifiques.
3. Spécificités de l’approche relationnelle dans l’entreprise en hypercroissance
Comme cela a été abordé précédemment, l’HC pose de façon cruciale diverses problématiques marketing :
- au-delà du recrutement de nouveaux clients, il est nécessaire d’identifier le cœur de cible, ce qui passe par le développement de la connaissance des clients (Barringer et al., 2005) ;
- préserver la satisfaction des clients, potentiellement mise à mal par la croissance rapide, ce qui passe par un travail sur la qualité de service et la qualité de la relation ;
- mettre en adéquation les ressources technologiques et humaines pour faire face à la croissance et ne pas penser le développement de la GRC à l’envers en partant de l’outil pour définir la stratégie (Jain, 2005).
3.1. Identification d’un cœur de cible, voire des cœurs de cible
Comme mentionné en introduction, la valeur d’une entreprise dépend, entre autres, de la valeur des opportunités de croissance qui se présentent à elle (Gordon, 1998). Le marketing relationnel se focalise sur les clients qui présentent un certain potentiel pour permettre l’accélération de la croissance de l’entreprise. Cette démarche d’identification d’un cœur de cible comporte trois bénéfices principaux pour les entreprises, notamment celles qui sont en HC : avoir une démarche rationnelle de segmentation et de ciblage ; améliorer globalement la relation client et impliquer dans cette vision toutes les fonctions de l’entreprise ; améliorer l’offre de produits et services en fonction des besoins et désirs des clients.
* Segmentation et ciblage rationnel : en phase d’HC, l’entreprise a souvent peu l’occasion de choisir ses clients. En effet, cette phase est souvent l’occasion de prendre une position sur le marché qui peut se révéler durable (Izosimov, 2008). Suivant cet objectif, l’entreprise met l’accent sur le recrutement de nouveaux clients. Cependant, tous les clients n’offrent pas le même niveau de rentabilité. Une fois sa position (part de marché) prise sur le marché, l’entreprise doit entrer dans une phase de rationalisation de ses activités et profiler ses clients (rentables / non rentables) (Jain, 2005). Cette démarche de segmentation et de ciblage rationnel repose à la fois sur la mise en place de processus de plus en plus formalisés de collectes d’information (outils GRC) (Wind, 2005) et sur la connaissance plus informelle et interpersonnelle souvent détenue par les commerciaux. In fine, ce profilage peut être opéré via des opérations de segmentation classiques reposant soit sur les marges générées par les clients, soit, et c’est là une solution préférable, en travaillant sur la valeur actualisée des clients1 afin de projeter une valeur de la clientèle à travers le temps. Selon Crié et Bennavent (1998), cette approche d’actualisation du portefeuille de clients permet d’intégrer à la fois une segmentation comportementale et une segmentation de cohorte2 . L’entreprise pourra alors opérer des traitements différenciés, privilégiant une approche transactionnelle avec les clients les moins rentables et relationnelle avec les autres.
* La relation client, un état d’esprit partagé dans toute l’entreprise : Fisher et al. (1998) constatent que l’on retrouve régulièrement dans la littérature la spéculation selon laquelle les entreprises en HC seraient moins orientées clients. Ces entreprises s’adresseraient prioritairement aux clients dont les besoins sont compatibles à leur offre alors que les entreprises présentant un niveau de croissance moindre seraient plus tournées vers leurs clients. Cette différence d’approche s’expliquerait notamment par la supériorité de l’offre - avantage produit fort - de l’entreprise sur la (ou les) niche(s) sur lesquelles elle opère.
Il paraît toutefois indispensable d’orienter l’entreprise vers le client : connaître les besoins des clients et y répondre au mieux nécessite une approche transversale du marché, impliquant toutes les fonctions de l’entreprise (Payne et Frow, 2006). Plus particulièrement, vis-à-vis des clients relationnels, il sera fondamental de mettre en place des outils favorisant le bouche-à- oreille et le social networking. Ces techniques de communication, généralement peu coûteuses et adaptées aux PME permettent des recrutements de qualité. Elles permettent également de préserver la dimension interpersonnelle de la relation chère aux PME.
* Amélioration de l’offre : la connaissance de la clientèle peut également offrir à l’entreprise de nouveaux ressorts de croissance à travers une vision et une création de valeur tirée par le marché pour guider l’innovation (Wind, 2005). Notamment, elle autorise l’entreprise à travailler de façon plus pertinente à la définition de nouveaux produits et à ses modes de communication en différenciant son coeur de clientèle de sa clientèle « transactionnelle ». L’émergence d’offres peut être le fruit d’une coopération privilégiée avec un noyau de clients avec lesquels l’entreprise aura développé une relation de confiance et un engagement mutuel fort ; cette démarche garantit en même temps une meilleure acceptation par les prospects du fait d’une meilleure adaptation ou performance (Gordon, 1998).
En termes de définition de l’offre faite aux clients, Wind (2005) insiste sur l’intérêt de proposer des solutions de plus en plus globales pour assurer la croissance de l’entreprise : il s’agit ainsi de passer de la vente transactionnelle de produits à une solution totalement intégrée associant produits et services, et de passer d’une logique de tarification par produit à une logique d’une solution technique et financière complète. Ces stratégies se développent d’ailleurs dans des secteurs réputés dynamiques comme la pharmacie, l’informatique, les services financiers, les télécommunications ou encore la communication. Cette approche globale permet une création de valeur supplémentaire aux yeux des clients, en créant une niche de marché, mais elle ne peut être le simple fait du service marketing et nécessite l’intégration de celui-ci avec de nombreuses autres fonctions (R&D, finance, production…). Si la définition du cœur de cible est une phase critique du développement d’une entreprise, son HC engendre également des problématiques de qualité et de satisfaction.
3.2. Problématiques de qualité et satisfaction
Le développement rapide de l’activité est nécessairement une situation critique pour la qualité intrinsèque de l’offre et représente un risque accru d’insatisfaction générée par des tensions au niveau de la production, de la logistique, des services administratifs et des ressources humaines. Face à la difficulté de préserver la satisfaction client et la qualité de service/relation, il est alors nécessaire d’opérer une refonte des relations clients (Wind, 2005).
* Risques de dégradation de la qualité du produit/service : en phase de développement rapide, les entreprises doivent faire face à une augmentation importante et diligente des cadences de production et de logistique. Ainsi, ces changements de rythme nécessitent généralement des modifications organisationnelles importantes. Toutefois, toutes ces mutations sont classiquement accompagnées de goulots d’étranglements organisationnels avant la mise en œuvre et l’opérationnalisation efficiente des nouveaux processus. Les conséquences classiques sont alors des ruptures de stocks, le dépassement des délais, une baisse de la qualité de service, etc. Les répercussions sont non négligeables sur la gestion de la relation client.
De plus, Gutiérrez et al. (2004) souligne que la qualité perçue par les consommateurs/utilisateurs n’est pas uniquement liée au produit et service stricto sensu, mais qu’elle est appréhendée dans sa globalité en intégrant notamment la qualité de la relation devenue fondamentale.
* Risques de diminution de la qualité de la relation : au niveau commercial, les clients aiment avoir une personne référente stable, qu’ils connaissent et en qui ils ont confiance (Prim-Allaz, 2000). Or la croissance rapide de l’entreprise est généralement accompagnée de modifications importantes des ressources humaines qui engendrent des changements fréquents des personnes référentes pour les clients. Cette instabilité de l’interface entreprise/clientèle est générée par deux raisons principales : la nécessité de recruter de nombreux nouveaux salariés et le phénomène d’« aspiration hiérarchique » (les salariés anciens changent rapidement de fonction, souvent pour encadrer les nouvelles recrues). Face à ces changements incessants, le client ne s’y retrouve plus. Pour bien gérer son HC, l’entreprise devra donc avoir une capacité supérieure à recruter et garder les salariés qualifiés et compétents (Bendapudi et Leone, 2002). Dans le cadre de croissance externe, il sera capital de retenir les relationship marketing managers pour convaincre les clients de rester (Richey et al., 2008).
Par ailleurs, face à la multiplication des canaux de contact, le grand défi de la GRC et, d'une certaine manière, la clé de sa rentabilité, est bien de parvenir à synchroniser les canaux pour recueillir une information homogène et constituer une seule et même base de données. Or dans les PME, ce type d’organisation n’est pas le plus répandu, notamment au niveau des commerciaux qui ont généralement du mal à partager l’information concernant leur portefeuille de clients ; ainsi, une véritable conduite du changement est indispensable.
3.3. Mise en adéquation des ressources technologiques, organisationnelle, et humaines
Pour faire face à ces problèmes liés à l’HC, trois solutions peuvent être envisagées : (1) développer l’écoute clients à travers tous les canaux de contacts et notamment en mettant en place ou en développant un système de GRC ; (2) minimiser le turnover des salariés en augmentant leur satisfaction ; (3) développer la confiance institutionnelle.
* Mise en place de systèmes de GRC : pour répondre aux préoccupations précédentes, il semble évident que la gestion d’une situation d’HC passe par une bonne adéquation entre l’utilisation des ressources technologiques et des ressources humaines, notamment au travers de la mise en place de systèmes d’informations pertinents. En effet, la mise en place de ces outils peut faciliter la multiplication des points de contacts entreprise / clients tout en garantissant la connaissance de la relation (Prim-Allaz, 2000).
Les SFA (Sales force automation) sont des outils fréquemment mis en œuvre pour faciliter l’opérationnalisation de processus CRM dans le cadre d’une stratégie relationnelle, sans pour autant aboutir systématiquement à un succès. L’échec peut intervenir à deux niveaux :
- en interne, vis-à-vis des commerciaux qui ont le sentiment que leur travail est menacé dans la mesure où n’importe qui dans l’organisation peut avoir accès à l’information sur le client et peut ainsi les remplacer. Ils perdent de la sorte le bénéfice d’une partie de l’asymétrie d’information dont ils disposaient (Speier et Venkatesh, 2002) ;
- en externe, vis-à-vis de la clientèle qui peut aussi voir dans cette automatisation une déshumanisation de la relation qu’ils ont avec l’entreprise. Les clients ont alors l’impression de n’être qu’un numéro de ligne dans une base de données à partir desquelles les campagnes de marketing direct sont lancées diminuant de fait les contacts interpersonnels.
Ceci est d’autant plus vrai dans le contexte des PME où les relations, notamment en BtoB, reposent souvent essentiellement sur des liens interpersonnels. Ainsi, cette intégration des systèmes de GRC nécessite la gestion du risque du tout technologique au détriment des relations humaines et inversement celle du développement de l’entreprise où tout est basé sur les réseaux sociaux et l’informel (Jain, 2005).
* Gérer au mieux la satisfaction des salariés pour minimiser le turnover : comme évoqué auparavant, l’HC peut entraîner un effet d’« aspirateur hiérarchique ». Si le personnel en contact tourne trop vite du fait de vagues de recrutement rapprochées, le client ne s’y retrouvera pas. Cependant, si l’entreprise cherche à stabiliser son personnel en recrutant en externe pour les postes de niveaux hiérarchiques supérieurs, elle génèrera des sentiments de frustration très forts. Il sera donc indispensable pour les PME en HC d’analyser et de gérer en parallèle les problématiques de qualité de service (cf. satisfaction des clients) et de stabilité des salariés (cf. satisfaction des salariés).
* Développer la confiance institutionnelle : L’établissement d’une relation de confiance avec ses clients ressort comme un élément distinctif entre les entreprises en HC et les entreprises à croissance lente (Barringer et al., 2005). Garbarino et Johnson (1999) montrent que pour les clients très relationnels, plus que la satisfaction, la confiance et l’engagement jouent le rôle de médiateur entre les composantes de l’attitude et l’intention de transactions futures. Ainsi, l’engagement et la confiance jouent un rôle clé pour l’entreprise en HC lorsque la satisfaction peut être entamée par des difficultés organisationnelles passagères ; avoir des clients en pleine confiance et engagés permet de faire face temporairement à la situation (Prim-Allaz, 2000). Il peut alors être pertinent de développer la confiance vis-à-vis de l’organisation plutôt que vis-à-vis de ses membres (Benamour, 2000). En effet, trois formes de confiance peuvent être distinguées : confiance interpersonnelle, relationnelle et institutionnelle1 . Cette dernière perspective peut offrir aux PME en HC des axes de réflexions stratégiques et d’actions leur permettant d’améliorer la perception globale de leur organisation vis-à-vis des consommateurs durant cette phase de multiples changements.
4. Proposition d’un modèle
Comme nous l’avons évoqué précédemment, il semble pertinent d’apprécier la performance des PME en HC du point de vue de la GRC selon deux perspectives spécifiques :
1. les entreprises actrices d’un marché lui-même en HC auront pour enjeu de développer leurs ventes principalement en accroissant leur portefeuille de clients ;
2. les entreprises en HC sur un marché en phase de maturité auront quant à elles des stratégies différentes, souvent basées sur l’exploitation optimale d’un marché de niche.
Ainsi, il s’avère judicieux de proposer deux modèles adaptés à ces perspectives spécifiques.
4.1. Modèle des PME en hypercroissance sur un marché en hypercroissance
Dans un marché en HC, les positions initialement prises par les différents acteurs se révèlent souvent durables (Izosimov, 2008). Dans ce contexte les acteurs privilégient les ventes. C’est une fois le marché stabilisé qu’ils peuvent développer des modèles efficients et redonner la priorité à la qualité. D’où la proposition d’un modèle en deux phases.
La première est principalement axée sur le développement du portefeuille clients immédiatement suivi par une rationalisation de ce portefeuille. Le démarrage de l’HC réalisé (phase 1 – cf. Figure 1), il faut ensuite entretenir cette HC sur des bases saines en se focalisant sur une clientèle rentable, fidèle, capable d’aider l’entreprise à développer de nouveaux marchés (innovation, clients « emblèmes » susceptibles d’en attirer d’autres par effet de réputation…) (phase 2- cf. Figure 2). L’entreprise va alors tenter de s’appuyer sur quelques clients en développant avec eux toutes les formes du marketing relationnel (confiance, engagement, etc.) ; cette démarche lui permettra d’améliorer son organisation et l’efficience de ses process. En conséquence, elle va pouvoir améliorer globalement la qualité de ses produits / services et relations avec l’ensemble de ses clients ce qui lui permettra de consolider sa position sur le marché grâce à une meilleure satisfaction, réputation. In fine ce cercle débouchera sur une meilleure fidélisation du portefeuille ainsi que le recrutement de nouveaux clients. Parallèlement, il est aussi essentiel d’identifier les clients dits « transactionnels » pour leur apporter une réponse en adéquation à leurs attentes et à leur valeur client. En d’autres termes, une fois identifiés, il s’agit de ne pas investir sur ces clients et de se contenter de leur vendre au coup par coup à un prix garantissant un niveau de marge suffisant.
Cours sur le rôle du management stratégique et opérationnelle
2.2 La gestion de la relation client, du management à l’opérationnalisation
Dans cette perspective, le terme anglais CRM (Customer Relationship Management) rend compte de la double acception de la démarche : à la fois volonté stratégique et mise en œuvre opérationnelle. Ainsi, la GRC peut être vue sous des angles différents : une stratégie d’entreprise, un processus relationnel, un processus technologique ou un principe d’efficacité organisationnelle (Peelen et al., 2006).
La première approche proposée par Peelen et al. (2006) appréhende la GRC comme une stratégie qui comprend l'ensemble des activités marketing destinées à établir, développer et maintenir des relations d'échange fructueuses. Pour arriver à ces fins, la GRC doit devenir une stratégie d’entreprise impliquant l’ensemble des fonctions de l’organisation (marketing, système d’information, finance…) dans une approche transversale (Jain, 2005). Cette volonté doit être accompagnée par la mise en place et le développement d’infrastructures informatiques permettant l’échange d’informations. Or, bien que la plupart des dirigeants d’entreprise reconnaissent les données clients comme une ressource critique, peu d’entre eux fournissent l’impulsion nécessaire à la mise en place de programmes visant à préserver la valeur de leurs données (Rapport Accenture 2006 ; Henneberg, 2005).
Selon la deuxième approche, la GRC vue comme un processus relationnel fait abstraction de la dimension technologique de la relation avec les clients en se centrant sur la nécessité d’accorder une attention accrue aux clients. Elle considère la GRC comme un « processus permettant de traiter tout ce qui concerne l’identification des clients, la constitution d’une base de connaissance sur la clientèle, l’élaboration d’une relation client et l’amélioration de l’image de l’entreprise et de ses produits auprès du client » (Peelen et al., 2006, p.2).
Définie comme un processus technologique, la GRC correspond à « l’automatisation de processus d’entreprise horizontalement intégrés, à travers plusieurs points de contact possibles avec le client (marketing, ventes, après-vente et assistance technique), en ayant recours à des canaux de communication multiples et interconnectés » (Metagroup 2000 in Peelen et al., 2006, p. 1). Cette définition, la plus communément partagée dans les entreprises, envisage clairement la GRC dans le cadre des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Le risque majeur dans l’entreprise en HC est le fait que les moyens techniques se substituent trop aux moyens humains. Pour les clients de PME habitués à des échanges interpersonnels, cet « éloignement humain » au profit de « relations technologiques » peut être mal vécu.
Enfin, certains auteurs ou praticiens vont un pas plus loin en recommandant de ne pas s’intéresser à tous les clients, mais de se focaliser sur certains segments seulement. Dans cette perspective, la GRC reprend une dimension stratégique dans un processus aval : en effet, les systèmes de CRM ont généralement deux grandes fonctionnalités, le datawarehousing (qualification et stockage des données client) et le datamining (exploitation des données client afin de transformer les « données » à proprement parler en « connaissances client » et de les utiliser in fine en front office via les différents canaux de communication ou en interne pour une approche analytique du marché et la définition de stratégies marketing). Ainsi, l’entreprise cherche à optimiser conjointement sa rentabilité et la satisfaction de certains clients, en se focalisant sur des segments de clientèle offrant le plus de potentiel, en définissant des actions marketing et des processus centrés sur ses clients (Peelen et al., 2006). L’ensemble de ces approches s’accordent sur un point principal : il est fondamental de bien connaître les clients (que ce soit selon des canaux formels –NTIC- ou informels –relations humaines-). Cette connaissance des clients doit notamment permettre une meilleure anticipation des besoins, le développement de ventes croisées, etc. Dans cette perspective, il semble que les entreprises en HC doivent faire face à des problématiques spécifiques.
3. Spécificités de l’approche relationnelle dans l’entreprise en hypercroissance
Comme cela a été abordé précédemment, l’HC pose de façon cruciale diverses problématiques marketing :
- au-delà du recrutement de nouveaux clients, il est nécessaire d’identifier le cœur de cible, ce qui passe par le développement de la connaissance des clients (Barringer et al., 2005) ;
- préserver la satisfaction des clients, potentiellement mise à mal par la croissance rapide, ce qui passe par un travail sur la qualité de service et la qualité de la relation ;
- mettre en adéquation les ressources technologiques et humaines pour faire face à la croissance et ne pas penser le développement de la GRC à l’envers en partant de l’outil pour définir la stratégie (Jain, 2005).
3.1. Identification d’un cœur de cible, voire des cœurs de cible
Comme mentionné en introduction, la valeur d’une entreprise dépend, entre autres, de la valeur des opportunités de croissance qui se présentent à elle (Gordon, 1998). Le marketing relationnel se focalise sur les clients qui présentent un certain potentiel pour permettre l’accélération de la croissance de l’entreprise. Cette démarche d’identification d’un cœur de cible comporte trois bénéfices principaux pour les entreprises, notamment celles qui sont en HC : avoir une démarche rationnelle de segmentation et de ciblage ; améliorer globalement la relation client et impliquer dans cette vision toutes les fonctions de l’entreprise ; améliorer l’offre de produits et services en fonction des besoins et désirs des clients.
* La relation client, un état d’esprit partagé dans toute l’entreprise : Fisher et al. (1998) constatent que l’on retrouve régulièrement dans la littérature la spéculation selon laquelle les entreprises en HC seraient moins orientées clients. Ces entreprises s’adresseraient prioritairement aux clients dont les besoins sont compatibles à leur offre alors que les entreprises présentant un niveau de croissance moindre seraient plus tournées vers leurs clients. Cette différence d’approche s’expliquerait notamment par la supériorité de l’offre - avantage produit fort - de l’entreprise sur la (ou les) niche(s) sur lesquelles elle opère.
Il paraît toutefois indispensable d’orienter l’entreprise vers le client : connaître les besoins des clients et y répondre au mieux nécessite une approche transversale du marché, impliquant toutes les fonctions de l’entreprise (Payne et Frow, 2006). Plus particulièrement, vis-à-vis des clients relationnels, il sera fondamental de mettre en place des outils favorisant le bouche-à- oreille et le social networking. Ces techniques de communication, généralement peu coûteuses et adaptées aux PME permettent des recrutements de qualité. Elles permettent également de préserver la dimension interpersonnelle de la relation chère aux PME.
En termes de définition de l’offre faite aux clients, Wind (2005) insiste sur l’intérêt de proposer des solutions de plus en plus globales pour assurer la croissance de l’entreprise : il s’agit ainsi de passer de la vente transactionnelle de produits à une solution totalement intégrée associant produits et services, et de passer d’une logique de tarification par produit à une logique d’une solution technique et financière complète. Ces stratégies se développent d’ailleurs dans des secteurs réputés dynamiques comme la pharmacie, l’informatique, les services financiers, les télécommunications ou encore la communication. Cette approche globale permet une création de valeur supplémentaire aux yeux des clients, en créant une niche de marché, mais elle ne peut être le simple fait du service marketing et nécessite l’intégration de celui-ci avec de nombreuses autres fonctions (R&D, finance, production…). Si la définition du cœur de cible est une phase critique du développement d’une entreprise, son HC engendre également des problématiques de qualité et de satisfaction.
3.2. Problématiques de qualité et satisfaction
Le développement rapide de l’activité est nécessairement une situation critique pour la qualité intrinsèque de l’offre et représente un risque accru d’insatisfaction générée par des tensions au niveau de la production, de la logistique, des services administratifs et des ressources humaines. Face à la difficulté de préserver la satisfaction client et la qualité de service/relation, il est alors nécessaire d’opérer une refonte des relations clients (Wind, 2005).
De plus, Gutiérrez et al. (2004) souligne que la qualité perçue par les consommateurs/utilisateurs n’est pas uniquement liée au produit et service stricto sensu, mais qu’elle est appréhendée dans sa globalité en intégrant notamment la qualité de la relation devenue fondamentale.
* Risques de diminution de la qualité de la relation : au niveau commercial, les clients aiment avoir une personne référente stable, qu’ils connaissent et en qui ils ont confiance (Prim-Allaz, 2000). Or la croissance rapide de l’entreprise est généralement accompagnée de modifications importantes des ressources humaines qui engendrent des changements fréquents des personnes référentes pour les clients. Cette instabilité de l’interface entreprise/clientèle est générée par deux raisons principales : la nécessité de recruter de nombreux nouveaux salariés et le phénomène d’« aspiration hiérarchique » (les salariés anciens changent rapidement de fonction, souvent pour encadrer les nouvelles recrues). Face à ces changements incessants, le client ne s’y retrouve plus. Pour bien gérer son HC, l’entreprise devra donc avoir une capacité supérieure à recruter et garder les salariés qualifiés et compétents (Bendapudi et Leone, 2002). Dans le cadre de croissance externe, il sera capital de retenir les relationship marketing managers pour convaincre les clients de rester (Richey et al., 2008).
Par ailleurs, face à la multiplication des canaux de contact, le grand défi de la GRC et, d'une certaine manière, la clé de sa rentabilité, est bien de parvenir à synchroniser les canaux pour recueillir une information homogène et constituer une seule et même base de données. Or dans les PME, ce type d’organisation n’est pas le plus répandu, notamment au niveau des commerciaux qui ont généralement du mal à partager l’information concernant leur portefeuille de clients ; ainsi, une véritable conduite du changement est indispensable.
Pour faire face à ces problèmes liés à l’HC, trois solutions peuvent être envisagées : (1) développer l’écoute clients à travers tous les canaux de contacts et notamment en mettant en place ou en développant un système de GRC ; (2) minimiser le turnover des salariés en augmentant leur satisfaction ; (3) développer la confiance institutionnelle.
* Mise en place de systèmes de GRC : pour répondre aux préoccupations précédentes, il semble évident que la gestion d’une situation d’HC passe par une bonne adéquation entre l’utilisation des ressources technologiques et des ressources humaines, notamment au travers de la mise en place de systèmes d’informations pertinents. En effet, la mise en place de ces outils peut faciliter la multiplication des points de contacts entreprise / clients tout en garantissant la connaissance de la relation (Prim-Allaz, 2000).
Les SFA (Sales force automation) sont des outils fréquemment mis en œuvre pour faciliter l’opérationnalisation de processus CRM dans le cadre d’une stratégie relationnelle, sans pour autant aboutir systématiquement à un succès. L’échec peut intervenir à deux niveaux :
- en interne, vis-à-vis des commerciaux qui ont le sentiment que leur travail est menacé dans la mesure où n’importe qui dans l’organisation peut avoir accès à l’information sur le client et peut ainsi les remplacer. Ils perdent de la sorte le bénéfice d’une partie de l’asymétrie d’information dont ils disposaient (Speier et Venkatesh, 2002) ;
- en externe, vis-à-vis de la clientèle qui peut aussi voir dans cette automatisation une déshumanisation de la relation qu’ils ont avec l’entreprise. Les clients ont alors l’impression de n’être qu’un numéro de ligne dans une base de données à partir desquelles les campagnes de marketing direct sont lancées diminuant de fait les contacts interpersonnels.
* Gérer au mieux la satisfaction des salariés pour minimiser le turnover : comme évoqué auparavant, l’HC peut entraîner un effet d’« aspirateur hiérarchique ». Si le personnel en contact tourne trop vite du fait de vagues de recrutement rapprochées, le client ne s’y retrouvera pas. Cependant, si l’entreprise cherche à stabiliser son personnel en recrutant en externe pour les postes de niveaux hiérarchiques supérieurs, elle génèrera des sentiments de frustration très forts. Il sera donc indispensable pour les PME en HC d’analyser et de gérer en parallèle les problématiques de qualité de service (cf. satisfaction des clients) et de stabilité des salariés (cf. satisfaction des salariés).
4. Proposition d’un modèle
Comme nous l’avons évoqué précédemment, il semble pertinent d’apprécier la performance des PME en HC du point de vue de la GRC selon deux perspectives spécifiques :
1. les entreprises actrices d’un marché lui-même en HC auront pour enjeu de développer leurs ventes principalement en accroissant leur portefeuille de clients ;
2. les entreprises en HC sur un marché en phase de maturité auront quant à elles des stratégies différentes, souvent basées sur l’exploitation optimale d’un marché de niche.
Ainsi, il s’avère judicieux de proposer deux modèles adaptés à ces perspectives spécifiques.
4.1. Modèle des PME en hypercroissance sur un marché en hypercroissance
Dans un marché en HC, les positions initialement prises par les différents acteurs se révèlent souvent durables (Izosimov, 2008). Dans ce contexte les acteurs privilégient les ventes. C’est une fois le marché stabilisé qu’ils peuvent développer des modèles efficients et redonner la priorité à la qualité. D’où la proposition d’un modèle en deux phases.