Cours d’introduction à la finance structuree
Cours d’introduction à la finance structurée
La finance structurée est souvent mentionnée comme la cause de la dernière crise financière. Nous argumentons que la finance structurée, en soi, n’est pas en cause. La crise qui s’est étendue au monde entier est plutôt due à une mauvaise gestion des risques, soit des problèmes d’agence dans la titrisation des dettes hypothécaires, des mauvais critères de notation et de tarification de produits structurés, des problèmes de conflit d’intérêt des agences de notation, un manque de transparence dans les marchés, la recherche de rendements élevés par les hauts dirigeants des institutions financières et la faiblesse des banques centrales et des agences de réglementation à comprendre toutes les implications du nouvel environnement financier.
Introduction
La finance structurée inclut tous les arrangements financiers avancés servant à refinancer et à couvrir efficacement le risque de crédit de toute activité économique. Elle a changé le rôle des banques et le fonctionnement des marchés financiers et monétaires. Dans plusieurs pays, la finance structurée est maintenant une activité économique très importante, ayant modifié complètement les liens entre les emprunteurs, les prêteurs et les investisseurs. La finance structurée est, par contre, souvent pointée comme étant la cause majeure de la dernière crise financière.
L’objectif de cet article est de montrer que la finance structurée en soi (et ses produits complexes) n’a pas causé la crise financière; le problème se situe plutôt au niveau de la gestion déficiente de ses risques durant les années précédant la crise. Nous pouvons énumérer les problèmes d’agence dans le marché de la titrisation, les mauvaises notations et tarifications des produits financiers structurés, les problèmes d’incitation des agences de notation à donner des évaluations objectives, le manque de transparence des marchés, la recherche de rendements élevés à court terme par des hautes directions non motivées par la stabilité financière à long terme de leur entreprise et la défaillance des régulateurs et des banques centrales à comprendre les implications d’un environnement financier en évolution.
Plusieurs banques importantes ont fait faillite, alors que des gouvernements et des banques centrales ont eu à sauver un grand nombre d’autres institutions financières. Ces sauvetages (bailouts) ont servi à protéger les marchés financiers à court terme sans résoudre les problèmes de fonds associés à cette crise. Dans cet article, nous mettons l’emphase sur le rôle de la gestion des risques pour restaurer la confiance dans les marchés.
1 Cet article a été présenté au Forum canadien sur le management tenu à Montréal le 30 septembre 2009. Les commentaires de Richard Guay, Shady Aboul-Enein et Nicolas Papageorgiou ont permis d’en améliorer le contenu. Danielle Blanchard et Claire Boisvert ont contribué à la préparation de la version française.
La finance structurée
La finance structurée est un concept à facettes multiples. Pendant plusieurs années, elle a été associée aux produits dérivés et considérée marginale dans les marchés économiques et financiers. Au cours des années 1990, elle est devenue une partie importante de l’économie et un sujet de préoccupations durant la dernière crise financière.
La finance structurée a amélioré la liquidité des marchés et la gestion du risque de crédit. Son influence sur les échanges des produits financiers a généré des effets majeurs sur l’organisation du crédit de détail (retail) et son prolongement dans les marchés financiers. Ces effets commencent à être mieux expliqués et compris. Ils ont varié au cours du temps et ont généré des conséquences complexes, souvent non anticipées.
La finance structurée a affecté la nature des produits financiers en y introduisant de nouveaux produits de plus en plus complexes, comme ceux liés à la titrisation du risque de crédit par les banques tels les CDOs (obligations adossées à des créances) et le PCAA (papier commercial adossé à des actifs). Ces produits financiers impliquent l’utilisation de mathématiques avancées et l’élaboration de nouveaux types d’actifs et de contrats sophistiqués exigeant la collaboration d’intervenants de plusieurs disciplines (mathématiciens, avocats, fiscalistes, analystes financiers, etc..). Ils requièrent aussi des capacités élevées de calcul et la gestion appropriée de grandes bases de données. Vu leur liquidité, ces produits remettent en question les méthodes traditionnelles de réglementation des marchés financiers et de gestion de la politique monétaire.
La finance structurée a été principalement motivée par la couverture du risque de crédit via l’utilisation de dérivés de crédit (CDS) et la titrisation des prêts des banques aux investisseurs. À titre d’exemple, la titrisation d’un panier de prêts bancaires à des fiducies vise le transfert du risque de crédit des banques à différents groupes d’investisseurs tels les fonds de retraite, les entreprises industrielles et de service, les fonds de couverture et même d’autres banques. Ces fiducies restructurent des paniers de prêts (de classe moyenne BBB, par exemple) en différentes tranches d’actifs représentant divers risques, qui sont vendues selon les appétits des acheteurs. La restructuration des paniers d’actifs en tranches ressemble au montage de la structure de capital d’une entreprise. La tranche la plus risquée, appelée équité, est la première à prendre le risque de défaut et elle procure un rendement plus élevé. Les tranches supérieures, moins risquées, peuvent même obtenir la note AAA si les corrélations du risque de défaut entre les tranches sont très faibles.
Le marché des CDOs a crû rapidement depuis l’an 2000. Les banques représentent les joueurs les plus actifs dans ce marché, même si les compagnies d’assurance, les fonds de retraite et les fonds de couverture ont pris de l’importance. Avec la croissance des fonds de couverture et leur demande pour des actifs à rendements élevés, les vendeurs des produits structurés ont accéléré leur transfert du risque de crédit, particulièrement celui des tranches les plus risquées. Les faibles taux d’intérêt dans les marchés monétaires ont motivé ces mêmes vendeurs à construire de plus en plus de tranches AAA de produits structurés en utilisant des paniers de risques de classes inférieures pour satisfaire les besoins des gestionnaires des fonds de retraite. Cet exercice a souvent négligé les corrélations réelles entre les différentes tranches de risque.
La titrisation du risque de crédit par les banques a été motivée par des besoins de liquidités et des possibilités d’arbitrage réglementaire sous Bâle I, parce que les banques voulaient vendre des actifs pour réduire leur capital réglementaire. Avec le nouvel accord sur le risque de crédit (Bâle II), la motivation de l’arbitrage réglementaire est devenue moins importante mais les nouvelles règles de capital pour les produits financiers AAA ont créé des distorsions dans l’allocation du capital des banques.
Mauvaise gestion des risques
Depuis l’année 2000, on a assisté à une transformation rapide et considérable des marchés financiers, alors les banques américaines et d’autres institutions de crédit de détail ont commencé à transférer leurs prêts hypothécaires peu solvables (prêts subprime) aux marchés financiers en utilisant les différents instruments de transfert du risque de crédit via la titrisation. Durant cette période, l’attribution de cotes AAA à des tranches de ces produits très risqués par les agences de notation a été une erreur évidente, puisque plusieurs de ces produits ont fait défaut dès le début de la crise subprime en 2005. Par la suite, plusieurs de ces produits structurés ont été décotés par les agences de notation, mais il était déjà trop tard : les principaux dommages avaient déjà été faits.
Durant cette période, on a transformé des actifs hypothécaires de basse qualité en des actifs financiers ayant une cote de risque jugée acceptable pour les investisseurs. Ces découpages (tranching) des PCAA et des CDOs utilisaient cependant des tranches de risques de défaut effectifs beaucoup plus élevés que ceux soupçonnés et incomparables à ceux des obligations traditionnelles ayant la même cote de risque. La crise financière en a été accélérée, puisque que les banques de détail ont subi des pressions des marchés financiers pour accroître leur offre de prêts hypothécaires à haut risque et générer des actifs structurés à rendements élevés durant une période où les taux d’intérêts étaient faibles. Ce reformatage des instruments financiers était très lucratif et a encouragé l’émission d’une deuxième génération de CDOs (CDO squared) qui, elle, a accru la demande de la première et celle des titres adossés à des créances hypothécaires (MBS). Lorsque les prêts hypothécaires subprime ont commencé à faire défaut, ces produits financiers ont externalisé les dommages aux marchés financiers internationaux. La crise financière a aussi causé des dommages externes à l’économie réelle (chômage) et à l’économie monétaire (conditions de crédit difficiles pour les consommateurs et les entreprises, même si les taux d’intérêt des banques centrales étaient très faibles). Elle a miné la confiance des consommateurs envers les institutions financières et les agences de notation qui les ont entraînés, de même que les investisseurs, à prendre des risques trop élevés. Nous pouvons isoler quatre problèmes majeurs de gestion des risques reliés au marché de la finance structurée durant cette période.
Absence de contrats incitatifs en présence d’asymétrie d’information
Les banques et les courtiers d’hypothèques immobilières étaient peu incités à la vigilance et à la surveillance des risques des emprunteurs immobiliers parce qu’une large portion de leur prêts était titrisée sans clause contractuelle optimale en présence de risque moral. En effet, ils pouvaient même transférer tous leurs risques de défaut aux marchés financiers. Le même problème d’incitation était présent pour les assureurs et les autres acteurs du marché qui ont diversifié leur portefeuille de risque et géré leur capital en utilisant la titrisation. Comme leurs pertes potentielles étaient transférées aux marchés financiers, ces institutions de première ligne étaient moins enclines à la vigilance face au risque de défaut de leurs clients. L’antisélection était aussi présente : des produits financiers BBB (note minimale pour avoir accès aux CDOs) ont été vendus à des fiducies alors qu’ils étaient en fait des BB.
Mauvaise évaluation des produits structurés par les agences de notation
En tant que partie prenante de la titrisation, les intermédiaires achètent des actifs à long terme, comme des prêts hypothécaires, et les financent avec des titres adossés à des actifs tels le PCAA et les CDOs. Obtenir une notation élevée des agences de notation est essentiel pour faire des profits. Lorsque la crise financière a commencé, en 2007, le PCAA a été décoté et les intermédiaires n’ont pu continuer à faire rouler leur papier commercial. Cette situation les a obligés à demander du financement à leurs commanditaires, les banques d’investissement, entraînant le déclin de plusieurs banques et une crise de liquidités dans plusieurs marchés tel celui du papier commercial au Canada, contaminé par les produits américains. Durant la même période, les CDOs ont généré des profits en reformatant des pools de prêts risqués et en les vendant sous forme de tranches obligataires. Les profits associés à cette activité de structuration sont plus élevés lorsque les produits ont une cote de crédit élevé. Il était cependant difficile, pour les agences de notation, d’évaluer ces actifs de plus en plus complexes, ne disposant d’aucun modèle ni des données nécessaires pour le faire. Elles ont donc noté ces tranches comme si elles notaient des obligations régulières, sans tenir compte des vraies corrélations entre les tranches des produits structurés. Il fut aussi très difficile pour les acheteurs de ces tranches de surveiller et de répliquer les notations de ces produits structurés, puisqu’ils n’avaient ni les données ni les modèles pour le faire.
Mauvaise tarification de produits financiers complexes
Une autre cause de la crise courante réside dans les prix de ces instruments financiers structurés, souvent trop bas et ne reflétant pas leur vraie exposition au risque. Ces produits contenaient du risque systémique non pris en compte dans la tarification. Un risque systémique apparait lorsque des événements dans un marché affectent d’autres marchés. Par exemple, lorsque les difficultés sont survenues dans le PCAA, plusieurs gestionnaires du marché monétaire ont transféré leurs ordres au marché des bons du trésor, induisant ainsi un accroissement des prix et une baisse des rendements. Ces externalités ont été amplifiées par un manque de transparence dans les marchés. Dans le cas des PCAA au Canada, plusieurs investisseurs ne savaient pas si ces produits étaient contaminés par des produits subprime américains ou autres, mais toutes sortes de rumeurs circulaient. Nous savons maintenant que seulement quelques fiducies impliquées dans l’accord de Montréal détenaient des produits contaminés, représentant 6 % de l’exposition au risque. Les rumeurs de leur présence ont rendu les marchés non liquides, forçant plusieurs investisseurs, tels les fonds de retraite et les fonds de couverture, à vendre de bons actifs à rabais, réduisant ainsi la valeur de ces actifs.
La mauvaise réglementation de la finance structurée
Il importe d’insister sur le fait que la réglementation courante des risques est limitée aux banques et aux banques d’affaires. Les fonds de retraite et les fonds de couverture ne sont pas réglementés dans la plupart des pays. La réglementation de Bâle II doit elle-même être blâmée, parce qu’elle a réduit significativement le capital requis pour les actifs AAA. Les banques furent donc attirées par les nouveaux produits structurés AAA alors que les vendeurs étaient motivés à obtenir la cote AAA pour ces produits. Ce phénomène a augmenté la pression sur les agences de notation. Les cotes AAA de ces produits ont aussi affecté significativement le comportement d’achat des fonds de retraite, des compagnies d’assurances et des fonds mutuels. En effet, les bons du trésor offraient des taux plus faibles, alors qu’ils ne représentaient pas vraiment des risques plus bas aux yeux des investisseurs n’utilisant que les cotes AAA des agences de notation pour prendre leur décision.
Leçons à retenir pour la gestion des risques
Pourquoi des investisseurs ont-ils acheté ces produits risqués et pourquoi ces derniers ont-ils été offerts? Avant 2007, il y avait très peu de défauts des produits structurés et pas de raison apparente d’inquiétude. Par contre, comme les taux d’intérêts étaient très bas, les investisseurs ont été très attirés par les rendements élevés offerts par les produits structurés AAA, ce qui a occasionné des baisses d’écarts de taux d’intérêt. Même si ces produits offraient toujours des rendements un peu plus élevés que les actifs de court terme traditionnels, ils n’ont pas compensé de façon appropriée les investisseurs pour les risques encourus, les prix ne reflétant pas l’exposition au risque systémique de ces produits. Tel que décrit précédemment, le marché des produits structurés a crû de façon exponentielle durant les années 2000 et les banques ont réalisé des profits importants en développant et structurant ces nouveaux produits. Il est aussi bien documenté que les agences de notation ont commis des erreurs. Elles étaient en conflit d’intérêt, puisque les émetteurs de ces produits sont soupçonnés d’avoir payé pour les notations obtenues; certains croient même que les agences de notation étaient parties prenantes dans le montage de ces produits. Les régulateurs et les banques centrales n’ont ni anticipé, ni remarqué ces problèmes.
Plusieurs investisseurs ont perdu des sommes importantes depuis le début de la crise financière en n’appliquant pas les principes de base de la gestion des risques :
- l’appétit du risque des dirigeants n’est pas défini dans plusieurs entreprises;
- la gestion des risques intégrée n’est pas bien établie dans plusieurs entreprises;
- les politiques de gestion des risques ne sont pas appuyées par la haute direction.
Dans plusieurs organisations, le focus sur la gestion des risques semble être cyclique, atteignant des sommets après les crises.
Avant la crise financière, la sous-estimation des risques de défaut et de liquidités des nouveaux produits financiers structurés signalaient une mauvaise gestion des risques. Plusieurs produits furent introduits dans les années précédant la crise et plusieurs investisseurs les ont adoptés, sans bien comprendre leurs risques, parce qu’ils ne disposaient pas d’instruments appropriés pour les évaluer. Ils ont donc acheté ces produits financiers complexes comme s’ils étaient des produits standards, sans qu’il n’y ait d’analyse des queues des distributions des rendements ni de tests (backtesting et stress testing) sur les risques réels que représentaient ces produits. La fonction de gestion des risques est devenue caduque pour la haute direction de plusieurs fonds et entreprises, qui ont délégué à toutes fins pratiques leurs analyses du risque de crédit aux agences de notation, qui elles mêmes éprouvaient des problèmes d’éthique et d’indépendance. Plusieurs leçons doivent être retenues de cette crise.
Pour le système de la finance structurée, les émetteurs de produits structurés doivent être davantageresponsables. Ils doivent conserver une fraction importante des paniers de prêts qu’ils émettent; possiblement la tranche complète d’équité et une fraction des tranches plus seniors en présence de corrélation des risques entre les tranches. Ceci devrait résulter en une augmentation de l’incitation à appliquer une meilleure gestion des risques dans l’émission des prêts et à obtenir de meilleurs portefeuilles de prêts à titriser.
Nous avons besoin d’une plus grande transparence dans le découpage des produits structurés. Les participants au marché et les chercheurs doivent être capables de répliquer la composition des produits structurés. Des bases de données publiques doivent être disponibles pour étudier la composition de ces produits. La complexité croissante des produits financiers structurés représente des défis majeurs en ce qui a trait à la gestion efficace et à la dissémination de l’information. Plus de transparence s’avère donc indispensable dans le marché du crédit, particulièrement lorsque les prêts sont titrisés.
La notation de ces produits requiert aussi plus de transparence. Tout bon chercheur ou investisseur est en mesure de valider les notations des obligations standards parce que les données sont disponibles et les méthodes de notation peuvent être répliquées. Ceci devrait être vrai pour les produits structurés; nous avons aussi besoin de plus de transparence dans la tarification de ces produits.
Des changements institutionnels dans plusieurs pays sont nécessaires pour renforcer l’indépendance ou réduire la vulnérabilité face aux externalités des marchés internationaux. Les institutions doivent comprendre la technologie disponible. Une collecte de données communes et des méthodes peu coûteuses de communication entre les institutions financières devraient générer des outils efficaces permettant de vérifier et répliquer les analyses des agences de notation et le formatage des produits structurés des fiducies. Ces données devraient être disponibles à tout groupe d’investisseurs, comme si elles étaient des données de marché. Le marché des PCAA au Canada ne se serait pas effondré en 2007 si le marché avait été plus transparent, car nous savons maintenant que seulement 6 % de son volume était contaminé par les subprime Américains.