Management des ressources humaines support de cours
Management des ressources humaines support de cours
Introduction
Mettre en exergue la faiblesse des pratiques de l'administration en matière de gestion des ressources humaines est, à la fin des années 90, toujours un lieu commun "journalistique". Après le mensuel " Liaisons sociales " qui titrait, au printemps, sur " L'État mauvais employeur " (" Liaisons sociales ", avril 1998), le quotidien " Le Monde " n'a pas manqué de consacrer un volet de son enquête estivale sobrement intitulée " voyage indiscret au coeur de l'Etat " à la fonction publique de l'Etat, recouvrant d'une critique générale la gestion de ses ressources humaines par " l'entreprise France " : " Premier employeur du pays, première société de services, elle gère son personnel dans la plus extrême confusion, dans la plus grande discrétion. Officiellement, pourtant, les règles ne manquent pas. Tout est codifié, décrété, arrêté, " statutfié " (" Le Monde ", 27 juin 1998).
Trop longtemps sous-estimée ou méconnue (ou caricaturée) la préoccupation d'une bonne gestion des ressources humaines dans l'administration a pourtant été mise en avant, il y a une dizaine d'années, dans le cadre du " Renouveau du service public ". Les efforts engagés à ce titre, les démarches mises en oeuvre par différentes administrations ne sont pas, loin s'en faut, demeurées sans résultats ou sans suite. Du point de vue de la gestion des ressources humaines, l'administration ne part pas de zéro et elle n'a pas systématiquement et en tous domaines de la gestion des ressources humaines à rougir d'une comparaison par rapport aux pratiques du secteur privé. Il n'en est pas moins vrai qu'un chemin important reste encore à parcourir
C'est bien pourquoi, parmi les priorités retenues pour la réforme de l'Etat, figure la mise en place d'une gestion des ressources humaines rénovée et reconnue dans l'administration comme une fonction stratégique. La circulaire du Premier Ministre en date du 3 juin 1998 et relative à la préparation des programmes pluriannuels de modernisation des administrations invite ainsi à " développer une gestion des ressources humaines qui aille au-delà d'une simple administration du personnel pour mieux répondre aux besoins des services, favoriser l'initiative et la prise de responsabilité et aussi mieux répondre aux aspirations des agents ", chaque ministère devant se doter, " d'une part, des outils de gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences, d'autre part, d'une capacité de conseil aux agents ". C'est " dans cette perspective que la déconcentration du dialogue social, des actes relatifs à la gestion du personnel (recrutement, formation, gestion des carrières, procédures disciplinaires) et de l'action sociale est souhaitée ".
Dans cette perspective, le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation a souhaité, par une lettre adressée le 4 juin 1998 au Premier Président de la Cour des comptes, que le Comité central d'enquête sur le coût et le rendement des services publics engage une étude sur la fonction de gestion des ressources humaines (voir annexe 4). Cette étude, portant sur plusieurs départements ministériels, devrait s'efforcer de " cerner, autant que faire se peut, l'adéquation entre la politique de gestion des ressources humaines et les besoins des personnels et des services ". C'est dans ce cadre, et tout particulièrement dans le but de préciser la stratégie de mise en oeuvre et le contenu d'une politique de formation à la gestion des ressources humaines rénovée, que prend place la mission confiée par le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation à Serge Vallemont, le 8 juin 1998 (voir annexe 1).
Deux catégories d'objectifs sont plus précisément assignés à cette mission: "
I - La définition d'une conception rénovée de la fonction " Gestion des ressources humaines (GRH) ". "
II - La proposition d'un cahier des charges général de la formation à la gestion des ressources humaines précisant, tant pour la formation initiale que pour la formation continue, les contenus et les modalités pédagogiques et la stratégie d'organisation et de mise en oeuvre des formations correspondantes ".
Pour mener à bien sa mission, le groupe de travail constitué autour de Serge Vallemont (voir composition annexe 2) a tenu huit réunions de juillet à novembre qui ont été consacrées à l'examen de contributions de membres du groupe ou de témoignages de personnalités qualifiées sur chacun des thèmes de réflexion du groupe (voir en annexe calendrier des séances et thèmes abordés).
Le présent rapport rend compte des travaux et expose les propositions du groupe de travail. Il est structuré en trois parties :
I - L'état des lieux
II - Une conception renouvelée de la gestion des ressources humaines
III - Pour une politique de développement des formations à la GRH
- L'ETAT DES LIEUX
Le groupe de travail a repris les éléments de constats présentés lors du séminaire des directeurs du personnel en mars 1998 et débattus à cette occasion. Ces éléments de constats ont été tirés d'une enquête réalisée à la demande de la direction générale de l'administration et de la fonction publique, par le cabinet de consultants " Corrélation ", auprès de ces mêmes directeurs de personnel.
Il ressort de ce constat deux conclusions assez sévères :
- la première est que la gestion des ressources humaines (GRH) souffre, dans le secteur public, d'un déficit de stratégie et de professionnalisme ;
- la seconde est que les blocages à une gestion des ressources humaines efficace et performante tiennent moins au statut de la fonction publique qu'à de mauvaises habitudes.
1 - Un déficit de stratégie et de professionnalisme
Alors que la prise de conscience de l'importance de la GRH et la mise en oeuvre d'expériences dans l'administration date de plus de dix ans, la première constatation conduit, en effet, à relever que, dans le secteur public, la fonction personnel souffre toujours d'un déficit de stratégie et de professionnalisme.
A ce titre, il est frappant de relever l'absence de mémoire et de capitalisation des démarches entreprises et des résultats obtenus, en matière de gestion des ressources humaines depuis une dizaine d'années. Il s'est, en effet, produit dans l'administration, depuis une dizaine d'années, une véritable prise de conscience de l'importance de la GRH. Dans la mouvance en particulier du " Renouveau du service public ", les administrations se sont attachées à promouvoir des initiatives diverses en matière de GRH ( diffusion des démarches d'entretien d'évaluation, plans de formation, etc.) dont on n'a sans doute pas suffisamment tiré les acquis et les leçons plus générales que l'on peut en extraire.
Par delà ces évolutions, il est également vrai que, lorsqu'est en cause leur " coeur de métier ", certaines administrations adoptent des mécanismes de gestion des hommes et de suivi des carrières qui peuvent être spécialement raffinées. Mais l'attention portée à la " ressource humaine " s'affaiblit notablement dès que l'activité concernée n'est plus, implicitement, considérée comme entrant dans " ce coeur de métier ". C'est ainsi, pour prendre l'exemple du ministère de la défense, que la gestion des pilotes de l'armée de l'air mobilise de nombreux outils de la GRH. En revanche la même institution met en oeuvre des outils moins sophistiqués pour gérer les anciens pilotes accédant aux fonctions de commandement des bases aériennes... Dans un registre différent, mais toujours dans le coeur de métier, le ministère de l'Équipement a mis en place, depuis de nombreuses années, un dispositif de gestion individualisé des carrières des cadres appartenant à ses corps techniques comme l'illustre le cas des ingénieurs.
LA GESTION PERSONNALISÉE DES INGÉNIEURS DE L'ÉQUIPEMENT
1 - La gestion des ingénieurs polyvalents
Elle s'appuie sur des chargés de mission par corps placés auprès du directeur du personnel. Sélectionnés en fonction d'un parcours professionnel exemplaire notamment en terme de mobilité, ils suivent une formation de haut niveau pour la conduite des entretiens d'évaluation. L'objectif de la gestion personnalisée qui s'appuie à la fois sur l'évaluation faite par la hiérarchie et sur des entretiens d'évaluation lourds (durée : 3 heures) faits par les chargés de mission, est d'apprécier le potentiel de l'ingénieur et de prévoir les actions de formation et de mobilité nécessaires. Au terme de ce processus d'évaluation l'ingénieur est classé avec son accord dans un groupe à gestion dirigée, dans un groupe à gestion conseillée, ou dans un groupe à gestion collective.
Le groupe " gestion collective " regroupe les ingénieurs appelés à un déroulement de carrière classique. Dans le groupe à gestion conseillée sont placés les ingénieurs disposant d'un certain potentiel mais qui ne réunissent pas encore toutes les conditions pour prétendre à une carrière les conduisant aux postes de direction. Pour autant la porte n'est pas fermée et ils pourront suivre, sur le conseil du chargé de mission, des formations et accepter diverses affectations après lesquelles une nouvelle évaluation pourra être faite. En contrepartie, ils sont libres d'accepter ou de refuser les propositions qui leur sont faites, notamment en matière de mobilité. Dans le groupe à gestion dirigée les ingénieurs, évalués comme ayant un haut potentiel, s'engagent en revanche, de façon contractuelle, à suivre le parcours qui leur est proposé, dans l'espérance d'une affectation finale à un poste de direction, si tout se passe bien. Le classement dans ce groupe est une décision lourde de conséquences dans la mesure où l'on impose à l'agent des contraintes parfois importantes et où on lui donne des espérances qui risquent d'être déçues. Aussi intervient-il après recoupement des évaluations faites aux différents niveaux, local, régional (inspection générale) et centrale.
2 - La gestion des spécialistes et des experts
A côté de la gestion des ingénieurs tournés vers des métiers de manager, est apparue la nécessité de concevoir un dispositif d'évaluation et de gestion particulier pour gérer les carrières des spécialistes. Des comités de filières couvrant chacun un domaine technique spécifique ont été placés auprès du directeur du personnel pour recenser les emplois existants dans chaque filière, ainsi que les besoins de ces filières et faire de la gestion prévisionnelle en définissant les formations initiales requises ainsi que la durée et la nature des affectations préalables souhaitées pour accéder aux différents niveaux d'expertise. Trois niveaux d'expertise ont été définis, le niveau de spécialiste, le niveau d'expert et le niveau d'expert international, ainsi que la qualification d'ingénieur senior, inspirée des grands bureaux d'étude privés, correspondant au niveau de directeur départemental du côté des managers. Organes consultatifs ces comités de filières procèdent à l'évaluation des spécialistes et des experts et donnent leur avis lors des procédures d'avancement et de promotion de grades et de corps.
Quelques foisonnantes qu'elles puissent paraître, à l'examen, il apparaît, en définitive, que les démarches entreprises sont très disparates d'un ministère à l'autre et parfois au sein d'une même administration. Il est significatif, également, que ne se soit pas constitué un corps de doctrine cohérent et unifié en matière de GRH dans le secteur public. Une initiative comme celle du ministère de l'Équipement qui s'est efforcé d'expliciter et de formaliser sa politique de GRH dans le cadre d'une "Charte de la Fonction personnel" demeure, ainsi, relativement isolée. Et pourtant elle pourrait être facilement transposable à d'autres administrations. La situation de la GRH dans le secteur public se présente donc de manière assez paradoxale dans la mesure où l'on observe un véritable foisonnement de démarches mais où, néanmoins, l'insertion des outils de GRH (singulièrement ceux relatifs à la gestion individualisée des carrières) s'opère avec difficulté et sans grande cohérence et parfois sans pérennité dans le temps.
Un des facteurs explicatifs réside dans la difficulté, perceptible au sein de l'administration, à dégager une vision à moyen terme de la stratégie en matière de GRH. Cette difficulté découle elle-même de plusieurs causes, de nature différente parmi lesquelles figure, notamment une relative confusion entre les rôles et les registres distincts du directeur du personnel et du manager d'équipe: si la gestion des hommes dans une organisation incombe à tous les managers opérationnels, la direction des ressources humaines requiert, elle, des compétences plus spécialisées pour pouvoir concevoir et mettre en oeuvre une politique de gestion et de développement des ressources humaines. En tant que professionnel et expert, le directeur du personnel doit non seulement créer et maîtriser, lui, les outils, mais également connaître les théories qui les fondent. Il doit adapter sa politique à celle de son organisation, pour la servir. Il doit aussi être capable de créer de nouveaux outils directement appropriés à sa propre administration. Il lui revient également de bâtir une stratégie de GRH et d'organiser la fonction GRH en conséquence. Le directeur du personnel doit, enfin, veiller à l'implantation de ses politiques.
Cette vision tronquée de la responsabilité de directeur du personnel n'est, au reste, pas sans rapport avec la place et la valorisation de la fonction GRH dans les structures. Les fonctions de gestion des ressources humaines sont ainsi assumées au sein de structures dénommées direction du personnel, souvent également en charge de l'administration générale (gestion budgétaire notamment) et donc peu spécialisées dans la fonction GRH. Au sein des directions de personnel, les bureaux les plus valorisés sont, d'ailleurs, assez souvent, ceux en charge des aspects statutaires ou de gestion de corps. En revanche, les bureaux responsables de la formation ou de l'action sociale sont fréquemment les parents pauvres, à l'exception des rares administrations qui ont fait de ces domaines des axes stratégiques. En outre les directions en charge du personnel ne sont pas systématiquement articulées avec les directions opérationnelles et les instances globales de décision ce qui ne permet pas de faire de la GRH une fonction stratégique pour la mise en oeuvre et la réussite des politiques ministérielles.
D'une manière plus générale, l'absence de vision stratégique, renvoie, à la question de la professionnalisation des responsables de GRH et des membres de leur direction : à défaut de véritable filière ou de cursus professionnalisant préparant aux responsabilités de DRH, les DRH ne sont pas souvent préparés, par leur carrière antérieure, à l'exercice de fonctions relativement spécialisées. Plus généralement, les fonctions d'expertise dans les directions de personnel ne sont pas souvent valorisées dans les cursus professionnels propres à l'administration. Il est vrai, toutefois, que cette situation n'est pas spécifique à l'administration, ni même au secteur public: la plupart des grandes organisations (y compris les entreprises privées) sont elles-mêmes confrontées à la difficulté de valoriser la fonction GRH : peu médiatique, engagée dans le long terme, l'action dans le domaine de la GRH n'est pas souvent un critère déterminant d'évaluation des managers même si pourtant certaines grandes entreprises en font une condition nécessaire à l'accès aux fonctions dirigeantes.
Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que l'expertise en matière de GRH ne soit guère développée. Il existe peu de professionnels de la GRH et d'ailleurs selon l'affirmation de quelques directeurs de personnel " la GRH n'attire pas les meilleurs...". L'exemple du Centre de Formation des Ressources Humaines (CFRH) qui au Ministère de la Défense, s'attache à promouvoir un certain professionnalisme en matière de GRH grâce à une formation approfondie des cadres, civils et militaires, en charge de ce domaine reste, pour l'heure, une exception dans le secteur public. Il n'est d'ailleurs pas sans signification que ce ministère soit un de ceux qui valorise particulièrement l'exercice de responsabilités dans la fonction RH, ce dont témoignent, tout à la fois, pour s'en tenir au cas de la marine nationale, la place du directeur du personnel militaire de la marine dans l'organigramme de l'État-Major de la marine nationale, la circonstance que l'un au moins des derniers chefs d'État-Major de la marine nationale ait, antérieurement à sa nomination, occupé les fonctions d'adjoint du directeur du personnel militaire de la marine ou encore, plus généralement, le fait que la direction du personnel de la marine soit attentive à identifier, parmi d'autres cursus valorisant, des carrières comportant une alternance équilibrée entre des responsabilités opérationnelles et l'exercice d'attributions fonctionnelles en rapport avec la gestion des ressources humaines.
Le centre de formation à la gestion des ressources humaines du ministère de la Défense
Créé en 1991, le Centre de formation à la gestion des ressources humaines (C.F.R.H.) est chargé de dispenser des formations nécessaires à l'exercice de fonctions de conception ou de direction impliquant l'emploi ou la direction du personnel et peut mener toutes études sur l'emploi et la gestion des ressources humaines. Il a vocation à accueillir en qualité d'auditeurs le personnel civil et militaire du ministère de la Défense. Il peut également dispenser son enseignement aux autres agents de l'Etat, des organismes ou des entreprises du secteur public.
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2 - Des blocages qui tiennent moins au statut qu'aux mauvaises habitudes
La seconde conclusion qui ressort de l'état des lieux est que les verrous qui font obstacle à une gestion de RH efficace et performante tiennent moins au statut de la fonction publique qu'aux habitudes. Et, parfois, à une méconnaissance de ce que ce statut permet. Ces verrous sont relativement forts mais ne nous paraissent pas irrémédiablement bloqués. Le statut et la gestion paritaire sont encore parfois évoqués comme constituant des facteurs de blocage, dans la mise en oeuvre des outils de gestion prévisionnelle des effectifs, dans la recherche d'une plus grande professionnalisation des recrutements, dans la recherche d'une gestion sachant concilier l'approche métiers et l'approche carrières, dans le développement et la diffusion des pratiques et des outils d'évaluation, en complément, voir à la place de la notation, au demeurant très critiquée, dans la mise en place de démarches de valorisation des performances, ou encore dans l'usage des sanctions... Tout cela ressort souvent de constats quotidiens. C'est aussi parfois une forme d'alibi évitant des innovations que d'autres sont pourtant capable de réaliser au sein de ce même statut.
Les inerties observées tiennent aussi, si ce n'est parfois exclusivement, aux pratiques considérées comme allant de soi, sans remises en cause, aux habitudes devenues des règles, aux craintes des relations directes avec les personnels ou leurs représentants, aux comportements individuels ou de gestion, ou, plus généralement à une connaissance insuffisamment approfondie ou à un mauvais usage du statut. Ainsi, souvent citées en exergue, les évolutions et dérives successives du système de notation tiennent-elles sans doute pour une part non négligeable à la crainte du face-à-face que requiert toute évaluation individuelle et dans des comportements d'évitement de la confrontation qu'elle peut entraîner. Intégrées en amont, par les managers, intégrées par les gestionnaires, ces réticences à dépasser le cadre rassurant de la " gestion à l'ancienneté " débouchent naturellement sur une sous-utilisation des marges de manoeuvres qu'offre pourtant aux gestionnaires l'application du cadre statutaire existant ou les instruments qui s'y sont, progressivement, ajoutés. L'usage apparemment inégal fait, à ce titre, des possibilités ouvertes, en matière de GRH, par la mise en oeuvre des indices fonctionnels et de la nouvelle bonification indiciaire en sont, sans doute, une illustration.