Formation complet sur la finance investissement

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INTRODUCTION
Au milieu de tous les débats controversés de politique économique, le soutien à l'investissement s'impose singulièrement comme une priorité partagée. Il réunit en effet les diverses écoles économiques - des théoriciens de l'offre jusqu'aux keynésiens -, la quasi-totalité des forces politiques, et désormais l'ensemble des pays développés, y compris l'Allemagne autour du travail de la "commission Fratzscher" remis fin avril. L'investissement apparaît comme la condition pour transformer l'actuelle reprise conjoncturelle en croissance forte et durable. Il est une clé de la création d'emplois et du recul du chômage. Il contribuera à dépasser enfin les graves séquelles de la crise financière, et sortir de la crise économique et de la crise sociale qu'elle a entraînées. La mission que m'a confiée le Premier ministre par lettre du 29 avril1 s'inscrit dans cet impératif collectif, après que le Gouvernement ait annoncé un ensemble de mesures pour soutenir l'investissement, dont l'amortissement fiscal accéléré. Cette mission se concentre sur l'investissement des entreprises, par différence avec l'investissement des ménages - le logement, essentiellement - ou l'investissement public. Et parmi les divers obstacles ou leviers de cet investissement productif, le présent rapport est consacré au financement.
Ce sujet est souvent vu comme très complexe - avec les négociations sur les nouvelles règles prudentielles comme Bâle 3 pour les banques ou Solvabilité 2 pour les assurances ; il a par ailleurs légitimement provoqué des discussions passionnées depuis la crise financière, y compris sur le positionnement des banques. Beaucoup de rapports ont été écrits, sur chacun de ces dossiers pris séparément "en silo". La mission a utilisé ces documents, mais une des originalités de notre approche est de viser une mise en perspective, aussi simple et pédagogique que possible y compris pour des non-spécialistes2 : il est en effet utile d’esquisser un « plan d’architecture », en partant des fondations que sont les besoins de l'investissement et des entreprises. La démarche allie d'abord la micro- et la macro-économie, le terrain des entrepreneurs et les travaux des économistes, puis éclaire la finance à partir de l’économie.
A cette fin, la mission a mené une concertation large et pluridisciplinaire : plus de cent-vingt rencontres3 , avec des dirigeants d'entreprises de toutes tailles, des économistes, des décideurs et régulateurs publics, des professionnels du secteur financier, des responsables syndicaux. Ces différents acteurs ne sont pas toujours habitués à se parler entre eux, ce qui peut nourrir la défiance qui est un de nos maux collectifs. Leurs enseignements croisés, leurs convergences possibles, sont d'autant plus remarquables : que tous soient remerciés ici, y compris des contributions écrites que nombre d'entre eux ont remis à la mission. Celle-ci s'est déroulée en France et en Europe, pour permettre la comparaison avec nos voisins - notamment en Allemagne, Italie et Royaume-Uni -, et la discussion de nos enjeux européens communs, dont le projet "d'Union des marchés de capitaux" mis en avant depuis février par la Commission européenne.
De ces travaux ressortent un défi et une conviction. Le défi pour la France et l’Europe est d’assurer la bonne compatibilité du « triangle de financement », entre des attentes également légitimes mais en tension potentielle : des investissements plus innovants et donc plus risqués ; une épargne abondante mais prudente ; un système financier mieux sécurisé après la crise. La conviction est qu’une Union de financement et d’investissement4 efficace en Europe est porteuse de solutions, si nous lui donnons bien trois ambitions : diversifier les possibilités de financement des entreprises ; mieux mutualiser l’épargne en zone euro ; orienter davantage les épargnants européens vers le long terme. Le présent rapport comporte en conséquence dix recommandations pour l'action. Le rapport définitif qui sera remis à l'automne les précisera en recommandations. La mission a traité un champ déjà large, sur les différents types de financements dont les fonds propres, et sur la France comme sur l’Europe. Nous avons à l’inverse retenu deux frontières : d'abord ne pas faire de propositions en matière de fiscalité. Ce sujet est essentiel, mais pour cette raison même il requiert une approche dédiée. Il a déjà fait l'objet de plusieurs rapports notamment parlementaires, dont le travail important de Karine Berger et Dominique Lefebvre en 2013 sur la fiscalité de l'épargne. Et la priorité à court terme nous semble être à la stabilisation des règles.
Par ailleurs, la mission a visé d'éviter toute création de procédures, guichets ou obligations nouveaux : ils sont déjà très nombreux. Je tiens à remercier chaleureusement Laurent Guérin et Alban Hautier, rapporteurs très actifs de la mission. Nous avons été appuyés efficacement par les services de Bercy - Trésor, INSEE, Services économiques à l'étranger -, comme par ceux de la Banque de France ; la qualité de nos administrations publiques reste un atout fort de notre pays. J'ai conduit personnellement cette mission en utilisant mon expérience professionnelle, d'engagement de vingt ans au service de l’État, puis d'années de banquier de détail, ainsi que d’enseignement de l’économie. Pour autant, ce rapport est marqué par la liberté de mes positions personnelles ; son texte a été terminé en septembre 2015, avant ma nomination à la Banque de France ; il est clair qu’il n’engage pas celle-ci.
SYNTHESE D’ENSEMBLE ET RECOMMANDATIONS DU RAPPORT

1. Ce rapport rappelle d’abord une bonne nouvelle : l'investissement des entreprises a mieux résisté à la crise en France qu'ailleurs en Europe, et y reste plus élevé. Cet atout pour la croissance et l’emploi est pourtant peu perçu, car dans la reprise en cours, l'investissement français repart plus lentement qu'en Allemagne. Plus structurellement, notre investissement est moins satisfaisant en qualité et en productivité : beaucoup de construction, pas assez de machines-équipement - les mesures fiscales d'avril ont été ici bien ciblées -, pas assez d'innovation. Ce diagnostic appelle à poursuivre la mobilisation pour l’investissement, avec plusieurs leviers :
· En France comme partout ailleurs, ces leviers sont d’abord économiques plus que financiers. Les enseignements des économistes "macro" convergent fortement avec les motivations "de terrain". L’investissement ne se décrète pas, bien entendu ; il dépend non de la multiplication de guichets de financement, mais de très nombreuses décisions d’entreprises. Sont essentielles toutes les mesures d'abord augmentant la croissance attendue ou potentielle par des réformes structurelles, puis diminuant l'incertitude des entrepreneurs - dont la simplification et la stabilisation des règles -, et accroissant leurs perspectives de rentabilité. L'investissement des entreprises en France devrait ainsi connaitre un mieux prudent d'ici fin 2015, de + 1 à 2 % en glissement annuel.
· Les taux d'intérêt bas sont bien répercutés dans les crédits aux entreprises, mais jouent donc un rôle surtout indirect, en favorisant la demande globale. Il faut cependant souligner qu'aux EtatsUnis en particulier, le maintien de "costs of equity" élevés - souvent à plus de 10 % - peut inciter aux rachats d'actions et dividendes, au détriment de l'investissement.
· Les financements doivent avant tout évoluer dans leur nature, face à des investissements qui doivent devenir plus "schumpeteriens" : l'immatériel, les entreprises en création ou en croissance rapide, ont besoin de prêts moins garantis, et de fonds propres. Une économie à la frontière technologique se finance moins par crédit classique qu'une économie en rattrapage. Cette dynamique éclaire le défi central : la France et l’Europe ont à gérer trois attentes en tension potentielle, entre (i) des investissements de plus en plus innovants et donc risqués (ii) une épargne abondante mais prudente (iii) un système financier mieux sécurisé après les crises graves de 2007- 2011. Ce « triangle du financement » doit devenir un triangle de compatibilité.
2. L'examen de ce défi général du financement doit se faire aujourd'hui concrètement selon trois cercles géographiques :
· D'abord bien entendu en France. Les chiffres du crédit bancaire y sont globalement bons : + 7 % de croissance cumulée depuis fin 2008 et + 28 % avec les financements de marché ; des taux parmi les plus bas d'Europe. Pour autant, des critiques s'expriment toujours de la part de beaucoup d'entreprises. Les banques doivent les prendre au sérieux, et agir résolument pour sortir de ce malentendu persistant selon deux recommandations proposées : sur les crédits de trésorerie aux TPE, et en innovant sur le financement long du BFR. Le développement des offres alternatives, autour de la finance solidaire et du crowdfunding, est un autre stimulant bienvenu. Quant aux fonds propres, ils ne semblent pas manquer globalement aujourd’hui- y compris grâce à l'action de Bpifrance sur le capital-risque ; mais la priorité pour demain est de réorienter une part croissante des 1600 Md€ de l'assurance-vie vers les actions, et donc de favoriser le nouveau contrat Euro-croissance.
· La zone euro ensuite peut s'appuyer en épargne sur un excédent courant dépassant 200 Md€ par an, soit plus de 2 % de son PIB. Mais cette ressource est mal allouée : l'épargne allemande, mal rémunérée, ne circule pas vers les besoins italiens ou espagnols, mal financés, plus encore depuis 2009-2011. Cette fragmentation financière entraine un manque à croître, et surtout une grande fragilité pour la zone euro : les "chocs" nationaux n'y sont amortis, ni par des transferts budgétaires, ni par des flux privés durables. Les symptômes s'imposent crise après crise ; mais la thérapie tarde.
· Enfin, alors que le G20 et l'Europe ont adopté un ensemble impressionnant de régulations renforçant la sécurité financière, la question de leurs effets économiques revient souvent. Aujourd'hui, contrairement aux craintes affichées des banques, ces règles ne pèsent pas sur le crédit et la croissance, notamment en raison des effets favorables de la politique monétaire. Pour l'avenir, le sujet est plus complexe, et mérite d'être éclairé par tous les travaux menés depuis le "MAG" de Bâle en 2010 : la "re-création" d'une instance internationale d'évaluation nous parait souhaitable.

3. Face à ce défi du financement, le projet pour 2019 d'"Union des marchés de capitaux" de la Commission est porteur de solutions. Mais il faudrait le renommer "Union de financement et d'investissement", pour mieux le situer : il s'agit de permettre aux entreprises une diversification réelle - et souhaitée - de leurs possibilités de financement. Et non d'imposer d'en haut une désintermédiation forcée : vouloir passer, fût-ce à long terme, des 20 % de financements de marchés européens aux 75 % américains n'aurait guère de sens. Cette Union est un progrès significatif pour les 28 Etats-membres - comme l’est l’Union bancaire qui doit être finalisée. Mais l’Union de financement et d’investissement est un impératif pour les 19 de la zone euro, où l’épargne doit être mieux mutualisée. Ils devront donc pouvoir au besoin avancer davantage sur une partie de l'agenda. Enfin, l’Union de financement et d’investissement doit mieux orienter l’épargne des Européens, plutôt que vers une prise directe de risque à laquelle ils restent réticents, vers le long terme correspondant à leurs besoins croissants de retraite. A ces trois conditions, l’Union peut réaliser la compatibilité du « triangle du financement ».
…
Concrètement, l’agenda du projet doit être rapproché, vers 2016-2017 pour partie, et priorisé selon deux attentes des entreprises. La première est de leur offrir selon leur taille un continuum d'instruments de dette, des banques aux marchés : ceci passe par le développement des placements privés et de plateformes de prêts directs, et d'une titrisation bien sécurisée. Le second axe vise les investissements plus à risque et à long terme : les "désincitations" de Solvabilité 2 pour les assureurs doivent d'abord être révisées. L'articulation avec le plan Juncker doit être beaucoup mieux jouée, en faveur des fonds propres transfrontières - dont un vrai capital-risque européen pour conserver le contrôle de nos meilleures entreprises de croissance - et des infrastructures.
Parallèlement, des task forces innovantes devraient être mandatées sur trois chantiers de convergence plus lourds : le droit des faillites, l'information économique sur les PME, et la protection des consommateurs. Le succès exige de veiller à la stabilité financière, face aux risques des marchés qui sont différents mais pas moindres que les risques bancaires. Le "shadow banking" est une notion encore un peu floue, mais une régulation proportionnée des gestionnaires d'actifs est la priorité. La supervision des acteurs désintermédiés en Europe doit être renforcée, pour construire la confiance des épargnants et investisseurs dans l'Union de financement : le statu quo autour de l'ESMA5 , plaidé par beaucoup de nos partenaires, n'est donc pas une option. En "poutre faîtière" des différents risques et secteurs, le Conseil de Stabilité Financière à Bâle joue un rôle essentiel pour le G20 ; l'échelon européen devrait mieux s'organiser en ce sens. La mission propose en conséquence dix recommandations d’application française ou européenne, qui sont détaillées chacune dans le corps du rapport par des encadrés spécifiques6 .
LISTE DES 10 RECOMMANDATIONS DU RAPPORT
Recommandations d’application française
1. Améliorer l’accès des TPE au crédit, notamment de trésorerie.
2. Développer le financement long du BFR.

3. Favoriser l’investissement en actions de l’assurance-vie, par le succès d’Euro-croissance.
Recommandations d’application européenne ou internationale
4. Recréer une instance internationale d’évaluation des effets des règles prudentielles bancaires.
5. Assurer aux entreprises un continuum des instruments de dette, avec une titrisation sécurisée, les placements privés et les plateformes de prêts directs.
6. Réviser Solvabilité 2 en faveur des investissements « à risque ».
7. Développer l’investissement en fonds propres transfrontières, par des mécanismes innovants.
8. Soutenir des actifs européens en faveur des infrastructures de long terme et de la transition énergétique.
9. Mandater trois task-forces dédiées à trois chantiers structurels de convergence : droit des faillites ; informations sur les PME et scoring de crédit ; protection des consommateurs.

10. Renforcer la supervision européenne des marchés financiers.
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION............................... 1
1 Mieux investir : une priorité pour tous les pays avancés, avec des leviers d’abord économiques.............. 7
1.1 Un retard global plus que spécifiquement français.................... 7
1.1.1 Une préoccupation de toutes les économies avancées......... 7
1.1.2 En France, un « mal-investissement » à mieux qualifier........ 8
1.2 Des leviers d’abord économiques...................... 15

1.3 A investissements innovants, financements nouveaux ............ 19
1.3.1 Le renouvellement du vieux débat épargne-investissement ...................... 19
1.3.2 Un effet favorable des taux bas, freiné notamment par un « cost of equity » qui reste élevé.. 23
2 Traiter les trois défis du financement .......... 29
2.1 En France, un malentendu persistant sur le crédit ................... 29
2.1.1 Sortir du malentendu sur le crédit................. 29
2.1.2 Un financement par fonds propres en développement....... 39
2.2 En zone euro, excédent d'épargne et fragmentation financière ..................... 44

2.2.1 Une épargne abondante mais mal allouée entre pays......... 44
2.2.2 Des conséquences économiques graves ....... 46
2.3 A l'échelle internationale, une interrogation sur l'effet des règles prudentielles.................. 49
3 Construire pour demain une Union de financement et d’investissement efficace ............ 54
3.1 Expliciter les motivations ............ 55
3.1.1 Une diversification selon la demande, plutôt qu’une désintermédiation forcée .............. 55
3.1.2 Un renforcement de la zone euro, et pas seulement un marché unique ... 58
3.1.3 Une épargne orientée vers le long terme, plus encore que vers la prise de risque directe ... 59

3.2 Prioriser le contenu de l’Union de financement et d’investissement.............. 62
3.2.1 Assurer un continuum des instruments de dette pour toutes les tailles d’entreprise ...... 63
3.2.2 Orienter l’épargne européenne vers l’investissement « à risque » et de long terme ....... 67
3.2.3 Initier trois chantiers de convergence structurelle .............. 75
3.3 Veiller à la stabilité ...................... 79
3.3.1 Face aux craintes de « shadow banking », une régulation proportionnée de la gestion d’actifs.. 79
3.3.2 Renforcer la supervision des marchés financiers................. 82
3.3.3 Consolider la surveillance des risques "systémiques", entre Europe et Bâle..................... 83
