Cours de management des operations et de la production
Puis, au sein de notre entreprise, on trouvera la chaîne logistique interne, qui assure le flux des matières et de l'information entre les étapes de transformation par lesquelles on réalise nos produits et on les prépare pour la distribution. La gestion de cette chaîne interne inclut toutes les activités liées à l’approvisionnement, à la planification et au contrôle des opérations, à la gestion des stocks et à la planification de la distribution aux clients. Autrement dit, on vise ici à ce que chacune des étapes de transformation obtienne elle aussi les matières et produits en cours dont elle a besoin pour travailler, et ce, toujours au bon moment, au bon endroit, en bonne quantité, etc.
Dès que les produits sortent de nos installations, ils entrent dans la chaîne logistique en aval (ou chaîne de distribution), qui peut être plus ou moins longue selon le nombre d’intermédiaires qui séparent notre usine des utilisateurs finaux de nos produits. Si notre entreprise fabrique des biens de consommation courante, nos produits seront probablement livrés à des distributeurs, puis à des détaillants. Toutefois, notre entreprise pourrait elle?même être située en amont d’autres fabricants; pour reprendre notre exemple, peut?être que les pièces de plastique que nous avons achetées servent à fabriquer des batteries qui sont destinées à l’industrie automobile. À la figure 1.5, nous avons mis notre entreprise au centre de la chaîne logistique, mais elle peut être située n’importe où : l’entreprise de pétrochimie qui fabrique le plastique a une longue chaîne logistique en aval mais une courte chaîne en amont, alors que le détaillant en pièces d’auto qui vend aux garagistes ou aux particuliers est à la toute fin de la chaîne, et c’est sa chaîne logistique en amont qui est longue.
Il existe enfin une quatrième chaîne, la chaîne logistique à rebours. La figure 1.5 indique que son point de départ est le consommateur final qui met ses déchets au recyclage, mais en fait, la chaîne à rebours peut partir de n’importe quelle organisation qui retourne des matières aux entreprises situées en amont. Ces retours peuvent être des surplus de marchandises, ou encore des contenants ou des matériaux d’emballage. Il peut aussi s’agir de déchets recyclables qui sont confiés à des firmes spécialisées dans la récupération des matières et qui les réinsèrent ensuite dans la chaîne. Ensemble, la logistique en amont, en aval et à rebours forment la chaîne logistique externe (par opposition à la chaîne logistique interne), et en mettant ensemble la chaîne interne et la chaîne externe, on obtient la chaîne logistique globale. Plus largement encore, l’entrecroisement des chaînes logistiques forme un vaste réseau logistique composé de l’ensemble des entreprises qui se fournissent l’une l’autre des biens et des services.
La mondialisation des rapports commerciaux et la délocalisation de certaines activités de production ont rendu plus complexe et plus importante que jamais la gestion de la chaîne logistique. La majorité des biens qui nous entourent sont constitués de matières et de pièces qui viennent d’un peu partout dans le monde, et beaucoup d’entre eux ont été assemblés à l’étranger. La plupart sont passés par de multiples étapes de transport et d’entreposage. Heureusement, l’évolution récente et continue des technologies de l’information et des communications soutient le travail des gestionnaires de la logistique. Par exemple, le flux des matières peut être suivi de près grâce au RFID et au GPS, et le flux des informations est facilité par les systèmes d’échange électronique des données et par Internet. La numérisation des informations a joué un rôle central dans l’évolution des pratiques logistiques : elle a permis de partager et d’intégrer les informations détenues par les différentes entreprises qui forment la chaîne, ce qui s’est traduit par la possibilité d’intégrer aussi le flux des matières. Si l’on reprend l’exemple de notre entreprise (figure 1.5), au lieu d’essayer de prévoir la demande provenant du distributeur, qui lui essaie de prévoir la demande du détaillant, on peut obtenir en temps réel des informations sur les transactions réalisées au point de vente (on sait qu’une unité est vendue dès que son codebarres est balayé à la caisse) et, en fonction de l’état des stocks du distributeur (aussi disponible en temps réel), commencer à planifier la production. C’est ce qu’on appelle la chaîne logistique intégrée.
Le pilotage de la chaîne logistique interne représente une bonne partie du travail quotidien des gestionnaires des opérations et de la logistique. Les décisions qu’on y prend sont surtout d’ordre tactique, c’est?à?dire qu’elles visent à mettre en œuvre les décisions stratégiques. Nous consacrerons à ces décisions toute la première partie du livre. Le chapitre 3 traitera de la gestion des stocks, les chapitres 4, 5 et 6 approfondiront les différentes étapes de planification et de contrôle de la production et des matières, alors que le chapitre 7 portera sur l’approvisionnement et présentera un survol des activités de distribution. Ils seront précédés d’un chapitre sur la prévision de la demande (chapitre 2), toute planification devant s’appuyer sur une bonne estimation des quantités requises. Soulignons que la logistique externe, la logistique à rebours et l’intégration de la chaîne logistique ne seront pas traitées dans ce manuel, mais le lecteur peut se référer à de nombreux ouvrages spécialisés sur le sujet.
1.8 La conception et l’amélioration du système opérationnel
Tel que défini précédemment, le système opérationnel est constitué de l’ensemble structuré des ressources et moyens mis en place pour réaliser les produits (biens ou services). Au moment de sa création, chaque organisation doit élaborer et mettre en place son système opérationnel, puis voir à ce qu’il soit continuellement amélioré et réajusté en fonction des changements de l’environnement et de l’évolution des besoins. Il s’agit là essentiellement de décisions stratégiques et structurelles, auxquelles s’ajoutent certains choix tactiques. Par exemple, les gestionnaires doivent se demander :
Quels biens allons?nous fabriquer et quels services allons?nous offrir?
Quel volume de production voulons?nous atteindre?
Quelles sont les grandes étapes du processus de réalisation des biens et des services et comment doit?on les agencer?
Quels procédés, quelles technologies et quelles méthodes de travail devrionsnous adopter?
Comment les lieux de production et de service seront?ils aménagés?
En fonction des choix qui sont faits, combien faudra?t?il de temps pour fabriquer chaque produit ou servir chaque client? Aurons?nous une capacité suffisante pour répondre à la demande?
Comment va?t?on procéder pour s’assurer que les biens et les services sont de la qualité désirée?
Quels moyens mettra?t?on en place pour assurer que les éléments qui composent le système opérationnel feront l’objet de révisions régulières et qu’on cherchera à les améliorer?
Comme on peut le voir, il s’agit de choix majeurs. La plupart de ces décisions entraînent des investissements importants et ne peuvent pas être changées facilement. Elles ont donc des conséquences à moyen et à long terme sur la capacité de l’organisation à atteindre ses objectifs stratégiques. Enfin, ces décisions sont interreliées, comme
l’illustre la figure 1.6.
Il va de soi que la conception et la mise en place du système opérationnel précèdent dans le temps le pilotage quotidien des opérations, mais comme ce sont des activités de gestion moins fréquentes et qui sont généralement prises par des gestionnaires plus expérimentés, nous avons choisi de les présenter en deuxième partie. Ainsi, le chapitre 8 abordera la conception et l’évolution des produits. On y verra comment ces derniers sont liés aux procédés, méthodes et technologies à employer, et au processus de production dans son ensemble. L’aménagement étant aussi lié au choix du processus et aux produits eux?mêmes, il sera également présenté dans ce chapitre. Ensuite, le chapitre 9 traitera plus finement de l’organisation du travail et du calcul du temps standard (en gros, le temps requis pour fabriquer une unité ou servir un client). Lorsqu’on considère simultanément les choix de processus et d’aménagement, de même que le temps standard, on peut déterminer la capacité de production et analyser les éléments qui l’influencent. Finalement, le chapitre 10 présentera les systèmes de gestion de la qualité et les méthodes de contrôle de la qualité des produits et des procédés. On y approfondira aussi les notions d’amélioration qui auront été introduites au chapitre 9. Au fur et à mesure qu’on avancera dans ces chapitres, on comprendra mieux les nombreux liens présentés à la figure 1.6, de même que l’importance des arbitrages et de la cohérence lors des décisions de conception et d’amélioration du système opérationnel.
1.9 Synthèse du chapitre
Puisque toutes les organisations tirent leurs revenus ou leur raison d’être de la réalisation de biens ou de services, elles doivent toutes gérer des opérations. Les grandes entreprises et un nombre croissant de PME, particulièrement dans le secteur industriel, confient ce travail à des spécialistes de la GOL. Ces derniers voient d’abord à mettre en place un système opérationnel bien conçu, qui pourra à la fois atteindre les cibles fixées pour chacun des attributs stratégiques et obtenir un bon niveau de productivité. Mais le moment de vérité survient lors de la production des biens et des services : c’est là que le travail quotidien des gestionnaires des opérations assure que les activités se déroulent de manière efficace et efficiente.
Malheureusement, beaucoup d’organisations de services n’ont pas encore pris l’habitude d’embaucher des spécialistes de la GOL; elles confient souvent ce travail à des employés qui y travaillent depuis longtemps et ont gravi les échelons. On croit que seuls ceux qui connaissent à fond leur secteur d’activité sont en mesure de comprendre et de bien gérer les opérations de service. C’est parfois vrai, mais ces organisations se privent ainsi des avantages que pourraient leur apporter des diplômés maîtrisant les méthodes de gestion des stocks, les principes d’un sain approvisionnement, les techniques de planification du travail et de préparation des horaires, les outils de calcul et de gestion des files d’attente, les secrets de la gestion de la qualité, et bien d’autres encore. Toutefois, si l’histoire se répète, on devrait retrouver d’ici quelques années davantage de spécialistes de la GOL dans les entreprises de services. Rappelons?nous qu’il y a 40 ans à peine, les dirigeants d’usines croyaient fermement que seuls les ingénieurs industriels étaient capables de gérer les opérations. Or, de nos jours, les ingénieurs et les diplômés en GOL travaillent côte à côte, et leurs expertises se complètent. Il faut donc être patient et démontrer constamment ce que les connaissances spécifiques à la GOL peuvent apporter.
Par ailleurs, même si l’on considère généralement les entreprises industrielles et de services comme deux catégories distinctes et ayant chacune leurs particularités, il y a beaucoup de chevauchements. D’abord, pratiquement toutes les entreprises industrielles offrent certains services, ne serait?ce que les facilités de paiement, la livraison ou le service après?vente. Bon nombre de fabricants d’équipements proposent aussi des services d’installation ou de formation, ou encore des programmes d’entretien. À l’inverse, rares sont les services qui n’ont pas à effectuer certaines transformations physiques sur des biens, ne serait?ce que l’entretien des lieux et des supports physiques (mobilier, accessoires, outils, matériel roulant, équipement…). Dans d’autres cas, la prestation de service elle?même requiert des transformations physiques dont les exigences sont similaires aux opérations industrielles. C’est le cas de la restauration, mais aussi des
services de réparation, des buanderies commerciales, etc. Il y a une vingtaine d’années à peine, on différenciait la production des biens de celle des services par la notion de tangibilité : les biens étaient tangibles, alors que les services ne l’étaient pas. Toutefois, le phénomène dit de dématérialisation a permis l’apparition de « biens intangibles ». Les livres, les magazines et les journaux sont de plus en plus remplacés par des fichiers numériques, et il en va de même de la musique, des vidéos et des logiciels, que l’on télécharge directement plutôt que de les acheter sous forme tangible. Notons que ces produits peuvent encore être qualifiés de « biens », puisqu’ils sont conçus et réalisés indépendamment de la demande du client, et offerts une fois terminés. Leur distribution, cependant, prend maintenant la forme d’un service de location des fichiers numériques (dont on peut se servir mais qu’on ne peut pas prêter à d’autres) plutôt que de la vente de produits numériques qui nous appartiennent en propre et dont on peut disposer comme on veut.
Finalement, que l’on considère la production des biens ou celle des services, la plupart des principes et des méthodes de gestion des opérations et de la logistique sont fondamentalement les mêmes. C’est pourquoi cet ouvrage ne consacre pas de chapitre particulier à la gestion des entreprises de services; on cherchera plutôt, dans chaque chapitre, à illustrer comment les concepts et les outils s’appliquent à chaque secteur, et à fournir des exemples provenant de diverses industries.
Questions de révision
Vrai ou faux?
1. | Le terme produit désigne seulement les biens tangibles; si l’entreprise réalise des services, on ne peut pas dire qu’il s’agit de produits. |
2. | Les gestionnaires des opérations et de la logistique entretiennent des liens étroits avec les gestionnaires de toutes les autres fonctions de l’organisation. |
3. | La GOL s’est développée en intégrant un ensemble de découvertes techniques et de connaissances sur les aspects sociaux et stratégiques des organisations. |
4. | Les attributs stratégiques sont composés de six variables clés : la qualité, les délais, le volume, le prix, la variété et la flexibilité. |
5. | L’efficacité, c’est bien faire les choses alors que l’efficience, c’est faire la bonne chose. |
6. | Compte tenu de l’importance de la technologie sur les opérations, c’est nécessairement l’élément de l’environnement PESTEL qui a le plus d’influence sur la GOL. |
7. | La stratégie des opérations est choisie par les dirigeants de l’organisation et appliquée telle quelle par les gestionnaires et les employés travaillant aux opérations et à la logistique. |
8. | La notion d’arbitrage réfère au fait qu’il faut parfois trancher entre différentes options, et donc privilégier certains objectifs au détriment des autres. |
9. | Dans le contexte d’assemblage sur commande, l’entreprise utilise les prévisions de demande pour fabriquer et stocker les composants, puis procède à l’assemblage une fois que les commandes sont reçues. |
10. | Un lot est un groupe de produits identiques et qui passent ensemble par les mêmes étapes de transformation. |
11. | Dans les entreprises de services, les clients achètent les extrants de la transformation. |
12. | Les biens en support au service désignent toutes les matières qui sont transformées pour réaliser les extrants. |
13. | La chaîne logistique en amont est constituée des entreprises qui distribuent et vendent les biens fabriqués par les entreprises situées en aval. |
14. | Dans la chaîne logistique, le flux des informations va dans les deux directions : d’amont en aval et d’aval en amont. |
15. | Le phénomène de dématérialisation réfère à l’apparition de biens intangibles, tels que les fichiers texte, musicaux et vidéo qu’on peut télécharger plutôt que de les acheter en format physique. |
À la fin de ce chapitre, vous devriez être capable : d’expliquer le rôle et les enjeux des prévisions dans l’organisation; de distinguer la demande indépendante de la demande dépendante;
d’identifier et de comprendre les composantes de la demande (saisonnalités, conditions du marché, cycle de vie du produit, composante endogène, composante résiduelle);
de distinguer les méthodes de prévision qualitatives et quantitatives, et de comprendre comment elles peuvent se compléter;
de faire des prévisions de demande en utilisant quelques méthodes de base : moyenne mobile et moyenne mobile pondérée, lissage exponentiel simple, analyse de base de la tendance, calcul de l’indice de saisonnalité;
de comprendre les avantages et les limites de chacune de ces méthodes, et d’évaluer leur degré d’exactitude à l’aide des différentes mesures d’erreurs.
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2.1 La notion de prévision de la demande
Prévoir, c’est « voir avant ». Quels que soient les biens fabriqués ou les services rendus par les organisations, il est rarement possible de les réaliser de manière instantanée. Il est donc nécessaire d’estimer à l’avance les quantités de ces biens et services qui seront demandées, de manière à planifier les ressources et à obtenir les stocks qui permettront de satisfaire à la demande. En ce sens, les prévisions sont le point de départ de toutes les opérations de gestion de la chaîne logistique. L’efficacité du travail de planification dépend directement du degré de précision et de fiabilité des prévisions.
Bien que prévoir la demande du marché soit généralement la responsabilité du marketing ou du Service des ventes, les gestionnaires des opérations doivent comprendre comment on les obtient pour être capables d’évaluer leur précision et
les risques qui y sont reliés. Le gestionnaire des opérations est aussi responsable de prévoir la consommation des différents produits utilisés à l’intérieur de l’organisation (fournitures, pièces de rechange, produits d’entretien, etc.).
En gestion des opérations, on distingue deux types de demande : la demande indépendante et la demande dépendante. La demande indépendante réfère aux produits finis vendus aux clients ou consommés à l’interne. Par exemple, pour un fabricant de chaussures, les paires de chaussures prêtes à la vente sont soumises à une demande indépendante; il en va de même pour un grand bureau d’avocats qui cherche à prévoir la quantité de caisses de papier à acheter pour ses imprimantes et ses photocopieuses. Pour une banque, le nombre de clients qui viendront ouvrir un nouveau compte pendant l’année est aussi une demande indépendante. Pour ces produits et services, il est essentiel de prévoir la demande pour planifier les opérations et gérer les stocks. Un supermarché ne peut déterminer la quantité de litres de lait à mettre sur ses tablettes s’il ne dispose pas de bonnes prévisions de la demande des clients.
La demande dépendante, quant à elle, concerne les matières premières et composants qui entrent dans la fabrication des produits finis. Par exemple, pour le fabricant de chaussures, la quantité d’empeignes à produire et la quantité de cuir et de talons à acheter dépendent directement de la quantité de paires de chaussures qu’il pense vendre. Pour les articles à demande dépendante, la quantité à fabriquer ou à acheter n’a pas à être prévue, elle est simplement calculée à partir de la demande des produits finis, comme on le verra en détail au chapitre 5. Cependant, il peut arriver que des articles soient soumis à la fois à une demande dépendante et à une demande indépendante. Pour un manufacturier de vélos, par exemple, les composants tels que les roues ou les freins sont normalement incorporés dans les produits finis (les vélos) mais ils peuvent aussi être vendus tels quels comme pièces de rechange. En tant que composants, on calcule les besoins en roues et en freins à partir des quantités de vélos fabriqués (demande dépendante), mais en tant que pièces de rechange, la demande est indépen?
dante et doit faire l’objet de prévisions.
Précisons dès maintenant certaines caractéristiques des prévisions :
1) Elles ne peuvent jamais être parfaitement exactes : il reste toujours une marge d’erreur, qu’il faut connaître et dont on doit tenir compte;
2) Plus l’horizon de planification augmente, plus la précision des prévisions diminue. Autrement dit, il faut accorder aux prévisions à long terme (plusieurs trimestres, voire plusieurs années à l’avance) une marge d’erreur plus élevée que pour les prévisions à court et à moyen terme (quelques semaines ou quelques mois à l’avance);
3) Les prévisions sont habituellement plus précises pour une famille de produits que pour chaque produit distinct. Par exemple, pour une entreprise comme Toyota, on peut prévoir avec davantage de précision les ventes globales de chacune des catégories de véhicules (berlines, véhicules utilitaires sport, camionnettes…) pour les prochains trimestres que les ventes de chacun des modèles d’une catégorie (Corolla, Camry, Prius, etc.). Si l’on essayait de prévoir les ventes de chacune des versions de chaque modèle ou de chacune des couleurs de chaque version, le degré d’imprécision augmenterait encore;
4) Plus la demande est volatile, plus il est difficile de faire des prévisions précises. Par exemple, la demande des produits et services de première nécessité (le lait, l’électricité…) est moins affectée par les aléas de l’économie que la demande des produits et services dont on peut facilement se passer (les bijoux, les billets de spectacles…); elle est donc plus facile à prévoir. Les entreprises devraient aussi bien réfléchir avant de prendre des décisions qui pourraient contribuer à augmenter la volatilité de la demande pour leurs produits. Pour un fabricant d’automobiles, ajouter des modèles, des versions et des couleurs rend la demande exacte de chacun des produits plus difficile à prévoir. De même, plusieurs décisions relevant du marketing (les promotions, les soldes, etc.) créent elles?mêmes de l’instabilité dans la demande, comme l’illustre la figure 2.1;
Figure 2.1Impact d’une promotion sur la volatilité de la demande
2
5) Les prévisions demandent du temps et des ressources pour la collecte et le traitement de l’information, et leur coût augmente avec le degré de précision recherché. Par contre, ne pas faire de prévisions ou avoir des prévisions peu fiables aura pour conséquence des pénuries ou des surplus de stock ou de capacité qui peuvent eux aussi s’avérer très coûteux. Compte tenu de ce constat, on choisira différentes méthodes de prévision et différents degrés de précision selon l’importance de chacun des produits et services dont on doit prévoir la demande.
2.2 En quoi les prévisions sont?elles importantes pour moi?
Si je travaille en :
finance, j’utiliserai les prévisions à long terme pour estimer les besoins futurs en capital;
gestion des ressources humaines, j’utiliserai les prévisions pour évaluer les besoins en main?d’œuvre;
gestion des systèmes d’information de gestion, je devrai développer et maintenir les outils nécessaires pour cumuler les données historiques et générer les prévisions;
marketing et ventes, je serai directement impliqué dans le travail de prévision des ventes et de la demande du marché; on comptera sur moi en particulier pour fournir les informations quantitatives et qualitatives découlant de la recherche commerciale et à partir desquelles on peut évaluer la demande future à court, moyen et long terme. Je devrai aussi collaborer de près avec les responsables des opérations et de la logistique avant de décider d’annoncer des promotions ou des soldes, puisque ces derniers ont un effet important sur la demande;
gestion des opérations et de la logistique, je développerai et j’utiliserai les prévisions de demande internes et externes pour déterminer les quantités à commander ou à fabriquer, gérer les stocks, planifier les opérations à court, moyen et long terme, établir les horaires de la main?d’œuvre et évaluer les besoins en capacité à long terme.
2.3 Les facteurs qui influencent la demande
Pourquoi la demande varie?t?elle? On peut identifier cinq groupes de facteurs distincts :
1) La saisonnalité: la très grande majorité des biens et des services sont soumis à des variations saisonnières, c’est?à?dire que la demande augmente puis diminue de manière régulière et prévisible, et ce, sur un horizon d’un an ou moins. Par exemple, la demande de vélos augmente au printemps et au début de l’été mais diminue à l’automne, alors que la demande de planches à neige augmente à l’automne et à l’hiver mais diminue au printemps. Pour les biens tangibles, la saisonnalité est surtout annuelle, c’est?à?dire que le cycle entier se répète à tous les ans. Dans le cas des services, on retrouve également des saisonnalités mensuelles (le cycle se répète tous les mois, par exemple, les banques sont plus achalandées au début du mois), des saisonnalités hebdomadaires (le cycle se répète toutes les semaines, par exemple, les bars sont plus achalandés vers la fin de la semaine) et des saisonnalités quotidiennes (le cycle se répète tous les jours, par exemple, le métro est plus achalandé entre 7 h et 9 h, puis entre 16 h et 18 h);
2) Les conditions du marché : tous les éléments de l’environnement PESTEL (politique, économique, social, technologique, environnemental, législatif) sont susceptibles d’avoir un effet sur le marché et, conséquemment, sur la demande. Par exemple, la demande pour les véhicules électriques est directement influencée par les prix de l’essence, l’amélioration des technologies (autonomie des piles, vitesse de recharge), les engagements des gouvernements à réduire les émissions des gaz à effets de serre, les pressions des écologistes, etc. Elle est aussi influencée par les cycles économiques (la succession des périodes d’expansion et de récession) et par les cycles industriels (l’arrivée d’un grand nombre de concurrents qui essaient de pénétrer le marché, suivie d’un élagage progressif des entreprises moins performantes). Les fluctuations de la demande causées par le marché peuvent s’exprimer sous la forme d’une tendance à long terme ou à moyen terme, mais aussi à plus court terme, comme dans le cas des actions d’entreprises concurrentes
(prix, promotions, publicité, etc.);
3) Le cycle de vie du bien ou du service : lorsqu’un tout nouveau produit ou service apparaît sur le marché, la demande est faible puisqu’il n’est pas encore connu. S’il répond à un besoin et qu’il est bien mis en marché, sa demande va normalement augmenter assez rapidement et éventuellement se stabiliser. Si le besoin disparaît, ou si de nouveaux produits ou services qui y répondent mieux font leur apparition, la demande diminuera, soit pour atteindre un nouveau plateau, soit pour disparaître complètement. Le cycle de vie d’un produit s’étend normalement sur plusieurs années, voire sur plusieurs décennies, à moins que sa popularité soit un effet de mode (auquel cas son cycle de vie sera court). Le cycle de vie influence donc la demande à relativement long terme. La figure 2.2 illustre cet effet à l’aide de statistiques sur la fréquentation des cinémas en France, et ce, depuis les premiers jours. Comme on le voit, la phase de croissance s’est poursuivie pendant près de quarante ans (1909?1945); la première phase de maturité (1946?1958) a été de courte durée, l’arrivée de la télévision comme produit de remplacement
2 | La gestion des opérations et de la logistique : méthodes et principes fondamentaux | |
ayant fait chuter la demande, qui s’est ensuite stabilisée (2e plateau, 1969?1982). L’arrivée du magnétoscope (remplacé depuis par le lecteur DVD et par l’enregistreur numérique) et des clubs vidéo s’est traduite par une seconde phase de déclin (1983?1988), suivie d’une certaine remontée (probablement due à l’arrivée des mégaplex, qui ont amélioré l’expérience de visionnement en salle); on atteindrait présentement un nouveau plateau; Impact du cycle de vie sur la demande – L’industrie des salles de cinéma en France, 1909?2013 | ||
Figure 2.2 |
4) Les facteurs endogènes : alors que les trois groupes de facteurs précédents portent sur des événements extérieurs à l’entreprise et hors de son contrôle, ce quatrième groupe traite de choix faits à l’interne et donc maîtrisables. En effet, les organisations prennent quotidiennement des décisions susceptibles d’influencer la demande pour les produits qu’elles fabriquent ou les services qu’elles procurent. Les plus évidentes sont les décisions qui visent explicitement à augmenter la demande, telles que les rabais, les promotions et la publicité. Le choix des types de tarification a aussi une influence : un prix fixe quelle que soit la quantité consommée augmente la demande, alors qu’un tarif à l’utilisation a tendance à la réduire. De même, le lancement de nouveaux produits ou services qui peuvent être substitués à ceux qui existent déjà influence la demande pour ces derniers, tel qu’on le voit fréquemment dans l’industrie de l’électronique et du logiciel, qui ont recours à des stratégies d’obsolescence planifiée. L’ouverture de nouveaux points de vente a aussi un impact sur la demande des autres succursales de la même entreprise, surtout si elles sont situées à proximité. Dans certains secteurs d’activités, les décisions relatives à la capacité ont pour conséquence de modifier la demande. Par exemple, une entreprise qui est fréquemment en pénurie de produits ou de services verra souvent sa demande diminuer, les clients préférant carrément s’adresser ailleurs. À l’inverse, l’augmentation de la capacité dans des secteurs tels que les services de santé peut avoir pour effet d’augmenter la demande, les patients ayant davantage tendance à vouloir consulter un médecin s’ils ne sont pas confrontés à une longue file d’attente;
5) La composante résiduelle (ou aléatoire) : comme son nom l’indique, cette catégorie incorpore toutes les causes, identifiables ou non, qui n’ont pas été prises en compte dans les catégories précédentes. Il peut s’agir de variations qui sont dues au hasard ou à des événements fortuits et non récurrents, mais aussi de variations dont les causes seraient potentiellement identifiables mais que les analyses réalisées ne sont pas parvenues à discerner. La composante résiduelle est celle qui pose le plus de problèmes aux gestionnaires des opérations. L’organisation ne peut qu’essayer d’y réagir le mieux possible en mettant en place des systèmes opérationnels dont la capacité est flexible, tout en acceptant qu’il y aura un certain gaspillage de ressources (si la demande est plus basse que la moyenne) ou encore certains clients insatisfaits qu’on ne puisse pas les servir ou que le service soit plus lent qu’à l’habitude (si la demande est plus élevée que la moyenne).
Ces cinq facteurs sont souvent présents simultanément, ce qui complique le travail de prévision. Pour bien prévoir la demande, on doit donc disposer d’une démarche bien structurée et d’une variété d’outils, qualitatifs et quantitatifs, qui permettent de bien distinguer chacune des composantes de la demande et de les prendre toutes en compte. Considérons, par exemple, la vente de véhicules neufs au Canada. La figure 2.3 (graphique du haut) montre les ventes mensuelles de deux années récentes. On y voit très clairement la présence d’une saisonnalité annuelle : les ventes sont plus élevées au printemps et au début de l’été, puis baissent considérablement à l’automne et à l’hiver. On semble aussi déceler une tendance à la hausse, qui peut être confirmée en effectuant certains calculs permettant de désaisonnaliser la demande, c’est?à?dire de faire disparaître la composante saisonnière; on trouve alors le graphique du milieu, sur lequel la tendance est très nette. Puisque l’automobile est un produit à maturité et dont le cycle de vie est très long, on peut penser que cette tendance à la hausse est plutôt due aux tendances du marché (croissance de la population, reprise de l’économie, nouveaux modèles attrayants, etc.). Si l’on effectue d’autres calculs pour éliminer l’effet de cette tendance à la hausse, on trouve le dernier graphique, où les variations observées d’un mois à l’autre doivent être attribuées soit à la composante endogène, soit à la composante résiduelle.
7 Source : Statistique Canada.
[1] Source des données : (consulté le 6 janvier 2014).
[2] Soulignons que les méthodes de calcul permettant de désaisonnaliser la demande et d’éliminer la tendance ne sont pas exposées dans ce manuel. Toutefois, les lecteurs intéressés les trouveront facilement en consultant des ouvrages consacrés aux méthodes de prévision.