Cours sur la finance d’entreprise et finance de marche

Cours sur la finance d’entreprise et finance de marché
La complémentarité entre finance d’entreprise et finance de marché a été à la fois dialectique et méthodologique dans le cadre d’une spécialisation des deux approches et d’une définition restrictive des contours de ces disciplines, en particulier, vis-à vis de l’intégration de l’ « organisation » dans les modèles de finance d’entreprise et de finance de marché.
La « dialectique de la complémentarité » crée inévitablement la tentation de synthétiser les approches complémentaires de la finance d’entreprise et de la finance de marché dans le cadre d’une meilleure représentation du processus de décisions financières dans les entreprises et les groupes ou/et d’une meilleure représentation de la gestion des risques correspondants. La finance d’entreprise et la finance de marché ne sont-elles pas elles-mêmes le fruit d’un « décloisonnement » entre trois anciennes disciplines traditionnelles : l’économie monétaire et financière, l’intermédiation et la gestion bancaire et l’évaluation et la gestion des entreprises ? Après une spécialisation intensive dans ces anciennes disciplines, la « finance moderne » s’est elle-même organisée et spécialisée en « finance d’entreprise » et « finance de marché » et il est probable que le « décloisonnement » entre elles se poursuivra, faisant apparaître de nouvelles approches scientifiques synthétisant certains aspects des deux. Mais si les contours des disciplines sont destinés à évoluer, la limite à de tels processus de synthèse ou de décloisonnement réside dans l’exigence de cohérence et d’efficacité de la modélisation.
Les contributions qui seront présentées durant ce Colloque confirmeront, démentiront ou nuanceront ce propos introductif.
Introduction :
Après un demi -siècle de développement de la littérature consacrée à la finance d’entreprise et à la finance de marché, l’étude de leurs relations implique pour celui qui prétend s’y livrer la référence implicite ou explicite à sa « cosmogonie », c’est-à dire à la façon dont il se situe dans l’univers de la Finance : A-t-on une perception et une compréhension de l’ensemble de l’univers ou se spécialise-t-on plus ou moins tôt dans l’étude d’une de ses « planètes », que l’on pourra appeler « Finance managériale » ou « finance scientifique », « finance d’entreprise », « finance de marché », « finance internationale », modélisation des comportements et des pratiques de gestion et de régulation de « la banque » ou de l’ « entreprise d’investissement » ou bien d’autres planètes ? Comme l’a très bien expliqué Stephen W. HAWKING dans le domaine de l’astrophysique (1), les découvertes et démonstrations scientifiques dans des domaines particuliers, comme les trous noirs par exemple, ont été tributaires de la représentation que les chercheurs avaient de l’univers, de sa formation, de son expansion mais aussi de sa contraction, et des relations avec les autres disciplines comme la biochimie par exemple. Il en est de même en finance avec les progrès de la théorie économique, qu’elle concerne le marché, l’entreprise, l’organisation et la rationalité limitée, l’équilibre général et les équilibres partiels, l’intégration de l’information et de la communication dans le fonctionnement des marchés, la méso- économie et l’économie industrielle issue des travaux statistiques des centrales de bilans, de la comptabilité nationale et de la prise en compte des structures de groupes, etc…
Dans chacun de ces compartiments, les recherches ont été fortement influencées par l’approche « scientifique » choisie, tant il est vrai que, comme l’a fait remarquer avec humour il y a longtemps David BENDEL – HERTZ(2), la « science est faite de théories auxquelles personne ne croit, sauf celui qui les a présentées en premier, et de faits que tout le monde croit, sauf celui qui les a étudiés en dernier ». Il est vrai que l’approche des sciences de gestion a conduit à des hypothèses théoriques moins restrictives, à des explications plus satisfaisantes de « la réalité » et, en particulier, des comportements et des pratiques de gestion. Encore doit-on faire remarquer aux professionnels, qui opposent trop souvent « théorie » et « réalité » ou théorie et « pratique », que la théorie financière a généralement bien anticipé l’évolution de « la réalité » dans des domaines aussi divers que l’intégration internationale des marchés boursiers et la diversification internationale de portefeuille, ou l’évolution de la structure des marchés boursiers et la microstructure des marchés, ou l’intermédiation bancaire et la banque « entreprise de prestations de services et de gestion des risques »……… La théorie a aussi su proposer de « nouvelles pratiques » lorsque les pratiques du moment étaient inspirées par des aspects juridico-institutionnels contingents ou lorsqu’elles n’étaient pas spécialement justifiées ; de la même façon que la théorie peut enrichir les hypothèses et la forme des relations par l’observation des pratiques de gestion, de même, la théorie permet de distinguer les bonnes et les mauvaises pratiques de gestion, celles qui débouchent sur la cohérence et l’efficacité des performances et celles qui doivent être abandonnées.
Notre cosmogonie est évidemment tributaire de notre itinéraire d’enseignement et de recherche, c’est-à-dire de 43 ans d’enseignement et de recherche en sciences économiques puis depuis 1982, en sciences de gestion, et, en particulier, de la direction jusqu’à soutenance, durant ces 25 dernières années dans le cadre du CETFI D’AIX-MARSEILLE, d’une cinquantaine de thèses (3) partagées également entre la finance d’entreprise et la finance de marché. Elle est également influencée par plus de trente ans de synergie avec les milieux professionnels financiers, tant au titre des stages et missions dans les entreprises et les banques que dans le cadre d’activités de consulting et d’expertise judiciaire en « diagnostic » et « gestion » d’entreprise » et en « banque –finance-bourse ».
En tant qu’exposé introductif au présent colloque, cette intervention n’a évidemment aucune prétention à l’exhaustivité dans le champ couvert. De même, elle a dû se contenter de citer des auteurs représentatifs d’étapes dans l’évolution de la littérature à long terme ; mais elle a dû renoncer pratiquement aux références bibliographiques traditionnelles, compte tenu du champ qu’elle couvre, c’est-à- dire deux compartiments aussi anciens et aussi larges que la « finance d’entreprise » et la « finance de marché » ; les références bibliographiques auraient pris plus de place que le texte de l’intervention lui-même, tout en restant arbitraires ! En revanche, notre intervention nous conduira à expliciter des choix méthodologiques relatifs d’une part, à la nature des outils scientifiques utilisés et au contour des disciplines économiques et de gestion et, d’autre part, aux limites de la spécialisation comme de la synthèse.
Pour tenter de répondre à la question posée : « Finance d’entreprise et finance de marchés, quelles complémentarités ?», il nous semble indispensable de distinguer deux formes de complémentarité :
une « complémentarité dialectique » ou si l’on préfère, une « dialectique de la complémentarité » entre les disciplines ;
et une « complémentarité méthodologique », qui consiste à proposer l’intégration d’outils d’analyse considérés comme « complémentaires » dans un même modèle explicatif ;
La complémentarité entre finance d’entreprise et finance de marché a été à la fois dialectique et méthodologique dans le cadre d’une spécialisation des deux approches et d’une définition restrictive des contours de ces disciplines, en particulier, vis-à vis de l’intégration de l’ « organisation » dans les modèles de finance d’entreprise et de finance de marché.
En revanche, les problèmes de complémentarité méthodologique se sont posés en termes différents à l’occasion de l’intégration de l’ « organisation » dans les modèles de finance d’entreprise et de finance de marché, compte tenu d’un élargissement parfois trop rapide des contours des deux disciplines.
I- Complémentarité dialectique et complémentarité méthodologique dans le cadre d’une définition restrictive des contours de la finance d’entreprise et de la finance de marché.
II - Complémentarité méthodologique et intégration de l’ « organisation » dans les modèles de finance d’entreprise et de finance de marchés
I - Complémentarité dialectique et complémentarité méthodologique dans le cadre d’une définition restrictive des contours de la finance d’entreprise et de la finance de marché.
C’est un lieu commun de dire que l’analyse financière de l’entreprise et des groupes conduit inexorablement à la théorie des marchés financiers et, vice versa, qu’une formalisation croissante du fonctionnement des marchés boursiers doit prendre en compte les mécanismes des décisions financières dans l’entreprise. La spécialisation dans l’un de ces deux compartiments n’exclut pas la complémentarité, mais au contraire l’appelle naturellement. Donnons-en quelques illustrations.
Les travaux de MODIGLIANI et MILLER sur la neutralité du dividende ou sur la neutralité de la structure du capital vis-à-vis de la valeur de la firme avaient pour objectif de formaliser les décisions financières sous hypothèse générale de maximisation de la richesse de l’actionnaire. Or pour cela, MM ont fait référence au mécanisme de l’arbitrage et, plus largement, au marché boursier qui détermine la valeur de l’entreprise. Nous en sommes à la construction de l’analyse financière de la firme, qui ne se démarque pas encore nettement de la théorie des marchés financiers. Les hypothèses nécessaires à la modélisation peuvent paraître bien restrictives avec le recul du temps par rapport à l’objectif de formaliser les décisions financières ou la gestion financière de l’entreprise ; elles étaient nécessaires pour jeter les bases d’une finance « scientifique » allant autant des décisions financières de l’entreprise à la valeur de l’action que des mécanismes du marché boursier à la valeur de l’action. La dialectique de la complémentarité entre finance d’entreprise et finance de marché apparaît évidente dès cette première phase.
L’évolution se poursuit par un approfondissement croissant de l’analyse financière de la firme qui devient progressivement la finance d’entreprise et n’aborde plus qu’indirectement les principaux résultats de la théorie des marchés financiers. Grossièrement, des années 1950 à la fin des années 1970, les modèles de finance d’entreprise (4) se perfectionnent et se rapprochent des conditions de prise de décisions financières en intégrant les chaînons explicatifs issus de l’analyse des décisions d’investissement, de financement(d’endettement et de distribution) et de trésorerie (risque de faillite) et de leurs répercussions sur la valeur de l’entreprise.
Cette intégration était complexe car ces trois types de décisions sont interdépendantes. La décision de réalisation d'un programme d'investissements considérés comme rentables implique que le problème du financement de ces investissements ait été résolu. Dans la décision de financement, la direction de l'entreprise doit tenir compte simultanément des contraintes du financement de l'investissement mais aussi des "contraintes de l'actionnariat", c'est-à-dire des exigences et des anticipations des actionnaires et plus largement des investisseurs du marché boursier.
La volonté d’établir une liaison simple entre cours et dividendes, en définissant la valeurd’une société comme la capitalisation des dividendes espérés au cours d’un horizon temporel de l’investisseur boursier, a vite fait apparaître la nécessité de complexifier la finance d’entreprise et de la spécialiser par rapport à la finance de marché :
-le taux d’actualisation (coût moyen pondéré du capital) dépendra de la politique d’investissement et de la politique de financement de la firme,
-il y a différentes catégories d’investisseurs et donc différents types d’horizon temporel (gestion individuelle de portefeuille, sociétaires, investisseurs institutionnels, asset management…)
-il y a différents types d’aversion pour le risque (inviders, insiders, leaders, followers, …)
-il faut prendre en considération les problèmes d’ « asymétrie d’information » entre les différentes catégories d’investisseurs, entre les investisseurs et les managers, entre les propriétaires et les dirigeants, entre les dirigeants et les créanciers.
Comme on le sait, la thèse de la neutralité du dividende de MODIGLIANI et MILLER, elle-même reliée à leur thèse de la neutralité de la structure financière de la firme et au principe d’arbitrage a été développée en deux temps : dans le cadre de marchés de capitaux parfaits et dans un monde de certitude, puis en réintégrant l'incertitude et les imperfections des marchés de capitaux . L’objectif majeur était de savoir si un investissement (l’achat d’une entreprise) vaut la peine ou non d'être entrepris ; même si le choix du type de financement n’est pas indifférent aux actionnaires ou aux dirigeants de l'entreprise, il ne saurait conditionner la décision d’investissement. Ainsi était posé le principe de la neutralité du financement dans la décision d'investissement et la neutralité du dividende par rapport au cours de l’action.
Comme on le sait, la thèse de la neutralité du dividende n’a pas survécu aux critiques théoriques de LINTNER et aux vérifications statistiques qui ont suivi. En revanche, on retrouve le principe d’arbitrage dans les travaux de MARKOWITZ identifiant les opportunités d’arbitrage dans la comparaison du rendement et du risque de différentes catégories d’actifs financiers. La modélisation relative à l’opportunisme de l’investisseur (ou à l’arbitrage) a été reprise (bien que dépassée) par de nombreux modèles ultérieurs (par exemple, RS HAMADA).
La finance d’entreprise a progressé notablement en se spécialisant et en intégrant l’analyse de la fonction d’investissement et de la fonction de financement dans l’analyse de la liaison cours/dividende et en précisant les déterminants de la politique de distribution des firmes.Dans ce cadre, la complémentarité dialectique entre la financed’entreprise et la finance de marchés n’a cessé de s’affirmer tout en s’accompagnant d’une spécialisation croissante des deux disciplines.
Du point de vue de la politique d’investissement, on peut mesurer le chemin parcouru depuis les premiers modèles de Myron J GORDON et de CARLETON et LERNER. Le modèle de Myron J.GORDONà une équation ne permettait d'établir un taux optimum derétention que sous des hypothèses très restrictives ; il constituait une première approche du problème et permettait de préciser quelques notions fondamentales. Il sensibilisait en particulier au problème de l'évaluation de K, qui est tout à la fois le taux d'actualisation appliqué par les investisseurs et le coût du capital pour l'entreprise. Le modèle deCARLETON et LERNER,modèle à deux équations permettait lui de déterminer le taux derendement interne de l'entreprise, le pourcentage de bénéfices qu'elle retient (et par conséquent le pourcentage de bénéfices qu'elle distribue en dividendes) et le prix de son capital. Un prix maximum pourra être trouvé comme solution, si l'équation d'évaluation du capital est traitée comme une fonction-objectif de l'entreprise, et sa fonction de "capital-budgeting" comme une contrainte interne. Là se trouvait la limite principale de ce modèle : le fait de supposer que le budget d'investissement soit déterminé par le taux de rétention des bénéfices, c'est-à-dire le fait de supposer l'absence d'endettement, limitait singulièrement la portée du modèle. Il en est de même de l’absence de prise en considération de l’impôt sur le revenu des sociétés. C’est pourquoi de nombreux autres modèles sont venus lever ces hypothèses restrictives et ont en même temps réintroduit la relation entre investissement et endettement et son influence sur la valeur.
Dans la lignée de ces fondateurs, l’analyse de la fonction d’investissement et de ses répercussions sur la valeur de l’action n’a cessé d’être affinée tant dans sa cohérence que dans son caractère opérationnel en gestion financière, par exemple,
M.BRENNAN, M. GORDON, M.JENSEN, R.ROLL, COPELAND et WESTON, SC MYERS, SA ROSS(5).
Pour en terminer avec la politique d’investissement, évoquons la théorie du « freecash flow »qui a insisté sur les risques de surinvestissement des sociétés, liés à une prioritéexcessive accordée à l’autofinancement, dans un contexte de forte croissance économique. Compte tenu du ralentissement de la croissance, cette théorie a été adaptée, les sociétés étant généralement plus préoccupées d’utiliser leur cash flow pour rembourser les emprunts que pour investir toujours plus. Je ne sais pas s’il y a eu une analyse théorique sérieuse de la troisième possibilité envisageable en pratique, celle du rachat de ses actions par la société qui n’a pas besoin de recourir aux deux premières possibilités. Peut-être l’intégration des trois pistes (surinvestissement, remboursement des emprunts et rachat des actions) dans une même modélisation pourrait-elle constituer une piste de recherche intéressante.
Du côté de l’analyse de la fonction de financement, c’est évidemment l’analyse des répercussions de l’endettement sur le rendement de l’action ou la rentabilité des fonds propres , c'est-à -dire, l’effet de levier de l’endettement, qui a fait notablement progresser lafinance d’entreprise tout en accentuant sa complémentarité par rapport à la finance de marchés. On est maintenant d’accord pour admettre quela capacité limite d’endettement de l’entreprise devrait être surveillée lorsque le levier de l’endettement réduit la rentabilité économique des investissements de façon à ne pas réduire le rendement de l’action. Mais la limite de cette analyse est double : D’une part, elle prend en compte le risque de faillite de la société mais sans passer par l’analyse du risque de l’action. La nécessité d’une analyse très fine des relations entre le risque de l’action et la valeur (boursière) de l’entreprise et donc la complémentarité avec la finance de marché s’est imposée. D’autre part, la désinflation des années 1980 et le développement rapide de l’ingénierie financière ont conduit à passer d’une économie d’endettement à une économie de fonds propres, et à accorder plus d’importance à l’effet de levier des fonds propres qu’au levier traditionnel de l’endettement. De même, l’accent était mis sur la transmission de l’entreprise plutôt que sur l’analyse traditionnelle des trois types de décisions financières de l’entreprise.
Le formidable développement de la théorie des marchés financiers (et en même temps la spécialisation croissante dans ce domaine) nous ont fourni des outils d’analyse puissants du risque attaché à l’action : LeMEDAF, l’APT (ROSS et ROLL), la théoriedes options (MERTON, BLACK et SCHOLES, COX et RUBINSTEIN, MOSSIN,SHARPE, LINTNER). Dès la fin des années 1970, l’utilisation du MEDAF pour testerl’incidence de la croissance externe (fusions) sur la valeur de l’action et pour expliquer l’apparition aux Etats-Unis des fusions en « grappes » (6) a jeté un pont entre la finance d’entreprise et la finance de marchés. De même, l’'application du MEDAF au principe d’arbitrage et l’intégration du MEDAF dans l’effet de levier de l’endettement par R.S.HAMADAa conduit à modifier le calcul du bêta et donc le rendement exigé par lesactionnaires. Le risque systématique qui tient compte du risque économique est ajusté au risque financier de l'entreprise en intégrant son niveau d'endettement.
Parallèlement, l’analyse des déterminants de la politique de distribution des dividendes s’est progressivement affinée grâce aux quatre analyses complémentaires bien connues :
-Le modèle de comportement des dirigeants ou la logique de l’ajustement partiel (des dividendes par rapport aux bénéfices) de J. LINTNER, reprise et complétée par bien d’autres auteurs,
-La thèse du contenu informatif du dividende de MODIGLIANI-MILLER et autres, -La thèse de la stratégie mixte de R COBBAUT et A GALESNE,
-La typologie des politiques de distribution des dividendes en fonction des différents profils d’investisseurs et de « clientèles boursières » de Michel ALBOUY.
Il serait aisé, mais très coûteux en temps, de montrer comment les modèles ont progressivement intégré les principaux résultats des analyses de finance d’entreprise dans des modèles de finance de marché, et vice versa. Les contributions qui seront présentées dans le cadre de ce congrès le montreront, je pense, en insistant sur les modèles les plus récents.Il en ressortira probablement que la dialectique de lacomplémentarité entre les deux compartiments de la finance s’est accompagnée d’une intégration méthodologique relativement aisée de leurs outils d’analyse respectifs Encore faut-il poser les limites de cette intégration des outils d’analyse. Par exemple, la théorie de l’équilibre général informationnel ou d’anticipations rationnelles, a la robustesse incontestable de l’économie mathématique et les outils qu’elle a forgés ont souvent permis des progrès substantiels de la théorie des marchés financiers. En revanche, la possibilité et l’intérêt d’y intégrer des outils d’analyse de finance d’entreprise, et a fortiori de gestion d’entreprise sont restées allusives, parce que limitées par des contraintes de cohérence des outils de modélisation. Il en est de même des problèmes de complémentarité méthodologique posés par l’intégration de « l’organisation » dans les modèles de finance d’entreprise et de finance de marché.
II - Complémentarité méthodologique et intégration de l’ « organisation » dans les modèles de finance d’entreprise et de finance de marché.
L’apport de la théorie des organisations dans les deux domaines est incontestable et l’intégration apparaît d’ores et déjà bien avancée. Mais elle a connu des limites tenant à la nature des outils d’analyse et aux contours des disciplines.
1/ L'apport des théories contractuelles des organisations
La nécessité de dépasser l’analyse économique en termes de marché et de considérer l’économie comme un « système » ou un « type idéal d’organisation » (Walter EUCKEN) et l’entreprise comme une forme d'organisation ou comme un « noeud de contrats » (DEMSETZ , ALCHIAN), explicites et implicites, s’est imposée durant ces trente dernières années.
De ce point de vue, les théories contractuelles des organisations ont permis d’intégrer dans les enjeux et contraintes de la politique financière de nouveaux éclairages ou de nouveaux chaînons explicatifs tels que les coûts de transaction, la théorie des droits de propriété et de l’agence, la théorie du signal.
L a volonté de s’abriter des conséquences de contrats inadaptés et de minimiser les coûts de transaction correspondants passe depuis WILLIAMSON par la mise en œuvre de structures de gouvernance permettant la coordination entre les agents économiques et leurs objectifs individuels.
La théorie des droits de propriété, qui trouve son originedans les années soixantedans les travaux deR. COASE, puis dans ceux deA. ALCHIAN et de H. DEMSETZ,deviendraselon DEMSETZ une incitation permanente à « internaliser les externalités » et à étudier la rationalité du propriétaire du point de vue de ses droits, mais aussi de ses coûts et dans le cadre d’une comparaison entre ces coûts et les bénéfices attachés aux droits. La transférabilité des droits (par cession ou par location) à un agent ou à une structure qui l’utiliserait plus efficacement conduit en particulier au principe de la délégation de pouvoir des actionnaires aux dirigeants de l’entreprise et au processus de décision des « firmes managériales » dissociant droits de propriété et pouvoir de décision. L’actionnaire, et en particulier, le petit actionnaire manifestera son pouvoir de sanction vis-à-vis des décisions du dirigeant en ayant la possibilité de céder à tout moment ses titres sur le marché boursier dont le principal intérêt est de favoriser la négociation des droits de propriété On rejoint ainsi le principe d'arbitrage utilisé par MODIGLIANI et MILLER pour dériver la relation entre la valeur de l'entreprise et son niveau d'endettement ; en revanche l’arbitrage devient une manifestation de la sanction des dirigeants par le marché boursier si la cession de titres se généralise compte tenu des informations recueillies par les actionnaires ou du manque d’informations qu’ils auront ressenti. Ils seront également tentés d'accepter les Offres Publiques d'Achat annoncées par les concurrents.
Il est donc clair que l’intégration dans la modélisation des droits de propriété dont bénéficie l’opérateur et des coûts qu’il subit a amélioré notablement la portée explicative des modèles de finance d’entreprise et de finance de marché. Il en a été de même dans le domaine différent mais complémentaire de la relations d’agence où la modélisation s’enrichit des contraintes imposées aux opérateurs par la structure de l’organisation dans laquelle ils opèrent. Les modèles de finance d’entreprise et de finance de marché ont bien pris en compte le conflit d’intérêt entre propriétaires et dirigeants, c’est-à-dire l’amenuisement des doits des propriétaires et l’apparition de coûts supplémentaires pour conserver le caractère exclusif et transférable des droits.
De même, depuis JENSEN et MECKLING la relation d’agence a été bien intégrée tant dans les modèles de finance d’entreprise que de finance de marché et avec elle lesproblèmes de délégation de la prise de décision du principal à l'agent,.de « hasard moral » lorsque le principal ne peut observer le comportement de l'agent ou d' «antisélection » s'il ne peut disposer des informations nécessaires concernant l'agent.
Les coûts d'agence, supportés par le principal pour inciter l’agent à se conformer aux intérêts du principal ou pour organiser des procédures de surveillance et de contrôle, affectent les politiques d'investissement, de financement et de dividende dans la mesure où les actionnaires vont exiger une compensation et augmenter d'autant le coût des fonds propres. L’asymétrie d’information entre actionnaires et dirigeants et entre actionnaires et créanciers a bien été intégrée dans les relations entre politique d’investissement, politique de financement et risque de faillite. Ces politiques ont été présentées de plus en plus comme des modes de résolution des conflits au sein des organisations, qu’il s’agisse de l’arbitrage entre autofinancement /distribution et recours au marché ou de l’arbitrage entre recours à l’endettement ou recours au marché par la recherche d’une minimisation de la totalité des coûts d’agence.
Enfin, il était important que l’approche de la partie sous-informée (coûts de surveillance et de contrôle engagés par le principal) fût complétée par une analyse de l’action de la partie informée (l’agent) pour réduire l’asymétrie d’information. Le dividende ou l'endettement sont alors présentés comme des « signaux » concernant la santé financière de l'entreprise et sa performance future, ainsi que la qualité et la rigueur de la gestion des dirigeants. La théorie du signal marque l’intégration de l’information et de la communication financière dans les décisions de financement et de trésorerie et rejoint le rôle central de l’information et de la communication dans la théorie des organisations.
L’intégration de l’ «organisation » dans la finance de marché s’est manifestée, on le sait, par le courant de l’efficience opérationnelle ou de la microstructure des marchés qui est venu compléter et renouveler l’approche traditionnelle de l’efficience informationnelle.
Les structures organisationnelles du marché boursier ont été intégrées depuis DEMSETZ mais surtout dans les trente dernières années dans la modélisation du fonctionnement du marché : sans prétendre être exhaustif, citons : structures des marchés dirigés par les ordres ou coordonnés par les prix, (Robert SCHWARTZ, H. STOLL, Maureen O’HARA, RolandGILLET et Albert MINGUET), modalités juridico-institutionnelles de passation des ordres,modalités de gestion du carnet d’ordres et intégration dans la modélisation (Bruno BIAIS, Rudy DE WINNEet bien d’autres) organisation de l’animation de marché et gestion de laliquidité, organisation du règlement et de la livraison des titres. L’approche de l’efficience informationnelle et de la transparence du marché à été très utilement complétée par l’intégration des aspects opérationnels et organisationnels dans la finance de marché.
Mais si l’ « organisation » a pu être intégrée sous les différents aspects précédents (théories contractuelles des organisations et microstructure des marchés), cela ne signifie pas que tous les compartiments de la théorie des organisations aient pu être intégrés dans les modèles de finance d’entreprise et de finance de marché, compte tenu de limites tenant aux choix relatifs à la nature des outils scientifiques utilisés et aux contours des disciplines.