Document de formation a propos du management de la qualite dans l’education

Document de formation a propos du management de la qualité dans l’éducation
Nous pensons qu’il est indispensable d’enseigner aux enseignants présents et futurs quatre principes de management adaptés à l’éducation : améliorer le système ; chercher la qualité d’abord ; étudier les processus ; ne pas fixer d’objectifs chiffrés individuels.
Améliorer le système
Un établissement d’enseignement est un système. Il faut qu’il soit perçu comme tel par ses acteurs, notamment les syndicats, le personnel administratif, les enseignants, les élèves et les parents. Bien que le mot soit largement utilisé par les sociologues, le concept de système au sens large est absent de la culture française. On désigne ainsi un ensemble d’êtres vivants, de matériels et de matériaux qui sont orientés vers un but commun (ou qui devraient l’être). Pour donner quelques exemples sous forme d’un inventaire à la Prévert, un livre de classe, un repas de la cantine, le mur du gymnase et le grand frère de Paul sont des éléments du système. Ce qui est important pour améliorer un système, c’est la connaissance de tous ses éléments et surtout de leurs interactions. Selon leur pouvoir, les acteurs ont différents rapports au système. Nous dirons que ceux qui ont le pouvoir de modifier des éléments et des interactions, par exemple un lien hiérarchique, travaillent sur le système. Nous dirons que ceux qui n’ont pas ce pouvoir mais qui peuvent observer, analyser et informer travaillent dans le système. Les enseignants et les élèves travaillent dans le système de l’établissement. La mission du directeur ou du proviseur est de travailler sur le système pour l’améliorer de façon continuelle avec l’aide des enseignants et des élèves. Les élèves travaillent dans le système de la classe. La mission de l’enseignant est de travailler sur le système de la classe pour l’améliorer de façon continuelle avec l’aide des élèves.
La qualité d’abord
La qualité de l’éducation est par définition ce qui rend les études agréables, mais elle est en perpétuelle évolution. Ce qui intéresse un élève d’un certain âge peut lui paraître dérisoire quelques années plus tard. C’est pourquoi l’enseignant doit toujours être attentif et prêt à discuter avec les élèves sur leur façon de concevoir la qualité, comme nous l’a montré l’exercice des six questions de Versailles. Ce dialogue dans la classe ne doit jamais être interrompu. Par ailleurs il est possible d’améliorer les notes en créant un climat de crainte et de compétition, mais c’est au détriment de la qualité, du plaisir d’apprendre. L’expérience montre que la façon la plus sûre d’améliorer les notes est d’améliorer la qualité de l’éducation.
La qualité est déterminée par la façon de conduire les processus d’enseignement et d’étude, indépendamment des moyens utilisés. Par exemple on peut donner une éducation de grande qualité dans une salle sobrement meublée. Les objectifs de qualité sont définis à partir des suggestions des élèves, qui sont en quelque sorte les utilisateurs de l’enseignant. Les élèves n’ont pas le pouvoir de modifier les processus d’enseignement et d’étude mais ils doivent être consultés par l’enseignant pour apporter des informations qui l’aideront à améliorer les processus. Cette démarche étonnera peut-être certains professeurs, mais il faut savoir qu’en procédant ainsi l’enseignant n’abandonne pas la moindre part de sa responsabilité dans la conduite de la classe. Nous pensons que l’enseignant doit engager la discussion sur la qualité jusqu’à ce que la classe trouve un consensus dont le but est le plaisir d’apprendre. Mais ce serait courir à l’échec de se borner à un compromis entre le plaisir d’une activité ludique d’une part et le déplaisir d’apprendre d’autre part, comme si par exemple les arts plastiques étaient une compensation aux mathématiques.
Quand nous disons qu’il est nécessaire de discuter avec les élèves sur leur conception de la qualité, ce n’est évidemment pas pour négocier avec eux les programmes d’enseignement. Ils sont fixés par des adultes qui ont quitté l’école depuis longtemps. Mais, répétons le, un enseignant ne doit pas imposer aux élèves sa propre conception de la qualité. Si les élèves éprouvent du plaisir à apprendre, c’est parce que le style du processus d’enseignement correspond à leur idée sur le plaisir. Les élèves ne viennent pas à l’école en acceptant d’être frustrés et malheureux. Ils veulent bien faire, mais en général ils ne savent pas ce qui leur fera plaisir. Leur expérience de la qualité doit s’extérioriser dans les discussions et les négociations de la classe. Il faut un certain temps pour établir un consensus dont le but est le plaisir d’apprendre. David Langford, professeur au collège de Sitka, nous a dit qu’il lui fallait plusieurs semaines de discussion avec sa classe pour définir les grandes lignes d’un projet sur la qualité. Dans l’esprit d’un professeur traditionnel, c’est beaucoup de temps perdu, mais David Langford a constaté que les élèves apprennent plus vite et plus efficacement lorsqu’ils ont compris et accepté ce que signifie un travail de bonne qualité. « Le temps consacré par la classe à définir la qualité est très payant », dit-il.
On dit souvent qu’il est nécessaire de maintenir le cap de la mission de l’entreprise. Quand un dirigeant industriel fixe des objectifs ambitieux, il cherche non seulement à donner des satisfactions matérielles à ses actionnaires, à ses clients et à ses employés, mais aussi à augmenter le plaisir que ses employés ont à travailler. La même idée est vraie dans l’éducation. Il ne suffit pas qu’un directeur d’école ou un proviseur de collège fasse une déclaration d’intention sur la qualité, mais il faut qu’il s’implique lui-même, qu’il implique tous les professeurs et qu’il leur donne une référence pour décider et agir. Les enseignants doivent discuter de la qualité avec les élèves tout au long de l’année scolaire car l’amélioration de la qualité apporte une réponse à beaucoup de problèmes de l’Ecole.
Etudier les processus
Si l’enseignant veut améliorer les performances des élèves, il doit concentrer son attention non pas sur les résultats des examens mais sur les processus d’enseignement et d’étude. De nombreux éducateurs, parmi lesquels Freinet en France et Vygotsky en Russie, ont compris l’importance de ce principe. Vygotsky a montré que le comportement d’un enfant assisté par un adulte dans un apprentissage révèle des capacités qui ne se manifestent pas encore dans des conditions normales mais qui se développent en lui de façon discrète. Sa théorie la plus connue dans les milieux enseignants est celle de la Zone de Proche Développement (ZPD). Le point de départ de cette théorie consiste à distinguer chez l’enfant deux niveaux de développement intellectuel. Le premier est le niveau de développement réel, celui qui se manifeste dans les actions que l’enfant est capable de faire seul, sans l’aide d’un adulte. Le second est le niveau de développement potentiel, celui qui s’évalue en observant ce que l’enfant peut faire en coopération avec un adulte, au moyen d’un enseignement adapté. L’écart entre ces deux niveaux est ce qui définit la ZPD. Quand on évalue le potentiel de l’enfant il ne faut donc pas chercher à savoir s’il peut résoudre des problèmes de façon autonome sur la base de ce qu’il sait déjà, c’est à dire se focaliser sur le niveau de développement réel, mais identifier la ZPD de façon précise. L’apprentissage de l’enfant dans la ZPD est relié à l’interaction entre les concepts spontanés de l’enfant et les concepts scientifiques apportés par l’enseignant. « L’éducation ne doit pas être orientée vers les progrès d’hier mais vers ceux de demain », dit Vygotsky en résumé.
En s’aidant des travaux de Vygotsky, Feuerstein a conçu une approche éducative dont le premier but était de remédier à une situation dramatique: celle des enfants juifs rescapés des camps et immigrés en Israël après la deuxième guerre mondiale. Il a pu transformer ainsi des adolescents profondément perturbés sur le plan affectif et intellectuel au point que beaucoup d’entre eux se sont complètement intégrés à la société. Feuerstein se défend cependant d’être un spécialiste des enfants handicapés mentaux car sa théorie, connue sous le nom de médiation cognitive, s’applique à toute personne en formation, quels que soient son âge et ses aptitudes intellectuelles. Les méthodes qu’il a développées ont pour but d’améliorer le processus suivant lequel un individu assimile des connaissances en étant assisté par un médiateur humain. Elles constituent son Programme d’Enrichissement Instrumental. Bien que les méthodes de Feuerstein s’adressent principalement à des enfants en situation d’échec scolaire, tout enseignant qui s’attache à développer l’intelligence de ses élèves doit reconnaître le fait qu’il est un médiateur humain. Conscient de cette responsabilité, il doit s’efforcer d’être le meilleur médiateur possible. L’exercice des six questions fondamentales de Versailles est une application de la théorie de Feuerstein.
Enfin, malgré ces théories, l’étude d’un processus d’assimilation de connaissances aurait peu de chance de conduire à une amélioration si elle n’était pas encadrée par les principes élémentaires de la recherche expérimentale. Pour essayer un changement dans un processus, l’enseignant doit suivre les étapes du cycle Plan, Do, Check, Act (PDCA). Pour analyser les informations données par les élèves, il doit utiliser les outils du management de la qualité. Pour interpréter les notes des exercices et des examens, il doit interpréter les variations au moyen de graphiques de contrôle.
Pas d’objectifs chiffrés individuels
L’étude des entreprises conduit à un postulat qui peut s’énoncer ainsi : quand on essaye d’améliorer la performance d’un système en fixant des objectifs individuels à ses éléments, on est toujours mis en échec par le système lui-même. Par exemple quand un chef d’entreprise fixe des objectifs à ses subordonnés et les juge sur la réussite de leurs objectifs, il cherche à se soustraire à sa responsabilité de diriger le système en espérant que les résultats sont entièrement déterminés par ses subordonnés. Il néglige le fait qu’ils empiètent les uns sur les autres et que l’un peut gagner au préjudice de l’autre. La définition des obligations mutuelles entre le chef et ses subordonnés est toujours utile, car chacun a besoin de savoir ce qu’il doit faire et quand il doit le faire. Mais les objectifs imposés dans un esprit de domination sont toujours nuisibles. Nous avons connu une grande entreprise où les cadres et les employés étaient notés en fonction de leurs résultats et où les notes servaient à déterminer les salaires, les primes, les promotions et les licenciements. Par ailleurs la direction générale se souciait peu de l’objectivité des notes, car à l’époque des entretiens annuels il était conseillé aux chefs de service de distribuer également des bonnes et des mauvaises notes. Le chiffre d’affaires de l’entreprise a diminué de moitié en dix ans.
Une nouvelle mode est née aux Etats-Unis : le management de l’éducation piloté par les résultats. La méthode comporte deux étapes. La première, qui est utile, consiste à fixer des buts et des objectifs pour l’éducation. La seconde, qui est nuisible, consiste à à utiliser les résultats - les résultats seulement - pour juger les enseignants, pour leur attribuer des récompenses et des sanctions. C’était l’une des principales idées du projet du Président Bush pour l’Education (America 2000). Nous espérons que la France ne suivra pas cet exemple. Dans l’éducation il est nécessaire d’évaluer les enseignants mais les objectifs chiffrés peuvent faire des ravages aussi grands que dans l’industrie. Ceci nous conduit naturellement à la question de l’usage des notes dans le système éducatif. De nombreuses voix s’élèvent contre la pratique de la mesure des performances individuelles dans l’industrie. Comme dit Snoopy : « c’est un truc plein de bon sens quand on n’y réfléchit pas ». Malheureusement les dirigeants industriels ne réfléchissent pas assez. Or si la mesure des performances produit des ravages chez les adultes, que fera-t-elle chez les enfants ? Il est incontestable que sur un groupe de 100 enfants qui passent un examen, 50 sont classés dans la moitié supérieure et 50 dans la moitié inférieure. Cela signifie que la moitié d’une génération ayant passé le baccalauréat est marquée "qualité inférieure" et que beaucoup de gens vont croire toute leur vie qu’ils sont réellement inférieurs. Se considérer comme un déchet de la société, c’est l’anéantissement complet du plaisir d’apprendre et d’entreprendre. Nous pensons que l’utilisation des notes pour fixer des objectifs chiffrés et juger les élèves exclusivement sur les résultats est une cause importante de la crise sociale. Mais il faudra beaucoup de temps pour éliminer cette pratique de l’enseignement.
Les partisans des notes et du classement dans le système éducatif font remarquer que la compétition existe partout dans le monde et que nous ne serions pas ici à en discuter si la sélection darwinienne n’avait pas joué son rôle depuis des millions d’années. Nous répondons simplement que le classement des élèves ne doit pas être considéré comme un but de l’Ecole. Nous ne refusons pas la sélection et l’utilisation des notes quand c’est un moyen nécessaire de sélection ; nous refusons seulement l’utilisation des notes comme un moyen de motiver les élèves, parce que nous ne croyons pas à la théorie de la motivation par les notes. Une question intéressante à poser aux étudiants des IUFM est de savoir ce qu’ils feront avec les notes quand ils seront enseignants. Ceux et celles que nous avons rencontrés disent qu’il veulent les utiliser pour indiquer aux élèves comment ils se situent par rapport aux autres et pour leur donner une connaissance relative de leurs performances. Ils disent aussi que les notes serviront nécessairement à l’orientation scolaire. Ils ne disent pas que les notes aideront à motiver les élèves car ils savent que c’est faux : ils sont encore du même côté.
Que faut-il attendre de l’Ecole ?
Bien que cette question soit abondamment traitée sur le plan politique, nous voudrions expliquer plus modestement de quelle manière un établissement d’enseignement devrait définir ses propres buts et leur rester fidèle. Nous proposons ici une esquisse de solution mais c’est à chaque établissement de trouver des réponses. Dans une école maternelle, une école primaire, un collège ou un lycée, les buts de l’éducation peuvent être répartis en quatre familles interdépendantes: la connaissance, le savoir-faire, la sagesse d’esprit et le caractère.
La connaissance
La connaissance - au sens de la représentation cognitive étudiée par Piaget - est une faculté qui permet de comprendre un phénomène en utilisant des savoirs. Chez l’enfant, elle commence par l’assimilation, dont l’une des premières manifestations est le jeu symbolique, puis elle évolue jusqu’à l’âge adulte vers un équilibre entre l’assimilation et l’accomodation. L’assimilation commence à être dominée par l’accomodation vers l’âge de huit ans. La connaissance est faite de constructions déductives qui font appel à l’entendement, à l’imagination, aux sens et à la mémoire. Il ne faut certes pas la réduire à une simple mémorisation d’informations, telles que la table de multiplication ou les grandes dates de l’Histoire de France. Le jeu télévisé "Questions pour un champion" par exemple exige une bonne mémoire et ne demande qu’un faible niveau de connaissance.
Le savoir-faire
Inséparable de la connaissance, le savoir-faire s’acquiert par l’entraînement.
Nous pourrions aussi le qualifier de pensée opératoire, ou de technique, car c’est une faculté qui valorise la connaissance dans l’action. Par exemple la réparation d’une bicyclette demande à la fois de la connaissance et du savoir faire en mécanique. Le savoir-faire sans connaissance conduit à des actions hasardeuses et la connaissance sans savoir-faire à des actions maladroites. Dans les opérations intellectuelles, le savoir-faire aide beaucoup l’intuition et la prévision.
La sagesse d’esprit
Quand on demande aux enfants d’être sages, il s’agit bien sûr de leur faire respecter certaines règles. Mais l’Ecole doit commencer très tôt à leur apprendre une autre forme de sagesse, celle qui permet de faire soi-même la différence entre les actions importantes et celles qui ne le sont pas. La sagesse apparaît naturellement quand l’enfant passe au stade de la pensée opératoire, mais il est important de la développer dans les activités de création et les travaux en équipe. Les élèves apprennent ainsi à fixer des priorités et à travailler en groupe avec le tact nécessaire. L’enseignant qui dirige ces activités doit garder présent à l’esprit qu’ils ont besoin d’un entraîneur plutôt que d’un professeur.
Le caractère
Nous désignons sous ce terme des comportements tels que la loyauté, la sincérité, l’honnêteté, la persévérance, l’esprit d’initiative, l’aptitude à travailler seul, l’aptitude à travailler en équipe, la curiosité d’esprit, la confiance en soi et la maîtrise de soi (cette liste n’est pas exhaustive). Nous avons rencontré des élèves, même au collège, qui ne connaissent pas bien le sens de tous ces mots. Il serait donc utile de commencer par expliquer aux enfants certains concepts, dès le CM1 à notre avis, puis de discuter avec eux sur la question du choix personnel d’un type de comportement. Dans les programmes de l’Education nationale, l’idée du développement de la sagesse et du caractère est absente. Il semble actuellement que les écoles maternelles et les écoles primaires sont seules à s’intéresser au caractère et que les collèges s’intéressent encore quelquefois à la sagesse d’esprit. Quant aux lycées, à l’exception de quelques professeurs d’éducation physique, les enseignants se comportent comme si la sagesse et le caractère avaient déjà été enseignés ailleurs. En conclusion, nous pensons que le management de la qualité est un important facteur d’amélioration de l’Ecole. Avec des méthodes mieux adaptées, l’éducation sera de meilleure qualité, les enseignants seront plus productifs et les élèves trouveront plus de plaisir dans leur travail. Quand ils quitteront le système éducatif, les étudiants seront mieux préparés à apporter une contribution positive à la société.
Vygotsky
Un précurseur des méthodes modernes d’enseignement est Lev Vygotsky, né en Russie en 1896, mort en 1937. Malgré l’oppression du régime communiste, il a réussi à expérimenter ses idées sur le terrain. Il refusait notamment l’utilisation de tests pour évaluer le potentiel mental.
En étudiant l’historique du développement de l’intelligence, Vygotsky s’est intéressé à des médiateurs d’apprentissage qu’il nomme « outils psychologiques ». Les trois plus anciens, qu’il qualifie de médiateurs fossiles, sont les actes de « tirer au sort », « faire des nœuds » et « compter sur ses doigts ». Le premier donne l’exemple d’un stimulus artificiel et arbitraire qui permet de résoudre un problème d’incertitude devant une décision à prendre. Le second donne l’exemple d’un dispositif mnémonique externe aidant à retrouver des informations mémorisées. Le troisième donne l’exemple d’un outil toujours disponible pour des opérations mentales abstraites. Au delà de ces « outils primitifs », il existe un vaste champ de médiateurs symboliques d’ordre supérieur: ce sont les langages et les symboles culturels. Le principal but de Vygotsky était d’établir une typologie des processus mentaux supérieurs qui reflètent la transition d’un système d’outils psychologiques à un autre système au cours du temps. Il a réalisé une étude expérimentale de cette transition en 1930 en Asie centrale. Sur le plan de l’ontogénèse, sa principale contribution est l’étude chez des enfants du changement de raisonnement conceptuel induit par une sophistication croissante de la médiation verbale.