Le marché de change au maroc comment ca marche
Sommaire
L'instauration d'un marché des changes au Maroc en 1996 constitue incontestablement une des principales manifestations concrètes de l'intégration de l'économie marocaine dans le circuit de la mondialisation et de la globalisation financière.
Fini le temps où les banques se limitaient à jouer un rôle de « boîte à lettre » entre leurs clients et la Banque Centrale pour acheter ou céder des devises sur la base d'un taux de change administré et indifférencié.
Aujourd'hui, les banques marocaines sont dotées de véritables vitrines technologiques, dénommées salles des marchés, habilitées à effectuer des opérations d'achat et de vente de devise dont les taux de change sont librement négociables entre les parties.
Grâce à ce nouveau marché, les exportateurs et les importateurs marocains peuvent non seulement négocier des taux de change préférentiels, mais aussi se couvrir contre le risque de change.
Comment fonctionne t-il au Maroc ? Quelles sont ses limites ? Comment les entreprises peuvent-elles l'utiliser ? Quels genres d'opérations peuvent-elles y effectuer ? Comment peuvent-elles en tirer profit ?
A ces différentes questions, je tenterai d'apporter des réponses concrètes dans les pages qui suivent.
Deux points seront plus particulièrement examinés :
· La spécificité du marché des changes marocain ;
· Et la Convertibilité du Dirham, ses enjeux et ses contraintes ;
La création d'un marché des changes interbancaire au Maroc est le couronnement d'un long processus de déréglementation et de libéralisation entamé par les pouvoirs publics depuis le début des années 80 dans le cadre de la mise en oeuvre des programmes d'ajustement structurel.
Encadré et contrôlé par Bank Al-Maghrib, ce marché donne la possibilité aux banques de conserver et de gérer des positions de change pour traiter aussi bien entre elles qu'avec la clientèle, les opérations de change au comptant, à terme, de swap et de dépôt en devise.
Conçu initialement pour fonctionner en interne dans un cercle fermé interbancaire marocain, ce marché a été ouvert en janvier 1997 au marché international des capitaux en permettant aux banques d'effectuer des opérations de change devise contre devise auprès de leurs correspondants étrangers.
L'objectif étant de permettre aux banquiers marocains d'améliorer sensiblement les conditions d'exécution des ordres en devises de leur clientèle, développer les techniques de couverture à terme et promouvoir l'émergence d'un marché monétaire interne en devise par des opérations de prêts et d'emprunts interbancaires en monnaies étrangères.
Avant le 3 juin 1996, la gestion de l'ensemble des transactions en devises était un monopole de Bank Al-Maghrib. Tous les ordres d'achat et de vente des devises émanant des intermédiaires agrées devaient impérativement transiter par le canal de la Banque Centrale. La totalité des recettes d'exportation de biens et services ainsi que tous les autres produits, revenus ou moyens de paiements internationaux avait un caractère obligatoirement cessible auprès de l'Institut d'Emission ; à l'exception toutefois de quelques cas limités, liés à la gestion des comptes en devises.
Sur un plan plus pratique, les banques agrées étaient tenus d'acheter ou de vendre leurs soldes de devises à Bank Al-Maghrib sur une base quotidienne et dans le cadre d'une procédure complexe.
C'est la Banque Centrale qui déterminait quotidiennement les cours officiels de devises. Elle communiquait au système bancaire les taux acheteurs et vendeurs des devises par rapport au dirham pour les transferts et paiements. En outre, elle publiait hebdomadairement les taux de change pour les opérations du change manuel, billets de banque et chèques de voyage.
La date de valeur des opérations entre les banques et Bank Al-Maghrib était calculée sur la base de J + 3. Le jour de l'initiation de l'opération, ni les banques agrées ni les clients ne connaissaient le taux de change applicable à leur transaction, car ce taux n'était publié par Bank Al-Maghrib que le lendemain (soit J + 1).
D'importantes mesures libérales ont été graduellement adoptées par les autorités monétaires pour préparer les opérateurs à s'acclimater à un embryon du marché des changes. Parmi ces mesures, nous avons retenu les plus fondamentales :
• Ouverture des comptes en dirhams convertibles et en devises auprès des banques marocaines par les exportateurs de biens et services et les ressortissants marocains à l'étranger dans des limites fixées par la réglementation des changes ;
• Instauration d'un système de couverture de change à terme par la Banque Centrale ;
• Mobilisation en devises des créances nées permettant une compensation entre le produit de vente d'une exportation et le règlement d'une importation de matières premières ;
• Libéralisation des emprunts extérieurs avec la suppression de l'autorisation préalable des autorités monétaires ;
• Proclamation de la convertibilité du dirham pour les opérations courantes avec l'extension de la délégation bancaire, plus particulièrement en matière d'investissement étranger et d'assistance technique ;
• Modernisation du système bancaire et financier, avec la suppression de l'encadrement du crédit, la libéralisation des taux d'intérêt et la promotion d'un marché monétaire reflétant la réalité des prix :
composante essentielle du fonctionnement du marché des changes
C'est la circulaire 1633 de l'Office des Changes qui a annoncé l'institution du marché des changes. Datée du 1 avril 1996, cette circulaire définit notamment l'organisation et le fonctionnement de ce marché et précise les nouvelles procédures d'achat et de vente de devises.
D'autres circulaires de Bank Al Maghrib sont venues apporter des précisions quant aux modalités d'application de la circulaire de l'Office des Changes mais aussi de l'arrêté du Ministère des Finances et des Investissements Extérieurs du 29 Mars 1996 relatif aux positions de change des établissements bancaires. Elles précisent, en outre, les normes de déontologie que doivent observer l'ensemble des intervenants sur le marché des changes.
La circulaire 1633 de l'Office des Changes précise que :
« Les intermédiaires agrées sont autorisés à effectuer entre eux et avec la clientèle des opérations d'achat et de vente de devises et à constituer des positions de change dans les conditions fixées par les autorités monétaires.»
Après avoir défini la nature des opérations devant être effectuées sur ce marché ainsi que les différents compartiments qui le composent, l'Office des Changes rappelle que, même si les banques sont désormais habilitées à s'échanger mutuellement les devises sans obligation de cession au profit de la Banque Centrale, le traitement des opérations pour lesquelles ces devises sont achetées ou vendues doivent cependant être exécutées conformément à la réglementation des changes en vigueur. Ainsi, les résidents demeurent tenus de rapatrier au Maroc, dans les délais réglementaires, le produit des exportations de biens et services ainsi que tous les autres produits, revenus ou moyens de paiement ayant le caractère obligatoirement cessible.
De même, les intermédiaires agrées continueront à transmettre régulièrement à l'Office des Changes les comptes rendus habituels concernant les opérations d'achat et de vente de devises effectuées sur le marché des changes pour le compte de la clientèle et ce, conformément aux conditions prévues par l'Instruction 05 relative à l'établissement de la balance des paiements. a- La nature des opérations :
La circulaire de Bank Al Maghrib N°61 DAI 96 stipule :
« Les intermédiaires agréés sont autorisés à effectuer sur le marché des changes les opérations en devises au comptant, à terme et de trésorerie et ce, pour leur propre compte ou pour le compte de la clientèle. Aucune restriction n'est imposée quant au choix des devises traitées par les intermédiaires agréés entre eux et avec la clientèle.
Suite de la circulaire N°61 DAI 96
Les excédents et besoins en devises des banques peuvent être négociés auprès d'autres intermédiaires agréés à des taux de change déterminés d'un commun accord entre les parties, ils peuvent également être traités avec Bank Al Maghrib ».
Conçu initialement uniquement aux transactions entre les banques locales, le marché des changes marocain a été étendu en Janvier 1997 aux banques étrangères pour les opérations d'achat et de vente de devise contre devise au comptant (cross), à l'exclusion, toutefois, des monnaies des pays membres de l'Union du Maghreb Arabe (UMA).
Comme le stipule la circulaire 473 DAI/97 de Bank Al Maghrib « les taux de change applicables à ces opérations sont négociés librement entre les parties ». b- L'organisation du marché :
Bank Al-Maghrib affiche en continu, sur les écrans «Reuters», les taux de change applicables aux opérations d'achat et de vente de devises avec les intermédiaires agrées. Ces taux sont exprimés à l'incertain (montant en dirhams correspondant aux unités des devises cotées).
Les opérations traitées avec Bank Al-Maghrib sont effectuées en continu de 8h30 à 15h30, sur la base d'une date de valeur de J+2 (2 jours ouvrables) conformément à la norme internationale. Les banques peuvent également convenir des dates de règlement en valeur décalée (valeur jour ou lendemain).
Le non respect de la date de valeur par l'une des parties donne droit à la contrepartie d'exiger, en compensation, des intérêts de retard.
Toute opération traitée sur le marché des changes doit faire l'objet d'une confirmation immédiate par échange entre les deux parties de messages télex ou Swift reprenant toutes les caractéristiques de la transaction.
Les taux de change offerts à la clientèle devant inclure une commission de 2%o, dont le produit est versé à Bank Al-Maghrib pour le compte de l'Office des Changes. Les opérations de cross (devise contre devise) effectuées avec les banques étrangères sont exonérées de cette commission.
Elles sont édictées par la circulaire n°9/G/96 de Bank Al-Maghrib du 29 Mars 1996. Elles se rapportent essentiellement aux ratios devant être observés par les intermédiaires agrées dans le cadre de leur intervention sur le marché des changes.
a- Le respect des ratios:
• Les établissements bancaires doivent observer de manière permanente :
• Un coefficient maximum de 7% entre la position de change longue ou courte par devise et les fonds propres nets.
• Un coefficient maximum de 20% entre le total des positions de change longues ou courtes et les fonds propres nets.
• Tout dépassement des nivaux maximums des positions de change doit faire l'objet d'un nivellement auprès de Bank Al-Maghrib par achat ou vente de devises avant 15h30. Les cours applicables à ces opérations étant ceux affichés par Bank Al-Maghrib au moment du nivellement.
b- Le système déclaratif:
Dans le cadre du contrôle de la régularité des opérations traitées sur le marché des changes, les banques sont tenues d'adresser quotidiennement à Bank AlMaghrib les états suivants (à 18 heures au plus tard) :
• Achats et ventes de devises au comptant à la clientèle ;
• Principales opérations interbancaires au comptant en devise ;
• Principales opérations à terme ;
• Etat des positions de change ;
• Achats et ventes de devise contre devises auprès d'une banque étrangère dont le montant est supérieur à l'équivalent de 5 millions de DH ;
• Toute position dans une devise, enregistrant une perte de change de plus 3%.
En outre, les intermédiaires agrées sont tenus d'adresser à la Banque Centrale, d'une part, un état hebdomadaire concernant les prêts et emprunts interbancaires en devises, et d'autre part, un état trimestriel relatif aux comptes en devise ouverts sur leurs livres, consolidé par devise et par échéance.
c- Le système déclaratif :
Pour promouvoir le professionnalisme des cambistes et préserver la réputation du marché des changes marocain, la Banque Centrale a tracé les normes de déontologie devant être observées par l'ensemble des intervenants.
On distingue entre les règles d'éthique et les règles usuelles :
Ø Les règles d'éthique :
Les intervenants sur le marché des changes sont tenus de respecter fidèlement le code déontologique et les pratiques régnant dans les marchés internationaux :
- les intervenants sont tenus au secret professionnel aussi bien durant l'exercice de leur fonction qu'après la cession de l'activité :
· S'abstenir de participer ou de contribuer à toute opération visant à fausser les mécanismes du marché en vue d'en tirer profit ou un intérêt quelconque ;
· Eviter d'entretenir des rumeurs sur le marché pouvant porter atteinte au crédit d'autres intervenants ou de manipuler le processus de formation des cours ;
· Informer la clientèle des risques encourus pour les opérations qui leurs sont proposées ;
· Respecter le principe de réciprocité dans la cotation des cours entre intervenants et ce, sans préjudice de contraintes liées à la taille des institutions et aux limites établies entre elles ;
· Eviter de tirer profit d'une erreur manifeste de cotation d'une contrepartie.
- les directions doivent veiller à ce que les opérateurs aient toutes les qualités nécessaires à l'exercice de leurs onctions.
Ø Les règles usuelles :
- les prix cotés à une contrepartie avec laquelle une ligne a été établie doivent impérativement être honorés.
- une contrepartie ayant demandé une cotation et qui tarde à prendre sa décision, s'expose au risque de modification du prix et doit en conséquence demander une nouvelle cotation.
- le coteur se doit d'informer la contrepartie que sa cotation est « pour information » ou « à titre indicatif » au cas où les prix cotés ne sont pas fermes
- toutes les opérations doivent faire l'objet d'une confirmation SWIFT ou télex et ce, dans les délais les plus rapides. Les confirmations doivent être les plus détaillées possibles et comprendre les informations suivantes : nom du contractant, nature de l'opération, date de valeur, date de l'échéance, taux de cours etc.
Le marché des changes n'est pas une fin en soi, sa force réside dans l'usage qui en est fait, son efficacité dépend des acteurs qui l'animent ; la moralité et les qualifications professionnelles de ces derniers conditionnant largement son bon fonctionnement.
En effet, il ne sert à rien d'avoir un marché si les opérateurs pour lesquels il a été institué ne savent pas s'en servir. A quoi servent les instruments de couverture du risque de change si les entreprises ne parviennent pas à les utiliser ?
Il est regrettable de constater que bon nombre d'entreprises marocaines n'accordent à ce nouveau marché qu'un intérêt dérisoire. Certains d'entre elles, ignorant son existence n'en perçoivent même pas l'utilité. D'autres estiment que ce marché demeure l'apanage de grands groupes dont la manipulation est réservée à un cercle restreint de spécialistes et de praticiens de banque
A l'origine de cette attitude il y a :
v d'une part Un grand déficit d'information et de formation dont il convient à tout prix de remédier,;
v et d'autre part, l'absence d'une véritable culture de marché qui fait grandement défaut à nos chefs d'entreprise, habitués à travailler dans un univers administré, rythmé par la réglementation des prix et des changes.
L'institution du marché des changes au Maroc apporte quatre innovations majeures :
• La fin du monopole de Bank Al-Maghrib en matière de la gestion centralisée des devises du pays ;
• La détermination des taux de change par les banques en fonction de l'offre et de la demande des devises, tout en restant, bien entendu, à l'intérieur des marges d'intervention fixées par la Banque Centrale ;
• Le réajustement des dates de valeur à la norme internationale en raccourcissant le délai d'exécution des transactions, ramené à J+2 au lieu de J+3 comme ce fut le cas auparavant ;
• Enfin, l'introduction des techniques de couverture contre le risque de change telles qu'elles se pratiquent sur les places financières internationales.
De ces différentes innovations découlent les avantages appréciables dont les opérateurs peuvent bénéficier :
• La connaissance immédiate de la cotation applicable à leurs transactions, avec une date de valeur conforme à la norme universelle ;
• La possibilité de négociation de cette cotation en faisant jouer la concurrence
• La gestion du risque de change en se couvrant à terme aussi bien à l'export qu'à l'import.
Si tout le monde s'accorde à dire que le marché des changes marocain a démarré dans de bonnes conditions et fonctionne de manière plus ou moins satisfaisante, il est loin de remplir pleinement la mission pour laquelle il a été institué : à savoir aider les entreprises à améliorer leur compétitivité et accroître leurs performances sur les marchés extérieurs.
Certes, il est encore prématuré de porter un jugement de valeur sur ce marché. Il s'agit d'un marché très jeune qui ne traite pas l'ensemble des opérations et dont le volume des transactions qui y sont effectués est encore modeste.
En outre, les obstacles auxquels se heurte ce marché sont loin d'être négligeables. Ils sont d'ordre culturel, structurel et professionnel et ils interpellent l'ensemble des acteurs qui interviennent sur le marché.
a. Les obstacles culturels :
Comment peut-on expliquer le peu d'intérêt manifesté par les entreprises au fonctionnement de ce marché et plus particulièrement à la gestion du risque de change ?
Il y a une tradition historique au Maroc de vivre dans un univers fortement administré. Jusqu'au début des années 90, la vie d'un financier d'entreprise comme celle d'ailleurs d'un banquier était rythmée par la réglementation des prix et des changes ; l'encadrement du crédit, la bonification des taux d'intérêt, le financement sélectif, la tarification uniforme de l'épargne et du crédit, la fixation administrée des taux de changes Bref, tout était réglementé dans le moindre détail
Les entreprises ont passé une grande partie de leur vie professionnelle dans cet univers. Elles sont culturellement plus proches des règlements que du marché. C'est ce qui empêche d'ailleurs les trésoriers et les financiers d'entreprises de s'orienter spontanément vers la prise en compte réelle des risques financiers.
b. Les faiblesses structurelles :
L'existence d'un marché monétaire fiable et transparent est une condition au bon fonctionnement du marché des changes. Or, l'absence pour le moment d'une grille de taux des prêts et emprunts en dirham constitue un handicap pour les opérateurs qui interviennent sur le marché à terme. Cette grille devant être systématiquement affichée sur l'écran Reuter se veut une composante essentielle dans le calcul du change à terme.
En outre, les opérations de swaps sont trop peu utilisées par les banques. Bien qu'elles soient légalement autorisées par la Banque centrale, les opérateurs n'en perçoivent pas encore l'utilité. Et pourtant, les swaps apportent un complément appréciable en matière de couverture du risque de change.
Enfin, l'absence de techniques de couverture contre la variabilité des taux d'intérêt risque de limiter l'utilisation des swaps par les opérateurs qui souhaitent avoir une vision globale de la couverture des risques dans le cadre d'une véritable gestion financière.
c. Le manque d'information et de formation :
Le marché des changes a donné lieu à la création de nouveaux métiers. Si les banquiers s'y sont préparés en formant des cambistes, les entreprises, en revanche, n'ont fait subir à leurs trésoriers aucune formation particulière. Or, ce sont ces trésoriers qui sont appelés à dialoguer avec les cambistes. Non seulement ils doivent comprendre les produits qu'on leur propose mais aussi savoir arbitrer et négocier en connaissance de cause.
Quelle que soit la pertinence des instruments utilisés dans ce marché, aucun résultat probant ne peut être escompté si le trésorier ou le financier de l'entreprise à qui sont destinés ces instruments n'est pas en mesure de les assimiler, de les exploiter et d'en tirer profit.
On ne saurait donc trop insister sur le rôle fondamental de la formation et du perfectionnement d'un personnel hautement qualifié pour la réussite d'un tel marché.
L'Office des Changes et le BAM multiplient récemment leurs interventions sur le marché des changes avec les instruments de couverture contre le risque de fluctuation du taux d'intérêt et la dernière circulaire sur les options. D'autres mesures sont dans la pipe et seront adoptées de façon graduelle pour accompagner la croissance du secteur productif sans compromettre les équilibres fondamentaux.
Mais, pour quand la libéralisation totale et la libre convertibilité du dirham?
Au regard de la bonne tenue des réserves en devises (plus de 122 milliards de DH) et l'effort déployé pour contenir le poids de la dette extérieure, le Maroc peut-il se permettre d'ouvrir les vannes et faire sauter les derniers verrous?
Les experts de l'Office des Changes comme les banquiers prônent la prudence pour préserver les acquis macroéconomiques encore fragiles.
Certains estiment que la libre convertibilité risque, dans l'état actuel des choses, de déstabiliser le système financier national et de fragiliser les équilibres extérieurs. Pour conforter et favoriser cette acceptation, ils prévoient qu'en permettant aux résidents d'effectuer des investissements à l'étranger et de les financer à partir du Maroc, l'épargne nationale se déplacera vers les marchés financiers étrangers. De plus, l'abandon de l'obligation de rapatrier les recettes d'exportations de biens et services se traduira par un tarissement des réserves en devises, or il s'agit de l'une des principales sources de reconstitution de ces réserves, avec les transferts des fonds des MRE. De même, l'accès libre aux devises par les résidents accélèrera l'érosion des réserves de change et aura un effet néfaste sur la parité du dirham comme en Argentine qui a fini par perdre sa souveraineté monétaire.
Remarquons tout de même, qu'aujourd'hui, les opérations courantes de la balance des paiements sont totalement convertibles (les opérations d'importations, d'exportations, de transport international, d'assurance et de réassurance, d'assistance technique étrangère, des revenus de travail et de capital).
Pour les opérations en capital, certaines ont été autorisées telles que le financement en devises des investissements étrangers, les financements extérieurs mobilisés par les entreprises marocaines, l'octroi de crédits en dirham aux non-résidents et les placements bancaires à l'étranger.
D'autres restent soumises à autorisation comme les implantations bancaires à l'étranger ou les investissements à l'étranger par les entreprises exportatrices. Et d'autres encore sont strictement interdites : c'est le cas de l'ouverture de compte par des résidents auprès de banques étrangères et leur alimentation à partir du Maroc, de placements et de spéculation sur les marchés financiers étrangers, d'achat de biens immeubles à l'étranger.
Dans la «Lettre d'orientations générales pour 2007 » du ministère des Finances et de la Privatisation, on a pu retenir le lancement d'une réflexion sur un régime de change plus flexible introduisant des mesures tendant vers la consolidation de la convertibilité du dirham.
Qu'entend-t-on par la convertibilité ? Quel est le champ de la convertibilité marocaine ? Est ce qu'un pays comme le notre pourra adopter une convertibilité intégrale ? Quels sont ses avantages, ses risques et ses conditions de réussite ?
Concept de la convertibilité
La convertibilité enéconomieest « la possibilité d'échanger une monnaie nationale contre une monnaie étrangère, contre des devises étrangères ou contre de l'or ». La convertibilité d'une monnaie est donc cette possibilité d'échanger et d'obtenir la contre-valeur d'une monnaie en pièces, en billets ou en or à tout moment.
Généralement évoquée sous le terme de «convertibilité en devises», la convertibilité d'une monnaie dépend de la nature de l'opération ou de l'opérateur qui est concerné. L'on distingue de ce fait d'une part, la convertibilité de la monnaie suivant les opérations réalisées et d'autre part, la convertibilité de la monnaie suivant les opérateurs concernés.
a. Convertibilité selon les opérations réalisées :
Elle se décompose en deux groupes : la «convertibilité limitée» et la «convertibilité générale».
La «convertibilité limitée» est la « conversion des monnaies entre elles, assurée pour toutes les opérations et transactions courantes ; ce qui n'est pas le cas pour les opérations ou les transactions en capital.
La «convertibilité générale» quant à elle permet à tout agent économique, d'échanger une monnaie nationale contre une devise étrangère, et ce pour toutes les opérations sans exceptions. Il peut s'agir des opérations relatives au commerce international (importations, exportations, paiement à l'étranger ) y compris toutes les opérations en capital.
b. Convertibilité selon les opérateurs concernés :
Elle est composée de la «convertibilité interne» et la «convertibilité externe».
La «convertibilité interne» ou «convertibilité générale» donne la possibilité à tout citoyen, résident ou non-résident de convertir librement la monnaie nationale en devises étrangères.
La «convertibilité externe» ou «limitée» ne donne la possibilité qu'aux nonrésidents de convertir la monnaie nationale. Ce qui veut dire que les résidents n'ont pas cette possibilité de conversion de la monnaie nationale en devises étrangères. Elle permet d'assurer une «multilatéralisation» des paiements, processus nécessaire au développement des échanges internationaux et par voix de conséquence à la croissance de toutpays.
Il faut également souligner le fait que la «convertibilité totale» de larequiert trois conditions préalables :
o d'une part, un système monétaire stable ; o d'autre part, une forte puissance nationale ; o et enfin la convertibilité desopérations en capital.
Atouts et risques de la convertibilité du dirham
Le Maroc a connu depuis son indépendance des progrès non négligeables que beaucoup d'observateurs ne mettent pas assez en exergue. Cependant, ils ne sont pas suffisants pour parler d'un véritable décollage de l'économie marocaine qui profiterait à l'ensemble de la population.
L'économie marocaine a toujours été considérée comme étant la plus libérale et la plus ouverte de tous les pays du Maghreb. Elle est celle dont les structures productives, commerciales et bancaires sont les plus conduites par l'initiative privée et les plus exposées aux marchés étrangers. Cette double vocation, libérale et mondiale est due particulièrement à la place dominante occupée par le Maroc dans la production et l'exportation du phosphate, au choix politique fondamental du Maroc d'entretenir des relations étroites avec le reste du monde et particulièrement avec l'Occident et à l'existence d'une forte bourgeoisie foncière, industrielle, commerciale et financière.
Actuellement, pour schématiser, le dirham est ancré à 75% à l'euro et à 25% au dollar, il subit donc les sentences des décisions européennes et américaines. Cela revient à dire, qu'il Il est contrebalancé au gré de la volonté d'autrui, et cela depuis plusieurs générations.
En effet, le Maroc n'a pas réellement tiré profit de ces attaches, son coefficient de progression économique et sociale reste encore faible. Donc il est impératif de réagir en ne comptant que sur nous mêmes.
Conclusion
Quel enjeu pour le Maroc ? Est-ce utopique ? Réaliste ?
Une convertibilité intégrale signifie que le dirham pourra être échangé au gré de son porteur contre n'importe quelle autre monnaie étrangère sans aucun obstacle.
Théoriquement, cette libre convertibilité peut se traduire par les avantages suivants :
- amélioration de la compétitivité de l'économie nationale ;
- diversification des PTF des agents économiques à l'échelle ;
- rendement accru de l'épargne ;
- protection contre le risque de change ;
- meilleure efficacité de l'intermédiation financière nationale ;
- intégration de l'économie nationale dans l'économie mondiale.
Mais le processus comprend des risques inhérents à la convertibilité (la volatilité du taux de change, des effets pervers sur la politique monétaire, du risque de substitution des devises à la monnaie nationale) et d'autres liés à la situation concrète de l'économie marocaine.
• Volatilité de taux de change
Les différentiels d'inflation et des taux d'intérêt entre une monnaie nationale et le reste du monde risquent de se traduire par une fuite de capitaux, ce qui pourrait conduire à une dépréciation de la monnaie nationale par rapport aux autres devises. Pour contourner la situation, le BAM va vendre des devises contre le dirham ce qui épuisera les réserves de change. Et en l'absence d'une balance des paiements excédentaire, on assisterait à une nouvelle vague de spéculation contre la monnaie nationale et à une importante fuite des capitaux, et donc à une autre dépréciation.
• Effets pervers sur la politique monétaire
Les variations des taux de change et des taux d'intérêt sur les marchés financiers et les marchés des changes internationaux, amènent souvent les autorités monétaires à augmenter les taux d'intérêt pour prévenir la fuite des capitaux, même si cette augmentation est contraire aux impératifs du développement économique interne.
• Risque de substitution des devises à la monnaie nationale
En période inflationniste, les agents économiques préfèrent substituer les devises fortes à leur monnaie nationales.
• Risques liés à la situation concrète de l'économie
Ils proviennent notamment du déficit des comptes extérieurs :
- le taux de couverture des importations par les exportations, tourne depuis une dizaine d'années autour de 60% ;
- la fin du rééchelonnement de la dette a soumis le pays à une lourde charge des intérêts de la dette ;
- le tourisme marocain connaît de sérieux problèmes ;
- la progression des transferts des résidents marocains à l'étranger connaît les contrecoups des difficultés des pays d'accueil ;
- dans un horizon de MT, on ne voit pas comment le déficit des comptes pourra s'améliorer ;
Par ailleurs, le Maroc enregistre des taux d'inflation supérieurs à ceux de ses principaux partenaires commerciaux.
Pour que ce projet réussisse, une politique dynamique du commerce extérieure, une stabilité de la croissance économique, une maitrise de l'inflation et un équilibre social, une gestion appropriée du dirham ainsi qu’une adaptation du tissu productif marocain sont nécessaires et indispensables.