Introduction à la Nouvelle Economie Politique
I : Qu’est-ce que la Nouvelle Economie Politique
A : Introduction
Comment le « Politique » influence l’Economique ? Cette question a motivé le travail des précurseurs de la Science Economique. En effet, depuis Antoine de Montchrétien et son « Traité d’Economie Politique » en 1615 jusqu’aux marginalistes à la fin du XIX siècle, ce que l’on appelle aujourd’hui l’Economie ou la Science Economique était appelée auparavant « Economie Politique ». Cette terminologie reflétait la croyance selon laquelle l’économie ne pouvait être séparée des aspects politiques, ces derniers étant considérés comme les principaux déterminants des aspects économiques. Aujourd’hui, le terme « Economie Politique » ou « Nouvelle Economie Politique » (NEP) désigne, dans les département de Sciences Economiques, bien l’étude des forces politiques affectant l’activité économique alors que dans les département de Sciences Politiques (surtout américains) il s’agit plutôt d’étudier en quoi les forces économiques peuvent influencer la scène politique.
Avec la division des Sciences Politiques et Economiques en deux disciplines distinctes, les économistes ont fait abstraction des facteurs politiques et institutionnels. Ceci s’explique par le développement, à partir de la fin du XIX siècle, de la théorie mathématique des prix bien adaptée pour décrire le fonctionnement et la concurrence sur les marchés mais certainement peu utile pour étudier le « Politique ». Ainsi l’économie s’est développée autour d’une méthode analytique bien précise alors qu’il semble que la science politique a plutôt utilisé des méthodologies descriptives. Aujourd’hui avec le développement de la théorie des jeux, cette séparation entre l’économique et le politique a moins de sens. C’est l’opinion de Roger Myerson [1997], théoricien des jeux et qui publie autant (en réalité plus) dans des revues spécialisées de Sciences Politiques (American Journal of Political Science, American Political Science Review) que dans des revues spécialisées de Sciences Economiques.
B : Le Politique et l’Economique
Comment peut on définir de façon plus précise la Nouvelle Economie Politique ? En tant qu’économistes on peut partir d’une définition de l’économie. L’une d’entre elles et celle de Robbins [1932] : « L’économie est la science qui étudie le comportement humain comme une relation entre des fins et des ressources rares ayant des usages alternatifs ». Si l’économie est l’utilisation optimale des ressources rares, on pourrait concevoir l’Economie Politique comme étant la nature politique des décisions sur l’utilisation des ressources rares que cela soit au sein d’un pays, d’un groupe social ou encore d’une entreprise.
Que signifie alors le terme « politique ». En Sciences Politiques, il semble que le terme « Politique » est définit comme étant l’étude du pouvoir et de l’autorité et de leurs exercices. Le pouvoir signifie la capacité d’un individu ou d’un groupe à atteindre certains objectifs. L’autorité peut être définie comme étant une situation dans laquelle plusieurs personnes implicitement ou explicitement permettent à une autre personne de prendre des décisions en leur nom dans un certain nombre de domaines. La politique pourrait ainsi être définie, à la suite de Lindblom [1977] comme une concurrence pour l’autorité.
Pour l’économiste, la question du pouvoir et de l’autorité n’a de sens que s’il existe une hétérogénéité des intérêts i.e. un conflit d’intérêt entre les différents acteurs de la société. Ainsi, l’aspect politique de l’économie n’a de sens que si l’on abandonne le paradigme de l’agent représentatif (le consommateur ou le producteur représentatif). Se pose alors la question de savoir quels sont les mécanismes et les processus à l’œuvre permettant la prise de décisions collectives. De plus, l’Economie Politique consiste à abandonner un autre paradigme (complémentaire du premier) mais qui des implications plus fortes et plus restrictives au regard de la pertinence descriptive. Il s’agit du paradigme du planificateur social omnipotent et bienveillant.
En effet, les économistes cherchent généralement à déterminer le politique économique optimale (i.e. celle qui maximise le bien-être de l’agent représentatif) en considérant qu’une fois cette politique déterminée elle est mise automatiquement en place. Bref on a une identité entre politique économique optimale et politique implémentée. C’est justement l’observation contraire qui est à l’origine, entre autres, de la NEP.
C : La Nouvelle Economie
Politique La Nouvelle Economie Politique comme sous-discipline reconnue de la Science Economique a en réalité plusieurs racines en Sciences Economiques et Sciences Politiques. L’approche la plus récente à l’origine de la NEP est la théorie de la politique macro-économique avec en particulier les travaux fondateurs de Lucas. Lucas a été l’un des premiers à intégrer de façon cohérente et rigoureuse les anticipations des agents privées dans l’analyse économique. En effet avant Lucas, on supposait que les agents faisaient des choix rationnels (maximiser le profit, l’utilité, etc… ) mais avaient des anticipations de nature statique ou adaptative. Autrement dit, si les autorités en charge de la politique économique décident et annoncent un changement d’orientation de la politique, celui-ci n’est pas pris en compte par les agents.
Ceci a donc naturellement conduit les économistes à spécifier de façon plus précise les déterminants du comportement des autorités politiques. Dans cette perspective, de nombreux travaux, en particulier sur la crédibilité des politiques économiques, ont été entrepris La NEP prend aussi ses racines dans la tradition du Public Choice avec les contributions de Buchanan et Tullock (1962) et Olson (1965). Ces auteurs ont été parmi les premiers à insister sur le problème d’asymétrie d’information entre le gouvernement et les électeurs. Ils ont également joué un rôle de précurseurs en introduisant au cœur de l’analyse économique les groupes de pression et le rôle qu’ils jouent lors du choix des politiques économiques.
Enfin, ils ont clarifié la distinction essentielle entre la «constitution» et les prises de décision de politiques économiques au sein de cette constitution. Ainsi, les premiers travaux de la NEP ont exploité cette distinction en particulier pour étudier les problèmes de crédibilité et les bénéfices potentiels de s’engager sur un ensemble de règles et d’organisations ; les institutions apparaissent alors comme ce qui rend les engagements crédibles. Cette ligne de pensée a été particulièrement développée pour les politiques macroéconomiques monétaires et fiscales notamment avec les travaux de Persson et Tabellini dans les années 1990. Une troisième tradition à l’origine de la NEP est la théorie du choix social.
D : Types d’Hétérogénéité
L’aspect central de la théorie politique, la théorie des choix publics et la NEP est l’hétérogénéité des intérêts. Sans hétérogénéité des préférences, l’agrégation des préférences pour former un choix collectif n’a pas vraiment de sens. De plus sans conflits d’intérêt, le choix de politique économique est assez simple et consiste à maximiser le bien-être d’un agent représentatif (identique à tous les autres). On peut prétendre que l’hétérogénéité des intérêts est centrale pour la Science Economique en général, que cela soit l’hétérogénéité des préférences, des dotations et des revenus ou encore des anticipations.
Selon Drazen, l’importance de l’hétérogénéité des préférences pour la NEP se résume en deux propositions. Premièrement cette hétérogénéité est nécessaire pour avoir des contraintes politiques. Autrement dit, c’est une condition nécessaire de la discipline. Deuxièmement, l’impact économique des contraintes politiques sur les résultats économiques dépend des mécanismes de décision collective qui permettent la résolution de l’hétérogénéité des intérêts et c’est précisément ce qui définit la NEP.
Enfin, les mécanismes politiques se substituent parfois purement et simplement aux mécanismes de marché. Etant donné qu’un conflit d’intérêt est nécessaire à toute étude d’économie politique, on peut se demander quels sont les types d’hétérogénéité importants en économie politique. Il y en a plusieurs que l’on peut classer, selon Drazen, en deux grandes catégories. Le premier type de conflit est relatif à l’hétérogénéité des acteurs qui entrent dans la sphère politique ce qui implique qu’ils ont des préférences différentes. Ils peuvent avoir des préférences différentes sur le niveau approprié de consommation des différents biens (privés et publics), des dotations initiales différentes (en terme de revenus ou d’héritage) et plus généralement des conceptions différentes sur la façon dont ils perçoivent la société.
Les individus peuvent donc être différents dans un grand nombre de dimensions ce qui les amène à avoir des politiques préférées différentes ex ante. Drazen appelle donc ce type d’hétérogénéité, l’hétérogénéité ex ante. Il existe cependant un autre type d’hétérogénéité. Même lorsque les individus en tant qu’acteurs économiques et politiques ont les mêmes caractéristiques : mêmes dotations, mêmes préférences, etc.., des conflits d’intérêts peuvent exister. Par exemple, les agents peuvent très bien valoriser de la même façon un bien ou une ressource mais peuvent ne pas s’entendre sur la répartition des bénéfices de ce bien ou de cette ressource. Ils peuvent aussi valoriser de façon identique un bien public mais ne pas s’entendre sur le partage du coût de ce bien public. Il est donc nécessaire d’avoir un processus de choix collectif pour déterminer le partage du gâteau ou celui des coûts des biens publics.
L’idée est simplement que lorsque un décideur ou un agent décide à la date 0 d’un plan optimal (résultat donc d’un programme d’optimisation dynamique) pour toutes les périodes futures, une fois la date 0 passée, ce décideur ou cet agent a une incitation à recommencer à la date 1 son programme d’optimisation, précisément puisque en t=1, la date t=0 appartient au passé et ainsi de suite pour toutes les dates futures. Ces ré-optimisations successives conduisent à un résultat sous-optimal par rapport à la situation où le plan choisi en t=0 n’est pas remis en cause par la suite. Prenons le cas d’un examen de cours.
Comme tous les étudiants le savent, les professeurs ont pour objectif que leurs étudiants justement étudient et donc programment des examens pour les inciter à étudier plus. Au début du cours, il est donc optimal d’annoncer qu’il y aura un examen à la fin du cours. Les étudiants, anticipant l’examen, travaillent donc le cours sérieusement. Le jour de l’examen, les étudiants connaissent le cours et il donc optimal de ne pas faire l’examen (ou de donner une bonne note). Les étudiants évitent le stress de l’attente de la note et peuvent utiliser le temps de l’examen à travailler un autre cours et l’enseignant épargne le temps de correction des copies. C’est la différence entre les contraintes incitatives ex ante et ex post qui provoque un problème d’incohérence dans le temps et qui conduit à un changement de plan ex post (i.e. une fois le cours fini et travaillé par les étudiants). Mais les étudiants ont aussi des anticipations rationnelles et donc se rendent compte que l’enseignant ex post, sera incité à annuler l’examen.
Plus la base fiscale est inélastique (i.e. peu réactive) à une modification et en particulier à une hausse du taux de taxe, plus le taux de taxe optimal en question doit être élevé. La structure fiscale optimale doit donc taxer l’offre de travail et l’offre de capital selon leurs élasticités respectives. Le problème avec le capital, c’est qu’une fois installé (sous formes de machines par exemple) il est difficile de le désinstaller ou de le transformer en d’autres facteurs de production. En revanche, l’offre de travail peut s’adapter plus facilement à une modification de la rémunération attendue et donc du taux de taxe. Ainsi, un planificateur bienveillant devrait annoncer ex ante (avant les décisions d’offre de capital et de travail des agents privés) qu’il va mettre en place la politique fiscale optimale. Mais ex post, ce même gouvernement est incité à taxer très fortement voir uniquement le capital précisément car le capital est installé.
Souvent les deux types d’hétérogénéité ex ante et ex post sont présents. Par exemple, les agents peuvent ne pas être d’accord sur le montant des dépenses publiques consacrées à l’éducation relativement à d’autres types de dépenses mais aussi être en désaccord sur la répartition des coûts du financement du programme d’éducation nationale.
II : Les Mécanismes de Prise de Décision
La politique économique n’est pas choisie et implémentée par un planificateur social bienveillant mais est le résultat d’un processus politique qui équilibre des intérêts divergents. La question est donc de savoir comment la nature politique du processus de décision détermine la politique économique choisie et donc les résultats en termes économiques. Il s’agit de présenter quelques mécanismes politiques de décisions collectives qu’utilisent le plus les économistes. A : Démocratie Directe Dans sa forme la plus parfaite, la démocratie est directe lorsque tous les membres du corps électoral vote directement sur la politique économique.
Ce type de mécanisme est peu courant mais l’étude de la démocratie directe permet de mieux comprendre les systèmes politiques représentatifs. Il est d’abord nécessaire de préciser les règles de vote. Comme le précise Drazen, on peut classer ces règles de vote en quatre grandes catégories. La première est une règle de franchise qui définie les conditions que doivent remplir chaque électeur. La seconde règle est une règle d’agenda qui doit spécifier dans quelles mesures une proposition est soumise au vote des électeurs.
On sait qu’avec les règles les plus simples que l’on puisse imaginer, en général, un équilibre politique à la majorité simple n’existe pas. On obtient des cycles dans lesquels chaque proposition peut toujours être battue à la majorité simple par une autre proposition. Ce paradoxe a été pour la première fois mis en évidence par le Marquis de Condorcet en 1785.