MONDIALISATION ÉCONOMIQUE ET
FINANCIÈRE: DE QUELQUES PONCIFS,
IDÉES FAUSSES ET VÉRITÉS
Jacques Le Cacheux
Directeur du Département des études de l’OFCE,
Professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour
La mondialisation économique et financière suscite des débats et controverses dont les termes sont, le plus souvent, emprunts de confusion. Bénéfique pour certains, maléfique pour d’autres, la mondialisation est tantôt parée de toutes les vertus, tantôt affublée de tous les vices. Cet article propose une grille de lecture économique des différentes facettes de ce phénomène contemporain.
En premier lieu, il importe de le replacer dans une perspective historique longue, pour faire ressortir les similitudes entre la période actuelle et les précédents épisodes de mondialisation. Nous passons ensuite en revue les facteurs qui, selon nous, constituent les principaux moteurs de la mondialisation : avantages comparatifs et spécialisation, économies d’échelle et de gamme, goût des consommateurs riches pour la variété, abaissement des coûts de transport et de communication, et libéralisation et ouverture des marchés. La mondialisation qui résulte de la combinaison de ces facteurs procure des gains économiques indéniables, gains mutuels de l’échange, gains de la spécialisation et diffusion internationale des technologies, qui sont susceptibles d’engendrer, à très long terme, une tendance au rattrapage des pays les plus riches par les plus pauvres, donc une certaine convergence économique mondiale. Toutefois, la mondialisation économique et financière comporte aussi des coûts et des inconvénients, notamment en raison des restructurations qu’elle impose, de l’instabilité macroéconomique et financière qu’elle favorise en l’absence de régulations adéquates, et des inégalités qu’elle creuse entre gagnants et perdants, au sein des économies nationales et, dans certaines conditions, entre économies nationales. La dernière partie de l’article aborde la question de la gouvernance de l’économie mondialisée, en évoquant successivement les modalités de la régulation mondiale par les institutions internationales telles que le FMI et l’OMC, et les potentialités offertes par les processus d’intégration régionale, et notamment l’expérience européenne d’union économique et monétaire.
Mars 2002
Hors série
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lors que s’ouvrait en France la campagne électorale pour l’élection présidentielle, les principaux candidats, à l’instar d’une grande majorité de responsables politiques de la planète, se partageaient entre les deux grandes réunions qui, symboliquement, regroupaient, au même moment, les partisans et adversaires de la mondialisation libérale : New York-Davos, pour les uns, Porto Alegre pour les autres. Même s’il ne figure pas au cœur des programmes et des débats de la campagne présidentielle française, le thème de la mondialisation, notamment dans ses dimensions économique et financière, inspire et structure une bonne part des oppositions qui s’y manifestent. Elle suscite, dans les média, des réactions diverses et, dans l’opinion, des sentiments contradictoires, mêlant confusément la fierté nationale à l’annonce d’un grand contrat ou du rachat par une entreprise française d’un concurrent étranger, la satisfaction de savoir que les vins de Bordeaux ou la haute couture française s’exportent dans le monde entier, la colère d’apprendre la délocalisation d’une entreprise ou l’incompréhension au constat des effets dévastateurs de telle ou telle évolution financière ailleurs dans le monde.A entendre tour à tour ses partisans et adversaires, on est tenté d’évoquer à son propos le jugement qu’Esope portait sur la langue : la meilleure et la pire des choses. Le décès, en mars 2002, du grand économiste et prix Nobel James Tobin, concepteur de la taxe du même nom, a, une fois de plus, révélé, par les réactions et commentaires qu’il a suscités de la part des responsables politiques, des journalistes et des experts, l’ampleur des oppositions et incompréhensions qui structurent et obscurcissent les débats sur ce thème : alors que le père de la taxe Tobin lui-même avait, à de nombreuses reprises, exprimé ses réticences à l’égard de l’usage qu’en proposent ses plus fervents partisans, certains de ceux-ci la présentent volontiers comme une arme contre la globalisation financière et la dictature des marchés, tandis que ses adversaires y voient un retour à l’interventionnisme des Etats et une entrave majeure au progrès.
La mondialisation, souvent associée à l’intégration européenne, suscite ainsi des réactions extrêmes et fait naître, dans l’esprit de chacun, des images aux connotations paradoxales : une menace sur notre alimentation, avec les organismes génétiquement modifiés (OGM), la vache folle ou la fièvre aphteuse, sur nos traditions et coutumes, des fromages au lait cru aux périodes de chasse, une menace sur les emplois des secteurs en difficulté, sur les exportations des fleurons de notre industrie, lorsque les Etats-Unis imposent une taxe sur les importations d’acier ou cherchent à s’opposer à l’essor de l’industrie aéronautique européenne ; mais aussi un bienfait lorsque inconsciemment le consommateur bénéficie de l’achat à bas prix de produits importés, qu’il s’agisse d’une « affaire » ou, plus banalement, d’un téléphone portable, d’un micro-ordinateur, ou de l’un quelconque de nombreux biens dont tout ou partie est fabriqué ailleurs dans le monde, à des coûts bien inférieurs à ce que l’on pourrait obtenir au sein de l’économie nationale ; une manne, aussi, lorsque les produits et services qui s’exportent ou les activités liées au tourisme engendrent la création d’emplois nombreux et qualifiés, le versement de salaires, etc.
A Gênes, à l’occasion du sommet du G8 à l’automne 2000, comme à Barcelone en mars 2002 lors du récent sommet européen, les responsables politiques vantaient, dans des enceintes luxueuses protégées comme des forteresses assiégées, les bienfaits d’une ouverture et d’une libéralisation qu’ils proposaient d’accentuer, tandis que les opposants manifestaient dans les rues alentour. Partisans et détracteurs de la mondialisation adoptent volontiers, dans les débats, des positions extrêmes et caricaturales. Mais qu’en est-il vraiment ? Faut-il croire ses défenseurs, qui la présentent comme une nécessité pour la prospérité économique, comme l’eau potable est, sans réserve, un apport indispensable et bienfaisant ? Doit-on suivre ses adversaires dans leur condamnation d’un processus qui, selon eux, tel le tabac, « nuit gravement » à la santé économique et mentale ? Ou est-ce plutôt, comme le bon vin, une évolution dont seul « l’abus est dangereux » ?
Phénomène complexe et multidimensionnel, la mondialisation, dans ses aspects économiques et financiers, recouvre en réalité une grande diversité de processus, à l’inéluctabilité incertaine, aux degrés d’interdépendance variables et aux implications très différentes. C’est, en premier lieu, l’ouverture des économies nationales aux transactions internationales et le développement des échanges de biens et services, mais aussi des flux internationaux de capitaux, donc également ce que l’on désigne habituellement par l’expression de globalisation financière. Mais c’est aussi, et au-delà de cette dimension marchande, un processus d’interpénétration croissante des économies nationales, donc d’effacement progressif des frontières, d’affaiblissement des régulations nationales,de déterritorialisation des activités économiques :plus qu’une internationalisation de l’économie, c’est bien une mondialisation des processus de production et des marchés, avec des entreprises qui deviennent des « acteurs globaux », des marchés intégrés, dont les décisions et comportements semblent échapper à toute considération nationale et dicter leur loi aux responsables politiques nationaux.
Sans prétendre apporter à ces nombreuses questions des réponses exhaustives, cet article propose quelques éléments d’une grille de lecture économique des phénomènes de mondialisation économique et de globalisation financière. L’objectif en est, avant tout, pédagogique : au lieu d’une attaque en règle ou d’une défense et illustration, il s’agit de tenter de démêler la réalité du fantasme, de faire la part des idées fausses et des vérités, dans la mesure du moins de ce que l’on sait vraiment, de faire le point sur les certitudes et les interrogations de l’analyse économique contemporaine sur ces questions. La première partie propose, pour ce faire, une brève mise en perspective historique du phénomène, dont, dans une deuxième partie, nous identifions les principaux moteurs. La troisième partie est consacrée à l’analyse des bienfaits de la mondialisation, tandis que la quatrième passe en revue quelques-unes de ses plus néfastes conséquences. Dans la cinquième partie, nous évoquons les modalités de « gouvernance » de la mondialisation et leurs mérites respectifs, en mettant l’accent sur les nouvelles régulations mondiales et sur les processus d’intégration régionale, notamment la construction européenne, avant de proposer quelques considérations en guise de conclusion.
Depuis l’apparition du capitalisme, son extension géographique, de même que la marchandisation et la monétisation progressive des relations d’échanges au sein des sociétés, a été entraînée par des facteurs qui, sans être invariants d’une époque à l’autre, ont des caractéristiques ès tôt, les économistes ont compris qu’il était dans la nature même de ce régime, et dans l’intérêt des agents qui le composent, d’ouvrir les économies nationales à l’échange : c’est même, dans une très large mesure, sur ce point — et ses corollaires — que les premiers économistes classiques, anglo-saxons notamment (Adam Smith et David Ricardo surtout) se distinguent et s’opposent aux « mercantilistes » qui les ont précédés. On pourrait même soutenir que l’ouverture, ou intégration, économique et financière des territoires, au sens contemporain de ces termes, a précédé la formation des Etatsnations modernes, les mercantilistes ayant contribué à leur émergence en tant qu’entités économiques identifiables en proposant les premières théorisations de l’interventionnisme économique national.Dès lors,l’une des tâches majeures qu’entreprirent les économistes classiques fut de démontrer la supériorité du laisser-faire au plan interne et du libreéchange au plan international en identifiant les gains de l’échange et les sources de ces gains : avantages comparatifs, spécialisation et apprentissage, et économies d’échelle sont très tôt apparus comme les trois grands moteurs de l’extension des marchés, l’échange international n’étant, de ces différents points de vue, qu’une modalité particulière, à l’échelon international, des mécanismes à l’œuvre dans les économies nationales.
Avant de passer en revue les principales forces qui animent l’extension à l’échelle mondiale des échanges économiques et financiers, il peut être éclairant de rappeler quelques traits saillants de l’histoire économique sur longue période. En effet, les dernières décennies ont vu des progrès considérables dans la connaissance du passé plus lointain de nos économies et, si des divergences, parfois substantielles, demeurent entre historiens-économistes sur de nombreux points , les analyses proposées concordent sur le constat d’une mondialisation précoce de l’économie de marchés .
Souvent perçue comme un phénomène récent et sans précédent, la mondialisation peut, au contraire, sans doute être reconnue comme une tendance séculaire, probablement depuis le haut Moyen Âge , qui voit le véritable « décollage » économique de l’Europe, grâce, en particulier aux échanges intra-européens et avec les deux grandes civilisations de l’époque, le monde arabe d’une part — qui occupe presque tout le Bassin méditerranéen, y compris l’Italie méridionale, la Sicile et l’Espagne —, et la Chine d’autre part, l’un et l’autre ayant alors un niveau de développement économique et une maîtrise des techniques bien supérieurs à ceux de l’Europe (Crouzet, 2000 ; Maddison, 2001). L’intensification des échanges commerciaux de l’Europe avec ces deux grands empires permet à la fois d’importer en Europe des produits qui n’y étaient pas disponibles et, surtout, des technologies nouvelles, dans l’agriculture notamment, qui vont accroître durablement la productivité, favoriser la croissance démographique et autoriser l’urbanisation en libérant une part de la main-d’œuvre agricole. Avec les explorations puis les conquêtes des « nouveaux mondes », d’abord vers l’Est de l’Europe au début du deuxième millénaire, puis, au-delà des océans, vers les Amériques, l’Asie et l’Afrique, la mondialisation économique prend un nouvel essor à partir de la fin du XVe siècle. La forme qu’elle revêt alors — celle de l’expansionnisme et de l’impérialisme coloniaux à l’extérieur de l’Europe occidentale, celle de l’organisation de l’espace européen lui-même en Etats-nations — perdurera jusqu’au début du XXe siècle et, d’une certaine manière, jusqu’à nos jours.
La plupart des travaux cliométriques font apparaître une intensification des échanges internationaux de marchandises et de capitaux à partir du milieu du XIXe siècle, ouvrant la voie à un épisode de mondialisation économique et financière qui, à bien des égards, est comparable à celui que nous connaissons depuis les années 1980, même si, bien sûr, les différences sont nombreuses dans les modalités. Les initiatives anglaises, puis françaises, en matière de libéralisation des échanges commerciaux, le développement des transports et communications et des marchés financiers, tout concourt à renforcer l’intégration économique et financière entre les nations, notamment entre les pays européens, riches, industrialisés, peuplés et déjà vieillissants, et leurs empires coloniaux d’une part, un certain nombre de pays « émergents », tels que les États-Unis et les nouveaux pays indépendants d’Amérique latine d’autre part. Tant en matière d’intégration commerciale — mesurée, notamment, par le degré d’ouverture internationale (ratio du volume des échanges internationaux au PIB) (Bairoch, 1997 ; Bouët et Le Cacheux, 1999 ; Maddison, 2001) — qu’en matière d’intégration financière — évaluée, par exemple à l’aide d’un indicateur de mobilité internationale du capital (Flandreau et Rivière, 1999) —, la Belle époque et le début du XXème, jusqu’à la Première guerre mondiale, voire jusqu’à la fin des années 1920, apparaissent très comparables à la fin du XXème.
La Grande guerre, les difficultés monétaires qui s’ensuivront dans plusieurs pays européens — notamment les hyper-inflations d’Allemagne et d’Europe centrale, les retours à la convertibilité-or des monnaies anglaise et française — puis le krach de Wall Street en 1929 et la Grande dépression qui en résultera signent la fin de cette tendance à la mondialisation, le repli sur elles-mêmes des économies nationales, voire, dans certains cas (Allemagne et Italie notamment), le triomphe de tentations autarciques et xénophobes . Le repli national, qui débouchera sur la Seconde guerre mondiale, fait émerger une forme d’économie de marchés qui va régner presque sans partage jusqu’au début des années 1970 : alors que les échanges internationaux demeurent longtemps très limités, tant par les réglementations et obstacles tarifaires que par l’orientation générale de l’activité économique et l’état des techniques, les activités productives et les circuits d’échanges s’organisent sur une base essentiellement nationale, favorisés en cela par les besoins et les modalités de la reconstruction des économies européennes (Fayolle et Le Cacheux, 2000) ; et c’est aussi sur cette base que prennent leur essor l’interventionnisme économique des puissances publiques et la protection sociale moderne avec l’apparition, puis le développement en Europe des États-Providence (Rosanvallon, 1990). Toute l’organisation internationale des échanges commerciaux et financiers mise en place dans l’immédiat après-guerre, qu’il s’agisse du système monétaire international né des Accords de Bretton Woods, avec la création de Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, ou des accords commerciaux du GATT, à partir de 1947, si elle affiche un objectif — lointain — d’ouverture des économies nationales et de libéralisation des échanges internationaux, entérine et pérennise cette organisation de l’économie, de la banque et de la finance sur des bases nationales que la Grande dépression puis la guerre ont favorisée . Et ce n’est qu’après l’effondrement du système monétaire international de Bretton Woods, en 1971, que l’ouverture progressive des économies nationales aux échanges internationaux, économiques et financiers, fera apparaître, lentement, la nouvelle mondialisation dont le dernier quart du XXe siècle a vu l’émergence et qui semble aujourd’hui à la fois inédite, dans son ampleur et dans son extension à l’ensemble des acteurs des économies nationales et à tous les pays, et irrésistible.
Derrière les processus contemporains de mondialisation économique et de globalisation financière, comme derrière les précédents épisodes similaires, se trouvent des mécanismes qui constituent l’essence des économies de marché et contribuent à en expliquer l’extension, tant dans l’ordre des rapports entre agents individuels (les individus et les entreprises) que dans celui des échanges entre économies nationales. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut, pour clarifier leur rôle, en tenter un bref recensement.
En 1817, David Ricardo proposait pour la première fois une explication de l’échange, international en l’occurrence, fondée sur l’existence de différences dans les prix relatifs des biens ou des facteurs auxquels les parties à l’échange étaient confrontées en situation d’autarcie. Ces différences elles-mêmes sont attribuables à la rareté relative ou à la diversité des performances en termes d’efficacité productive : chaque pays, comme chaque individu, a ses points forts et ses faiblesses, relatifs, c’est-à-dire que même s’il est le plus efficace — ou au contraire le moins efficace — dans toutes les activités productives, il est nécessairement relativement plus productif — ou moins inefficace — dans certaines que dans d’autres. Ainsi existe-t-il entre partenaires à tout échange potentiel des avantages comparatifs, dès lors que ces partenaires sont différents en quelque chose qui se reflète dans des prix relatifs eux-mêmes différents. Ce fondement essentiel de tout échange économique volontaire implique également l’existence d’un gain mutuel de l’échange : chacun des partenaires en bénéficie car il se procure auprès de l’autre quelque chose qui lui aurait coûté davantage s’il avait dû le produire lui-même. Le gain de l’échange, dont le partage peut évidemment être plus ou moins inégal selon les circonstances (cf. infra), est d’autant plus grand que les différences entre les partenaires à l’échange sont importantes, et ce dans plusieurs registres dépassant largement le domaine d’application habituel de l’analyse ricardienne de l’échange, qui est celui du commerce international de marchandises.
Traditionnellement, l’analyse de l’échange international a mis l’accent sur le rôle des différences de dotations naturelles et factorielles dans la genèse d’avantages comparatifs entre économies nationales. Selon l’intuition fondatrice de David Ricardo, c’est d’abord sur les différences de ressources naturelles ou de climat, mais également de méthodes de production, reflétées dans des productivités relatives différentes, qu’est fondée l’incitation à l’échange : par rapport à l’autarcie, le bénéfice de l’échange commercial provient, en effet, de la possibilité ainsi offerte à chacune des parties prenantes de se procurer à un prix relatif plus bas les biens pour lesquels elle est comparativement moins productive, en échange de biens dans la production desquels elle est, au contraire, relativement plus efficace. Cette source de gains, fondement traditionnel du libre échange, permet de comprendre le développement du commerce entre des nations disposant de ressources naturelles différentes, mais également entre économies nationales ayant des plus ou moins de capital productif, plus ou moins de main-d’œuvre qualifiée, plus ou moins de certains savoir-faire, etc.
Les différences entre économies nationales qui fondent l’existence d’avantages comparatifs ne se limitent, cependant, pas aux dotations naturelles et factorielles : celles qui sous-tendent l’existence d’écarts dans les propensions à épargner ou la productivité du capital sont tout aussi pertinentes et sont sources de gains dans les échanges commerciaux et « inter-temporels », c’est-à-dire dans les transactions financières internationales. Ainsi, les évolutions démographiques différenciées selon les pays et régions du monde rendent-elles la main-d’œuvre relativement plus abondante dans certains pays, dont la population est jeune, que dans d’autres, tandis que des politiques éducatives différentes engendrent des proportions d’individus qualifiés — donc des diverses variétés de capital humain — variables selon les pays, différences qui fondent des avantages comparatifs dans certaines activités productives plutôt que d’autres. De même, des structures démographiques nationales différentes engendrent-elles, selon l’hypothèse du cycle de vie (voir Modigliani, 1986), des décalages temporels dans les variations des taux d’épargne nationaux, les « fonds prêtables » étant, de ce fait, relativement plus abondants dans certaines économies que dans d’autres . Du côté de la demande de ces mêmes « fonds prêtables », c’est-à-dire de l’investissement productif, le recours à des techniques de production différentes, combinées avec les écarts déjà évoqués dans la disponibilité de la main-d’œuvre, qui explique des intensités factorielles —proportions de main-d’œuvre et de capital utilisées dans la production — inégales, et avec des proportions variées de maind’œuvre présentant les diverses qualifications requises dans chaque type de production, se traduit par des écarts dans la productivité marginale du capital investi. Ces différences dans la rareté relative des ressources destinées au financement et dans leur demande rendent les mouvements internationaux de capitaux attractifs et, en principe, bénéfiques pour les parties prenantes : les épargnants des régions où l’épargne est abondante trouvent ainsi de meilleures rémunérations à leurs placements, tandis que les producteurs des régions où la main-d’œuvre est relativement abondante accèdent à des financements qui eussent été plus coûteux en l’absence de mobilité internationale des capitaux.
De même que les échanges entre individus sont la condition de la spécialisation et de la division du travail entre eux, les possibilités d’échanges entre économies nationales permettent la spécialisation et la division internationale du travail, donc aussi l’abandon, par chaque économie nationale, des activités productives pour lesquelles elle est relativement le moins efficace. La spécialisation elle-même pouvant, par un phénomène d’apprentissage et d’amélioration progressive des techniques de production, engendrer des gains ultérieurs d’efficacité productive, la division internationale du travail favorise la croissance de la productivité des facteurs : ce sont les gains dynamiques de l’échange international que de nombreuses analyses du commerce international ont soulignés, et dont l’existence semble, en général, avérée par l’histoire longue de l’économie mondiale (Maddison, 2001).
Alors que les raisonnements qui précèdent reposent sur les hypothèses usuelles de la concurrence parfaite, notamment celle de l’absence de rendements d’échelle dans les activités productives, la prise en compte de l’existence, dans de nombreuses activités — de production, mais également de recherche et développement par exemple —, d’économies d’échelle ou de gamme permet d’identifier un autre moteur de la mondialisation économique et financière : la poursuite, par les entreprises, d’une taille optimale dont le volume de production excède souvent l’absorption du marché national, s’ajoute aux phénomènes de spécialisation, décrits plus haut, pour engendrer une tendance à la concentration des entreprises et, lorsque certaines de ces économies d’échelle ou de gamme sont externes à l’entreprise, à l’agglomération des activités productives sur certains territoires . La concentration elle-même s’accompagne d’une spécialisation et d’une division du travail au sein des entreprises ou groupes ainsi constitués ; elle renforce les flux internationaux d’échanges, d’une part de capitaux, sous forme notamment d’investissements directs étrangers (Levasseur, 2002) et, éventuellement, de main-d’œuvre — pour faire face à des besoins qui, généralement, dépassent largement les capacités d’offre de facteurs des économies nationales —, d’autre part de biens et services, dont une part croissante est constituée d’échanges intra-firmes.
Si tous les facteurs évoqués dans ce qui précède concernent les activités productives et l’offre de biens et services par les entreprises, certaines caractéristiques de la demande émanant des consommateurs poussent également à la mondialisation. Il en est ainsi de l’évidente tendance à la diffusion internationale des modèles culturels, des goûts et des modes de consommation qu’engendre la mondialisation : la diffusion mondiale de la demande de certains biens et services favorise l’internationalisation de leur production ou le développement des échanges. Mais en outre, l’enrichissement des personnes et, plus généralement, l’élévation du niveau de vie autorisent et engendrent une demande de diversité dans la consommation, qui nécessite également l’essor d’échanges internationaux dans tous les secteurs de la consommation, qu’il s’agisse de l’alimentation, où le phénomène est particulièrement apparent, du vêtement, du tourisme et des loisirs, etc. La puissance de ce moteur de la mondialisation du côté de la demande de biens et services conforte le caractère cumulatif des phénomènes d’internationalisation intervenant du côté de l’offre.
Il est certain que les tendances identifiées ci-dessus ne peuvent se manifester et faire sentir leurs effets que si les conditions techniques le permettent : pour qu’il y ait développement des échanges de biens et services, intensification des mouvements de capitaux et internationalisation de la production, il faut que les coûts de transport et de communication — et plus généralement ce que les économistes regroupent volontiers sous l’appellation de coûts de transaction (Obstfeld et Rogoff, 2001) — soient suffisamment bas pour que ces transactions soient rentables, c’est-à-dire pour que leur coût soit inférieur aux gains attendus des divers mécanismes de la mondialisation.
Les différents épisodes historiques de mondialisation de l’économie coïncident avec des progrès dans les techniques de transports et de communications. Ainsi, en particulier, la seconde moitié du XIXe siècle bénéficie-t-elle du développement des chemins de fer et des bateaux à vapeur, de l’amélioration du réseau routier et, en matière de communications, de l’extension du télégraphe qui, à partir des années 1860, devient un véritable « réseau mondial » (dont la traduction anglaise est worldwide web, www…) avec la pose des câbles transatlantiques. L’accélération des liaisons et l’abaissement des coûts de transaction qui en résultent sont, au moins en termes relatifs, tout aussi importants que ceux qu’ont engendrés les progrès observés, dans ces domaines, au cours des dernières décennies du XXe siècle.
Faut-il, pour autant, conclure que les phénomènes de mondialisation ont un caractère inéluctable et que, dès lors, les décisions politiques n’y ont aucune part ? C’est, en tout cas, un point sur lequel les historiens de l’économie sont loin d’être d’accord entre eux et sur lequel il est difficile de se prononcer en toute généralité. On pourrait, en effet, être tenté de souligner la primauté de la technique, la marche ininterrompue du « progrès », le « sens de l’histoire », etc., et de minimiser ainsi le rôle des choix politiques délibérés dans les évolutions observées : personne ne pourrait résister au progrès, les régimes autarciques et dictatoriaux les plus fermés — naguère l’Union soviétique, aujourd’hui la Chine, … — devraient, eux-mêmes, finir par s’ouvrir, contraints et forcés par la marée montante de la mondialisation et son cortège d’aspirations individuelles à la liberté et à la consommation. Et les démocraties occidentales, quant à elles, donnent bien souvent le sentiment de subir ces évolutions, tandis que les responsables politiques prétendent être à l’origine d’inflexions qu’ils n’ont, dans de nombreux cas, fait qu’entériner : « Puisque ces mystères nous échappent, feignons d’en être les auteurs… » (Cocteau).
Bien que la part respective des évolutions techniques et des décisions politiques soit très difficile à évaluer , il est cependant indéniable que les accords commerciaux internationaux, abaissant les obstacles tarifaires et libéralisant progressivement les échanges commerciaux dans le cadre, d’abord du GATT, à partir de 1947, puis de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 1994, les décisions, d’abord américaines, de déréglementation et de libéralisation des transactions financières, relayées par les injonctions d’ouverture financière du Fonds monétaire international (FMI) à l’intention des pays en développement, etc., ont, sinon engendré la mondialisation, du moins facilité et accéléré son essor. Sans doute — bien que dans une mesure difficilement évaluable —, ont-ils aussi influé sur sa physionomie, c’està-dire sur l’importance relative de ses diverses composantes, commerciales, financières, etc. Et à l’inverse, comment nier la responsabilité des politiques dans la longue parenthèse au sein du processus de mondialisation qu’ont constituée les décennies 1930 et 1940 ?
Mettant en évidence les gains de l’échange et les bénéfices des flux financiers internationaux, l’analyse économique classique conforte l’idée, largement relayée par les partisans d’une libéralisation sans cesse plus poussée des transactions internationales et des mouvements des capitaux, des entreprises, voire des personnes , d’un processus bénéfique pour le progrès économique, donc a priori pour tous. Dans sa version la plus pure et parfaite, le monde économique libéré de toutes les entraves se dirigerait, grâce à la mondialisation qui permettrait à chacun de faire fructifier ses avantages comparatifs et diffuserait partout les bienfaits du progrès technique et économique, vers un Eden sur la terre, une planète enfin riche dont la prospérité serait partagée par tous.
L’explication des échanges de biens, de services et de capitaux par les avantages comparatifs conclut à l’existence de gains mutuels de l’échange : toute transaction fondée sur des différences dans les raretés ou les productivités relatives engendre nécessairement un bénéfice pour les parties prenantes et un surplus net, même si le partage de ce gain entre les partenaires à l’échange peut ne pas être égal ou équitable. Ricardo, qui, le premier, développa l’analyse de l’échange commercial en ces termes, y voyait un remède à l’épuisement inéluctable de la croissance dans les économies nationales capitalistes : condamnées à tendre vers un état stationnaire du fait de la rareté des ressources naturelles et des rendements décroissants de la production — notamment dans l’agriculture — et à la croissance démographique que permet le progrès économique, les économies nationales capitalistes autarciques trouveraient,dans l’ouverture aux échanges extérieurs,un moyen de repousser la contrainte que font peser les disponibilités limitées des ressources, dans un état donné des techniques. En outre, parce qu’il engendre la spécialisation, l’échange international favorise l’efficience productive, en permettant à chaque pays de se perfectionner dans les productions pour lesquelles il dispose d’un avantage comparatif. Enfin, les flux internationaux de capitaux et, éventuellement, de personnes, de même que l’internationalisation des entreprises, facilitent la diffusion internationale des innovations et du progrès technique, ce qui permet de repousser encore davantage la frontière des possibilités de production. Assurément donc, les consommateurs y gagnent, en profitant de prix plus bas, grâce à des coûts de production plus bas, tant sur les produits des industries nationales que sur ceux importés, et en accédant à une plus grande variété de biens et de services.
Bien que difficiles à évaluer empiriquement et sujets à controverses quant à leur ampleur, ces divers gains de l’ouverture internationale et de l’échange ont, sur la longue période, une importance indéniable dans la croissance économique des économies nationales. Certes la corrélation entre la croissance économique et la libéralisation du commerce de marchandises ou des mouvements internationaux de capitaux est loin d’être parfaite, au point même que l’une des périodes les plus fastes du point de vue de la croissance, les Trente glorieuses, coïncide avec un fonctionnement sinon autarcique, en tout cas relativement peu ouvert des principales économies développées. Mais sur la longue période et sans que l’on puisse se prononcer avec certitude sur le sens de la causalité, la relation entre ouverture économique et financière et croissance est tout à fait avérée (Maddison, 2001). En outre, a contrario, les périodes de rupture des échanges, pour raisons de guerre par exemple,ou encore,comme dans les années 1930,parce que les gouvernements nationaux cèdent à la tentation du repli et de l’autarcie, sont, de toute évidence, caractérisées par des performances économiques médiocres, voire franchement mauvaises .
Rattrapage et convergence mondiale?
Dans un monde économiquement et financièrement intégré, l’existence de rendements de facteurs décroissants dans toutes les activités productives, notamment en ce qui concerne l’accumulation du capital, engendre nécessairement une tendance à l’exportation de capitaux par les pays qui en sont le mieux pourvus vers ceux qui en manquent, ce qui favorise le rattrapage économique de ces derniers. La mobilité internationale des capitaux et l’internationalisation des entreprises sont des vecteurs de diffusion des progrès techniques, ce qui devrait encore accélérer le rattrapage, en termes de productivité de la main-d’œuvre, donc également de niveau de vie (voir, par exemple, Equipe INGENUE, 1999 et 2002). À très long terme, dans une version idéale de l’analyse néoclassique des échanges et de la croissance économique, on devrait ainsi, en l’absence d’imperfections des marchés et d’obstacles aux échanges internationaux, assister à une égalisation des rémunérations des facteurs de production dans tous les pays du monde — c’est le théorème de Stolper-Samuelson (1941) — et à une convergence mondiale des conditions économiques et des niveaux de vie. Selon certains auteurs, la manifestation d’une telle convergence économique mondiale, que l’on n’observe guère, ni sur très longue période, ni au cours des dernières décennies (cf. infra), a été retardée par l’absence de libéralisation et n’est observable que dans le très long terme, parce que certains pays, en retard de développement, ne connaissent leur « décollage économique », que très tardivement, pour diverses raisons .
Mais est-ce bien là la mondialisation économique que l’on observe ? Bien sûr, cette vision idyllique des conséquences de l’ouverture internationale des économies et de la mobilité des biens et des capitaux ne correspond, loin s’en faut, à la réalité. Même si certaines conséquences négatives ne sont pas avérées, ni théoriquement ni empiriquement, les inconvénients, dont les opposants à la mondialisation libérale dénoncent l’existence dominante, sont indéniables.
Comme dans toutes les circonstances où les évolutions économiques engendrent des spécialisations, les restructurations induites par la mondialisation, soit directement du fait des délocalisation d’entreprises vers des pays où les coûts de production sont plus faibles, soit indirectement en raison du développement d’importations qui évincent les productions locales, comportent des coûts au moins transitoires, qui tiennent à la difficulté de reconvertir le capital humain et l’appareil productif. Ces coûts d’ajustement sont souvent très concentrés sur certaines activités, certaines régions et certaines catégories de maind’œuvre, donc très visibles, bien plus que les bénéfices procurés de manière plus diffuse à tous les consommateurs. Leur existence est indéniable, même s’ils ne suffisent pas, en général, à annuler les gains procurés à tous par l’essor des échanges : c’est bien plus l’égoïsme des gagnants — qui souvent explique l’inaction des États — que l’insuffisance des gains qui explique l’absence d’une compensation adéquate des perdants que sont, au moins à court terme, ceux qui perdent leur emploi ou leur investissement du fait de la concurrence étrangère. En outre, de même que les processus d’agglomération des activités peuvent avoir un caractère cumulatif, les pertes de substance économiques de certains pays ou régions ont souvent également des effets irréversibles d’appauvrissement.
Dénoncée comme l’une des principales conséquences négatives de la globalisation financière, l’instabilité qui caractérise effectivement l’environnement économique et financier contemporain est souvent opposée à la mythique stabilité de la croissance économique, avec inflation faible et plein emploi qu’ont connues les économies occidentales, et notamment les économies européennes, au cours des Trente glorieuses. Sans doute convient-il d’abord de relativiser les mérites de cet âge d’or, et de rappeler que les caractéristiques particulières de la reconstruction puis du rattrapage de l’économie américaine par des économies européennes,alors à reconstruire puis à équiper,contribuent à expliquer la régularité et le dynamisme du progrès économique de cette période. Mais il est vrai aussi que l’ouverture des économies nationales aux échanges de biens et services et de capitaux les rend plus vulnérables aux divers types de chocs provenant du reste du monde, renforçant ainsi la discipline qu’exercent, à plus ou moins bon escient, les marchés financiers sur les entreprises, mais aussi sur les finances publiques et les banques centrales , et aggravant dès lors les interdépendances économiques et financières internationales. De même, l’intégration des marchés financiers et la mondialisation des activités productives, qui créent des liaisons étroites entre les évolutions dans les différents pays, engendrent sans doute, dans certaines circonstances, une synchronisation des fluctuations des prix d’actifs financiers — taux d’intérêt et cours boursiers — et des conjonctures économiques nationales, ce qui amplifie les variations cycliques de l’économie mondiale. La manière dont les différentes crises financières survenues au cours des années récentes — crises asiatique en 1997, russe en 1998, brésilienne en 1999, argentine en 2001 — se sont déclenchées, au terme de périodes d’endettement extérieur excessif et à la suite de sorties massives de capitaux, puis se sont propagées à des pays voisins ou similaires, par contagion, faisant ressentir leurs effets à l’ensemble de l’économie mondiale, illustre ce renforcement des interdépendances économiques et la puissance accrue des mécanismes des propagation internationale . De même, la manière dont la longue correction des excès boursiers américains a entraîné dans sa chute les marchés européens, et dont la récession américaine s’est propagée à l’ensemble de la planète, y compris à l’Union européenne, montre à quel point la mondialisation accentue les fluctuations et pèse sur les évolutions macroéconomiques nationales .
La mondialisation, source d’inégalités?
Bon nombre des opposants déclarés au processus de mondialisation libérale qui caractérise les deux dernières décennies admettent volontiers l’existence de gains de la mondialisation,mais justifient leur hostilité en mettant l’accent sur les inégalités économiques qu’elle engendrerait, tant au sein des économies nationales entre les différents agents économiques, qu’entre économies nationales, aboutissant, à l’échelle mondiale, à un creusement des écarts de développement. Ces reproches sont-ils fondés ? Sans doute, même si, pour reprendre l’expression d’un économiste américain célèbre, « la mondialisation n’est pas [la seule] coupable » (Krugman, 1998).
En remédiant aux problèmes de raretés relatives dans les économies nationales et en renforçant la concurrence, la mondialisation tend à réduire, voire, idéalement, à faire disparaître les rentes que perçoivent les propriétaires des ressources rares et ceux qui occupent des positions abritées de la pression concurrentielle. En revanche, ceux qui possèdent des ressources relativement abondantes et, d’une manière générale, les consommateurs vont bénéficier de l’ouverture à l’échange et à la concurrence, ainsi, éventuellement, que des retombées des économies d’échelle et de gamme que permet la concentration dans certaines branches de la production . Il est, dès lors, inéluctable que le phénomène fasse, au-delà même des difficultés suscitées par les coûts d’ajustement, des gagnants et des perdants, bien qu’il se traduise par un gain net positif. Cependant, la répartition des gains et pertes dépend de la situation initiale et des modalités précises des modifications des échanges et des structures productives qu’engendre l’intégration économique et financière internationale dans chacune des économies nationales.
On sait ainsi depuis longtemps qu’en l’absence de mobilité internationale des facteurs de production et dans un environnement idéal de concurrence parfaite sur tous les marchés, la liberté des échanges commerciaux internationaux engendre une tendance à l’égalisation mondiale des rémunérations des facteurs de production : c’est le théorème de Stolper-Samuelson (voir, notamment : Mundell, 1957 ; Laborde,Tarascou et Yapaudjian-Thibaut, 2002). Il doit s’ensuivre que la main-d’œuvre qualifiée des pays les plus développés et les détenteurs de capitaux bénéficieront de gains importants lors de l’ouverture des économies développées aux échanges avec des pays en retard de développement et, par hypothèse, moins bien dotés en capital et en main-d’œuvre qualifiée ; au contraire, les salariés les moins qualifiés des pays développés devraient y perdre, ou du moins enregistrer des gains nets moindres , tandis que ceux des pays en développement y gagnent. Les choses sont moins simples si les marchés des produits ne sont pas parfaitement concurrentiels, du fait, par exemple, d’économies d’échelle et de gamme, donc de la présence de pouvoirs de marché. Et elles le sont encore moins lorsque au libre échange des biens et services, on associe la mobilité internationale des capitaux, voire, si l’on admet des migrations, des personnes. Dans ces conditions, en effet, l’identification des gagnants et des perdants, de même que l’évaluation des gains et pertes nets, dépend beaucoup des modalités précises que revêt la mondialisation, voire des séquences particulières qui la caractérisent .
Mais il demeure vrai que le processus engendre, pour certains, des pertes ou, du moins, des gains nets inférieurs à ceux des autres, de sorte que les inégalités économiques, dont les causes peuvent être multiples, s’en trouvent accentuées . Toutefois, dans son pamphlet en faveur de la mondialisation, Krugman (1998) soutient que l’aggravation indéniable des inégalités dans les pays développés, et singulièrement aux États-Unis, au cours des dernières décennies est beaucoup plus le fait d’un progrès technique biaisé en faveur des travailleurs les plus qualifiés que de la mondialisation. Mais les deux phénomènes ne sont-ils pas intimement liés ?
Inégalités entre les nations: des «clubs de convergence»?
Puisqu’il existe des gagnants et des perdants au sein des économies nationales, ne doit-on pas s’attendre à retrouver un clivage similaire au niveau de l’économie mondiale, entre des nations qui bénéficieraient de la mondialisation, et d’autres qui, au contraire, en pâtiraient ? Autrement dit, celle-ci ne devrait-elle pas être tenue pour responsable du creusement indéniable des écarts de développement et de niveaux de vie entre les nations que l’on a observé au cours des dernières décennies ? Les faits sont avérés : Maddison (2001) montre ainsi que le niveau de vie des pays les plus riches —est aujourd’hui plus de 60 fois celui des pays les moins avancés , alors que l’écart n’était que de 1 à 5 il y a trois siècles et à peu près inexistant il y a un millénaire ; et qu’en termes absolus, un certain nombre de pays, parmi les plus pauvres — l’Algérie, l’Angola, le Bénin, etc. — ont même enregistré une régression du revenu par tête au cours des décennies les plus récentes.
Pourtant, il paraît difficile d’en imputer la responsabilité première à la mondialisation économique et financière, du moins directement. En effet, l’ouverture aux échanges ne produira un appauvrissement que dans des configurations particulièrement défavorables de dotations en ressources, de spécialisation et de pouvoir de marché, qui ne peuvent être totalement exclues, mais sont probablement assez peu fréquentes . En revanche, il est certain que l’instabilité économique et financière, qu’engendre la mondialisation, et les modalités de l’ouverture et de l’ajustement aux disciplines des marchés qui ont été imposées à de nombreux pays en développement, notamment pas les institutions financières internationales à la suite des crises financières et des difficultés liées au surendettement extérieur, sont pour beaucoup dans les retards de développement et de niveau de vie qu’accusent aujourd’hui de nombreux pays. Mais il n’est pas moins évident que les problèmes économiques dont souffrent certains d’entre eux résultent au moins autant de la mauvaise gestion qu’ils subissent de la part de gouvernements peu démocratiques et parfois corrompus, donc prédateurs ; et que l’ouverture économique et financière peut avoir, dans ces conditions, des vertus bienfaisantes en abolissant les protections et en érodant les rentes.Toutefois il apparaît aussi que la brutale libéralisation financière des pays en développement, généralement mal préparés et dépourvus d’institutions appropriées de supervision et de contrôle, a favorisé l’essor de délinquance financière internationale, en offrant aux trafiquants de tous poils de nouveaux circuits de blanchiment.
Il est vrai que la plupart des études empiriques qui ont, ces dernières années, cherché à montrer l’existence d’une convergence économique tendancielle à l’échelle mondiale ont conclu négativement : loin de détecter un resserrement des écarts de développement et de niveaux de vie sur longue période, certaines de ces études ont même mis en évidence des « clubs de convergence », c’est-à-dire des groupes de pays au sein desquels la convergence semble effective, mais sans qu’elle se manifeste entre ces « clubs » . Mais les périodes d’observation sont sans doute un peu courtes pour que ces études soient vraiment concluantes. Et comment interpréter l’existence de tels « clubs de convergence » ? Peut-être par la faiblesse des échanges entre ces groupes de pays, auquel cas la mondialisation en cours y remédierait progressivement dans les décennies à venir. De manière plus conforme aux analyses modernes de la croissance économique, on peut voir dans l’existence de ces clubs et dans la persistance, voire le creusement des écarts de développement entre eux, une manifestation de phénomènes auto-entretenus, tels que ceux qui sous-tendent l’agglomération des activités ou, au contraire, leur dépérissement sur certains territoires, ou encore tels que les dépeignent les analyses moderne de la croissance endogène — par exemple en montrant que les pays les plus développés peuvent se permettre d’investir davantage dans l’éducation ou dans la recherche, ce qui accroît encore leur potentiel de croissance. Mais alors, à nouveau, si les échanges internationaux favorisent la diffusion du progrès technique, et met à la disposition des pays en retard de développement une épargne plus abondante et moins onéreuse, elle devrait favoriser un certain rattrapage.
Plus encore que la mondialisation en soi, c’est son caractère libéral et les modalités particulières qu’elle revêt en ce début de XXIe siècle que critiquent la plupart de ceux que l’on qualifie « d’anti-mondialisation ». Même parmi ses partisans, il s’en trouve pour s’interroger sur les moyens d’en améliorer les bénéfices et d’en minimiser les inconvénients, ce qui pose la question de ce que l’on appelle aujourd’hui volontiers la « gouvernance » de l’économie mondiale. Au sein des économies nationales se sont progressivement développés, au fil des siècles, des institutions, un cadre réglementaire et légal qui ont permis l’essor de l’échange marchand et de la croissance économique qui caractérise l’économie capitaliste, mais aussi des systèmes de redistribution et de dépenses publiques, et un ensemble de mécanismes de protection sociale destinés à en modérer les excès et à en atténuer les conséquences plus négatives en termes de répartition des revenus et des lon raisonne par analogie,l’économie mondiale devrait,pour fonctionner de manière satisfaisante, se doter d’un ensemble d’institutions et de règles, de manière à garantir que l’instabilité qui l’afflige soit réduite, que les gains de la mondialisation l’emportent effectivement sur ses conséquences néfastes, et que la répartition des bénéfices nets qu’elle procurerait ainsi soit moins inégale.
À la fin de la Seconde guerre mondiale, l’ambition des concepteurs du nouveau système international était de mettre en place des institutions et des règles de fonctionnement fondées sur le multilatéralisme. Il s’agissait alors d’empêcher le retour des comportements nationaux non coopératifs dont la multiplication et la virulence avaient été, dans les années 1930, à l’origine de la Grande dépression puis de la guerre, ou du moins avaient aggravé les problèmes et les tensions. Ces institutions sont, en premier lieu, celles dites de Bretton Woods (1944) — le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale —, mais aussi le GATT, dont le premier accord fut signé en 1947, et qui s’est transformé, en 1994, en Organisation mondiale du commerce (OMC) ; et encore la Banque des règlements internationaux (BRI), qui assure la surveillance des marchés internationaux des capitaux et la coordination des banques centrales des pays développés et élabore, au sein du Comité de Bâle, les grandes lignes de la réglementation bancaire ; et également, le Bureau international du travail (BIT), l’Organisation mondiale de la santé (OMS), etc. De plus, des institutions plus limitées, comme l’OCDE, ou le G7 — qui réunit les dirigeants des sept pays les plus riches du monde —, devenu G8 avec la cooptation de la Russie
Cet ensemble d’institutions internationales revêt, en l’absence, depuis 1971, du cadre international de Bretton Woods qui assurait la stabilité des taux de change, et dans un contexte d’intensification des échanges et de mondialisation des acteurs économiques, une importance particulière, dans la mesure où les États-nations ne sont plus en mesure d’assurer, seuls et indépendamment, la régulation du système économique et financier, ni même d’en définir les règles. Et cependant, elles ne remplissent pas, aujourd’hui, cette mission de manière satisfaisante, en partie parce qu’elles ont été conçues dans un environnement mondial, économique et financier, différent, et qu’elles n’en ont sans doute pas les moyens, financiers et politiques.
Pourtant, les enjeux sont considérables, dans plusieurs domaines, notamment ceux des droits de propriété, de la politique de la concurrence et, plus généralement, des règles de l’échange, et ceux de la stabilité du système économique et financier international. Concernant les premiers, les questions débattues dans les négociations commerciales internationales, dont un nouveau cycle a été ouvert à Doha en novembre 2001, apparaissent cruciales, qu’il s’agisse des droits de propriété intellectuelle — notamment les brevets sur les médicaments (voir l’article de Vincent Touzé et Bruno Ventelou, 2002) ou sur les gènes,végétaux,animaux ou humains —,des exceptions au libre échange acceptables au nom de l’identité culturelle — la fameuse « exception culturelle » —, de la sécurité alimentaire — bœuf américain aux hormones, Organismes génétiquement modifiés (OGM), mais aussi fromages français au lait cru … —, de clauses environnementales ou sociales. De même, l’un des enjeux majeurs de l’élaboration de règles communes dans les divers domaines de l’échange international est la question du règlement des différents surgissant entre les nations : les Etats-Unis peuvent-ils prendre des mesures unilatérales de protection de leur marché intérieur de l’acier ? L’Europe est-elle autorisée à interdire l’importation de viande américaine aux hormones ? Les saisines et,dans certains cas récents,les condamnations prononcées par l’organe de règlement des différents sont autant d’illustrations du rôle qu’assume progressivement l’OMC dans la police et la justice des échanges commerciaux internationaux : une institution multilatérale se substitue peu à peu à la première puissance mondiale (les États-Unis) dans le rôle de « gendarme » du commerce mondial.
Les institutions internationales, et singulièrement le FMI et la BRI, ont aussi un rôle décisif en matière de prévention et de traitement des crises, notamment financières, et plus généralement de lutte contre l’instabilité économique et financière qui accompagne l’intensification des échanges et la libéralisation de l’économie et de la finance mondiales. Dans ce domaine, il s’agit avant tout d’élaborer des règles, en particulier prudentielles, applicables aux entreprises, aux banques et aux intermédiaires financiers, pour prévenir la prise de risques excessifs et empêcher que les accidents financiers, inévitables par nature, ne se propagent et ne dégénèrent en crises systémiques, comme on a pu le voir lors des crises internationales récentes (crises asiatique, russe, brésilienne, argentine) . Mais il convient aussi de donner aux institutions internationales compétentes les moyens d’intervenir efficacement dans les cas où les crises n’ont pu être évitées .
La régionalisation, apprentissage de l’ouverture ou rempart?
Les processus d’intégration régionale, et singulièrement l’expérience européenne — qui est la plus aboutie, et dont l’ambition va bien audelà de l’intégration économique et financière, puisque l’on parle d’ores et déjà d’Union européenne — assument, à l’évidence, une part importante des nouvelles modalités de régulation économique. C’est d’ailleurs à ce titre que l’intégration européenne, en particulier, est souvent prise à parti par les critiques de la mondialisation libérale et mise sur le même pied que les autres institutions qui prônent la libéralisation des échanges et l’ouverture des économies nationales. De fait, le rôle et les finalités de l’intégration régionale apparaissent particulièrement ambigus. En effet, les processus d’intégration régionale sont faits d’abord de démantèlement des obstacles à la libre circulation et au libre échange, et de politique de la concurrence qui visent, dans la plupart des cas, à atteindre des conditions de marché aussi libres que possibles, dénuées d’interventions publiques créant des distorsions, etc. : historiquement, il est indéniable que les expériences d’intégration régionale observées au cours des dernières décennies, qu’il s’agisse de l’Union européenne, de l’Accord nord-américain de libre échange (ALENA), etc., ont favorisé et accéléré l’ouverture des économies nationales concernées. En outre, les échanges commerciaux, les flux d’investissements directs et les phénomènes de concentration des activités productives se produisent, pour une part prépondérante, au sein de ces zones régionales d’intégration. Enfin, les modalités précises de ces processus ont eu tendance, ces dernières années, à privilégier la libéralisation et l’ouverture, au détriment d’autres dimensions de l’intégration régionale .
En bref, l’Europe libérale ne serait que le cheval de Troie de la mondialisation libérale, un apprentissage à l’échelle réduite d’une ouverture planétaire : en interne, les nombreuses règles encadrant l’interventionnisme des gouvernements nationaux et les politiques actives de libéralisation et d’ouverture des marchés, notamment dans le domaine des services publics, confortent l’image d’un processus dominé par la volonté d’étendre le règne des régulations marchandes ; l’élargissement de l’Union à un grand nombre de pays dont l’adhésion pourrait affaiblir encore la cohésion économique et politique de l’ensemble, selon un processus qui semble ne pas avoir de limite, peut être interprété comme une démarche délibérée de dilution ; et la multiplication des accords de libre échange et d’association que l’Union signe avec des pays tiers (pays de la rive sud de la Méditerranée notamment) ou d’autres zones d’intégration (MERCOSUR,ALENA, etc.) renforce cette impression d’ouverture tous azimuts.
Mais à l’inverse, face à l’affaiblissement effectif des régulations nationales et de la capacité d’intervention des gouvernements nationaux dans des processus économiques et financiers dont l’échelle les dépasse et dont les possibilités de réaction — notamment de la part des marchés financiers, mais aussi des entreprises et, éventuellement des personnes, par « l’exil fiscal » en particulier — exercent sur eux une discipline implacable, la construction européenne, avec ce qu’elle comporte de mise en commun des instruments d’intervention et régulation économique, et plus généralement de souveraineté « partagée », apparaît comme un rempart, au moins virtuel, contre les excès d’une libéralisation radicale. Dans une conception de l’intégration européenne résolument fédérale, visant la construction d’une « Europe puissance », le processus en cours serait alors d’une nature comparable à celui qui a abouti, du XVIIe au XIXe siècle, à la construction des Etats-nations modernes ; la mondialisation, changeant l’échelle pertinente l’intervention publique, engendrerait ainsi, par fusion, à l’émergence d’entités de taille plus importante, mais dont la nature et les finalités ne différeraient guère de celles des nations. Mais il est vrai que la réalité apparaît bien éloignée de cette vision volontariste, et que les modalités de son contrôle démocratique sont encore à inventer .
Ainsi sans doute la mondialisation est-elle coupable, du moins de quelques-uns des méfaits que lui reprochent les adversaires d’une tonalité exclusivement libérale de ce grand mouvement d’ouverture économique et financière et d’intégration : coupable de creuser les inégalités, coupable aussi de déposséder les citoyens des moyens de peser de manière effective sur le destin économique des collectivités qu’ils constituent. Elle ne manque pourtant pas d’avantages, en termes de croissance, de progrès technique et de diversité, donc aussi de potentiel pour le développement, notamment des zones de la planète les moins avancées : l’histoire économique suggère que c’est bien ainsi que le progrès économique a pris son essor et s’est diffusé, jusqu’à présent, dans les pays qui en ont bénéficié.
Ce qui fait aujourd’hui défaut, ce sont les institutions et les mécanismes d’une régulation efficace de l’économie et de la finance mondiale, efficace au double sens de leur capacité à peser effectivement sur les réalités économiques, sociales et financières et leurs évolutions, d’une part, mais aussi de l’adéquation des objectifs poursuivis avec ce que souhaitent les citoyens du monde. Mais il ne faut pas se leurrer : tout comme dans le cadre habituel des Etats-nations, les objectifs ne peuvent être que multiples et les intérêts divers, de sorte que bon nombre de décisions concernant les règles de fonctionnement et les modalités d’intervention publique sont nécessairement le reflet de compromis et d’arbitrages, eux-mêmes éventuellement dictés par des rapports de force. Et c’est, semble-t-il, aujourd’hui, tout autant la piètre légitimité des choix opérés à l’échelle supranationale — mondiale ou européenne —,due aux difficultés qu’il y a à inventer des modes d’intermédiation politiques appropriés, que l’absence de choix politiques qui est en cause dans le débat sur la mondialisation.
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. Rappelons que ces progrès, notamment dans ce qu’il est convenu d’appeler la cliométrie, ont été couronnés par l’attribution d’un prix Nobel, en 1996, à deux historiens-économistes, Douglas North et … Sans parler des succès de quelques historiens-économistes aux deux plus récents concours de l’agrégation des universités françaises en science économique.
. Notamment sur la mesure de la croissance — la controverse entre Bourguignon et LevyLeboyer, d’une part,Toutain (1996) de l’autre, à propos de l’économie française — et plus encore, concernant plus directement le thème de cet article, sur l’ampleur du libre échange et du protectionnisme commercial au XIXème siècle, les désaccords profonds entre Bairoch et Maddison. Voir, notamment : Maddison, 2001 ; Bouët et Le Cacheux, 1999.
.Sur l’histoire de l’intégration de l’économie européenne,et au-delà,bien avant la révolution industrielle, voir : Cipolla, 1976 ; Braudel, 1993 ; Crouzet, 2000. Sur l’économie mondiale, voir notamment : Maddison, 2001.
. Avant la chute de l’Empire romain, il est difficile de se prononcer : les systèmes économiques qui prévalaient ne sont des économies de marché, au sens moderne du terme, de sorte que les précédentes phases de «mondialisation», indéniables, ne sont probablement pas comparables à celles qui se succèdent depuis les IXe-Xe siècles, qui apparaissent comme le début du redécollage européen, après des siècles de recul, puis de stagnation économiques à la suite de la chute de l’Empire romain, des invasions barbares et d’une véritable régression technologique.
Voir, sur l’histoire économique longue : Crouzet, 2000 ; Maddison, 2001.
. Sur ces questions, voir notamment : Eichengreen, 1997 ; Flandreau et Rivière, 1999.
[6] . On lira notamment, sur ces points, le numéro spécial d’Economie internationale (1994) sur le cinquantième anniversaire des Accords de Bretton Woods, et l’ouvrage de Aglietta et Moatti (1999) sur l’histoire du FMI.
.Voir, notamment, Fayolle (1999) et Fayolle et Le Cacheux (2000).
. C’est Léontief (1962) qui, en présentant des résultats paradoxaux sur la structure du commerce extérieur américain,a,le premier,mis l’accent sur la diversité des sources de l’avantage comparatif, suggérant ainsi une extension du concept.
. Sur cette extension de la notion d’avantages comparatifs aux mouvements internationaux de capitaux, voir, notamment : Obstfeld et Rogoff, 1996 ; Equipe INGENUE, 1999 et 2002. Il faut souligner, à ce propos, que, tout comme celui de l’avantage comparatif traditionnel ricardien, le raisonnement concernant les transactions financières et les gains de l’échange intertemporel s’applique indifféremment aux individus ou aux économies nationales.
. Pour une analyse théorique de ces phénomènes, marshalliens, voir Krugman (1992). Les exemples de telles situations sont nombreux, dans presque tous les secteurs d’activité. Mais on peut citer celui des industries « culturelles », dont les évolutions récentes ont montré, d’une manière emblématique, les tendances à la concentration et à l’internationalisation, liées à l’existence d’économies d’échelle et de gamme.
. À titre d’illustration de ces difficultés empiriques, on peut citer les controverses entre historiens économistes sur l’ampleur réelle et le rôle de la libéralisation des échanges commerciaux, notamment dans la deuxième moitié du XIXe siè, en particulier, Bairoch (1999) et Maddison (2001), pour deux points de vue très éloignés sur cette question.
. À la différence d’épisodes précédents de la mondialisation, l’époque actuelle n’est pas, pour des raisons essentiellement politiques, caractérisée par des mouvements internationaux massifs de population, de sorte que nous laissons de côté cet aspect de la mondialisation. Signalons cependant que certains pays développés, dont les États-Unis, le Canada, mais aussi l’Allemagne, sont encore des terres d’immigration importante. Par ailleurs, on peut considérer que les échanges commerciaux et les mouvements internationaux de capitaux constituent des substituts aux migrations des , par exemple, Equipe INGENUE, 1999.
. Là encore, toutefois, les historiens économistes sont loin d’être unanimes. Ainsi l’ampleur de la contraction des échanges commerciaux dans les années 1930 est-elle sujette à controverses, de même que le lien causal entre cette contraction et la Grande dépression.
. Rostow (1953) est à l’origine de la notion de décollage économique, qui n’a jamais eu un grand retentissement dans l’analyse économique traditionnelle, notamment néoclassique. Pourtant, récemment, Lucas (2000) a proposé un petit modèle de l’économie mondiale constituée de pays dont le développement économique diffère parce qu’ils ne connaissent pas tous simultanément un tel décollage. La convergence économique est bien à l’œuvre, dans un tel modèle, mais seulement à très long terme, tandis que l’observation des écarts instantanés de niveaux de vie suggère, au contraire, la permanence des inégalités internationales de développement (cf. infra).
. Voir, sur cette question, notamment : Fitoussi et Le Cacheux, 1994. L’un des inconvénients majeurs de cette discipline exercée par les marchés financiers tient à la nature même de ces marchés financiers, qui ont tendance à avoir un horizon temporel court et sont enclins aux fluctuations excessives, dues à la structure informationnelle de ces marchés. Voir, notamment :
Le Cacheux, 1999, Brossard, 2001.
. Soulignons, une fois encore, que les crises financières elles-mêmes ne sont pas nouvelles, et que leur propagation internationale a été, déjà, l’une des caractéristiques marquantes du précédent épisode de mondialisation, dont on a rappelé qu’il s’était achevé avec le krach boursier de 1929 et sa propagation à l’ensemble de la planète (voir, à ce propos, Kindleberger, 1978). Signalons aussi, pour l’anecdote, que dans les jours qui suivirent ce krach américain, la presse française n’en parla guère, et, lorsqu’elle le fit, ce fut pour tabler sur des effets bénéfiques (!) dont profiterait l’économie française. Aujourd’hui encore, les mécanismes de propagation internationale des crises ne sont pas parfaitement compris.
. Sur la transmission à l’économie européenne et la relative passivité des autorités, nationales et européennes, face à ce ralentissement importé, voir notamment Fitoussi et Le Cacheux, eds, 2002.
[18] . Dans ce cas, toutefois, les gains pour les consommateurs sont loin d’être assurés, dans la mesure où la concentration se traduit aussi par un renforcement du pouvoir de marché des entreprises, qui sont, dès lors, en position de capturer, pour leurs actionnaires, leurs dirigeants ou leurs salariés, la rente dont elles bénéficient.
. Ils profiteront en effet, en tant que consommateurs, des baisses des prix à la consommation, de sorte que leur situation nette pourrait s’améliorer, mais plus modestement que celle des travailleurs qualifiés ou des détenteurs des capitaux. Voir Laborde, Tarascou et YapaudjianThibaut, 2002, pour une étude de cette question dans un cadre d’équilibre général calculable.
. Ce constat débouche naturellement sur la possibilité d’analyser l’économie politique de la libéralisation des marchés et de l’ouverture économique et financière des économies nationales. C’est ce que propose, notamment, Laborde (2002) qui étudie les intérêts des fonds de pensions, investisseurs internationaux majeurs, en matière de politique commerciale.
.Voir, à ce propos, les analyses de Fitoussi et Rosanvallon, 1998.
. Le PIB annuel par tête est actuellement de près de 30 000 dollars aux États-Unis, mais seulement d’environ 500 dollars au Tchad, aux Comores ou en Afghanistan, mesuré en standards de pouvoir d’achat.
. C’est une reprise de l’intuition qui fondait les théories de « l’échange inégal », fort répandues dans les années 1960 et 1970.
.Voir, par exemple, Desdoigts (1998), Barro et Sala i Martin (1991).
.Voir, notamment, les manuels de Barro et Sala i Martin (1996) et de Aghion et Howitt (1998).
. L’adhésion de la Chine à l’OMC, en novembre 2001, en a fait une institution réellement mondiale, même si certains pays ne sont pas encore membres. C’est donc aussi désormais l’une des tribunes internationales majeures au sein de laquelle s’élaborent les règles du jeu économique mondial.
. C’est dans ce registre qu’il faut inscrire le débat sur la taxe Tobin et les restrictions qu’il serait souhaitable d’imposer aux mouvements internationaux de capitaux. On peut également y inclure les questions soulevées à la suite de la faillite de l’entreprise américaine Enron et de l’implication du cabinet d’audit comptable Andersen : il s’agit bien, en effet, des règles applicables en matière de gouvernance, des entreprises et des marchés financiers, cette fois, notamment en ce qui concerne l’information, donc la transparence.
. Sur cette vaste question, on pourra se reporter aux analyses de Aglietta et Moatti (2000).
. Sur ces aspects de l’intégration européenne, voir : Fitoussi, ed., 2000 ; Fitoussi et Le Cacheux, eds., 2002.
. À ce propos, rappelons aussi, pour mémoire que les promoteurs libéraux de l’ALENA, et singulièrement les présidents américains Bush, père et fils, sont de farouches adversaires de tout ce qui pourrait renforcer les possibilités d’intervention publique commune dans la zone, et des partisans déclarés d’une extension de la zone de libre échange de l’Alaska à la Terre de feu. Ils sont également partisans, en principe du moins, d’un accord de libre échange de l’Atlantique nord, avec l’UE.
. Plus généralement d’ailleurs, le problème de la légitimité et du contrôle démocratique des nouvelles institutions de régulation de la mondialisation, non seulement l’Union européenne, mais aussi les institutions internationales telles que le FMI et l’OMC, se pose de manière aiguë.
Voir, à ce propos : Fitoussi, 2002.