Manuel de formation de l’histoire économique et sociale
1 – Introduction
La perspective de l’ensemble se veut historique pour des raisons qui ne tiennent pas uniquement à un a priori académique ou théorique. Parti pour étudier l’économie de plantations villageoises (café et cacao), nous nous sommes rapidement heurté au problème de l’histoire pour comprendre cette économie et son articulation avec la structure sociale étudiée. Ce problème de l’histoire s’est posé doublement. D’abord il est vite apparu que pour comprendre la situation actuelle, on ne pouvait en rester à une problématique en termes de «continuités » et de «changements ». L’articulation du passé, du présent (et de l’avenir, lui aussi déjà présent) produit son efficace propre qu’il s’agissait d’analyser tout autant que « Yefficace d’un système sur un lieu » (1). Le lieu, l’objet découpé territorialement et soumis à un système social et économique qui le détermine puissamment, ne pouvait être séparé et de son histoire propre et de l’histoire du ou des systèmes dominants qui l’ont façonné. Les textes de ce recueil s’arrêtent à la période coloniale (exclue) (2), mais cette problématique, reconnue pour la période actuelle dominée par 1’Impérialisme. était déjà vraie, à notre avis, pour la période précoloniale.
Cette perspective admise, l’histoire a fait problème dans un autre sens : le manque d’informations en matière d’histoire économique précoloniale nous a amené à rassembler les éléments de base sur le sujet, à partir des traditions orales et des sources écrites. Les textes 2 et 3 traduisent ce souci (3). A partir de ces généralités, il nous était possible de situer dans un contexte historique et économique global la formation sociale étudiée.
A ce point, s’est révélé un autre problème : celui de l’utilisation par un chercheur des connaissances acquises avant lui et par d’autres que lui. Il nous est apparu en effet que certaines notions admises (par exemple le caractère segmentaire de la société baoulé ou encore son caractère peu stratifié) faisaient problème dans l’observation de la région étudiée. Simples spécificités locales ou différences profondes d’interprétation? Avant de répondre à cette question, il s’agissait d’analyser précisément quelques éléments significatifs. Nous avons choisi d’étudier plus particulièrement les structures locales de production, largement dominées ici par l’exploitation de gîtes aurifères, et les stratégies matrimoniales, décisives en matière de reproduction des groupes de production et de résidence. C’est là l’objet des textes 4 et 5, dans lesquels nous esquissons une discussion, d’une part, sur l’importance des faits économiques pour la compréhension du Baoulé précolonial et, d’autre part, sur le statut de la parenté et de l’idéologie de la parenté dans la pratique de l’alliance.
Les textes publiés ici ne prétendent pas, en leur état, trancher sur ces divers points. Notre recherche s’est poursuivie depuis, qui remet en cause certaines idées exprimées ici (4). Ces textes restent donc attachés à un moment de la recherche. Ce moment était d’ailleurs largement influencé par les propres recherches de Pierre Etienne. présent à nos côtés à I’époque. Depuis, d’autres travaux sur les Baoulé ont été effectués, particulièrement en matière historique (5). C’est donc véritablement à titre de « travaux et documents » que nos textes sont repris ici, afin de faciliter la confrontation des interprétations et des résultats. On trouvera en annexe des informations particulières établies à partir de traditions orales ou de documents d’archives (ou d’enquête directe en ce qui concerne le problème spécifique des « mariages mixtes » Baoulé - « Dyula ))). Ces annexes précisent certains éléments évoqués dans le texte. Les cartes, tableaux et figures sont rassemblés en fin de volume.
II - Note sur la place du Baoulé dans l’ensemble économique ouest-africain précolonial à partir de textes antérieurs à la pénétration militaire
1 – INTRODUCTION
Nous nous proposons seulement dans cette note de replacer le Baoulé dans l’ensemble économique de l’Afrique de l’ouest précolonial d’après des écrits antérieurs à la pénétration militaire du Baoulé. Nous ajouterons cependant quelques commentaires fondés sur une enquête historique menée dans les régions de Tiassalé et Toumodi, et sur divers auteurs récents. La période considérée part de l’installation des Baoulé-Asabou dans leur territoire actuel, après leur exode de l’actuel Ghana, vers 1730 (cf. SALVERTE-MARMIER, 1965-a) et se termine peu avant l’expédition du capitaine MARCHAND de 1893, qui, après avoir conquis Tiassalé, put traverser pour la première fois le pays baoulé, dans la directicn nord-sud (cf. fig. 2).
Il n’est pas arbitraire de distinguer durant cette période deux phases, durant lesquelles la connaissance du pays baoulé et les moyens de cette connaissance par les Européens furent bien différents. Dans la première, qui prend fin vers 1870-1880, les contacts entre Européens et Africains s’établirent dans le cadre du système de traite, d’abord sous la forme de la «troque », puis par l’intermédiaire de quelques comptoirs côtiers (ce qui n’excluait évidemment pas l’usage de la force). Les Européens ne s’aventuraient gu&re dans l’intérieur, sinon à l’occasion d’ambassades auprès de quelques dirigeants puissants afin de faciliter le commerce côtier (cf. FAGE, 1958, carte 29 ; ATGER, 1960; BRUNSCHWIG! 1963). Durant cette première phase, les informations concernant le Baoulé sont rares, glanées par quelques explorateurs civils ou militaires depuis la côte ou la GoidCoast ; elles sont également très vagues (BOWDICH, BOUET-WILLAUMEZ. HECQUAF.D, FLEURI~T DE LANGLE).
Dans une deuxième phase, le contexte fut celui du scrambZe ou de «la course au clocher » : les Etats européens se livrèrent, après 1871 et surtout après 1880, au partage de l’Afrique noire. Que ses raisons en fussent économiques, politiques ou idéologiques (cf. BRUNSCHWIG, 1960, 1963, 1970 ; SURET-CANALE, 1968, tome 1, pp. 195-242), l’impérialisme aboutit à de multiples tentatives de pénétration vers l’intérieur. Ces tentatives échouèrent jusqu’en 1893 en ce qui concerne le pays baoulé. Seule sa frange nord-est (l’Ano) fut traversée par BINGER en 1889. Durant cette phase, deux sortes d’actions furent tentées par les Européens : une action commerciale, engagée par quelques individus, et une action militaire. Les informations recueillies dans ces conditions, pour n’être guère plus précises que celles de la première phase, furent néanmoins infiniment plus nombreuses, les Français considérant comme un objectif en soi la pénétration du pays baoulé dont la savane en «V )) occupait une position stratégique entre la CBte et le Soudan. Des témoignages de cette phase, nous ne retiendrons que celui de BINGER, les autres, qui concernent les expéditions TAVERNOSTARMAND, STAUP et MARCHAND, se rapportant à la période de pénétration coloniale proprement dite.
2 - LA PÉRIODE ANTÉRIEURE AUX ANNÉES 1830- 1840 : INFORMATIONS TIRÉES DES TEXTES DE L’ÉPOQUE
Ecrivant à une époque de peu postérieure à la venue des Baoulé dans leur territoire actuel, BARBOT brosse de la Côte de YIvoire un tableau identique à celui de DAPPER et BOSMAN. Le Cap La Hou (ou La Hoe) était « the most trading place of a11 the Coast of Quaqua » et les principales marchandises offertes y étaient toujours l’ivoire et les vêtements en coton de l’intérieur (BARBOT, 1746, pp. 138-141). A cette époque, il semble que les Baoulé n’aient pas encore occupé le sud de leur territoire actuel, quelques groupes peu nombreux étant seuls restés autour de Tiassalé, alors que le gros des migrants baoulé- asabou remontaient vers la région de Bouaké (cf. SALVERTE-MARMIER, 1965; CHAUVEAU, 1971). La première mention des Baoulé ne nous vient d’ailleurs pas des Européens présents sur la Côte de YIvoire, mais de BOWDICH, dans la relation de son voyage de 1817 dans I’Asante : «A powerfull kingdom called Bahooree, which has hitherto successfully resisted the Ashantees, was described to be westward, and expected to afford refuge to the king of Gaman on the approaching invasion (1) 1) (BOWDICH. 18 19, p. 169). L’auteur situed’ailleurs le « Bahooree » plus au nord-est qu’il n’est en réalité, sur la carte qu’il propose (fig. 3).
3-ÉLÉMENTS D'ORGANISATION ÉCONOMIQUEDU BAOULÉ AVANT LES ANNÉES 1830-1840'
On peut penser, nous semble-t-il, que les Baoulé conservèrent de leur origine a sante certaines bases de leur organisation socio-économique. Cet héritage aboutit à l’existence d’un vaste secteur productif fondé sur l’exploitation de l’or, ainsi que de relations d’échanges où l’or pouvait jouer un rôle important en tant que marchandise à échanger et en tant que moyen d’échange (grâce au système des poids à peser l’or, commun aux Akan). Cependant, les conditions naturelles et l’isolement plus grand des peuples voisins firent que les Baoulé ne purent rétablir une situation identique à celle de l’Asante, en particulier aux points de vue de la structure politique et du commerce à longue distance. Néanmoins, certains traits de leur vie économique restèrent acquis, qui n’étaient pas sans rappeler la gold-oriented econom,’ dont parle RODNEY. Il convient de noter que cette structure économique reposait sur une faible tradition commerçante chez les Asante, que BOWDICH (18 19, p. 335) notait déjà. Il semble que le grand commerce ait été laissé aux mains des Mandé (cf. WILKS, 1961, pp. 18-19). Nous verrons que chez les Baoulé également, il n’y eut jamais de grand commerce de type mercantile, avec des agents spécialisés.
Table des matières :
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
II. NOTE SUR LA PLACE DU BAOULÉ DANS L’ENSEMBLE ÉCONOMIQUE
OUEST-AFRICAIN PRÉCOLONIAL A PARTIR
DE TEXTES ANTÉRIEURS A LA PÉNÉTRATION MILITAIRE.. . . 1
III. NOTE SUR L’HISTOIRE DU PEUPLEMENT DE LA RÉGION
DE KOKUMBO.. . . . . , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
IV. LES CADRES SOCIO-HISTORIQUES DE LA PRODUCTION DANS
LA RÉGION DE KOKUMBO (Epoque précoloniale) . . . . . . . . . . . . . . . . 39
V. NOTE SUR LA MORPHOLOGIE MATRIMONIALE DE KOKUMBO
(Perspective historique) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
VI. ANNEXES :
_ A - Signes phonétiques utilisés pour la transcription. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
B - Principaux termes baoulé et noms propres utilisés . . . . . . . . . . . . . . . . . 152
C- Traditions historiques des villages de la région de Kokumbo . . . . . . . . 156
D - Informations sur les conflits armés intervenus dans la région. . . . . . . . 167
E -L’exploitation baoulé de l’or dans la région de Kokumbo au moment de la pénétration coloniale . . 171
F - Quelques cas de «justice indigène » en matière de règlement de dette, de prise d’otage et de mise en gage . . . .. . . . . . . . . 179
G- Les mariages mixtes entre Baoulé et non-Baoulé à Kokumbo depuis la colonisation . . . .. 183
FIGURES ETTABLEAUX........................................... 189