MONDIALISATION ÉCONOMIQUE ET
FINANCIÈRE: DE QUELQUES PONCIFS,
IDÉES FAUSSES ET VÉRITÉS
Jacques Le Cacheux
Directeur du Département des études de l’OFCE,
Professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour
La mondialisation économique et financière suscite des débats et controverses dont les termes sont, le plus souvent, emprunts de confusion. Bénéfique pour certains, maléfique pour d’autres, la mondialisation est tantôt parée de toutes les vertus, tantôt affublée de tous les vices. Cet article propose une grille de lecture économique des différentes facettes de ce phénomène contemporain.
En premier lieu, il importe de le replacer dans une perspective historique longue, pour faire ressortir les similitudes entre la période actuelle et les précédents épisodes de mondialisation. Nous passons ensuite en revue les facteurs qui, selon nous, constituent les principaux moteurs de la mondialisation : avantages comparatifs et spécialisation, économies d’échelle et de gamme, goût des consommateurs riches pour la variété, abaissement des coûts de transport et de communication, et libéralisation et ouverture des marchés. La mondialisation qui résulte de la combinaison de ces facteurs procure des gains économiques indéniables, gains mutuels de l’échange, gains de la spécialisation et diffusion internationale des technologies, qui sont susceptibles d’engendrer, à très long terme, une tendance au rattrapage des pays les plus riches par les plus pauvres, donc une certaine convergence économique mondiale. Toutefois, la mondialisation économique et financière comporte aussi des coûts et des inconvénients, notamment en raison des restructurations qu’elle impose, de l’instabilité macroéconomique et financière qu’elle favorise en l’absence de régulations adéquates, et des inégalités qu’elle creuse entre gagnants et perdants, au sein des économies nationales et, dans certaines conditions, entre économies nationales. La dernière partie de l’article aborde la question de la gouvernance de l’économie mondialisée, en évoquant successivement les modalités de la régulation mondiale par les institutions internationales telles que le FMI et l’OMC, et les potentialités offertes par les processus d’intégration régionale, et notamment l’expérience européenne d’union économique et monétaire.
Mars 2002
Hors série
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lors que s’ouvrait en France la campagne électorale pour l’élection présidentielle, les principaux candidats, à l’instar d’une grande majorité de responsables politiques de la planète, se partageaient entre les deux grandes réunions qui, symboliquement, regroupaient, au même moment, les partisans et adversaires de la mondialisation libérale : New York-Davos, pour les uns, Porto Alegre pour les autres. Même s’il ne figure pas au cœur des programmes et des débats de la campagne présidentielle française, le thème de la mondialisation, notamment dans ses dimensions économique et financière, inspire et structure une bonne part des oppositions qui s’y manifestent. Elle suscite, dans les média, des réactions diverses et, dans l’opinion, des sentiments contradictoires, mêlant confusément la fierté nationale à l’annonce d’un grand contrat ou du rachat par une entreprise française d’un concurrent étranger, la satisfaction de savoir que les vins de Bordeaux ou la haute couture française s’exportent dans le monde entier, la colère d’apprendre la délocalisation d’une entreprise ou l’incompréhension au constat des effets dévastateurs de telle ou telle évolution financière ailleurs dans le monde.A entendre tour à tour ses partisans et adversaires, on est tenté d’évoquer à son propos le jugement qu’Esope portait sur la langue : la meilleure et la pire des choses. Le décès, en mars 2002, du grand économiste et prix Nobel James Tobin, concepteur de la taxe du même nom, a, une fois de plus, révélé, par les réactions et commentaires qu’il a suscités de la part des responsables politiques, des journalistes et des experts, l’ampleur des oppositions et incompréhensions qui structurent et obscurcissent les débats sur ce thème : alors que le père de la taxe Tobin lui-même avait, à de nombreuses reprises, exprimé ses réticences à l’égard de l’usage qu’en proposent ses plus fervents partisans, certains de ceux-ci la présentent volontiers comme une arme contre la globalisation financière et la dictature des marchés, tandis que ses adversaires y voient un retour à l’interventionnisme des Etats et une entrave majeure au progrès.
La mondialisation, souvent associée à l’intégration européenne, suscite ainsi des réactions extrêmes et fait naître, dans l’esprit de chacun, des images aux connotations paradoxales : une menace sur notre alimentation, avec les organismes génétiquement modifiés (OGM), la vache folle ou la fièvre aphteuse, sur nos traditions et coutumes, des fromages au lait cru aux périodes de chasse, une menace sur les emplois des secteurs en difficulté, sur les exportations des fleurons de notre industrie, lorsque les Etats-Unis imposent une taxe sur les importations d’acier ou cherchent à s’opposer à l’essor de l’industrie aéronautique européenne ; mais aussi un bienfait lorsque inconsciemment le consommateur bénéficie de l’achat à bas prix de produits importés, qu’il s’agisse d’une « affaire » ou, plus banalement, d’un téléphone portable, d’un micro-ordinateur, ou de l’un quelconque de nombreux biens dont tout ou partie est fabriqué ailleurs dans le monde, à des coûts bien inférieurs à ce que l’on pourrait obtenir au sein de l’économie nationale ; une manne, aussi, lorsque les produits et services qui s’exportent ou les activités liées au tourisme engendrent la création d’emplois nombreux et qualifiés, le versement de salaires, etc.
Phénomène complexe et multidimensionnel, la mondialisation, dans ses aspects économiques et financiers, recouvre en réalité une grande diversité de processus, à l’inéluctabilité incertaine, aux degrés d’interdépendance variables et aux implications très différentes. C’est, en premier lieu, l’ouverture des économies nationales aux transactions internationales et le développement des échanges de biens et services, mais aussi des flux internationaux de capitaux, donc également ce que l’on désigne habituellement par l’expression de globalisation financière. Mais c’est aussi, et au-delà de cette dimension marchande, un processus d’interpénétration croissante des économies nationales, donc d’effacement progressif des frontières, d’affaiblissement des régulations nationales,de déterritorialisation des activités économiques :plus qu’une internationalisation de l’économie, c’est bien une mondialisation des processus de production et des marchés, avec des entreprises qui deviennent des « acteurs globaux », des marchés intégrés, dont les décisions et comportements semblent échapper à toute considération nationale et dicter leur loi aux responsables politiques nationaux.
Depuis l’apparition du capitalisme, son extension géographique, de même que la marchandisation et la monétisation progressive des relations d’échanges au sein des sociétés, a été entraînée par des facteurs qui, sans être invariants d’une époque à l’autre, ont des caractéristiques ès tôt, les économistes ont compris qu’il était dans la nature même de ce régime, et dans l’intérêt des agents qui le composent, d’ouvrir les économies nationales à l’échange : c’est même, dans une très large mesure, sur ce point — et ses corollaires — que les premiers économistes classiques, anglo-saxons notamment (Adam Smith et David Ricardo surtout) se distinguent et s’opposent aux « mercantilistes » qui les ont précédés. On pourrait même soutenir que l’ouverture, ou intégration, économique et financière des territoires, au sens contemporain de ces termes, a précédé la formation des Etatsnations modernes, les mercantilistes ayant contribué à leur émergence en tant qu’entités économiques identifiables en proposant les premières théorisations de l’interventionnisme économique national.Dès lors,l’une des tâches majeures qu’entreprirent les économistes classiques fut de démontrer la supériorité du laisser-faire au plan interne et du libreéchange au plan international en identifiant les gains de l’échange et les sources de ces gains : avantages comparatifs, spécialisation et apprentissage, et économies d’échelle sont très tôt apparus comme les trois grands moteurs de l’extension des marchés, l’échange international n’étant, de ces différents points de vue, qu’une modalité particulière, à l’échelon international, des mécanismes à l’œuvre dans les économies nationales.
Souvent perçue comme un phénomène récent et sans précédent, la mondialisation peut, au contraire, sans doute être reconnue comme une tendance séculaire, probablement depuis le haut Moyen Âge , qui voit le véritable « décollage » économique de l’Europe, grâce, en particulier aux échanges intra-européens et avec les deux grandes civilisations de l’époque, le monde arabe d’une part — qui occupe presque tout le Bassin méditerranéen, y compris l’Italie méridionale, la Sicile et l’Espagne —, et la Chine d’autre part, l’un et l’autre ayant alors un niveau de développement économique et une maîtrise des techniques bien supérieurs à ceux de l’Europe (Crouzet, 2000 ; Maddison, 2001). L’intensification des échanges commerciaux de l’Europe avec ces deux grands empires permet à la fois d’importer en Europe des produits qui n’y étaient pas disponibles et, surtout, des technologies nouvelles, dans l’agriculture notamment, qui vont accroître durablement la productivité, favoriser la croissance démographique et autoriser l’urbanisation en libérant une part de la main-d’œuvre agricole. Avec les explorations puis les conquêtes des « nouveaux mondes », d’abord vers l’Est de l’Europe au début du deuxième millénaire, puis, au-delà des océans, vers les Amériques, l’Asie et l’Afrique, la mondialisation économique prend un nouvel essor à partir de la fin du XVe siècle. La forme qu’elle revêt alors — celle de l’expansionnisme et de l’impérialisme coloniaux à l’extérieur de l’Europe occidentale, celle de l’organisation de l’espace européen lui-même en Etats-nations — perdurera jusqu’au début du XXe siècle et, d’une certaine manière, jusqu’à nos jours.
Derrière les processus contemporains de mondialisation économique et de globalisation financière, comme derrière les précédents épisodes similaires, se trouvent des mécanismes qui constituent l’essence des économies de marché et contribuent à en expliquer l’extension, tant dans l’ordre des rapports entre agents individuels (les individus et les entreprises) que dans celui des échanges entre économies nationales. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut, pour clarifier leur rôle, en tenter un bref recensement.
Traditionnellement, l’analyse de l’échange international a mis l’accent sur le rôle des différences de dotations naturelles et factorielles dans la genèse d’avantages comparatifs entre économies nationales. Selon l’intuition fondatrice de David Ricardo, c’est d’abord sur les différences de ressources naturelles ou de climat, mais également de méthodes de production, reflétées dans des productivités relatives différentes, qu’est fondée l’incitation à l’échange : par rapport à l’autarcie, le bénéfice de l’échange commercial provient, en effet, de la possibilité ainsi offerte à chacune des parties prenantes de se procurer à un prix relatif plus bas les biens pour lesquels elle est comparativement moins productive, en échange de biens dans la production desquels elle est, au contraire, relativement plus efficace. Cette source de gains, fondement traditionnel du libre échange, permet de comprendre le développement du commerce entre des nations disposant de ressources naturelles différentes, mais également entre économies nationales ayant des plus ou moins de capital productif, plus ou moins de main-d’œuvre qualifiée, plus ou moins de certains savoir-faire, etc.
De même que les échanges entre individus sont la condition de la spécialisation et de la division du travail entre eux, les possibilités d’échanges entre économies nationales permettent la spécialisation et la division internationale du travail, donc aussi l’abandon, par chaque économie nationale, des activités productives pour lesquelles elle est relativement le moins efficace. La spécialisation elle-même pouvant, par un phénomène d’apprentissage et d’amélioration progressive des techniques de production, engendrer des gains ultérieurs d’efficacité productive, la division internationale du travail favorise la croissance de la productivité des facteurs : ce sont les gains dynamiques de l’échange international que de nombreuses analyses du commerce international ont soulignés, et dont l’existence semble, en général, avérée par l’histoire longue de l’économie mondiale (Maddison, 2001).
Si tous les facteurs évoqués dans ce qui précède concernent les activités productives et l’offre de biens et services par les entreprises, certaines caractéristiques de la demande émanant des consommateurs poussent également à la mondialisation. Il en est ainsi de l’évidente tendance à la diffusion internationale des modèles culturels, des goûts et des modes de consommation qu’engendre la mondialisation : la diffusion mondiale de la demande de certains biens et services favorise l’internationalisation de leur production ou le développement des échanges. Mais en outre, l’enrichissement des personnes et, plus généralement, l’élévation du niveau de vie autorisent et engendrent une demande de diversité dans la consommation, qui nécessite également l’essor d’échanges internationaux dans tous les secteurs de la consommation, qu’il s’agisse de l’alimentation, où le phénomène est particulièrement apparent, du vêtement, du tourisme et des loisirs, etc. La puissance de ce moteur de la mondialisation du côté de la demande de biens et services conforte le caractère cumulatif des phénomènes d’internationalisation intervenant du côté de l’offre.
Les différents épisodes historiques de mondialisation de l’économie coïncident avec des progrès dans les techniques de transports et de communications. Ainsi, en particulier, la seconde moitié du XIXe siècle bénéficie-t-elle du développement des chemins de fer et des bateaux à vapeur, de l’amélioration du réseau routier et, en matière de communications, de l’extension du télégraphe qui, à partir des années 1860, devient un véritable « réseau mondial » (dont la traduction anglaise est worldwide web, www…) avec la pose des câbles transatlantiques. L’accélération des liaisons et l’abaissement des coûts de transaction qui en résultent sont, au moins en termes relatifs, tout aussi importants que ceux qu’ont engendrés les progrès observés, dans ces domaines, au cours des dernières décennies du XXe siècle.
Bien que la part respective des évolutions techniques et des décisions politiques soit très difficile à évaluer , il est cependant indéniable que les accords commerciaux internationaux, abaissant les obstacles tarifaires et libéralisant progressivement les échanges commerciaux dans le cadre, d’abord du GATT, à partir de 1947, puis de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 1994, les décisions, d’abord américaines, de déréglementation et de libéralisation des transactions financières, relayées par les injonctions d’ouverture financière du Fonds monétaire international (FMI) à l’intention des pays en développement, etc., ont, sinon engendré la mondialisation, du moins facilité et accéléré son essor. Sans doute — bien que dans une mesure difficilement évaluable —, ont-ils aussi influé sur sa physionomie, c’està-dire sur l’importance relative de ses diverses composantes, commerciales, financières, etc. Et à l’inverse, comment nier la responsabilité des politiques dans la longue parenthèse au sein du processus de mondialisation qu’ont constituée les décennies 1930 et 1940 ?
Bien que difficiles à évaluer empiriquement et sujets à controverses quant à leur ampleur, ces divers gains de l’ouverture internationale et de l’échange ont, sur la longue période, une importance indéniable dans la croissance économique des économies nationales. Certes la corrélation entre la croissance économique et la libéralisation du commerce de marchandises ou des mouvements internationaux de capitaux est loin d’être parfaite, au point même que l’une des périodes les plus fastes du point de vue de la croissance, les Trente glorieuses, coïncide avec un fonctionnement sinon autarcique, en tout cas relativement peu ouvert des principales économies développées. Mais sur la longue période et sans que l’on puisse se prononcer avec certitude sur le sens de la causalité, la relation entre ouverture économique et financière et croissance est tout à fait avérée (Maddison, 2001). En outre, a contrario, les périodes de rupture des échanges, pour raisons de guerre par exemple,ou encore,comme dans les années 1930,parce que les gouvernements nationaux cèdent à la tentation du repli et de l’autarcie, sont, de toute évidence, caractérisées par des performances économiques médiocres, voire franchement mauvaises .
Rattrapage et convergence mondiale?
Mais est-ce bien là la mondialisation économique que l’on observe ? Bien sûr, cette vision idyllique des conséquences de l’ouverture internationale des économies et de la mobilité des biens et des capitaux ne correspond, loin s’en faut, à la réalité. Même si certaines conséquences négatives ne sont pas avérées, ni théoriquement ni empiriquement, les inconvénients, dont les opposants à la mondialisation libérale dénoncent l’existence dominante, sont indéniables.
La mondialisation, source d’inégalités?
Bon nombre des opposants déclarés au processus de mondialisation libérale qui caractérise les deux dernières décennies admettent volontiers l’existence de gains de la mondialisation,mais justifient leur hostilité en mettant l’accent sur les inégalités économiques qu’elle engendrerait, tant au sein des économies nationales entre les différents agents économiques, qu’entre économies nationales, aboutissant, à l’échelle mondiale, à un creusement des écarts de développement. Ces reproches sont-ils fondés ? Sans doute, même si, pour reprendre l’expression d’un économiste américain célèbre, « la mondialisation n’est pas [la seule] coupable » (Krugman, 1998).
On sait ainsi depuis longtemps qu’en l’absence de mobilité internationale des facteurs de production et dans un environnement idéal de concurrence parfaite sur tous les marchés, la liberté des échanges commerciaux internationaux engendre une tendance à l’égalisation mondiale des rémunérations des facteurs de production : c’est le théorème de Stolper-Samuelson (voir, notamment : Mundell, 1957 ; Laborde,Tarascou et Yapaudjian-Thibaut, 2002). Il doit s’ensuivre que la main-d’œuvre qualifiée des pays les plus développés et les détenteurs de capitaux bénéficieront de gains importants lors de l’ouverture des économies développées aux échanges avec des pays en retard de développement et, par hypothèse, moins bien dotés en capital et en main-d’œuvre qualifiée ; au contraire, les salariés les moins qualifiés des pays développés devraient y perdre, ou du moins enregistrer des gains nets moindres , tandis que ceux des pays en développement y gagnent. Les choses sont moins simples si les marchés des produits ne sont pas parfaitement concurrentiels, du fait, par exemple, d’économies d’échelle et de gamme, donc de la présence de pouvoirs de marché. Et elles le sont encore moins lorsque au libre échange des biens et services, on associe la mobilité internationale des capitaux, voire, si l’on admet des migrations, des personnes. Dans ces conditions, en effet, l’identification des gagnants et des perdants, de même que l’évaluation des gains et pertes nets, dépend beaucoup des modalités précises que revêt la mondialisation, voire des séquences particulières qui la caractérisent .
Inégalités entre les nations: des «clubs de convergence»?
Puisqu’il existe des gagnants et des perdants au sein des économies nationales, ne doit-on pas s’attendre à retrouver un clivage similaire au niveau de l’économie mondiale, entre des nations qui bénéficieraient de la mondialisation, et d’autres qui, au contraire, en pâtiraient ? Autrement dit, celle-ci ne devrait-elle pas être tenue pour responsable du creusement indéniable des écarts de développement et de niveaux de vie entre les nations que l’on a observé au cours des dernières décennies ? Les faits sont avérés : Maddison (2001) montre ainsi que le niveau de vie des pays les plus riches —est aujourd’hui plus de 60 fois celui des pays les moins avancés , alors que l’écart n’était que de 1 à 5 il y a trois siècles et à peu près inexistant il y a un millénaire ; et qu’en termes absolus, un certain nombre de pays, parmi les plus pauvres — l’Algérie, l’Angola, le Bénin, etc. — ont même enregistré une régression du revenu par tête au cours des décennies les plus récentes.
Il est vrai que la plupart des études empiriques qui ont, ces dernières années, cherché à montrer l’existence d’une convergence économique tendancielle à l’échelle mondiale ont conclu négativement : loin de détecter un resserrement des écarts de développement et de niveaux de vie sur longue période, certaines de ces études ont même mis en évidence des « clubs de convergence », c’est-à-dire des groupes de pays au sein desquels la convergence semble effective, mais sans qu’elle se manifeste entre ces « clubs » . Mais les périodes d’observation sont sans doute un peu courtes pour que ces études soient vraiment concluantes. Et comment interpréter l’existence de tels « clubs de convergence » ? Peut-être par la faiblesse des échanges entre ces groupes de pays, auquel cas la mondialisation en cours y remédierait progressivement dans les décennies à venir. De manière plus conforme aux analyses modernes de la croissance économique, on peut voir dans l’existence de ces clubs et dans la persistance, voire le creusement des écarts de développement entre eux, une manifestation de phénomènes auto-entretenus, tels que ceux qui sous-tendent l’agglomération des activités ou, au contraire, leur dépérissement sur certains territoires, ou encore tels que les dépeignent les analyses moderne de la croissance endogène — par exemple en montrant que les pays les plus développés peuvent se permettre d’investir davantage dans l’éducation ou dans la recherche, ce qui accroît encore leur potentiel de croissance. Mais alors, à nouveau, si les échanges internationaux favorisent la diffusion du progrès technique, et met à la disposition des pays en retard de développement une épargne plus abondante et moins onéreuse, elle devrait favoriser un certain rattrapage.
À la fin de la Seconde guerre mondiale, l’ambition des concepteurs du nouveau système international était de mettre en place des institutions et des règles de fonctionnement fondées sur le multilatéralisme. Il s’agissait alors d’empêcher le retour des comportements nationaux non coopératifs dont la multiplication et la virulence avaient été, dans les années 1930, à l’origine de la Grande dépression puis de la guerre, ou du moins avaient aggravé les problèmes et les tensions. Ces institutions sont, en premier lieu, celles dites de Bretton Woods (1944) — le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale —, mais aussi le GATT, dont le premier accord fut signé en 1947, et qui s’est transformé, en 1994, en Organisation mondiale du commerce (OMC) ; et encore la Banque des règlements internationaux (BRI), qui assure la surveillance des marchés internationaux des capitaux et la coordination des banques centrales des pays développés et élabore, au sein du Comité de Bâle, les grandes lignes de la réglementation bancaire ; et également, le Bureau international du travail (BIT), l’Organisation mondiale de la santé (OMS), etc. De plus, des institutions plus limitées, comme l’OCDE, ou le G7 — qui réunit les dirigeants des sept pays les plus riches du monde —, devenu G8 avec la cooptation de la Russie
Pourtant, les enjeux sont considérables, dans plusieurs domaines, notamment ceux des droits de propriété, de la politique de la concurrence et, plus généralement, des règles de l’échange, et ceux de la stabilité du système économique et financier international. Concernant les premiers, les questions débattues dans les négociations commerciales internationales, dont un nouveau cycle a été ouvert à Doha en novembre 2001, apparaissent cruciales, qu’il s’agisse des droits de propriété intellectuelle — notamment les brevets sur les médicaments (voir l’article de Vincent Touzé et Bruno Ventelou, 2002) ou sur les gènes,végétaux,animaux ou humains —,des exceptions au libre échange acceptables au nom de l’identité culturelle — la fameuse « exception culturelle » —, de la sécurité alimentaire — bœuf américain aux hormones, Organismes génétiquement modifiés (OGM), mais aussi fromages français au lait cru … —, de clauses environnementales ou sociales. De même, l’un des enjeux majeurs de l’élaboration de règles communes dans les divers domaines de l’échange international est la question du règlement des différents surgissant entre les nations : les Etats-Unis peuvent-ils prendre des mesures unilatérales de protection de leur marché intérieur de l’acier ? L’Europe est-elle autorisée à interdire l’importation de viande américaine aux hormones ? Les saisines et,dans certains cas récents,les condamnations prononcées par l’organe de règlement des différents sont autant d’illustrations du rôle qu’assume progressivement l’OMC dans la police et la justice des échanges commerciaux internationaux : une institution multilatérale se substitue peu à peu à la première puissance mondiale (les États-Unis) dans le rôle de « gendarme » du commerce mondial.
La régionalisation, apprentissage de l’ouverture ou rempart?
Les processus d’intégration régionale, et singulièrement l’expérience européenne — qui est la plus aboutie, et dont l’ambition va bien audelà de l’intégration économique et financière, puisque l’on parle d’ores et déjà d’Union européenne — assument, à l’évidence, une part importante des nouvelles modalités de régulation économique. C’est d’ailleurs à ce titre que l’intégration européenne, en particulier, est souvent prise à parti par les critiques de la mondialisation libérale et mise sur le même pied que les autres institutions qui prônent la libéralisation des échanges et l’ouverture des économies nationales. De fait, le rôle et les finalités de l’intégration régionale apparaissent particulièrement ambigus. En effet, les processus d’intégration régionale sont faits d’abord de démantèlement des obstacles à la libre circulation et au libre échange, et de politique de la concurrence qui visent, dans la plupart des cas, à atteindre des conditions de marché aussi libres que possibles, dénuées d’interventions publiques créant des distorsions, etc. : historiquement, il est indéniable que les expériences d’intégration régionale observées au cours des dernières décennies, qu’il s’agisse de l’Union européenne, de l’Accord nord-américain de libre échange (ALENA), etc., ont favorisé et accéléré l’ouverture des économies nationales concernées. En outre, les échanges commerciaux, les flux d’investissements directs et les phénomènes de concentration des activités productives se produisent, pour une part prépondérante, au sein de ces zones régionales d’intégration. Enfin, les modalités précises de ces processus ont eu tendance, ces dernières années, à privilégier la libéralisation et l’ouverture, au détriment d’autres dimensions de l’intégration régionale .
Mais à l’inverse, face à l’affaiblissement effectif des régulations nationales et de la capacité d’intervention des gouvernements nationaux dans des processus économiques et financiers dont l’échelle les dépasse et dont les possibilités de réaction — notamment de la part des marchés financiers, mais aussi des entreprises et, éventuellement des personnes, par « l’exil fiscal » en particulier — exercent sur eux une discipline implacable, la construction européenne, avec ce qu’elle comporte de mise en commun des instruments d’intervention et régulation économique, et plus généralement de souveraineté « partagée », apparaît comme un rempart, au moins virtuel, contre les excès d’une libéralisation radicale. Dans une conception de l’intégration européenne résolument fédérale, visant la construction d’une « Europe puissance », le processus en cours serait alors d’une nature comparable à celui qui a abouti, du XVIIe au XIXe siècle, à la construction des Etats-nations modernes ; la mondialisation, changeant l’échelle pertinente l’intervention publique, engendrerait ainsi, par fusion, à l’émergence d’entités de taille plus importante, mais dont la nature et les finalités ne différeraient guère de celles des nations. Mais il est vrai que la réalité apparaît bien éloignée de cette vision volontariste, et que les modalités de son contrôle démocratique sont encore à inventer .
Ce qui fait aujourd’hui défaut, ce sont les institutions et les mécanismes d’une régulation efficace de l’économie et de la finance mondiale, efficace au double sens de leur capacité à peser effectivement sur les réalités économiques, sociales et financières et leurs évolutions, d’une part, mais aussi de l’adéquation des objectifs poursuivis avec ce que souhaitent les citoyens du monde. Mais il ne faut pas se leurrer : tout comme dans le cadre habituel des Etats-nations, les objectifs ne peuvent être que multiples et les intérêts divers, de sorte que bon nombre de décisions concernant les règles de fonctionnement et les modalités d’intervention publique sont nécessairement le reflet de compromis et d’arbitrages, eux-mêmes éventuellement dictés par des rapports de force. Et c’est, semble-t-il, aujourd’hui, tout autant la piètre légitimité des choix opérés à l’échelle supranationale — mondiale ou européenne —,due aux difficultés qu’il y a à inventer des modes d’intermédiation politiques appropriés, que l’absence de choix politiques qui est en cause dans le débat sur la mondialisation.
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. Rappelons que ces progrès, notamment dans ce qu’il est convenu d’appeler la cliométrie, ont été couronnés par l’attribution d’un prix Nobel, en 1996, à deux historiens-économistes, Douglas North et … Sans parler des succès de quelques historiens-économistes aux deux plus récents concours de l’agrégation des universités françaises en science économique.
.Sur l’histoire de l’intégration de l’économie européenne,et au-delà,bien avant la révolution industrielle, voir : Cipolla, 1976 ; Braudel, 1993 ; Crouzet, 2000. Sur l’économie mondiale, voir notamment : Maddison, 2001.
. Avant la chute de l’Empire romain, il est difficile de se prononcer : les systèmes économiques qui prévalaient ne sont des économies de marché, au sens moderne du terme, de sorte que les précédentes phases de «mondialisation», indéniables, ne sont probablement pas comparables à celles qui se succèdent depuis les IXe-Xe siècles, qui apparaissent comme le début du redécollage européen, après des siècles de recul, puis de stagnation économiques à la suite de la chute de l’Empire romain, des invasions barbares et d’une véritable régression technologique.
Voir, sur l’histoire économique longue : Crouzet, 2000 ; Maddison, 2001.
. Sur ces questions, voir notamment : Eichengreen, 1997 ; Flandreau et Rivière, 1999.
[6] . On lira notamment, sur ces points, le numéro spécial d’Economie internationale (1994) sur le cinquantième anniversaire des Accords de Bretton Woods, et l’ouvrage de Aglietta et Moatti (1999) sur l’histoire du FMI.
.Voir, notamment, Fayolle (1999) et Fayolle et Le Cacheux (2000).
. C’est Léontief (1962) qui, en présentant des résultats paradoxaux sur la structure du commerce extérieur américain,a,le premier,mis l’accent sur la diversité des sources de l’avantage comparatif, suggérant ainsi une extension du concept.
. Pour une analyse théorique de ces phénomènes, marshalliens, voir Krugman (1992). Les exemples de telles situations sont nombreux, dans presque tous les secteurs d’activité. Mais on peut citer celui des industries « culturelles », dont les évolutions récentes ont montré, d’une manière emblématique, les tendances à la concentration et à l’internationalisation, liées à l’existence d’économies d’échelle et de gamme.
. À titre d’illustration de ces difficultés empiriques, on peut citer les controverses entre historiens économistes sur l’ampleur réelle et le rôle de la libéralisation des échanges commerciaux, notamment dans la deuxième moitié du XIXe siè, en particulier, Bairoch (1999) et Maddison (2001), pour deux points de vue très éloignés sur cette question.
. À la différence d’épisodes précédents de la mondialisation, l’époque actuelle n’est pas, pour des raisons essentiellement politiques, caractérisée par des mouvements internationaux massifs de population, de sorte que nous laissons de côté cet aspect de la mondialisation. Signalons cependant que certains pays développés, dont les États-Unis, le Canada, mais aussi l’Allemagne, sont encore des terres d’immigration importante. Par ailleurs, on peut considérer que les échanges commerciaux et les mouvements internationaux de capitaux constituent des substituts aux migrations des , par exemple, Equipe INGENUE, 1999.
. Là encore, toutefois, les historiens économistes sont loin d’être unanimes. Ainsi l’ampleur de la contraction des échanges commerciaux dans les années 1930 est-elle sujette à controverses, de même que le lien causal entre cette contraction et la Grande dépression.
. Voir, sur cette question, notamment : Fitoussi et Le Cacheux, 1994. L’un des inconvénients majeurs de cette discipline exercée par les marchés financiers tient à la nature même de ces marchés financiers, qui ont tendance à avoir un horizon temporel court et sont enclins aux fluctuations excessives, dues à la structure informationnelle de ces marchés. Voir, notamment :
Le Cacheux, 1999, Brossard, 2001.
. Soulignons, une fois encore, que les crises financières elles-mêmes ne sont pas nouvelles, et que leur propagation internationale a été, déjà, l’une des caractéristiques marquantes du précédent épisode de mondialisation, dont on a rappelé qu’il s’était achevé avec le krach boursier de 1929 et sa propagation à l’ensemble de la planète (voir, à ce propos, Kindleberger, 1978). Signalons aussi, pour l’anecdote, que dans les jours qui suivirent ce krach américain, la presse française n’en parla guère, et, lorsqu’elle le fit, ce fut pour tabler sur des effets bénéfiques (!) dont profiterait l’économie française. Aujourd’hui encore, les mécanismes de propagation internationale des crises ne sont pas parfaitement compris.
. Sur la transmission à l’économie européenne et la relative passivité des autorités, nationales et européennes, face à ce ralentissement importé, voir notamment Fitoussi et Le Cacheux, eds, 2002.
[18] . Dans ce cas, toutefois, les gains pour les consommateurs sont loin d’être assurés, dans la mesure où la concentration se traduit aussi par un renforcement du pouvoir de marché des entreprises, qui sont, dès lors, en position de capturer, pour leurs actionnaires, leurs dirigeants ou leurs salariés, la rente dont elles bénéficient.
. Ce constat débouche naturellement sur la possibilité d’analyser l’économie politique de la libéralisation des marchés et de l’ouverture économique et financière des économies nationales. C’est ce que propose, notamment, Laborde (2002) qui étudie les intérêts des fonds de pensions, investisseurs internationaux majeurs, en matière de politique commerciale.
.Voir, à ce propos, les analyses de Fitoussi et Rosanvallon, 1998.
. Le PIB annuel par tête est actuellement de près de 30 000 dollars aux États-Unis, mais seulement d’environ 500 dollars au Tchad, aux Comores ou en Afghanistan, mesuré en standards de pouvoir d’achat.
. C’est une reprise de l’intuition qui fondait les théories de « l’échange inégal », fort répandues dans les années 1960 et 1970.
.Voir, par exemple, Desdoigts (1998), Barro et Sala i Martin (1991).
.Voir, notamment, les manuels de Barro et Sala i Martin (1996) et de Aghion et Howitt (1998).
. L’adhésion de la Chine à l’OMC, en novembre 2001, en a fait une institution réellement mondiale, même si certains pays ne sont pas encore membres. C’est donc aussi désormais l’une des tribunes internationales majeures au sein de laquelle s’élaborent les règles du jeu économique mondial.
. C’est dans ce registre qu’il faut inscrire le débat sur la taxe Tobin et les restrictions qu’il serait souhaitable d’imposer aux mouvements internationaux de capitaux. On peut également y inclure les questions soulevées à la suite de la faillite de l’entreprise américaine Enron et de l’implication du cabinet d’audit comptable Andersen : il s’agit bien, en effet, des règles applicables en matière de gouvernance, des entreprises et des marchés financiers, cette fois, notamment en ce qui concerne l’information, donc la transparence.
. Sur cette vaste question, on pourra se reporter aux analyses de Aglietta et Moatti (2000).
. À ce propos, rappelons aussi, pour mémoire que les promoteurs libéraux de l’ALENA, et singulièrement les présidents américains Bush, père et fils, sont de farouches adversaires de tout ce qui pourrait renforcer les possibilités d’intervention publique commune dans la zone, et des partisans déclarés d’une extension de la zone de libre échange de l’Alaska à la Terre de feu. Ils sont également partisans, en principe du moins, d’un accord de libre échange de l’Atlantique nord, avec l’UE.
. Plus généralement d’ailleurs, le problème de la légitimité et du contrôle démocratique des nouvelles institutions de régulation de la mondialisation, non seulement l’Union européenne, mais aussi les institutions internationales telles que le FMI et l’OMC, se pose de manière aiguë.
Voir, à ce propos : Fitoussi, 2002.