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Bitcoin, la cryptomonnaie
La cryptographie et la puissance des réseaux ont rendu possible l’existence de monnaies purement numériques et dépourvues d’une autorité centrale de contrôle.
Jean-Paul Delahaye
U |
ne nouvelle monnaie purement électronique intéresse de plus en plus. Ne s’appuyant sur rien de tangible, le total des devises sorties d’un protocole cryptographique vaut aujourd’hui l’équivalent de un milliard d’euros.
Le bitcoin a été proposé en 2008 et mis en œuvre le 3 janvier 2009 par un chercheur, ou peut-être plusieurs, caché sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto. La logique de cette monnaie numérique et la confiance qu’elle inspire seront le but de notre analyse. Le sujet est passionnant du fait de l’originalité, du mystère et du succès de cette construction informatique ; il est important, car on a affaire à un nouveau type de monnaie susceptible de jouer un rôle central en économie ; et il est délicat, car personne ne sait ce que ce montage numérique va devenir.
D’une certaine façon, toutes les monnaies sont électroniques : depuis longtemps, presque toutes les opérations bancaires se réduisent à des jeux d’écritures opérés dans les mémoires des ordinateurs. Cela signifie que l’on sait faire des systèmes informatiques robustes manipulant l’argent, même quand il s’agit de dizaines de milliards d’euros. Certes, les pannes, les « bugs », les virus, les pirates informatiques existent, mais on réussit assez bien à s’en protéger : l’informatisation du stockage et du transfert massif d’argent n’a pas entraîné de catastrophes. Les crises financières comme celle de 2009
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n’ont pas pour origine le dysfonctionnement ou la fraude informatique, mais des erreurs d’analyse économique et financière commises par des humains, qui sont par ailleurs parfois trop voraces, voire malhonnêtes.
Pas d’autorité centrale
Aujourd’hui, toute monnaie repose sur une autorité centrale : une banque, adossée à un État ou à une association d’États. C’est aussi le cas de tous les systèmes de pseudo-monnaies électroniques privées, les monnaies « complémentaires » ou « alternatives ». Elles permettent des paiements par Internet (Paypal), le commerce au sein d’un jeu sur le réseau (le dollar Linden de Second Life) ou la fidélisation des clients (les miles des compagnies aériennes, les points que votre superette inscrit sur votre compte à chaque passage aux caisses).
Les bitcoins sont conçus pour s’autoréguler. Le bon fonctionnement des échanges est garanti par une organisation générale que tout le monde peut examiner, car tout y est public : les protocoles de base, les algorithmes cryptographiques utilisés, les programmes les rendant opérationnels et les données des comptes.
À tout instant, chacun peut savoir combien il y a de bitcoins sur chaque compte existant et participer à la vérification des nouvelles transactions. Cette transparence totale n’empêche pas l’anonymat, les propriétaires des comptes n’étant pas tenus de se déclarer. C’est presque un paradoxe : tout mouvement de bitcoins est public et, pourtant, l’anonymat des détenteurs est protégé.
La possession des bitcoins est matérialisée par une suite de chiffres et de lettres qui constituent un porte-monnaie virtuel (ou compte). Une personne peut détenir plusieurs porte-monnaie. Le porte-monnaie comporte le montant en bitcoins de l’argent qu’il contient, une clef publique qu’on peut laisser circuler et une clef privée qui doit rester secrète, car son détenteur peut dépenser l’argent du porte-monnaie.
Tout support convient pour conserver la suite de symboles constituant votre portemonnaie : papier, clef USB, la mémoire, etc. Grâce à des logiciels adéquats, vous pouvez gérer votre porte-monnaie sur votre ordinateur ou votre téléphone. Nombre de ces logiciels sont développés dans le cadre d’un projet open source : les programmes ne sont pas secrets et ceux qui le veulent peuvent contrôler ce qu’ils font et même contribuer à leur amélioration (voir ).
Pour avoir des bitcoins sur un compte, il faut soit qu’un détenteur de bitcoins vous en ait donné, par exemple en échange d’un bien, soit passer par une plate-forme informatique qui convertit des devises classiques en bitcoins, soit les avoir gagnés en participant aux opérations de contrôle
R e g a r d s
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collectif de la monnaie (nous verrons plus loin comment).
La gestion d’un porte-monnaie doit être très soigneuse. Si vous le perdez en l’effaçant par mégarde ou si vous oubliez le code secret qui permet d’y accéder, alors son contenu est perdu, comme quand vous lancez pardessus bord un porte-monnaie réel au milieu de l’océan. De nombreux bitcoins ont ainsi été perdus par des utilisateurs imprudents ou négligents. Il n’est pas impossible non plus qu’on vous vole votre porte-monnaie virtuel, par exemple à l’occasion d’une intrusion dans votre ordinateur par un hacker. Pour éviter cela, certains porte-monnaie contenant d’importantes sommes en bitcoins sont gardés sur des ordinateurs non connectés au réseau ou éteints.
La cohérence des comptes, et donc la solidité de la monnaie bitcoin, se fonde sur un principe général de la théorie Money is memory de l’économiste américain Narayana Kocherlakota. Ce principe s’exprime ici sous la forme suivante :
– toutes les transactions faites depuis le début des bitcoins, le 3 janvier 2009, sont publiques et, à chaque instant, la somme totale des bitcoins émis est connue de tous, ainsi que le contenu de chaque porte-monnaie (mais pas le détenteur de ce porte-monnaie) ;
– seul celui qui connaît la clef secrète d’un porte-monnaie peut dépenser son contenu en envoyant tout ou partie de ce dernier à un autre porte-monnaie, cela à la vue de tous, ce qui permet à tous de connaître à chaque instant le contenu de chaque porte-monnaie ;
– tous ceux qui le souhaitent peuvent participer au calcul général de la répartition des bitcoins entre les porte-monnaie, cela à l’aide de logiciels (libres et gratuits) dont la correction est contrôlable par tous.
On n’utilise pas ici la cryptographie à clef publique pour cacher de l’information, mais pour signer les transactions. Toute transaction est irréversible, sauf accord explicite des deux contractants pour réaliser une transaction inverse. Quand vous avez dépensé l’argent d’un porte-monnaie, personne n’a autorité pour demander à celui qui a reçu l’argent de le rendre. C’est là une grande différence avec les monnaies numériques à autorité de contrôle centralisée où, assez fréquemment, des transactions sont annulées, parfois plusieurs jours après leur réalisation, ce qui donne lieu à toutes sortes d’escroqueries. L’absence d’autorité centrale et l’anonymat des comptes font qu’il sera très difficile d’agir sur celui qui détient le porte-monnaie ayant reçu vos bitcoins même s’il ne vous livre pas l’achat que vous pensiez régler.
Ce système simplifié des bitcoins a une faille qui a contraint son inventeur à ajouter une série de dispositifs cryptographiques au mécanisme de base. La faille est que le propriétaire d’un porte-monnaie pourrait tenter de dépenser deux fois l’argent qu’il contient.
Ces doubles dépenses seraient impossibles si les échanges étaient instantanés sur le réseau et si tout propriétaire d’un portemonnaie participait au calcul continu du contenu de tous les porte-monnaie : sous cette hypothèse de connectivité totale et parfaite, celui qui recevrait l’argent d’un porte-monnaie déjà vidé (ou insuffisamment pourvu) refuserait la transaction, qui serait simultanément considérée invalide par tous.
Des améliorations
Malheureusement, les échanges électroniques ne sont pas instantanés, et certaines parties d’un réseau sont parfois temporairement déconnectées du reste. De plus, tous les utilisateurs de bitcoins ne souhaitent pas participer à la vérification continue de toutes les transactions et au recalcul permanent du solde de la totalité des comptes, car cela demande une grande puissance informatique et beaucoup de mémoire. Il faut donc améliorer le modèle.
Les améliorations se fondent sur une série de protocoles qui rendent la monnaie bitcoin résistante aux pannes du réseau ou de certaines machines et aux tentatives de manipulation de la monnaie ou de tricheries (dont les doubles dépenses). Ces perfectionnements rendent aussi facultative la participation au contrôle global des porte-monnaie ; pour éviter que trop peu de nœuds du réseau participent
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au contrôle, un système de rémunération est prévu. Ce délicat agencement a étonné les spécialistes et prouve que l’inventeur des bitcoins est un cryptologue averti ou un groupe incluant d’excellents cryptologues.
Cette monnaie ne tient que par la cohérence et l’accord unanime de ceux qui y participent et s’entendent sur le contenu de chaque compte, que rien ne matérialise et qu’aucune autorité ne garantit. La construction logicielle et cryptographique doit donc assurer par elle-même que personne ne puisse augmenter le total des bitcoins détenus, ni modifier des comptes, sans que tout le monde s’en aperçoive rapidement. Il n’y a pas de police ; la conception même de la monnaie doit donc empêcher la fraude et les dysfonctionnements. Celle de Satoshi Nakamoto y parvient.
Le scepticisme sur la robustesse de la nouvelle monnaie s’atténue. La meilleure preuve est que la monnaie a tenu quatre ans, malgré toutes les attaques qu’elle a subies. C’est pourquoi la valeur actuelle d’un bitcoin dépasse 100 euros (mais le bitcoin fluctue beaucoup il vaudra peut-être moins quand vous lirez l’article !).
Une page toutes les dix minutes
L’amélioration du modèle simplifié consiste à créer un cahier de comptes (dont le nom technique est Blockchain) qui est complété progressivement par ajout de nouvelles pages de transaction (nommées blocs) toutes les dix minutes environ, chaque ajout d’une page étant validé par ceux qui participent à la gestion et à la surveillance décentralisée des comptes. Pour récompenser cette vérification, un tirage au sort désigne toutes les dix minutes environ celui des participants qui ajoute la nouvelle page au cahier de comptes, et qui est rémunéré pour cela par 25 bitcoins créés ex nihilo. Lorsque la nouvelle page est ajoutée au cahier de comptes, les transactions qui y apparaissent sont validées. Cette création de bitcoins est la seule possible, et tous les bitcoins existants sont apparus de cette façon.
Lors d’une transaction en ma faveur, mon ordinateur connecté au réseau consulte le cahier de comptes et vérifie que le porte-monnaie qui m’envoie des bitcoins ne les a pas déjà dépensés. Cependant, à cause de la possibilité d’une double dépense simultanée, une transaction n’est considérée comme valide que si elle apparaît dans le cahier de comptes. Par conséquent, pour être assuré de l’irréversibilité (par exemple avant d’envoyer le livre qu’on vient de vous acheter en vous faisant parvenir
2. Le protocole d’une transaction |
orsqu’Alice veut faire un paiement transaction contenant la clef pu- vue par tout le monde. Le protocole peut envoyer une telle transaction en bitcoins à Bernard (par exemple blique Bpub de Bernard et la somme N réel est légèrement plus compliqué (il sur le réseau. Son envoi est donc la en échange d’un livre), leurs ordina- à transférer : M = BpubN. contrôle qu’Alice dispose bien de la preuve qu’Alice était d’accord pour teurs vont opérer une série d’échanges. • Alice signe la transaction M avec somme N dans son porte-monnaie). le transfert. Tout le monde considéCes échanges sont gérés automati- sa clef privée Apri, c’est-à-dire calcule En regardant cette transaction de- rera alors le transfert comme valide. quement par les logiciels installés sur une suite de symboles M’ = f(Apri, M) puis l’extérieur, tout le monde voit que Le protocole de signature à doubles leurs ordinateurs. Les communications qui, avec sa clef publique Apub, re- l’individu qui contrôle le compte d’Alice clefs utilisé est considéré comme rosur le réseau Bitcoin se font directe- donne M : g(Apub, M’) = M (tout le (individu que personne ne connaît) a buste. Bien sûr, s’il venait à être cassé ment entre les deux correspondants, monde peut donc contrôler que c’est donné son accord pour transférer (c’est-à-dire si, par exemple, on réusqui y ont des rôles équivalents. On Alice qui a signé, mais personne ne Nbitcoins sur le compte contrôlé par sissait à trouver une méthode rapide parle de réseaux pair-à-pair (ou P2P, peut signer à sa place). l’individu Bernard (que nul ne connaît). pour calculer la clef privée à partir peer-to-peer). L’existence de tels ré- • Alice diffuse la transaction si- Ne disposant pas de la clef privée de la clef publique), tout le système seaux est essentielle pour la monnaie gnée sur le réseau afin qu’elle soit d’Alice, personne d’autre qu’elle ne de la monnaie bitcoin s’effondrerait. bitcoins, qui n’est gérée par aucun nœud central de réseau qui contrôle- Nombre de transactions par jour (source Blockchain) rait l’ensemble des communications. 70000 La transaction qui résulte des échanges entre Alice et Bernard sera publique 60000 (tous les ordinateurs présents sur le 50000 réseau y auront accès) et permettra la mise à jour par tous du cahier 40000 de comptes, qui indique combien de bitcoins sont déposés dans chaque 30000 porte-monnaie existant. 20000 • Alice souhaite envoyer Nbitcoins à Bernard. 10000 • Bernard communique sa clef pu- blique Bpubà Alice. Janvier 2009 Janvier 2010 Janvier 2011 Janvier 2012 Janvier 2013 • Alice forge un message M de |
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un paiement en bitcoins), il faut attendre dix minutes et voir sa transaction sur la nouvelle page du cahier.
La non-transmission instantanée des messages a pour conséquence que, parfois, deux ajouts de pages au cahier se feront presque simultanément dans deux parties éloignées du réseau, créant temporairement un dédoublement du cahier de comptes. Les deux versions peuvent alors contenir une dernière page sensiblement différente, ce qui rend alors possible une double dépense. L’événement est rare, mais comme il est possible et inévitable à cause de l’imperfection des communications, un procédé de remise en ordre du système est prévu. Les deux cahiers continueront chacun de leur côté à se voir ajouter des pages toutes les dix minutes environ. Le temps nécessaire à l’ajout est lié au processus de tirage au sort qui désigne le gagnant des 25 bitcoins. Les ajouts de pages des deux cahiers malencontreusement créés ne se feront donc pas à la même vitesse exactement. Le cahier le plus long (celui qui a été complété de plusieurs nouvelles pages le plus rapidement) est considéré comme le bon. Cette règle, traduite dans les programmes de vérification des comptes, conduit à l’élimination de l’autre cahier et à la reconstitution d’un état cohérent du système, où ne persiste qu’un seul cahier et où les doubles dépenses sont impossibles.
Ces ennuis temporaires, rares mais inévitables, dans la gestion du cahier de comptes ont pour conséquence que pour être certain qu’une transaction soit définitivement valide (c’est important dans le cas de grosses sommes), il faut attendre non pas dix minutes, mais plusieurs fois ce délai. On considère qu’une heure produit une garantie parfaite.
Ruée vers l’or numérique
3. La naissance du bitcoin, Satoshi Nakamoto et l’anonymat |
e bitcoin a été défini en 2008 par des comptes sont nécessaires au duire des informations sur le proprié-Il est en effet à peu près certain qu’au un personnage actuellement ano-maintien de la cohérence du livre taire unique d’une série de comptes lancement de la monnaie, il fut le nyme au nom d’emprunt de Satoshi des comptes (la « Blockchain »). visiblement gérés par une seule seul à « miner » les bitcoins pour se Nakamoto, qui dit avoir travaillé deux La clef privée d’un compte personne. De plus, au moment constituer un pécule personnel et qu’il ans à la conception de sa monnaie. assure son propriétaire que de transformer des bitcoins a regroupé ce pécule sur quelques Une grande traque se déroule sur In-lui seul pourra dépenser en euros ou en une devise comptes en nombre assez limité. ternet pour identifier le personnage. l’argent qui s’y trouve. classique, l’anonymat n’est L’invention des bitcoins aurait perOn analyse la façon dont il s’est ex-En théorie, donc, l’ano-plus à Nakamoto de se constituer une primé en anglais, on fait des listes nymat des détenteurs de Des chercheurs, dont fortune de l’ordre de 100 millions de de personnes pouvant avoir les com-comptes est assuré. Cepen-Sergio Lerner, ont étudié le dollars (au cours d’aujourd’hui). Il lui pétences requises et on spé, l’anonymat n’est pas cahier de comptes du bitcoin sera difficile de les remettre sur le mar- L’anonymat des utilisateurs des absolu. D’une part, on peut et conclu que S. Nakamoto dé-ché sans dévoiler son identité, à moins bitcoins est assuré par le fait que suivre le déplacement des bitcoins tient probablement l’équivalent de dix qu’il mette en action des techniques seuls les numéros et les contenus d’un compte à l’autre et ainsi en dé- pour cent des bitcoins émis à ce jour. de brouillage faisant perdre sa trace ! |
La désignation des gagnants des 25 bitcoins, toutes les dix minutes, se fait par un processus cryptographique qui en assure la parfaite honnêteté et surtout une totale imprévisibilité et « infalsifiabilité » (il est impossible de manipuler le choix du gagnant). Le tirage au sort vous donne d’autant plus de chances de gagner que vous disposez de plus de puissance de calcul. Plus vous acceptez de consacrer des ressources de calcul à tenter de gagner, plus vous augmentez vos chances de gagner. Le travail fait par vos machines pour tenter de gagner porte le nom de minage, par analogie au travail dans une mine qui conduit ceux qui ont de la chance à trouver de l’or.
Aujourd’hui, participer à ces tirages au sort (et donc participer au contrôle général des comptes) est très tentant : 25 bitcoins s’échangent contre environ 3 200 euros (au 26 octobre 2013). Du coup, les « mineurs de bitcoins », comme ils se nomment, se sont multipliés, ce qui renforce le système de contrôle général des comptes. Les mineurs de bitcoins ont progressivement perfectionné leurs outils avec l’espoir d’augmenter leurs chances de gagner. Dans un premier temps, les mineurs ont programmé des cartes graphiques pour effectuer, le plus rapidement possible, les calculs demandés par le minage. En effet, les cartes graphiques disposent d’une puissance importante et on peut la détourner à d’autres choses que le simple traitement des images numériques. Aujourd’hui, les cartes graphiques ne suffisent pas pour avoir de bonnes chances de gagner, car, à mesure que plus de mineurs se sont mis à jouer, il est devenu plus difficile de gagner.
Précisons que le système de S. Nakamoto est conçu pour qu’il y ait un gagnant toutes les dix minutes environ et qu’il s’ajuste automatiquement pour que ce temps moyen ne diminue pas. Des entreprises se sont donc mises à fabriquer des cartes et des machines spécialisées dont le seul objectif est de miner les bitcoins. La consommation électrique consacrée au minage s’est considérablement accrue depuis un an. Le phénomène ressemble un peu à une ruée vers l’or, sauf qu’ici tout se déroule dans le monde des réseaux et des ordinateurs en faisant circuler des bits d’information et fonctionner des microprocesseurs dédiés.
En raison de la puissance de calcul nécessaire, il devient impossible, même pour un acteur très puissant, et on sait qu’il en existe, de s’emparer de tous les gains. L’analyse générale du protocole des bitcoins, effectuée dès 2008 par S. Nakamoto, montre que si un acteur pouvait disposer de la moitié de la puissance consacrée au « minage », il serait en mesure
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de perturber gravement le fonctionnement du système Bitcoin. Avec l’accroissement des efforts investis dans l’extraction de bitcoins, il est de plus en plus difficile de réunir ces 50 pour cent, ce qui renforce indirectement la monnaie bitcoin. Le système conçu par S. Nakamoto se consolide au fur et à mesure que des gens s’y intéressent : plus le cours du bitcoin monte, plus il devient intéressant de chercher à extraire des bitcoins ; or plus ceux qui le font sont nombreux, plus le bitcoin devient robuste et donc plus son cours a des chances de monter.
La puissance globale consacrée aujourd’hui (le 26 octobre 2013) au minage de bitcoins est de 36 080 pétaflops (voir http:// ) (1 pétaflops = 1015 opérations en virgule flottante par seconde). C’est plus de 1 000 fois la puissance du plus puissant ordinateur du monde (le
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4. Forces et faiblesses des bitcoins |
Nouveauté, forces et qualités – Un bitcoin peut être divi-bitcoins, alors que circulent 1 200 mil-d’interdictions ou de contrôles stricts des bitcoinssé en fractions de bitcoin jusqu’au liards de dollars.imposés par des États voulant proté- – La monnaie bitcoin est fondée 1/100 000 000e.– La monnaie bitcoin repose sur ger leur propre monnaie. Le bitcoin sur un réseau pair-à-pair et des logi-– Le bitcoin (à cause du nombre des protocoles cryptographiques pourrait être victime d’attaques meciels libres et gratuits. Indépendante maximal de bitcoins en circulation) est dont la robustesse n’est pas prou-nées par des agences, telle la NSA, qui de toute banque, elle n’est pas sou-déflationniste (il prend peu à peu de la vée mathématiquement. tenteraient de briser toute confiance mise à une autorité centralisée et est valeur) : vos économies ne sont pas ron-– Le système de gestion des bitcoins en lui, pour maintenir les monopoles complétement transparente. gées par l’inflation, mais s’apprécient !repose sur un ensemble de proto-monétaires actuels. – Les transactions de bitcoins sont – Le bitcoin est conçu pour que l’in-coles rendus opérationnels par des – L’anonymat y est imparfait. rapides et irréversibles (après un dé-térêt de ceux qui s’en occupent est programmes. Des erreurs peuvent – Le succès des bitcoins a inspiré lai d’une heure ou moins). Personne qu’il fonctionne bien, et plus il prend s’y trouver.toutes sortes d’autres Nakamoto et ne peut agir sur les bitcoins de vos de la valeur, plus les contrôles aux-– Le bitcoin reste assez compli-des dizaines de nouvelles cryptomoncomptes sans votre consentement.quels il est soumis sont é à comprendre et suscite donc naies copiées sur lui ont vu le jour tout – Il n’y a pas de frais de transaction – Les protocoles et programmes la méfiance du plus grand nombre récemment. Certaines, un peu difféou de gestion, ou ceux-ci sont minimes permettant de gérer les transactions (qui ne saisit pas mieux la façon dont rentes et encore mieux conçues, pour(électricité, réseau, commissions volon-peuvent évoluer, mais cela ne peut fonctionnent vraiment les monnaies raient capter l’intérêt et faire se détaires et déterminées par l’utilisateur). se faire que par vote, donc dans l’in-classiques). placer l’argent misé aujourd’hui sur – Le nombre de bitcoins ne dépasse-térêt de tous.– Peu de sites et peu de commerçants les bitcoins. ra jamais 21 millions. Avec les bitcoins, acceptent les bitcoins aujourd’hui.– L’évolution possible des proto- vous échappez au risque qu’un acteur Doutes, fragilités, risques des – Le bitcoin favorise le blanchiment coles et programmes, prévue mais au dominant (une banque centrale) dé-bitcoins d’argent sale, facilite les trafics en tous fonctionnement délicat, conduit à la cide de faire fonctionner la planche – L’anonymat de l’inventeur S. Na-genres, et permet la fraude fiscale. mise en place d’une forme d’admià billets et vous prenne de l’argent kamoto et les bitcoins qu’il a gagnés – Le bitcoin est déflationniste, ce nistration centralisée constituée par par l’inflation créée.facilement aux débuts de la monnaie que certains considèrent comme né-l’ensemble des nœuds les plus puis- – Anonymat : le réseau fonctionne à créent un sentiment désagréable et gatif, car cela constitue un frein à la sants du réseau de contrôle. Cela fepartir de comptes. Détenir un compte, font craindre une machination.circulation de l’argent ; surtout, son rait à terme ressembler le bitcoin aux c’est connaître la clef privée qui lui – Aujourd’hui, les bitcoins sont tout cours est très volatil du fait des in-monnaies usuelles dont S. <Nakamoto est associée. L’identité des utilisateurs petits à côté des autres monnaies : il certitudes qui l’entourent. voulait se démarquer (voir l’article de n’est utile à aucun moment. y a environ un milliard de dollars en – Le bitcoin pourrait faire l’objet Joshua Kroll et al. en bibliographie). |
Tianhe-2 détenu par la Chine), qui ne fait que 33 pétaflops, et c’est largement plus que la puissance cumulée des 500 ordinateurs les plus puissants.
C’est considérable ! Ce qu’on peut voir comme un énorme gâchis de temps de calcul empirera si le bitcoin s’impose et que son cours (qui, bien sûr, détermine l’argent que les mineurs sont prêts à investir) progresse.
Aujourd’hui, en utilisant seulement son ordinateur pour « miner », on n’a aucune chance de gagner des bitcoins. Cette situation a conduit à la création de « guildes de mineurs ». Les mineurs associés décident de partager les gains qu’ils feront, en proportion de la puissance de calcul qu’ils consacrent. Ces regroupements assurent à chacun de gagner un peu, car la guilde (si elle est puissante) remportera assez fréquemment les 25 bitcoins qu’elle redistribuera à ses membres. Toutefois, ne vous faites pas d’illusion : en rejoignant une guilde, si vous n’offrez que la puissance de votre ordinateur personnel, la part qui vous reviendra sera minuscule.
Pas plus de 21 millions de bitcoins
Les protocoles de S. Nakamoto (qui sont traduits dans les programmes utilisés pour la gestion décentralisée de la monnaie bitcoin) prévoient que tous les quatre ans, la somme distribuée aux gagnants du minage est divisée par deux. Au début, elle était de 50 bitcoins ; le 22 novembre 2012, elle est passée à 25 bitcoins, et elle passera à 12,5 bitcoins dans trois ans. Du fait qu’un bitcoin ne peut être divisé en unités plus petites que le cent millionième de bitcoin, le gain attribué toutes les dix minutes finira par s’annuler. Un petit
n? l’auteuR
J.-P. DeLaHaYe est professeur à l’Université de Lille et chercheur au Laboratoire
d’informatique fondamentale de Lille (LiFL).
n? BIBlIOGRaPhIe
P. Noizat, Bitcoin : derrière la bulle, de vrais débats, Les Echos, 23 août 2013
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Satoshi Nakamoto, Bitcoin : a peer-to-peer electronic cash system, 2009 :
Bitcoin Foundation :
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R e g a r d s
calcul montre que le processus d’émission de ces nouveaux bitcoins de récompense aura cessé en 2140 et qu’il y aura alors un total de 21 millions de bitcoins. À partir de cette date, aucun nouveau bitcoin ne sera plus jamais créé.
Afin d’éviter que tous les mineurs, essentiels au bon fonctionnement du protocole, désertent et que la construction et la validation continue du cahier de comptes cessent, S. Nakamoto a prévu qu’à chaque transaction, on donne une commission à celui qui ajoutera la page contenant la transaction au cahier. L’intérêt de miner sera donc préservé, même au-delà de 2140. Donner une telle commission n’est pas obligatoire et, aujourd’hui, même si vous ne laissez rien, vos transactions sont quand même validées et passent dans le cahier de comptes. Après 2140, il deviendra sans doute souhaitable de laisser un petit quelque chose à chaque transaction On a le temps d’y penser.
l’impossible devenu réalité et valeur
Le système mis en fonctionnement il y a quatre ans tient bien. Au début, le cours du bitcoin était dérisoire. Depuis un peu plus d’un an, il a monté pour atteindre 200 euros le 9 avril 2013. Il a ensuite chuté, puis est remonté à 100 euros. Certains ont réalisé d’excellentes affaires soit en achetant des bitcoins quand ils ne valaient rien, soit en les « minant » quand c’était facile. L’instabilité du cours fait qu’acheter des bitcoins est un pari. Cependant, à mesure que son usage se répandra et que des commerçants accepteront d’être payés en bitcoins, on peut espérer que le cours se calmera. Les avis sont partagés sur son devenir, mais l’intérêt qu’il suscite a de quoi rendre optimiste. Quelque chose d’important s’est produit avec la naissance de cette monnaie qu’une valorisation du total des bitcoins supérieure à un milliard d’euros a installé pour longtemps dans le monde réel.
Une question se pose : pourquoi le bitcoin n’est-il pas apparu plus tôt ?
La réponse est simple : avant 2009, il était impossible d’envisager une telle monnaie qui doit son existence aux progrès récents dans plusieurs domaines.
a) Il fallait un réseau mondial fiable ; le bitcoin cesserait d’exister immédiatement en cas d’arrêt du réseau (il reprendrait à sa remise en marche).
b) Rien de possible non plus sans d’importantes puissances de calcul et de mémorisation informatique. C’est seulement récemment qu’elles sont devenues suffisantes pour que la tenue et la vérification des comptes, même en considérant toutes les transactions depuis la création de la monnaie, soient possibles quasi simultanément par des milliers d’acteurs indépendants. Ce modèle crée sans doute une confiance bien meilleure dans les comptes immatériels de cette monnaie que celle que l’on a dans ceux d’une banque qui s’occupe de gérer sa monnaie seule en faisant marcher la planche à billets de façon imprévisible et sans demander leur avis aux détenteurs de devises qui s’en trouvent pourtant lésés.
c) Le génie d’un informaticien (ou plu-sieurs ?) qui, en s’appuyant sur une cryptographie qui a formidablement progressé depuis 30 ans, a produit un protocole subtil et robuste que personne ne pensait possible, et qui a réussi à le faire fonctionner et décoller.
d) Essentielle aussi est la communauté des passionnés, un peu anarchistes, qui s’occupent des programmes et des réseaux pair-à-pair. Ils rendent l’utilisation pratique des bitcoins possible gratuitement par tous et évitent qu’un groupe, une banque ou un État ne s’empare de ce qui est au fond une monnaie commune, universelle et démocratique.
Ceux qui, à propos du bitcoin, parlent de pyramide de Ponzi ou de construction sur du vide pouvant s’écrouler du jour au lendemain n’ont rien compris à cette nouveauté remarquable, due aux mathématiques, aux avancées techniques et à l’ingéniosité de S. Nakamoto. Ils n’ont rien compris non plus aux monnaies qui reposent toutes sur la confiance (depuis l’abandon général de la convertibilité en or) et qui créent donc, comme le bitcoin, de la valeur à partir de rien. Le temps est peut-être
venu aujourd’hui d’accorder sa confiance à des protocoles bien conçus, contrôlés par tous, plutôt qu’à des banques qui se moquent du reste du monde et qui, sans régulation collective, manipulent les monnaies aux
dépens de (presque) tous. n