Cours sur les outils de la gestion financiere
Cours sur les outils de la gestion financière
Résumé
Le budget est un outil privilégié du contrôle de gestion, vis-à-vis duquel il assume de nombreuses fonctions. Focalisé sur la recherche d’efficience, il a pour objet d’accompagner la gestion des activités internes à l’organisation. La pression des nouvelles réglementations et du marché des capitaux, les changements de l’environnement institutionnel se traduisent par une demande accrue d’information financière prévisionnelle. En vue de promouvoir son image et dans une quête de légitimité vis-à-vis des différentes parties prenantes, l’organisation utilise l’outil budgétaire comme vecteur de communication externe, ce qui, en retour, tend à modifier sa pratique.
Introduction
L’organisation est composée d’acteurs qui interviennent sur différentes missions et à différents niveaux de sa structure. Pour assurer la cohérence des actions, pour vérifier l’utilisation des ressources vers la mise en œuvre de la stratégie, pour offrir une rémunération équitable aux divers partenaires, il est utile d’avoir le contrôle de l’organisation.
Depuis son apparition dans de grandes entreprises américaines dans les années 1920, le contrôle budgétaire a répondu à de nombreuses attentes. Dans une vision classique, la finalité de l’entreprise est la maximisation du profit, la comptabilité de gestion est là pour aider les managers en responsabilisant les acteurs sur des objectifs de performance à atteindre (Sponem, 2004, p49). En facilitant la convergence des buts, il améliore l’efficacité de l’organisation et la consommation des ressources (Anthony, 1965)[1]. Le contrôle budgétaire permet notamment un contrôle complet, rationnel et objectif de la direction sur les centres de responsabilité (Covaleski et Dirsmith, 1983). Cependant d’autres courants de recherche font référence à des influences externes sur les pratiques de gestion. La théorie de la contingence s’intéresse notamment aux relations entre l’environnement et les systèmes comptables et de gestion de l’organisation (Otley, 1980). L’impact des relations de pouvoir et des conflits d’intérêts sur la gestion des entreprises sont abordés par Latour ou l’approche marxiste (cité par Baxter et Chua, 2003). Ainsi, Bouquin (2001) définit quatre types de contrôle utilisés par les acteurs de l’organisation, « celui qui résulte de liens de subordination, celui qui découle de contrats de fourniture ou de coopération, celui qui s’instaure sans aucun contrat » et celui qui s’appuie sur la détention du capital ; les propriétaires veulent ainsi « s’assurer que leurs intérêts sont servis par les actions des membres de l’organisation ». Les organisations vont adopter des outils qui leur permettent d’afficher une image de société sous contrôle. Pour avoir accès aux ressources, pour obtenir la confiance des marchés financiers, l’entreprise va informer sur sa stratégie et sa rentabilité future au travers des données prévisionnelles. Ekholm et Wallin (2000), dans une étude sur les critiques adressées au budget, font ressortir que l’outil budgétaire peut notamment jouer un rôle de communication vis-à-vis de l’actionnaire.
Des théories plus récentes, comme la perspective néo-institutionnelle, expliquent la pérennité du processus budgétaire par sa capacité à répondre à des attentes autres que la recherche d’efficience. Ainsi, pour Meyer et Rowan (1977), l’apparence de comportement rationnel, véhiculé par le budget, permet aux organisations faisant face à l’incertitude de convaincre leur environnement institutionnel de leur légitimité. La firme augmente ses ressources et sa capacité de survie si elle montre qu’elle agit en conformité avec les attentes des parties prenantes.
Ce qui nous intéresse dans le contrôle budgétaire, ce n’est pas tant la façon dont il répond aux attentes des gestionnaires mais plutôt comment il rend compte des pressions externes ou comment il accompagne l’organisation dans sa quête de légitimité. Notre question de recherche sera la suivante :
En quoi l’utilisation du budget comme outil de communication externe peut elle affecter sa pratique ?
Après avoir étudié le budget comme outil de gestion interne puis intra groupe, dans une première partie, nous étudierons la façon dont cet outil peut être affecté par les exigences externes. Puis, sous une approche néo-institutionnelle, nous nous intéresserons dans une troisième partie au changement de l’environnement institutionnel et plus particulièrement au lien entre l’évolution de la communication de la firme et les pratiques de gestion prévisionnelle. Nous aborderons l’enquête terrain en expliquant la méthode choisie, dans une quatrième partie et enfin nous aborderons les résultats et la discussion.
Cette étude constitue la première partie d’une recherche hypothético-déductive. Elle consiste à définir des hypothèses sur la base d’une revue de la littérature et à les affiner au travers d’une enquête exploratoire, réalisée sous forme d’interviews auprès de neuf groupes de sociétés.
1. le budget et ses utilisations
1..1. le budget, outil de gestion interne :
Le budget est apparu dans de grandes entreprises nord américaines et d’une manière quasi simultanée en France et en Angleterre (Berland et al, 2001). Dans une approche classique, les hypothèses qui sous tendent les pratiques de gestion sont les suivantes : les salariés sont réfractaires au travail, peu rentables et non efficients. Le rôle des managers est d’assurer la maximisation du profit de l’entreprise et donc de contrôler le travail des salariés. La comptabilité de gestion va servir ces finalités. Pour Berland, (1999a), un certain contexte économique et idéologique a favorisé le développement plus particulier du contrôle budgétaire. Des réflexions sur la place de l’homme dans l’organisation ont accompagné le découpage de l’entreprise en centres autonomes, la responsabilisation des managers et la coordination par les résultats. Le budget va devenir un outil central en contrôle de gestion et répondre à de nombreuses fonctions : autorisation de dépenses, prévisions d’évènements, planification, communication interne et coordination des actions, motivation des managers et évaluation des performances (Otley, 1977). Il apparaît surtout que les rôles prêtés au contrôle budgétaire sont orientés vers la gestion interne de la firme et la recherche d’efficience. Par ailleurs, les différentes études font ressortir que ces différents rôles ne peuvent être remplis tous en même temps car certains sont contradictoires (Barett et Fraser, 1977)[2] et que l’utilisation des budgets doit être abordée dans son contexte. Ainsi certains jeux politiques dans l’entreprise vont influencer la présentation des données prévisionnelles. Le budget est à la fois un outil de contrôle des unités pour le top management et un outil d’aide à la gestion pour les managers intermédiaires (Otley, 1977). Ces derniers perçoivent le budget plus comme un outil les contrôlant que comme un moyen à leur disposition, et ont tendance, en réaction, à créer du slack. Selon Lowe et Shaw, (1970)[3], il y aurait trois sources de slack budgétaire. Il peut se caractériser par une sous estimation des objectifs prévus afin de faire apparaître la performance réelle comme plus élevée. A l’opposé, il se matérialise aussi par une prévision optimiste, soit pour se conformer à une vision globale du top management, soit pour contrecarrer un sentiment d’insécurité face à une faible performance passée. Pour Otley, (1977), ces trois sources de slack sont basées sur un comportement économique rationnel d’individus cherchant à trouver un équilibre entre une croissance de leur résultat futur et le maintien de leur sécurité actuelle.
Dans une approche classique et économique, le budget est un dispositif interne à l’organisation. Assimilé à un outil rationnel, il a pour objectif principal une amélioration de l’efficience. Le budget sert la coalition dominante en permettant un contrôle de l’activité des opérationnels et en orientant les comportements vers l’atteinte des objectifs de l’organisation. Mais les responsables peuvent, dans le cadre de relations politiques, créer du slack pour conserver des marges de manœuvre. Le budget devient alors un enjeu de pouvoir. Cependant l’influence du budget dépasse la seule organisation et certaines recherches ont cependant mis en exergue les utilisations du budget dans les groupes d’entreprises.
1..2. le budget, outil de contrôle intra groupe :
Le budget s’est développé en Amérique du Nord dans des entreprises « confrontées à une
forte obligation de performance en matière de capitaux investis. » (Escoffier, 2000). Il répond à une demande des dirigeants actionnaires qui cherchent à contrôler que la mise à disposition du « cash » et que la délégation de pouvoir vis-à-vis des managers sont bien utilisées selon leurs attentes.
Le budget n’est donc pas uniquement un outil de gestion interne, mais il répond à un besoin d’information et de contrôle des actionnaires, qui ne sont pas forcément dirigeants ou salariés de l’entreprise. La typologie de Goold et Campbell (1987)1 analyse, dans une étude réalisée en Grande Bretagne, le style de management de la société mère vis-à-vis de ses filiales et le mode de contrôle que cela induit. A ce titre, elle constitue une approche du contrôle « externe ». « Les propriétaires doivent encore s’assurer que leurs intérêts sont servis par les actions des membres de l’organisation. Il leur faut donc orienter et suivre ces actions » (Bouquin, 2001). Pour Goold et Campbell, le centre, c’est-à-dire la société mère, peut influencer les managers opérationnels de deux façons : en s’impliquant dans la stratégie des Business Units ou en intervenant dans le mode de définition des objectifs et en mettant en place un système de pression et d’incitations liées aux objectifs. De l’implication plus ou moins forte du centre dans la stratégie ou le contrôle des filiales, les auteurs vont dégager trois styles de management : la planification stratégique, le contrôle stratégique et le contrôle financier.
Les résultats de cette étude ont été complétés par les travaux de Berland (1999a) qui établit un lien entre le style de gestion du groupe et l’usage qui est fait des budgets. Le mode de contrôle est flexible, le contrôle budgétaire est peu utilisé, dans le cas de la planification stratégique. Il est utilisé pour vérifier la cohérence d’ensemble, dans le contrôle stratégique. Et, enfin pour le contrôle financier, le budget est utilisé comme un contrat passé entre le centre et les managers opérationnels.
Dans le cas des relations entre les filiales et la société mère, le budget sert des finalités qui sont à mi-chemin entre un contrôle interne, intra groupe, et un contrôle externe, tel qu’il est perçu par la filiale.
La littérature nous informe sur la disparité des fonctions et des pratiques budgétaires. Il existe cependant une constante dans les différents rôles observés, ils servent une même finalité : la gestion de la performance organisationnelle. Le budget est un outil central en contrôle, il s’insère donc parfaitement dans cette démarche de gestion interne. Certains travaux montrent qu’il est aussi influencé dans ses pratiques par une pression du groupe. La typologie de Goold et Campbell présente le budget comme servant des finalités de contrôle « externe ». La question qui se pose est de savoir si le budget peut servir à communiquer à l’extérieur du groupe et à quel titre : comme outil de contrôle externe ou comme facteur de communication financière.
2. le contrôle budgétaire face à différentes
attentes externes
Le budget est un outil privilégié du contrôle de gestion, vis-à-vis duquel il assume de nombreuses fonctions de contrôle interne. Mais il vise aussi à préserver les relations de pouvoir existantes. Il représente ainsi un enjeu politique entre les acteurs internes et externes. Dans cette fonction, il peut servir de lien informationnel avec l’environnement de la firme.
2..1. influences externes sur le contrôle budgétaire
A la suitedestravaux d’Argyris (1952,1953) et de March et Simon (1958)[4], la littérature en théorie des organisations s’est intéressée aux notions de prise de décision et de coordination dans les grandes entreprises complexes évoluant dans des environnements incertains. Le budget est alors perçu comme un dispositif simplificateur de la prise de décision, un écran contre l’incertitude. Pour le courant de la contingence les pratiques organisationnelles sont ainsi dépendantes de variables telles que la taille, l’incertitude environnementale et la technologie (Covaleski et al., 2003). Pour se développer les entreprises ont besoin de ressources externes, en échange de leurs apports, les partenaires externes vont formuler des demandes et exercer des pressions sur l’entreprise (Filleau et Marques Ripoull, 1999). Les systèmes comptables et de gestion vont s’adapter à ces exigences externes : ils vont donc dépendre des circonstances spécifiques dans lesquelles se trouve l’organisation (Otley, 1980). Les changements de l’environnement économique et réglementaire ont une répercussion sur les dispositifs comptables et de gestion. La création de la communauté européenne et la globalisation des marchés économiques et financiers ont entraîné la nécessité d’une homogénéisation du langage des comptes. Les enjeux de l’harmonisation comptable internationale sont « non seulement économiques mais aussi politiques et sociaux » (Colasse, 2000). Les normes sont marquées par l’importance qu’elles accordent aux échanges économiques et aux marchés boursiers. L’investisseur devient le destinataire privilégié de l’information, car le marché est considéré comme la source principale de financement. La comptabilité sert cette demande en fournissant l’information qui rend compte d’une manière précise et économique des performances financières de l’entreprise (Raffournier, 2000).
Mais les partenaires de l’entreprise constituent un ensemble hétérogène, aux demandes diversifiées. Ainsi, pour Kang et Sorensen, (1999), la théorie de l’agence est insuffisante à expliquer l’influence des actionnaires sur la firme, car elle considère l’actionnariat comme un groupe homogène et postule que la pression des propriétaires sur l’organisation est d’autant plus forte que leur part dans le capital est importante, ce qui n’a pas été vérifié de manière empirique. Pour les auteurs, des types d’actionnaires variés vont générer différentes pressions politiques. En effet, plusieurs sources de pouvoir peuvent être mobilisées par les détenteurs de capital pour influencer l’organisation et sa gestion. L’autorité formelle est inhérente au droit de vote qui permet aux actionnaires de désigner les membres des organes de direction et de participer aux décisions majeures L’influence sociale émerge des relations suivies avec les dirigeants ou les employés de la firme. Elle s’acquiert essentiellement dans le cas d’un actionnariat stable et impliqué. Enfin certains actionnaires détiennent aussi un pouvoir d’expertise – sous forme de compréhension approfondie de la firme et de son environnement – généralement acquis en participant aux organes de direction. Enfin, selon les auteurs, certains fonds de pension ont même utilisé les médias ou fait pression sur le gouvernement pour influencer les managers de la firme.
Sponem, (2004), s’intéresse à l’impact de la structure du capital sur l’outil de gestion. Il met en exergue l’existence d’une relation entre le type d’actionnariat et les pratiques budgétaires. L’auteur fait ressortir cinq groupes d’entreprise ayant des styles budgétaires différenciés. Pour expliquer la diversité de ces pratiques et notamment leurs causes, l’auteur s’intéresse alors aux budgets analysés dans leur contexte. Un certain nombre de déterminants sont abordés, qu’ils soient internes : taille, technologie, décentralisation, stratégie, origine professionnelle des dirigeants, ou externes : environnement, appartenance à un groupe et type d’actionnariat.
P1: les pratiques de gestion prévisionnelle répondent à des contraintes externes
La théorie de la contingence offre une explication aux liens que l’entreprise entretient avec son environnement et à la variété des systèmes de comptabilité de gestion observés dans la pratique. Mais ce courant n’explique pas pourquoi certaines pratiques vont faire plus que répondre à la demande. La recherche d’efficience n’est pas suffisante pour comprendre pourquoi les acteurs vont se conformer à des modes de fonctionnement externe à la firme et pas forcément en ligne avec la gestion interne. Ainsi, l’appartenance à un groupe, les types de relation avec le groupe et le type d’actionnariat sont plutôt des composantes de l’environnement institutionnel (Sponem, 2006)
2..1. Le budget dans une quête de légitimité
Pour Covaleski et Dirsmith, (2003), les études qui ont été menées sur le budget proviennent de perspectives théoriques variées et montrent sous quels aspects différents, cet outil améliore l’efficience de l’organisation. Certaines recherches sur le budget en sociologie se sont focalisées sur les conflits d’intérêts entre les individus de l’organisation et ont montré que cet outil de gestion favorise l’exercice du pouvoir au travers de routines et de procédures techniques apparemment neutres. Le budget sert les intérêts de la coalition dominante. Mais ces différentes approches, quoique sous des aspects différents, sont toutes orientées vers la gestion interne de la firme. D’autres auteurs remettent en cause les approches classiques et mécanistes des budgets. Les chiffrages budgétaires confèrent une objectivité et une rationalité qui ne seraient qu’apparentes (Hayes, 1983, Hopwood, 1984)[5]. Le budget serait ainsi un mécanisme de négociation politique en vue de résoudre des conflits d’intérêts internes à la firme.
De la même façon Barley et Kunda (1992) soutiennent que les pratiques de gestion sont influencées par l’idéologie dominante qui n’est pas forcément axée sur la rationalité. A des périodes de pratiques rationnelles caractérisées par un contrôle fondé sur une expertise technique succède une phase normative qui repose sur des valeurs partagées et l’implication des acteurs[6] . Une technique de gestion est donc porteuse des règles et des conventions, c’est-à-dire des institutions, de la société qui l’a vu naître. Mais certaines pratiques peuvent s’institutionnaliser – comme par exemple le budget, qui véhicule l’image d’une gestion maîtrisée – alors même que les fondements idéologiques qui ont donné lieu à leur naissance ont disparu. Il apparaît alors un décalage entre les aspects techniques de l’outil et les attentes de la société dans laquelle il est encastré (Berland, 1999a, p89).
De nombreuses études montrent aujourd’hui que les comportements organisationnels sont généralement le reflet des pressions institutionnelles, même si les pratiques de gestion sont nées dans le cadre d’une rationalité technique et économique. Les facteurs cognitifs et culturels, mobilisés par des organes de régulations, des organisations leaders ou la société en général, jouent un rôle moteur dans l’évolution des structures et des pratiques de la firme (Desreumaux, 2004). Notre démarche s’inscrit dans la théorie néo-institutionnelle car nous cherchons à voir comment l’organisation utilise le contrôle budgétaire dans sa quête de légitimité.
1.2 Théorie néo-institutionnelle et contôle budgétaire
La théorie néo-institutionnelle s’intéresse au comportement de l’organisation en référence à son environnement institutionnel. Meyer et Rowan, (1977), dans leur article fondateur posent que les organisations adoptent les pratiques et les formes dominantes de leur environnement institutionnel.
Le terme d’environnement institutionnel est caractérisé par des normes, des règles et des valeurs. En subissant des contraintes de même type, les organisations tendent à adopter, ou se voient imposées, des structures et des modes de fonctionnement homogènes, qui deviennent des modèles institutionnalisés (DiMaggio et Powell, 1983). Ce processus qualifié d’isomorphisme correspond à l’homogénéisation des formes organisationnelles et des pratiques et procédures de gestion au sein d’un champ organisationnel. Celui-ci est composé de sociétés évoluant dans des domaines d’activité proches. L’organisation serait ainsi soumise à deux environnements distincts, l’un institutionnel, l’autre technique, qui génèrent des demandes contradictoires vis-à-vis de l’organisation. En effet l’adhésion aux règles institutionnelles, dans une recherche de légitimité, va souvent à l’encontre de la notion d’efficience, basée sur la coordination et le contrôle des activités (Meyer et Rowan, 1977).
Pour ces auteurs, certaines activités seraient ainsi réalisées dans un but cérémoniel, afin de donner une apparence de comportement rationnel et ainsi de légitimer l’organisation. Mais les exigences de l’environnement institutionnel peuvent être en conflit avec les demandes techniques centrées sur la coordination et le contrôle interne. Pour résoudre cette incompatibilité, les organisations vont renoncer à maintenir l’alignement entre structures et activités et vont mettre en œuvre un phénomène de « découplage ». Meyer et Rowan (1977) soutiennent que les structures formelles qui répondent aux mythes institutionnalisés diffèrent de celles centrées sur l’efficience.
La comptabilité, comme le dispositif de contrôle, n’est pas une simple technique mais participe « à la construction de la réalité sociale et organisationnelle » (selon Hopwood)[7]. L’entreprise cherche à se doter des systèmes de contrôle qui sont fonctions de ses choix stratégiques et des demandes de l’environnement institutionnel (Abernethy et Chua, 1996). Plusieurs études de la littérature rendent compte de ce phénomène ; ainsi le budget est une forme d’isomorphisme coercitif que les gouvernements exigent, pour légitimer la gestion de l’entité, en vue de l’attribution de financement public (Di Maggio et Powell, 1983) ; de la même façon, les filiales vont adopter les modes de contrôle de la société mère (Meyer et Rowan, 1977). Le budget, telle la comptabilité, est un langage commun et légitimant qui tend à reproduire et renforcer les attentes sociétales. (Covaleski et Dirsmith, 1988a et 1988b)
Réciproquement, les croyances, les règles et les conventions culturelles de l’environnement façonnent les buts et modes de comportement et de gestion des organisations. Sponem (2004, 2006) fait ressortir que la mise en place du contrôle budgétaire répond à une recherche d’efficience mais surtout à une pression institutionnelle. L’étude de Covaleski et Dirsmith, (1986), montrent que l’image externe de l’action rationnelle a été intégrée en interne et a influencé les pratiques et les comportements des acteurs de l’organisation et donc que la notion de découplage ne s’est pas vérifiée. Un même dispositif budgétaire peut rendre compte de l’efficience et permettre de se légitimer. Dambrin, Lambert et Sponem (2005) en étudiant l’influence d’un changement de l’environnement institutionnel sur le contrôle de gestion, se demandent si l’adoption de nouveaux modes de gestion est uniquement cérémonielle ou si elle implique des pratiques nouvelles.
P2 : certaines pratiques budgétaires sont découplées des activités opérationnelles quand les exigences institutionnelles ne sont pas perçues comme utiles à la gestion de la firme
Les différents courants de recherche sur les organisations et leur fonctionnement nous informent sur la rationalité technico-économique des pratiques organisationnelles. Le budget est un outil central en contrôle, il s’insère donc parfaitement dans une démarche de gestion interne. Cependant pour les néo-institutionnels, la rationalité porte plus particulièrement sur la conformité aux exigences institutionnelles ce qui assure soutien social et survie de l’entreprise (Meyer et Rowan, 1977). Les organisations adoptent des pratiques et des comportements pour se légitimer vis-à-vis de leur environnement. Le budget n’est pas uniquement un outil de gestion interne, il répond à un besoin d’information et de contrôle de différentes parties prenantes.
3. Le contrôle budgétaire instrument de communication :
L’apparition des nouvelles normes comptables internationales et leur influence sur les règles nationales modifient l’environnement institutionnel des organisations. La comptabilité est un langage qui véhicule une culture, une perception particulière des opérations de l’entreprise. Une norme n’est pas un outil neutre, « elle véhicule des façons de penser, de communiquer, de se comporter, de gérer les hommes et les choses et aussi, au sens large, des valeurs » (Colasse, 2000). La comptabilité oriente les modes de pensée et les comportements des acteurs de l’organisation.
2.1 changement de philosophie comptable :
L’évolution récente de l’environnement institutionnel semble marqué par deux tendances. D’une part nous assistons à une harmonisation comptable au plan international, d’autre part, les différents scandales financiers du début du millénaire ont suscité une volonté de fiabiliser l’information comptable.
La création de la communauté européenne et l’harmonisation comptable font ressortir l’importance donnée aux échanges économiques et aux besoins de financement. Dans cette démarche, l’investisseur tient une place privilégiée. Cette approche n’est pas nouvelle, très tôt, la théorie de l’agence énonce le rôle prépondérant de certains acteurs et de l’information comme enjeu de pouvoir (Jensen et Meckling, 1976). Le principal, qui est à l’origine de la délégation de décision, veut s’assurer que les gestionnaires agissent dans le sens de ses intérêts. L’information comptable est ainsi au cœur de la relation de pouvoir entre gestionnaire de la firme et propriétaires, tout en servant la maximisation du profit. « La comptabilité peut alors être considérée comme étant le produit des forces du marché et du processus politique » (Coulombe et al., 2001). La gouvernance d’entreprise est née de ce besoin de réguler les jeux de pouvoir dans l’organisation. Sa mise en œuvre vise à réduire l’asymétrie d’information en poussant les dirigeants à envoyer des signaux au marché censés diminuer le coût des capitaux (Lakhal, 2004). Elle se définit comme un ensemble de mesures incitant les agents économiques à créer une rente organisationnelle et à assurer son partage équitable. Mais, selon la théorie de l’agence, la séparation entre la propriété et la gestion du capital fait naître un risque de divergences d’intérêts entre dirigeants et actionnaires (Maati, 1999). Le gouvernement d’entreprise s’est surtout intéressé à cette relation et a orienté ses mesures de contrôle et son système d’incitations/sanctions vers l’obligation pour les dirigeants de privilégier l’intérêt des seuls actionnaires. Ce contrôle exercé par les investisseurs s’appuie naturellement sur la divulgation et la transparence de l’information financière (Batsch, 1998). Les nouvelles réglementations comptables, l’émergence des normes IAS/IFRS, orientées vers le marché et l’investisseur, et la concurrence des places boursières ont renforcé cette nécessité de communiquer à l’actionnaire et ont fait évoluer la nature de l’information.
Ainsi au milieu des années 90, apparaît la revendication d’une communication financière transparente (Labégorre et Boubaker, 2004). Cette demande n’a fait que s’accroître à la suite des différents scandales financiers intervenus au changement de millénaire (Enron, Parmalat, Worldcom, Ahold, etc..) Les instances de régulation1 ont appuyé ce besoin de transparence, en vue de rétablir la confiance sur les marchés. De nouvelles lois ont vu le jour comme la loi Sarbannes-Oxley aux Etats-Unis et la Loi sur la Sécurité Financière en France. Ces lois vont modifier les règles du gouvernement d’entreprise, renforcer le contrôle interne et le rôle de certaines institutions comme les commissaires aux comptes, la SEC (Security and Exchange Commission) aux Etats-Unis ou l’AMF (l’Autorité des Marchés Financiers) en France. Pour Charreaux, (1997), ces nouvelles lois s’imposant à tous peuvent apparaître comme « des mécanismes de gouvernance de nature institutionnelle. »[9] Les entreprises peuvent vouloir s’y conformer dans le but de signaler au marché financier leurs bonnes pratiques en terme de gouvernance. Dans une étude réalisée par Chatelin et Trébucq, (2004), il apparaît, malgré une certaine réticence du patronat français vis-à-vis du renforcement des mécanismes de gouvernance, que certaines grandes entreprises acceptent spontanément un surcroît de contrôle. En effet les entreprises de grande taille mais ayant une performance médiocre ont à la fois des besoins en capitaux importants et une image ternie. Selon les auteurs, elles s’impliquent dans la nouvelle réglementation des normes de gouvernance par nécessité de convaincre les investisseurs de la fiabilité de leur système de contrôle.
Les nouvelles réglementations modifiant les normes comptables et les contrôles internes ne sont pas forcément perçus comme des contraintes. Elles peuvent être utilisées par les organisations pour renforcer leurs relations avec l’environnement. Ainsi Labégorre et Boubaker, (2004), observent que les entreprises publient volontairement des informations au marché, dans un souci de communiquer une image qui leur est favorable.