Cours approfondi en management du changement
Cours approfondi en management du changement
- Introduction
Le monde des organisations est confronté à des changements majeurs depuis une dizaine d’années. Ces changements, variés, peuvent prendre plusieurs formes récurrentes et sont connus sous les patronymes de réorganisation, restructuration ou encore revitalisation.
Ces mouvements de transformation vont, pour la plupart du temps, de pair avec des réductions sensibles d’effectifs et sont liés, entre autres, à la globalisation de l’économie ainsi qu’à la mondialisation des marchés qui ont appuyé la compétitivité internationale ainsi que la pression exercée sur les entreprises. Selon l’Agence Nationale pour l'Amélioration des Conditions de Travail, «le changement organisationnel, surtout dans les cas de restructuration, génère du stress et de l’anxiété, non seulement pour les salariés confrontés au licenciement ou au chômage technique mais aussi pour ceux qui restent dans l’entreprise». Ainsi, plusieurs études mentionnent que les restructurations peuvent engendrer des arrêts de travail, de l’absentéisme, des troubles du sommeil, un état dépressif, des TMS,
… lesquels peuvent entraver les avantages attendus du changement.
Dans ce dossier, nous nous intéressons à la question des conséquences potentielles du changement organisationnel sur les personnes qui le vivent et aux moyens mis à disposition des employeurs en vue de sa bonne gestion.
Qu’entend-on par changement organisationnel ?
Le changement organisationnel désigne toute transformation touchant l’une des dimensions de l’organisation, à savoir, la structure, la culture d’entreprise, les personnes, les systèmes techniques, d’information, de gestion, etc.
Il existe différentes motivations possibles justifiant un changement organisationnel. Les entreprises sont non seulement promises à connaître des changements organisationnels majeurs et à les adopter afin de rester compétitives, mais également de suivre et de s’adapter aux changements spécifiques de leur environnement1. Ainsi, les changements organisationnels sont induits aussi bien par des facteurs internes et externes (cf. tableau ci- dessous), nécessitant souvent pour les travailleurs une adaptation.
Les facteurs externes pouvant conduire à un changement organisationnel
- le développement technologique de nouveaux matériaux;
- des changements dans les exigences et les goûts des clients;
- les activités et innovations des concurrents;
- une nouvelle législation et/ou politique du gouvernement;
- des changements économiques nationaux et globaux;
- des changements dans les politiques locales, nationales et/ou internationales;
- des changements dans les valeurs sociales et culturelles
Les facteurs internes pouvant conduire à un changement organisationnel
- de nouvelles productions et innovations dans le modèle des services;
- de faibles performances;
- la nomination d’un nouveau directeur ou d’une équipe de nouveaux directeurs;
- l’inadéquation des aptitudes et des connaissances de base;
- la délocalisation de fonction ou d’usine, la fermeture de filiales ou de marchés;
des problèmes liés aux facteurs de redistribution des responsabilités;
Facteurs de risques liés à un changement organisationnel
Il existe plusieurs facteurs organisationnels pouvant avoir une influence négative sur la santé psychologique des individus et dont l’impact peut également augmenter ou diminuer lors d’un changement organisationnel. Ces facteurs de risque sont les suivants :
- La surcharge quantitative de travail, laquelle peut être éprouvée par le travailleur lorsque ce dernier a une trop grande quantité de travail à réaliser dans un temps trop restreint, lorsque l’organisation procède à des suppressions de postes, lorsque le travail est complexe, que le travailleur n’a pas les marges de manœuvres suffisantes pour y faire face, etc. ;
- Le manque de reconnaissance peut être ressenti lorsque le soutien social des collègues et/ou de la hiérarchie est inexistant ou est devenu moins fréquent qu’auparavant. La reconnaissance peut être relative à la personne du travailleur (sa dignité et sa singularité), à ses compétences, à ses efforts ou encore à ses performances. Elle peut prendre plusieurs formes : économique, symbolique, pratique et sociale ;
- Les relations difficiles avec la ligne hiérarchique peuvent être vécues lorsque le changement organisationnel amène un éloignement des managers, transforme le milieu de travail en un lieu d’individualité, etc. ;
- Le manque de participation aux décisions et une circulation insuffisante de l’information peuvent accroître le niveau de tensions et d’insécurité des travailleurs. Or, en impliquant davantage les membres du personnel dans le processus décisionnel
- que ce dernier ait trait à l’organisation en elle-même ou au travail propre à l’individu - il leur est donné la possibilité d'accéder à plus d'informations, ce qui, par conséquent, leur permet d'exercer un plus grand contrôle sur leur travail ainsi que sur leur environnement. De plus, leur participation dans ce processus suscite des échanges et des interactions avec les membres de l'organisation, ce qui améliore la communication et favorise le soutien social au sein de l'entreprise ;
- La remise en question des trajectoires individuelles et collectives : les employés ayant acquis une certaine expérience ressentent fréquemment les changements organisationnels comme une remise en question non seulement de leurs compétences mais également des équilibres élaborés au fil des années et, de ce fait, comme une source d’anxiété ;
- La mauvaise conception et/ou la mauvaise conduite du changement qui peut/peuvent engendrer des pertes de sens de celui-ci ;
- L’insécurité de l’emploi, du salaire et de la carrière, laquelle peut entrainer une perte du contrôle du salarié sur son statut professionnel.
Facteurs de succès dans la conduite de changements
Des études récentes dégagent des points de repère sur lesquels les entreprises peuvent s’appuyer en vue de réunir les meilleures chances de succès des changements qu’elles entendent mettre en œuvre.
Au préalable :
- Se donner une marge de manœuvre suffisante, prévoir du temps, accepter les essais et erreurs ;
- Développer une vision claire de l’avenir et veiller à ce qu’elle puisse être communiquée - de manière cohérente et partagée - très largement au sein de l’organisation ;
- Obtenir l’appui de personnes qui s’engagent, qui soient crédibles et qui fournissent les moyens nécessaires ;
- S’entourer d’une équipe motivée, compétente, informée et concernée ;
- S’appuyer sur des systèmes organisationnels et une culture qui soutiennent le changement ainsi que sur des succès dans la conduite de changements passés, s’il en existe.
Lors du processus de changement :
- Elaborer une stratégie de préparation du changement : planification, communication, sensibilisation, implication des personnes, etc. ;
- Accompagner les personnes concernées à faire face au changement (information, formation, etc.) ;
- Evaluer, ajuster, améliorer et coordonner en permanence les actions relatives à la mise en œuvre du changement ;
Renforcer et généraliser les résultats obtenus.
…
La gestion des résistances au changement
Les théories ayant trait aux résistances facilitent la compréhension de certains éléments importants dans le vécu des changements. La résistance est une attitude naturelle et courante qui, selon Maurer (1996) est la source la moins connue mais la plus déterminante de l’échec du changement. Les changements organisationnels supposent la création d’éléments nouveaux dans l’entreprise pouvant être synonyme d’avenir incertain mais également la destruction – en partie – et/ou le remplacement de l’existant, du connu. En d’autres termes, la mise en œuvre d’un changement organisationnel peut aboutir à des résistances de la part des salariés étant donné qu’il peut être perçu par ces derniers comme étant une menace du fait de la confrontation avec l’inconnu et de la perte des habitudes qu’il occasionne.
Des travaux se sont intéressés aux différentes formes que peut endosser la résistance. Ainsi, la résistance peut apparaître sous plusieurs formes2 :
- l’argumentation du changement qui peut se traduire par une négociation sur le fond et la forme du changement. Il s’agit, selon l’auteur, d’une forme utile de résistance ;
- la révolte qui peut s’appuyer sur une action syndicale, une demande de mutation, un recours à la hiérarchie ou encore une grève ;
- le sabotage ayant pour but de montrer la non-légitimité du changement ;
- l’inertie organisationnelle qui est traduite par une absence de réaction au changement. Elle caractérise les personnes qui laissent entendre qu’elles acceptent le changement mais qui tentent d’en différer l’application.
Pour Coch et French, « la résistance au changement résulte d’une combinaison à la fois des réactions individuelles, liées à un sentiment de frustration et des réactions collectives, issues des forces induites par le groupe ».
Le constat concernant la réussite du changement dans certaines organisations laisse penser qu’il est possible de gérer ces résistances et de limiter leurs effets. Plusieurs actions peuvent contribuer à désamorcer les résistances :
- L’éducation et la communication visent à instruire et à informer les travailleurs concernés quant aux raisons du changement opéré, à la manière dont il se réalisera et aux conséquences qu’il aura sur eux. Cela permet à ces derniers de percevoir une certaine compréhension et logique permettant de s’y préparer. De même, cette démarche peut engendrer des échanges entre les membres du personnel, propices à la diminution de l’appréhension.
- La participation des travailleurs puisqu’il convient de noter que les initiateurs du changement ne disposent pas toujours de toutes les informations requises pour concevoir celui-ci.
- L’appui et le soutien de la ligne hiérarchique peut, éventuellement, limiter les craintes et inquiétudes dans lesquelles vivent les travailleurs en période de changement. Par exemple, un soutien en termes de formation des salariés serait un moyen efficace afin d’optimiser leur aptitude à faire face au changement.
Actions visant à prévenir les effets néfastes d’un changement organisationnel
- Prévention primaire
Chaque employeur a la responsabilité de promouvoir le bien-être au travail au travers de ses différents aspects (santé, aspects psychosociaux, ergonomie, hygiène, etc.) au sein de son entreprise.
Dans ce cadre, il doit adopter une approche planifiée et structurelle de la prévention en mettant en place un système dynamique de gestion des risques telle que prévu dans la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail (M.B. 18.9.1996).
Ce système cherche à maîtriser les facteurs de risque en les détectant dans un premier temps, en les supprimant ou à défaut, en en réduisant leurs effets. Il s’agit par ailleurs d’un processus continu évoluant constamment et s’adaptant en permanence aux conditions changeantes.
Le Conseiller en prévention - médecin du travail (CP-MT), par sa connaissance de l’entreprise et des travailleurs, sa collaboration avec les différents intervenants, ses visites des lieux de travail et ses consultations médicales, est un pivot de la prévention. Il peut
mettre en évidence l’intérêt d’une démarche d’analyse plus spécifique et pointue mais également sensibiliser les partenaires de l’entreprise à une telle démarche.
Pensons, à ce titre, aux analyses ergonomiques ou de sécurité mais également à l’analyse des risques psychosociaux qui est obligatoire et doit être menée en collaboration avec le Conseiller en prévention psychosocial (CP-psysoc) conformément à la législation de 20073. Cette analyse constitue un premier outil puisqu’elle consiste en une photographie du climat de travail et une évaluation du fonctionnement de l’entreprise. A l’aide de mesures de prévention et du système dynamique de gestion des risques, l’employeur - et plus largement les acteurs de la prévention - peuvent prévenir l’apparition des effets néfastes – entre autres, lors d’un changement organisationnel.
Si l’on considère qu’un changement organisationnel peut constituer en soi un facteur de risque de dommage tant pour les travailleurs que pour l’entreprise (insécurité, stress, absentéisme et de manière indirecte turnover, accidents du travail, etc.), il convient de ne pas négliger les facteurs de risques tels que présentés au point III (à savoir, une surcharge de travail, un manque de communication, etc.) et qui peuvent accentuer les effets néfastes de ce changement. Ceux-ci sont parfois méconnus et requerront une analyse spécifique qui peut prendre différentes formes (visite de lieux de travail, analyse du travail réel, focus group, passation d’un questionnaire, etc.) afin de proposer des mesures de prévention adéquates et adaptées que pourra prendre l’employeur.
A nouveau, les différents Conseillers en prévention (ergonomes, médecins du travail, psychosociaux, etc.) peuvent participer à la mise en exergue des facteurs qui, lors d’un changement organisationnel au sein de l’entreprise, ont des effets négatifs sur la santé des travailleurs.
Enfin, la démarche de changement requiert que ses acteurs soient attentifs à différents aspects :
- un plan d’action qui assure la cohérence entre l’intention stratégique et les chemins stratégiques mais qui peut également servir d’outil de communication ;
- l’encadrement qui répartit les rôles entre les niveaux stratégique, fonctionnel et opératoire d’intervention ;
- le rythme qui désigne la juste cadence à laquelle le changement doit être mené ;
- les cibles désignant les objectifs et les résultats escomptés par le changement organisationnel doivent demeurer clairs tout au long du processus.
Tout changement provoquerait un certain nombre de préoccupations qui sont normales et légitimes… Ces préoccupations se regrouperaient en 7 catégories ou phases4, chacune nécessitant une attitude adaptée.
Phases de préoccupations
PHASE 1 :
Aucune préoccupation : Indifférence face au changement.
PHASE 2 :
Préoccupations centrées sur les destinataires : inquiétudes quant à l’impact du changement sur soi, sur son travail, et sur son environnement de travail.
PHASE 3 :
Préoccupations centrées sur l’organisation : inquiétudes relatives à la légitimité du changement et à la capacité des dirigeants de le mener à terme.
PHASE 4 :
Préoccupations centrées sur le changement : inquiétudes concernant les caractéristiques du changement et de sa mise en œuvre.
PHASE 5 :
Préoccupations centrées sur l’expérimentation : inquiétudes quant au soutien offert et à la compréhension du supérieur.
PHASE 6 :
Préoccupations centrées sur la collaboration : inquiétudes quant au transfert d’expertise et aux occasions d’échanges.
PHASE 7 :
Préoccupations centrées sur l’amélioration continue : inquiétudes quant aux améliorations à apporter pour que le changement soit optimal.
Types d’interventions possibles
- Présenter des faits.
- Partager suffisamment d’informations mais pas trop.
- Impliquer les destinataires dans les discussions et décisions.
- Encourager les destinataires à parler du changement à d’autres.
- Légitimer l’existence et l’expression des préoccupations personnelles (peurs et attentes).
- Tenir les destinataires informés quant aux implications du changement sur leur poste et leurs responsabilités, et ce, au fur et à mesure des données disponibles.
- Mentionner le fait que certaines informations puissent ne pas être disponibles.
- Clarifier les enjeux organisationnels, les raisons motivant le choix du changement ainsi que les effets de ce dernier (légitimité).
- Démontrer l’engagement de la Direction à son égard.
- Démontrer de la détermination quant aux résultats à atteindre.
- Informer et communiquer sur la nature et les détails du changement.
- Consulter les destinataires et les faire participer.
- Inviter éventuellement des gens de l’extérieur ayant vécu le même changement à venir, en témoigner ou aller visiter d’autres sites d’implantation.
- Rassurer les destinataires sur leurs capacités en leur indiquant le temps dont ils disposent pour s’approprier le changement, le genre d’aide et de support qu’ils peuvent recevoir, etc.(planifier la transition).
- Clarifier les « comment faire ».
- Démontrer des solutions pratiques.
- Faciliter le transfert des acquis.
- Si nécessaire, former et/ou accompagner les destinataires.
- Donner des opportunités d’échanger avec des collègues.
- Utiliser ces destinataires comme agent de changement ou aide technique.
- Former des équipes de travail.
- Encourager les nouvelles propositions d’amélioration, de remplacement ou de méthodes de travail.
- Encourager ces destinataires à faire l’essai de leurs améliorations et à piloter ces dossiers.
…
Ce modèle peut être utilisé dans le cadre des contacts avec des salariés et des gestionnaires qui vivent un changement afin de mesurer leurs préoccupations, d’ajuster les interventions de façon à mobiliser leur engagement dans le changement, à réduire les préoccupations identifiées, à prévenir les comportements réfractaires, etc. Il apparait en effet pertinent d’effectuer quelques mesures des préoccupations existantes lors de périodes spécifiques (par exemple, à l’annonce du changement, avant la formation, avant et après le déploiement) pour s’assurer à tout moment du niveau d’appropriation réel et de l’intégration du changement dans les activités quotidiennes. En procédant de la sorte, les acteurs du changement peuvent optimiser les chances de réussite de l’implémentation du changement.
- Prévention secondaire
La réussite du changement réside dans la maîtrise par l’ensemble des acteurs de la complexité et de l’ambiguïté entourant le changement, donc de l’appropriation de leur part du projet de changement. Aussi, il est important de mener une réflexion sur ce qui fonctionne ou pas lors du processus de changement en vue de proposer, le cas échéant, des mesures correctrices. Nous proposons ci-après un panel de questions qui méritent d’être posées :
- Qui ont été les acteurs du changement (destinataires, cadres, gestionnaires, décideurs, consultants, directeurs de projet, membres des équipes de projet, syndicats, etc.) ?
- Qu'ont-ils fait ou pas ? Ont-ils tous joué leurs rôles? Disposaient-ils des ressources nécessaires ? Des résistances ont-elles été observées ? etc.
- Comment le changement a-t-il été mis en œuvre? Conditions propices au processus de changement ? Toutes les étapes ont-elles été réalisées ? Dans un délai adapté ? etc.
- Les résultats escomptés ont-ils été atteints ?
- Quid des effets du changement ? Positifs et négatifs ? Pour l’entreprise et/ou les travailleurs ?
- Etc.
Toutes formations et autres types d’accompagnement (coaching, entrevue avec un conseiller en prévention psychosocial ou une personne de confiance, etc.) qui viseraient à développer les capacités des travailleurs à faire face et à gérer le stress, à leur faire prendre conscience de leurs propres ressources ainsi qu’à prévenir les effets du changement organisationnel peuvent s’avérer utiles.
- Prévention tertiaire
Si le changement mené au sein de l’entreprise a des effets sur la santé de certains travailleurs et que des mesures collectives ont été mises en place, un accompagnement médical, psychologique ou/et social des personnes en souffrance suite à ce changement peuvent/peut s’avérer être une nécessité.
Sommaire
- Introduction
- Qu’entend-on par changement organisationnel ?
- Facteurs de risques liés à un changement organisationnel
- Facteurs de succès dans la conduite de changements
- La gestion des résistances au changement
- Actions visant à prévenir les effets néfastes d’un changement organisationnel
- Bibliographie