Cours Supercondensateur
Chapitre 2
SUPERCONDENSATEUR
2.1 Introduction
L'utilisation de dispositifs de stockage d'énergie électrique est nécessaire dans de nombreuses applications : télécommunication, sauvegarde mémoire, véhicules électriques et hybrides. Les spécifications auxquelles doivent répondre ces dispositifs sont le plus souvent données en termes d'énergie stockée (en W.h) et de puissance maximale (en W), ainsi qu'en termes de poids, d'encombrement, de durée de vie et de coût initial. Pour une technologie de stockage donnée, les besoins en puissance et en énergie peuvent s'avérer incompatibles avec le souci, souvent présent dès lors qu'il s'agit de systèmes embarqués, d'un poids et d'un encombrement réduits. On aura intérêt alors à réaliser une source hybride, soit donc à séparer les fonctions puissance et énergie en associant plusieurs technologies de stockage, les unes (batteries d'énergie, pile à combustible) étant dimensionnées en terme d'autonomie, les autres (batteries de puissance, condensateurs) en terme de puissance instantanée requise sur une durée plus ou moins longue. Pour des durées supérieures à la seconde, la technologie "supercondensateur" comme organe de puissance se révèle relativement adéquate.
On trouve ce composant sous diverses appellations : supercondensateur, bien sûr, mais aussi supercapacité, capacité à couche double électrique, et enfin des termes plutôt utilisés en anglais, comme ultracapacité, capacité électrochimique ou capacité à couche double électrochimique (respectivement "ultracapacitor", "electrochemical capacitor" et "electrochemical double-layer capacitor"). Toutes désignent ce composant de stockage qui utilise, par le recours à des matériaux d'électrodes poreux, les propriétés capacitives de l'interface entre un conducteur électronique solide et un conducteur ionique liquide. Les termes "supercapacité" et "supercapacitor" sont entrés dans le langage commun, étant en fait la dénomination des premiers dispositifs commercialisés, en l'occurrence par la Nippon Electric Company (NEC) [Nec]. Le terme "ultracapacitor", nom donné par la société Pinnacle Research Institute (PRI) à ses modules supercapacitifs fabriqués pour l'armée des Etats Unis d'Amérique [Pin], est également largement utilisé. Nous aurons recours, pour notre part, aux termes de supercapacité et de supercondensateur.
L'histoire de ce composant débute à la moitié du 19ème siècle, avec la découverte en 1853, par le physicien Hermann von Helmholtz, du phénomène capacitif nommé couche double électrique [Con99]. La modélisation dudit phénomène s'étend jusqu'à la moitié du 20ème siècle, avec notamment les études de Helmholtz, Gouy et Chapman, Stern, et Grahame. Le premier brevet, déposé par la société General Electric pour un composant à électrolyte aqueux et électrodes carbonées poreuses, date de 1957 [Köt00]. En 1969, un second brevet, de la société américaine Sohio Corporation, décrit des dispositifs supercapacitifs à tenue en tension plus élevée, par usage d'électrolytes non-aqueux. Ce brevet sera cédé à NEC en 1971 [End01], société qui commercialisera avec succès les premières supercapacités à couche double électrique sous la dénomination "supercapacitor". Il s'agit de dispositifs de petite dimension (capacités de quelques farads, énergie spécifique modeste, de l'ordre de 0,5 1), destinés à des applications de faible puissance, telle que la sauvegarde mémoire [Nec]. A la fin des années 70 et au cours des années 80, plusieurs entreprises se lancent dans la production de supercondensateurs. Matsushita Electric Industrial Company, plus connue sous le nom de Panasonic, développe en 1978 la série "Gold Capacitor", également dédiée à la sauvegarde mémoire. En 1987, la société Elna sort une série baptisée "Dynacap", pour applications de faible puissance [Eln03]. Les supercondensateurs de puissance apparaissent dans les années 90. Un programme de développement fut lancé en 1989 par le Department of Energy (DOE) américain avec, pour objectif à court terme, des dispositifs d'énergie spécifique supérieure à 5 -1 et de puissance spécifique supérieure à 0,5 -1, et pour objectif à long terme (après 2003), des dispositifs d'énergie spécifique supérieure à 15 -1 et de puissance spécifique supérieure à 2 -1 [Köt01]. Ces composants étaient supposés venir en complément de batteries ou de piles à combustible dans les véhicules hybrides, pour fournir la puissance nécessaire durant les phases d'accélération, et de permettre la récupération durant les phases de freinage.
Les supercondensateurs constituent une nouvelle technologie de stockage, d'énergie spécifique supérieure à celle des condensateurs usuels, et de puissance spécifique supérieure à celle des accumulateurs électrochimiques. Dans le plan de Ragone, les supercondensateurs se situent donc entre les condensateurs traditionnels et les batteries, comme indiqué figure 2.1, figure tirée de la référence [Köt00]. En outre, les supercondensateurs à couche double électrique présentent une durée de vie élevée, conséquence d'un mode de fonctionnement électrostatique.
Figure 2.1 : Plan de Ragone pour divers dispositifs de stockage et de conversion d'énergie [Köt00].
Ce chapitre présente brièvement l'état actuel de la technologie supercondensateur. Nous exposerons en premier lieu les principes physiques associés au fonctionnement de ce composant, ainsi que les différents modèles rencontrés dans la littérature. Nous nous pencherons ensuite sur les applications envisagées, avec un accent mis sur les avantages de la technologie supercondensateur, sur les topologies de conversion, exemples à l'appui, et sur le dimensionnement d'un organe de stockage à supercondensateurs.
2.2 Principes de fonctionnement des supercondensateurs
2.2.1 Principes physiques de base
La structure de la couche double électrique, sur laquelle repose le principe de stockage d'énergie dans les supercondensateurs, et ses potentialités en matière de stockage d'énergie, furent pour la première fois étudiées par Helmholtz dans la seconde moitié du 19ème siècle. Un siècle plus tard, apparaissait la première génération industrielle de supercondensateurs, permise tant par l'évolution des matériaux que par l'émergence d'un réel besoin en des sources d'énergie à la fois puissantes, rapidement rechargeables, et fiables.
Les supercondensateurs à couche double électrique, curieusement appelées capacités électrochimiques, ont en fait un fonctionnement analogue à celui des capacités électrostatiques classiques. Lesdites sont typiquement constituées de deux électrodes métalliques séparées par un matériau diélectrique. L'énergie est stockée sous forme d'une charge électrique induite au voisinage de l'interface électrode-diélectrique, par l'application d'une différence de potentiel entre ces deux électrodes. Le rapport de la charge stockée sur la tension appliquée est connu sous le nom de capacitance, ou capacité, et est représentatif de l'aptitude du dispositif à stocker de l'énergie. Les relations de base s'écrivent, pour une capacité linéaire :
Q A
C = =? …(2.1)
V d
et :
1 2 …(2.2)
W = CV
2
C étant la capacitance, Q la charge électrique, V la tension appliquée, ? la constante diélectrique du matériau isolant, A sa surface, d son épaisseur, et W l'énergie électrostatique stockée.
Le stockage d'énergie dans les supercondensateurs s'effectue de façon similaire, mais à l'interface entre l'électrode (conducteur électronique) et l'électrolyte (conducteur ionique), comme indiqué figure 2.2 [Nis96].
Figure 2.2 : Schéma de principe des supercondensateurs [Nis96].
Ce sont les molécules de solvant qui jouent le rôle de diélectrique, soit donc une épaisseur d'isolant de quelques Angströms. De sorte que la capacité surfacique de ces composants est élevée, typiquement de 10 µF.cm-2 à 30 µF.cm-2. C'est l'une des raisons de la grande capacitance des supercondensateurs, l'autre étant l'immense surface de contact entre électrode et électrolyte, obtenue par l'usage de matériaux d'électrode poreux. Par exemple, les charbons actifs utilisés actuellement présentent des surfaces spécifiques typiques de 1500 m2.g-1 à 2000 m2.g-1. Autre conséquence du rôle de diélectrique "moléculaire" joué par le solvant, une tenue en tension modeste, limitée par la décomposition du solvant, de l'ordre de 2,5 V pour un solvant organique.
Un supercondensateur se compose donc, comme schématisé figure 2.3, de deux électrodes poreuses imprégnées d'électrolyte, et séparées par une membrane isolante et poreuse (pour assurer la conduction ionique). La couche double électrique se développe sur chaque interface électrode-électrolyte, de sorte que l'on peut voir, de façon simplifiée, un supercondensateur comme l'association série de deux capacités (cf. figure 2.4) : l'une, C1, développée à l'électrode positive, et l'autre, C2, à l'électrode négative. La capacité totale vaut donc :
1 1 1
= + …(2.3)
C C1 C2
Figure 2.3 : Principe d'assemblage des supercondensateurs [Epc].
C1 C2
Figure 2.4 : Circuit équivalent simplifié d'un supercondensateur.
La technologie actuellement la plus répandue, côté matériau d'électrodes, est celle du charbon actif. Les supercondensateurs issus de cette filière fonctionnent sur le principe de la couche double électrique, et sont dits symétriques. Ce qui ne signifie nullement que les capacités développées à chaque électrode sont égales. En pratique, les anions étant généralement beaucoup moins hydratés que les cations, ils accèdent plus facilement à la microporosité et forment une couche d'épaisseur plus faible. De sorte que l'on observe des valeurs de capacité d'anode supérieures à celles de cathode.
On trouve également, nous en donnons un exemple figure 2.5, des dispositifs dits asymétriques, pour lesquels les électrodes sont différentes : électrode négative polarisable en charbon actif, et électrode positive faradique contenant de l'hydroxyde métallique (de l'hydroxyde de nickel, par exemple). Le fonctionnement de ce type de dispositifs est hybride, électrostatique côté électrode négative, et électrochimique côté électrode positive. En conséquence, la capacitance de l'électrode positive est nettement supérieure à celle de son homologue négative, laquelle représente donc sensiblement la capacitance résultante.
Figure 2.5 : Supercondensateurs asymétriques ESMA (3200 F - 80000 F, 1,7 V, 1,4 kW) [Esm].
2.2.2 Couche double électrique
Le principe de base des supercondensateurs à couche double électrique repose sur les propriétés capacitives de l'interface entre un conducteur électronique solide et un conducteur ionique liquide, propriétés découvertes par Helmholtz en 1853 [Con99]. Le stockage d'énergie s'effectue par distribution des ions de l'électrolyte au voisinage de la surface de chaque électrode, sous l'influence électrostatique de la tension appliquée. Il se crée ainsi aux interfaces une zone de charge d'espace, appelée couche double électrique, d'épaisseur limitée à quelques nanomètres. La couche double électrique est restée un pôle d'intérêt et d'activités de la société électrochimiste durant une centaine d'année, et constitue actuellement la principale direction suivie dans le développement des supercondensateurs. Plusieurs modèles ont été développés au cours des années pour expliquer et décrire le phénomène de couche double.
Hermann von Helmholtz, physiologiste et physicien allemand du 19ème siècle, fut le premier à étudier la nature capacitive de l'interface entre un conducteur électronique solide et un conducteur ionique liquide, interface qu'il modélisa par deux répartitions superficielles de charges, l'une de nature électronique côté électrode, l'autre de nature ionique et de signe opposé côté électrolyte (figure 2.6).
Figure 2.6 : Modèle de Helmholtz de la couche double électrique [Con99].
La capacité surfacique associée à cette représentation est d'une part linéaire, ce que dément l'expérience, et d'autre part supérieure de plus d'un ordre de grandeur à celles observées expérimentalement. Son problème majeur réside dans l'hypothèse de localisation des charges au voisinage immédiat de l'interface, laquelle hypothèse n'est pas vérifiée côté électrolyte, conséquence d'une faible conductivité électrique.
Gouy introduisit en 1910, dans l'interprétation du comportement capacitif de la couche double électrique, la statistique de Boltzmann, à savoir ici la probabilité de présence d'un ion en un point de l'espace, compte tenu de l'agitation thermique. Il envisagea ainsi une distribution volumique de charges dans l'électrolyte, distribution connue aujourd'hui sous le nom de couche diffusée (figure 2.7). La formulation mathématique de la couche diffusée de Gouy fut établie par Chapman en 1913, formulation basée sur le traitement conjoint de l'équation de Poisson et de la fonction de distribution de Boltzmann. La modélisation ainsi obtenue surestime la capacité associée à la couche double électrique, sauf pour les faibles valeurs de potentiel, dans le cas d'électrolytes dilués. A cela plusieurs raisons, dont la principale est liée à des ions traités comme des charges ponctuelles, sans dimension, et donc infiniment proche pour certains de l'interface.
Figure 2.7 : Modèle de Gouy et Chapman de la couche double électrique [Con99].
Stern améliora en 1924 la théorie de Gouy et Chapman, d'une part en introduisant les dimensions des ions et des molécules du solvant, d'autre part en divisant la charge d'espace en deux zones distinctes : une couche dite compacte, ou couche de Helmholtz, constituée d'ions adsorbés à la surface de l'électrode, et la couche diffusée telle que l'ont définie Gouy et Chapman (figure 2.8).
Figure 2.8 : Modèle de Stern de la couche double électrique [Con99].
La capacité surfacique Cdl de la couche double électrique est alors constituée d'une capacité CH associée à la couche compacte, de même nature que celle préconisée par Helmholtz, en série avec la capacité Cdiff de la couche diffusée :
1 1 1
= + …(2.4)
Cdl CH Cdiff
2.3 Technologie des supercondensateurs
Plusieurs critères permettent de différencier les supercondensateurs : les matériaux d'électrodes, l'électrolyte, la membrane. Nous recensons, dans cette section, ces différentes technologies.
2.3.1 Matériaux d'électrodes
Il y a trois grandes catégories de matériaux d'électrodes : les charbons actifs, les oxydes métalliques, et les polymères conducteurs électroniques. Historiquement, les charbons actifs furent les premiers employés industriellement [Ma99], et restent aujourd'hui la technologie d'électrode la plus répandue. Comme déjà dit auparavant, les dispositifs associés fonctionnent sur le principe électrostatique de la couche double électrique, et présentent à ce titre une puissance spécifique élevée, de plusieurs -1, et une durée de vie, théoriquement infinie, de plus de 100000 cycles en pratique. Les carbones utilisés peuvent se présenter sous différentes formes, suivant les constructeurs : carbone pulvérulent, fibre de carbone, nanotubes. Les surfaces spécifiques sont supérieures à 1000 m2.g-1, et peuvent atteindre 3000 m2.g-1. A noter que seule une fraction relativement faible de cette surface est utile (ions parfois trop grands pour accéder à la microporosité, porosité plus ou moins fermée par la présence de liants ou d'impuretés). Les capacités spécifiques observées restent tout de même élevées, de l’ordre de 120 F.g-1 à 180 F.g-1 en milieu aqueux (acide sulfurique), et de 60 F.g-1 à 100 F.g-1 en milieu organique.
Les deux autres technologies d'électrodes utilisent des matériaux, en l'occurrence les oxydes métalliques conducteurs électroniques (oxyde de ruthénium, oxyde d'iridium) et les polymères conducteurs électroniques (polypyrole, polythiophène, polyaniline), permettant d’obtenir une interface électrode-électrolyte pseudo-capacitive. Ces technologies sont onéreuses, et certains problèmes concernant les polymères conducteurs (stabilité en température, puissance et cyclabilité limitées) restent à résoudre.
2.3.2 Electrolyte [Köt00]
Le choix de l'électrolyte est au moins aussi important que celui du matériau d'électrode. De fait, l'électrolyte conditionne la tenue en tension du dispositif, et donc son énergie spécifique et sa puissance spécifique, toutes deux variant comme le carré de la tension nominale. En outre, la puissance spécifique du dispositif est également fonction de sa résistance interne, laquelle dépend en partie de la conductivité de l'électrolyte, c'est-à-dire :
• de la concentration en porteurs de charge libres (fonction de la solubilité du sel dans le solvant, et du taux de dissociation du sel),
• de la mobilité de ces porteurs (fonction de la viscosité du solvant et de la taille effective des ions en solution), • de la solvatation des ions,
• de la valence des ions.
Enfin, la capacité spécifique du dispositif, et ce faisant son énergie spécifique, dépend en autres choses de la taille effective des ions en solution. On trouve deux types d’électrolyte pour supercondensateurs : les électrolytes aqueux, tels que l’acide sulfurique ou la potasse, et les électrolytes organiques, tel que le carbonate de propylène ou l'acétonitrile.
Les électrolytes aqueux, historiquement les premiers employés pour la réalisation industrielle des supercondensateurs, présentent une excellente conductivité ionique (de l’ordre de 1 S.cm-1), de sorte qu'ils permettent d'obtenir des puissances spécifiques de quelques -1. De plus, les ions sont de taille relativement faible (1 à 2 nanomètres) et accèdent facilement à la microporosité de la matière active de l’électrode. Aussi observe-t-on des capacités plus élevées en milieu aqueux qu'en milieu organique (pour lequel les ions, de taille généralement plus importante, voient une surface effective plus faible). En revanche, la tenue en tension des supercondensateurs à électrolyte aqueux est limitée à 1,2 V, tension d’électrolyse de l’eau. Par conséquent, l’énergie spécifique de ces dispositifs est faible, typiquement de 1 -1.
L'utilisation d'électrolytes organiques permet d'obtenir des tensions de polarisation, sans effets faradiques, plus importantes. Actuellement, la tension nominale des dispositifs à électrolyte organique est de 2,5 V. La densité d’énergie, de l'ordre de 5 -1, est donc considérablement accrue. Cependant, la conductivité ionique de ces composés étant médiocre (elle dépasse difficilement 0,03 S.cm-1), le gain en tension de service ne se traduit que par une augmentation modérée de la puissance spécifique, ce par rapport aux dispositifs à électrolyte aqueux.
2.3.3 Séparateur
La construction des supercondensateurs fait également intervenir une membrane isolante poreuse, donc conductrice ionique, séparant les deux électrodes imprégnées d’électrolyte [Epc]. On utilise généralement un polymère ou du papier en milieu organique, une céramique ou de la fibre de verre en milieu aqueux. Le séparateur introduit un terme supplémentaire dans la résistance totale du composant, terme dépendant de la porosité et de l'épaisseur de la membrane.
2.4 Principaux constructeurs
Un certain nombre d'entreprises ont investi dans la production industrielle de supercondensateurs. Citons en premier lieu les deux précurseurs japonais NEC (figure 2.9 [Nec]) et Panasonic (figure 2.10 [Pan]), dont l'activité "supercondensateurs" a plus de trente années. Citons également Epcos, Elna, Avx, Cooper, Evans et Maxwell, qui proposent pour certaines des modules supercapacitifs équipés d'un circuit d'équilibrage en tension. Kold Ban International Company a commercialisé, pour le démarrage des moteurs à combustion interne par temps froid, un module de 1000 F sous 13 V nominaux, avec une puissance maximale de 17 kW. L'australien Cap-XX offre une gamme de composants, de même que le coréen Ness Capacitor. Au Canada, Tavrima propose une gamme de modules. ESMA, en Russie, vend une large variété de modules supercapacitifs pour applications véhicules électriques, démarrage de moteurs à combustion interne, hybridation de puissance.
Figure 2.9 : Module supercapacitif NEC 5 F - 24 V [Nec].
Figure 2.10 : Panasonic Gold Capacitor 0,02 - 70 F, 5,5 V [Pan].
2.5 Modélisation des supercondensateurs à couche double électrique
2.5.1 Modèle théorique [Bel00]
De par leur fonctionnement essentiellement électrostatique, les supercondensateurs à couche double électrique sont des dispositifs capacitifs. A ce titre, on peut, en première approximation, décrire leur comportement électrique par un simple circuit RC série, modèle généralement proposé, d'ailleurs, dans les spécifications "constructeurs". Cette représentation est certes bien pratique, dans la mesure où elle est peu consommatrice en temps de calcul, et qu'elle se prête dans de nombreux cas à l'évaluation analytique de l'évolution temporelle de l'énergie stockée. Cependant, la physique associée au stockage d'énergie dans les supercondensateurs à couche double électrique fait apparaître des phénomènes que le modèle RC série n'est guère à même de décrire.
En premier lieu, le stockage de charge dans la couche double électrique est un phénomène non-linéaire, avec pour conséquence macroscopique une dépendance théorique de la capacité du dispositif vis-à-vis de la tension appliquée. En pratique, les travaux de caractérisation menés par F. Belhachemi sur les supercondensateurs ont montré que cette nonlinéarité s'avérait très significative [Bel00]. Par exemple, l'augmentation de capacité d'un composant Maxwell PC7223 (2700 F, 2,3 V), entre 0 V et 2 V, est supérieure à 50 %.
En second lieu, la nature poreuse des électrodes conduit à une interface électrodeélectrolyte distribuée dans l'espace. De sorte que le stockage de charges associé à la couche double électrique peut être modélisé, non pas par une unique capacité non-linéaire éventuellement résistive, mais par un réseau complexe de capacités non-linéaires, interconnectées entre elles par des résistances d'accès aux pores (figure 2.11). Ces différentes résistances dépendent de nombre de paramètres, tels que la résistivité des matériaux d'électrode, la résistivité de l'électrolyte, la taille des pores, la porosité de la membrane de séparation et la technologie d'assemblage (imprégnation des électrodes, qualité des contacts collecteur-électrode).
Figure 2.11 : Modèle théorique d’une supercondensateur [Bel00].
Cette structure particulière confère aux supercondensateurs un comportement électrique de type ligne "RC" de transmission, observable dans les "temps courts" (typiquement inférieurs à la seconde) par une capacité dynamique progressivement accessible, et dans les "temps longs" (plusieurs centaines de secondes) par un phénomène de redistribution de l'énergie. Cependant, le nombre théoriquement élevé de branches rend impossible la détermination des différents paramètres et l’exploitation du modèle.
2.5.2 Modèle énergétique à deux branches
Certains auteurs se basent sur des considérations énergétiques pour établir leur modèle comportemental. C'est le cas de R. Bonert et L. Zubieta qui exposèrent le premier véritable modèle de supercondensateur de puissance [Bon97] [Zub98]. Ce modèle, dit à deux branches, repose sur la partition de l'énergie électrostatique des supercondensateurs en deux :
• une énergie rapidement stockée ou disponible,
• une énergie lentement stockée ou disponible,
et comporte par conséquent deux cellules RC (figure 2.12). La première, dite principale, rend compte de l'évolution de l'énergie durant les événements de charge ou de décharge. La deuxième, dite lente, vient en complément de la première pour décrire la redistribution interne de l'énergie après lesdits événements.
Figure 2.12 : Modèle énergétique à deux branches de R. Bonert et L. Zubieta [Bel00].
Cependant, la loi de non-linéarité de la capacité principale, loi linéairement croissante, n'est physiquement pas conforme à ce que peut donner la théorie de la couche double, qui prévoit une variation de la capacité beaucoup plus forte aux faibles potentiels qu'aux potentiels plus élevés. En outre, les études de F. Belhachemi et al. [Bel00] ont montré que le modèle à deux branches menait à une sur-évaluation de la capacité principale, en particulier dans les temps courts, pour lesquels le comportement capacitif des supercondensateurs est nettement de nature distribuée. Le problème réside dans ce que la procédure d'identification de la capacité principale ne dissocie pas la non-linéarité physique liée à la couche double électrique de celle, purement temporelle, liée à l'effet de ligne.
2.5.3 Modèle énergétique distribué
F. Belhachemi améliora la précision du modèle à deux branches, d'une part en remplaçant la cellule RC de la branche principale par une ligne de transmission non-linéaire (discrétisée en un nombre fini de cellules identiques, de façon à permettre l'implantation du modèle dans les logiciels usuels de simulation électriques), pour une meilleure description du comportement électrique et énergétique des supercondensateurs dans les temps courts, d'autre part en ajoutant quelques cellules RC non-linéaires pour appréhender plus finement les temps longs (figure 2.13) [Bel00]. De plus, les lois décrivant la variation des différentes capacités du modèle en fonction de la tension sont choisies linéaires par morceaux, pour une meilleure approche de la physique associée aux propriétés capacitives de la couche double électrique. Des tests de validation expérimentale ont montré que le modèle énergétique distribué de F. Belhachemi reproduisait de façon fidèle les pentes de variation de la tension aux bornes des supercondensateurs, point qui faisait défaut au modèle à deux branches de R. Bonert et L. Zubieta, dès lors que l'on s'écartait notablement des conditions expérimentales utilisées pour l'identification.
Figure 2.13 : Modèle énergétique distribué de F. Belhachemi [Bel00].
2.6 Applications des supercondensateurs
Si les dispositifs de signal se sont imposés dans certaines applications, telles que la sauvegarde mémoire, les supercondensateurs de puissance, composants relativement nouveaux, ont encore à faire leur preuve dans le cadre d'une utilisation industrielle à grande échelle. La réalisation de sources hybrides semble être une voie prometteuse, et la présente section recense les travaux actuels dans ce cadre d'applications.
2.6.1 Association supercondensateurs-batteries
Beaucoup de systèmes de puissance, tels que ceux rencontrés dans les équipements portatifs (informatique, télécommunication), dans le domaine aérospatial, ou dans celui des véhicules électriques ou thermiques, ont en commun un profil de charge caractérisé par une puissance moyenne relativement faible, et en revanche des besoins transitoires de puissance élevés. La durée typique de ces pics de puissance va de quelques centaines de millisecondes à quelques secondes. Une source hybride associant accumulateurs électrochimiques et supercondensateurs peut permettre de répondre à ce type de profil de charge avec des performances, en termes de puissance spécifique et de rendement, bien meilleures que celles obtenues avec des batteries seules.
L. Gao et al. [Gao05], à titre d'exemple, ont étudié les apports de l'hybridation batteriessupercondensateurs. Ils ont en particulier conçu et réalisé une source hybride de ce type, source dont le schéma de principe est donné figure 2.14. Cette source utilise un convertisseur d'interface pour associer les deux technologies de stockage et contrôler le flux de puissance délivré par l'élément batterie.
Figure 2.14 : Source hybride batteries-supercondensateurs de L. Gao et al. [Gao05].
La réalisation expérimentale, dont la figure 2.15 donne une photographie, utilise deux éléments Li-ion en série (tension élémentaire : 3,8 V, courant nominal : 2,4 A), et deux supercapacités Maxwell PC100 en série (capacité élémentaire : 100 F, tension nominale élémentaire : 2,3 V).
Figure 2.15 : Système hybride expérimental de L. Gao et al. [Gao05].
Les résultats expérimentaux montrent un accroissement conséquent de la puissance spécifique, et une réduction significative du courant de batterie et des pertes. La source peut en effet fournir une puissance pointe de 132 W, ce qui est, selon les auteurs, trois fois supérieur à la puissance maximale obtenue avec une hybridation directe (couplage batteriessupercondensateurs sans convertisseur), et sept fois supérieur à la puissance des batteries seules.
2.6.2 Véhicule électrique
L'efficacité énergétique des supercondensateurs, leur grande puissance spécifique, et la possibilité qu'ils offrent de récupérer avec un bon rendement l'énergie de freinage, ouvrent à ces composants le domaine du véhicule électrique. D'autant que les sources d'énergie embarquées, telles que les batteries ou les piles à combustible, ne répondent pas de façon satisfaisante, en termes de masse et d'encombrement, aux besoins transitoires de puissance associés notamment aux phases d'accélération. Nous présentons figure 2.16 la structure classique d'une source hybride de véhicule électrique.
Figure 2.16 : Source hybride à supercondensateurs pour véhicule électrique [Jeo02].
J. W. Dixon et al. [Dix02b] ont présenté une étude visant à tester les performances d'un véhicule sous différentes conditions d'utilisation (ville, autoroute), avec ou sans assistance supercapacitive, et à évaluer les contraintes (essentiellement en courant) subies par les accumulateurs, et les gains en rendement de la source et en durée de vie des batteries. Le système est présenté figures 2.17 et 2.18. La source principale est constituée de 26 batteries acide-plomb en série, soit une tension totale de 312 V. L'organe de stockage, qui comprend 132 supercondensateurs en série, a une capacité totale de 20 F, pour une tension nominale de 300 V et un courant nominal de 200 A. Il a été dimensionné pour la phase d'accélération, requérant 40 kW durant 20 s. Le convertisseur d'interface est un hacheur deux quadrants réversible en courant, mettant en oeuvre des modules IGBT refroidis par plaque à eau. Pour des raisons de réduction de masse, l'élément magnétique de couplage est une inductance à air, utilisant des conducteurs aluminium. Le véhicule utilise un châssis Chevrolet LUV. Il est équipé d'un moteur brushless de puissance nominale 32 kW, et pouvant développer en pointe une puissance de 53 kW.
Figure 2.17 : Source hybride de J. W. Dixon et al. [Dix02b].
Figure 2.18 : Système hybride expérimental de J. W. Dixon et al. a : véhicule, b : hacheur deux quadrants, c : inductance et supercapacités, d : module supercapacitif [Dix02b].
Le contrôle du système se fait par DSP, sur la base des grandeurs suivantes : tension, courant et état de charge de la batterie, tension et courant de l'organe de stockage, vitesse du véhicule. Les résultats des tests sont nettement en faveur de l'hybridation batteries-supercondensateurs.
Dans le même registre d'idées, G. Wight et al. [Wig02] ont présenté une étude sur l'emploi de supercondensateurs dans des véhicules électriques de petite taille, toujours en association avec des batteries. La topologie du système est présentée figure 2.19. Le but de ce projet était de quantifier l'impact de l'hybridation sur la durée de vie des batteries, sur le rendement à la récupération de l'énergie de freinage, sur l'autonomie en termes de distance parcourue, et sur les performances dynamiques, en particulier le couple maximal, à grande vitesse. Le banc de supercapacités, dont la figure 2.20 donne une photographie, est constitué de 45 éléments, chacun ayant une tension nominale de 2,65 V, une capacitance de 3400 F, une capacité énergétique de 2,6 W.h (à noter à ce propos qu'il doit s'agir d'une valeur à midécharge, le calcul de l'énergie stockée à 2,65 V donnant en effet 3,3 W.h), et une masse de 0,84 kg. L'organe de stockage présente pour sa part une masse totale de 45 kg, pour une capacité énergétique de 116 W.h (toujours à mi-décharge), soit une énergie spécifique de 2,6 -1, hors convertisseur d'interface. Les résultats de l'étude montrent en premier lieu une aptitude particulière des supercondensateurs à réduire les pointes de courant de batterie, en second lieu une amélioration des performances (autonomie, rendement, accélération) d'autant plus nette que le profil de charge est chahuté.
Figure 2.19 : Schéma de principe de G. Wight et al. 1 : supercondensateurs, 2 : batteries, 3 : moteur, DMoC : convertisseur de charge, DC400 : convertisseur d'interface, 4, 5 et 6 : liaisons de communication [Wig02].
Figure 2.20 : Module supercapacitif utilisé par G. Wight et al. [Wig02].
2.6.3 Association supercondensateurs-piles à combustible
Parmi les dispositifs électrochimiques de stockage ou de conversion, les piles à combustible sont ceux qui présentent les énergies spécifiques les plus élevées (cf. figure 2.1). Elles sont par conséquent généralement reconnues comme une solution prometteuse aux problèmes environnementaux et énergétiques futurs. Néanmoins, leur puissance spécifique restent très limitées (quelques dizaines de W.kg-1), et leur irréversibilité en courant interdit la récupération d'énergie. Les piles à combustible se prêtent donc particulièrement bien à l'hybridation avec un dispositif de stockage de puissance, tel que les supercondensateurs.
L'exemple qui suit est un système proposé par T. A. Nergaard et al. [Ner01] [Ner02] au concours organisé par le Département de l'Energie des Etats Unis, concours intitulé "International Future Energy Challenge Program Competition". Ledit système est un réseau domestique 240 V alternatif, alimenté par une pile à combustible 48 V - 10 kW assistée en puissance transitoire par un organe de stockage à supercondensateurs. La structure générale du système est présentée figure 2.21. Elle comprend, outre les éléments générateurs, un convertisseur DC-DC élevant la tension de pile, et un onduleur générant la tension du réseau domestique. La topologie détaillée des convertisseurs est donnée figure 2.22. La conversion DC-DC se fait par pont complet à transistor MOS de puissance, élévation par transformateur et redressement à diode. La conversion DC-AC, quant à elle, est obtenue par demi-pont à point milieu. A noter que le couplage entre la pile et les supercondensateurs s'effectue par mise en parallèle directe, ce qui pose certainement un problème de démarrage. Pour la réalisation pratique, l'organe de stockage était constitué de deux modules supercapacitifs en parallèle (figure 2.23), chacun d'une capacitance totale de 1,65 F, d'une tension nominale de 110 V, et d'une résistance série de 140 m?. Une pile de 3 kW seulement fut utilisée pendant les tests, pour une puissance totale de source évaluée à 10,8 kW.
Figure 2.21 : Topologie du système pile à combustible de T. A. Nergaard et al. [Ner01].
Figure 2.22 : Convertisseurs du système pile à combustible de T. A. Nergaard et al. [Ner02].
Figure 2.23 : Modules supercapacitifs utilisés par T. A. Nergaard et al. [Ner01].
La figure 2.24 présente le profil de puissance moyen journalier d'un foyer. Les pointes de puissance atteignent 6 kW, et la puissance moyenne est de 2,5 kW. Une pile de 3 kW, couplée à un organe de stockage fournissant les pointes de puissance, apparaît donc largement suffisante pour alimenter le foyer. La figure 2.25 montre la réponse du système à un échelon de puissance de 500 W, la puissance initiale étant de 1 kW.
Figure 2.24 : Profil de puissance moyen journalier d'un foyer [Ner02].
Figure 2.25 : Réponse du système à un échelon de puissance de 500 W (puissance initiale : 1 kW) [Ner02].
On peut observer que les réponses du courant de pile et du courant supercapacitif présentent une dynamique tout à fait comparable. Ceci est dû au fait que l'échelon a lieu dans la plage de puissance de la pile. Dans le cas contraire, on aurait observer, selon les auteurs, une dynamique de variation plus rapide pour le courant supercapacitif.
Une autre étude de ce concours, de R. Kötz et al. [Köt02], était relative à un véhicule électrique (Volkswagen BORA) alimenté par une source hybride de type pile à combustible - supercondensateurs, d'une puissance moyenne de 45 kW, et d'une puissance crête de 75 kW. Nous donnons figure 2.26 le schéma de principe de la motorisation du véhicule, et figure 2.27 une photographie des modules supercapacitifs intégrés dans le véhicule.
Figure 2.26 : Schéma de principe du véhicule électrique de R. Kötz et al. [Köt02].
Figure 2.27 : Modules supercapacitifs intégrés dans le véhicule de R. Kötz et al. [Köt02].
Les objectifs de performances du véhicule était une vitesse maximale de 136 km.h-1, et une accélération permettant d'atteindre, départ arrêté, la vitesse de 100 km.h-1 en 12,5 s. Les flux de puissance obtenus sur un véhicule expérimental sont donnés figure 2.28. Le graphique annoté "FC", faisant apparaître une courbe de puissance lentement variable dans le temps, est relatif à la pile à combustible. Celui annoté "SC" est associé à l'organe supercapacitif. Il est beaucoup plus chahuté, en toute logique puisque ledit organe est normalement là pour encaisser les transitoires de puissance. On peut également observer des phases de récupération d'énergie durant les décélérations du véhicule, phases qui permettent une économie en combustible évaluée par les auteurs à 15%.
Figure 2.28 : Flux de puissance dans le système de R. Kötz et al. et vitesse du véhicule [Köt02].
Enfin, le véhicule Honda FCX, véhicule à pile à combustible présenté figure 2.29 [Hon02a], est disponible sur le marché depuis 1999. Cette automobile est équipée d'un moteur électrique de 60 kW, alimenté par une pile à combustible de 78 kW. Par la suite, Honda a décidé de combiner pile à combustible et supercondensateurs (cf. figure 2.30), afin de réduire les contraintes associées, côté pile, à des dynamiques de variation de puissance trop élevées. Nous reportons pour illustration, figure 2.31, la réponse du système à un cycle de fonctionnement. A faible et moyenne vitesse, le véhicule FCX peut développer un couple d'accélération supérieur à celui des véhicules à moteur thermique de même gamme. En outre, l'organe de stockage à supercondensateurs permet, pour partie, la récupération de l'énergie au freinage. La gestion de l'énergie embarquée a été optimisée, de sorte que le rendement énergétique global du système est de 45 %, soit deux fois plus que pour un véhicule thermique, et 1,5 fois plus que pour un véhicule hybride.
Figure 2.29 : Structure du véhicule électrique Honda FCX [Hon02a].
Figure 2.30 : Module supercapacitif du véhicule électrique Honda FCX [Hon02b].
Figure 2.31 : Réponse du système à un cycle de fonctionnement [Hon02b].
2.7 Conception d'un organe de stockage à supercondensateurs
La conception d'un organe de stockage à supercondensateurs passe en premier lieu par un dimensionnement répondant à un cahier des charges énergétique, et dont le but est de déterminer le triplet capacitance-résistance série-tension nominale caractérisant, en première approximation, l'organe de stockage. Nous donnons dans cette section des éléments de dimensionnement d'un dispositif supercapacitif. En second lieu viennent les considérations associées au refroidissement, et à la mise en module : câblage, encapsulation, équilibrage en tension. Nous nous intéresserons à ce dernier point.
2.7.1 Eléments de dimensionnement
Nous opterons ici pour une procédure analytique de dimensionnement de l'organe de stockage à supercondensateurs, lequel dimensionnement sera effectué vis-à-vis du régime de décharge. Il convient en premier lieu de se donner un régime extrême d'énergie fournie. Nous traiterons le cas souvent rencontré d'un régime de décharge à puissance P constante, sur une durée td.
Comme indiqué figure 2.32, nous considérerons que la tension aux bornes d'un supercondensateur peut se développer, au premier ordre, en deux composantes : une composante capacitive, associée à l'évolution de l'énergie stockée dans l'élément, et une composante résistive, liée à la résistance série de l'élément.
Figure 2.32 : Réponse typique en tension d'un supercondensateur …lors d'une décharge à courant constant.
On notera enfin :
• vSuperC la tension aux bornes de l'organe de stockage,
• iSuperC le courant de décharge de l'organe de stockage,
• VSuperCMax la tension aux bornes de l'organe de stockage en début de décharge,
• VSuperCMin la tension aux bornes de l'organe de stockage en fin de décharge.
La procédure analytique de dimensionnement, procédure paramétrée par les deux niveaux de tension VSuperCMax et VSuperCMin, est alors la suivante :
• on évalue la capacité minimale de l'organe de stockage, capacité obtenue pour une conversion sans pertes,
• on détermine dans ces conditions la loi de variation temporelle du courant de décharge,
• à l'aide de cette loi, on quantifie les pertes dans les différents éléments intervenant dans la chaîne de conversion, en particulier l'organe de stockage lui-même,
• en tenant compte de ces pertes dans le bilan énergétique, on réajuste alors la valeur de la capacité de l'organe de stockage.
La capacité minimale de l'organe de stockage s'obtient pour un transfert sans pertes. Soit CMin cette capacité. Si l'on néglige les pertes, la relation de base caractérisant le transfert d'énergie envisagé s'écrit :
(VSuperCMax2 ?VSuperCMin2 )= P?td …(2.5)
d'où il vient :
C ? P?t
Min = VSuperCMax2 2 ?VdSuperCMin2 …(2.6)
Appliquée à un instant t inférieur à la durée td du régime de décharge (l'origine des dates étant prise à l'instant initial dudit régime), la relation de conservation de l'énergie permet également d'établir la loi de variation de la tension supercapacitive comme suit :
vSuperC ( )t =VSuperCMax ? 1? ????1? ????VVSuperCMaxSuperCMin ????2?????? ttd …(2.7)
?
relation qui permet de déterminer le courant supercapacitif en fonction du temps :
P
iSuperC ( )t = …(2.8)
Connaissant le courant supercapacitif, on peut théoriquement calculer les pertes énergétiques occasionnées durant le transfert d'énergie, en particulier celles associées à la résistance série de l'organe de stockage, à savoir :
WJSuperC = ESRdt …(2.9)
c'est-à-dire, tous calculs faits : | |
?V WJSuperC = P ?(ESR ?CMIN )?ln? SuperCMax ?? | …(2.10) |
??VSuperCMin ??
Une évaluation approchée de la capacité réelle C du dispositif de stockage peut être obtenue via le bilan énergétique suivant :
?C ?(V2 ?V2 ) 2 SuperCMax SuperCMin = P ?td + pertes bilan qui permet d'écrire : | …(2.11) |
C = (1+?)?CMin | …(2.12) |
1
? étant le coefficient de pertes rapportées à l'énergie utile fournie par l'organe de stockage :
pertes
? = …(2.13)
P ?td
Notons cependant que dans l'absolu, le bilan énergétique (2.11) est inexact, dans la mesure où la procédure de calcul des pertes repose fondamentalement sur une relation (en l'occurrence la loi (2.8) donnant l'évolution du courant supercapacitif en fonction du temps) établie sous couvert de l'hypothèse d'une conversion idéale d'énergie. En conséquence, cette procédure, dont le mérite essentiel est d'être analytique, conduit à une sous-évaluation des pertes réelles, et donc du rapport énergétique ? et de la capacité de stockage C.
Plaçons-nous par exemple dans le cadre d'une application de type UPS, devant fournir une puissance de 2,5 kW durant 20 s. On prendra pour VSuperCMax une valeur de 50 V (soit 20 cellules supercapacitives en série, une cellule étant une association parallèle de composants élémentaires), et la moitié pour VSuperCMin. La capacité minimale de l'organe de stockage vaut dans ces conditions 53,3 F (soit 1067 F par cellule élémentaire). La constante de temps supercapacitive, produit de la résistance série par la capacitance, étant sensiblement constante et valant, pour les dispositifs de puissance à électrolyte organique, environ 2 s, la résistance série de l'organe de stockage vaut 37,5 m?. Les pertes associées s'élèvent à 3,47 kJ, soit un coefficient ? de 6,93 %, une capacité C de 57 F (1140 F par cellule élémentaire), et une résistance série de 35,1 m?. Avec ces paramètres, une simulation sous Saber conduit à une profondeur de décharge de 0,494 (soit VSuperCMin = 24,7 V), et à une énergie dissipée de 3,86 kJ au lieu des 3,47 kJ prévus. Un supplément de 0,4 F (soit une erreur sur la capacité de 0,7 %) suffit à atteindre les 50 % de profondeur de décharge.
Soulignons enfin que le dimensionnement effectué, dimensionnement de nature énergétique, peut s'avérer insuffisant en termes de puissance. En effet, rien dans la procédure ne garantit que l'organe de stockage est capable de fournir la puissance instantanée demandée. A titre d'illustration, prenons désormais un profil de puissance de 5 kW durant 10 s. La capacité minimale reste inchangée, de même que la résistance série associée. Les pertes s'élèvent à 6,93 kJ, soit un coefficient ? de 13,9 %, une capacité C de 60,7 F, et une résistance série de 32,9 m?. La puissance maximale que peut fournir l'organe de stockage atteint les 5 kW demandés pour une tension capacitive (hors résistance série) de 25,7 V. Ce niveau étant supérieur à la tension capacitive VSuperCMin de fin de décharge, on peut d'emblée affirmer que le dimensionnement s'avérera insuffisant. Ce que corrobore une simulation qui diverge à l'instant t = 9,53 s, instant pour lequel la tension capacitive vaut les 25,7 V précédemment calculés.
2.7.2 Equilibrage en tension
Etant donnée la faible tenue en tension des dispositifs supercapacitifs élémentaires, la plupart des applications de puissance nécessite une mise en série des supercondensateurs. Il s'agit dès lors de ne pas dépasser la tension nominale des éléments de cette association série, sous peine de réduction plus ou moins drastique de la durée de vie de l'organe de stockage. Les régimes de surtension s'accompagnent en effet de réactions faradiques irréversibles, liées à la décomposition du solvant. Cela se traduit généralement par un dégagement gazeux nocif pour la santé des êtres vivants, et par une perte de capacitance et une augmentation de la résistance série.
Or la mise en série de supercondensateurs peut être sujette à déséquilibre en tension, en raison notamment :
• d'une dispersion des propriétés intrinsèques des éléments (capacitance, courant de fuite),
• d'une dispersion de température.
L'équilibrage s'avère donc nécessaire, pour disposer pleinement de la capacité de stockage du module sans altérer sa durée de vie. Il existe deux grands types de circuits d'équilibrage détaillés ci-après : les circuits passifs, et les circuits actifs.
2.7.2.1 Circuits d'équilibrage passifs
L'équilibrage passif, qui consiste le plus souvent en une résistance connectée en parallèle sur la cellule supercapacitive (cf. figure 2.33), permet d'effacer les disparités relatives au courant de fuite. Pour ce faire, la résistance est dimensionnée de façon à augmenter d'un ordre de grandeur le courant de fuite.
Ce type d'équilibrage a le mérite d'être simple et particulièrement bon marché. Mais outre le fait qu'il accroît les pertes énergétiques par courant de fuite, et qu'il accélère par conséquent l'auto-décharge, il a le travers bien connu de n'être efficace qu'en régime quasistationnaire. Les constantes de temps associées à l'équilibrage passif sont en effet trop grandes, incompatibles avec les exigences de rapidité d'un équilibrage dynamique.
R1 R2 R3 R4
CsuperC1 CsuperC2 CsuperC3 CsuperC4
Figure 2.33 : Circuit d'équilibrage passif [Mah04].
2.7.2.2 Circuits d'équilibrage actifs
On peut améliorer les performances dynamiques de l'équilibrage passif en augmentant considérablement le courant de fuite à un niveau "voisin" du courant de charge, donc en diminuant dans les mêmes proportions la résistance de décharge. Laquelle, pour des raisons évidentes de rendement énergétique, ne doit pas être connectée en permanence à l'élément de stockage. On utilise donc un interrupteur (transistor bipolaire ou transistor MOSFET) en série avec la résistance de décharge (cf. figure 2.34), interrupteur piloté à l'ouverture ou à la fermeture en fonction du niveau de tension aux bornes de l'élément de stockage.
CsuperC1 CsuperC2 CsuperC3
Figure 2.34 : Circuit d'équilibrage actif [Yun03].
Nous montrons, figure 2.35, un exemple de réalisation pour application réseau automobile 42 V. Il s'agit de deux modules supercapacitifs NessCap constitués de 20 supercondensateurs en série, chacun d'une capacitance de 1700 F pour le premier, de 3500 F pour le second. Chaque supercondensateur de ces modules est équipé d'un dispositif d'équilibrage implanté sur circuit imprimé. Le schéma électronique de ce circuit est donné figure 2.36. L'interrupteur de dérivation, noté T2, est un transistor NPN BC868 en boîtier SOT89. La résistance de dérivation, R9 sur le schéma de la figure 2.36, a une valeur de 2,7 ? et un pouvoir de dissipation de 5 W. Le seuil de dérivation est réglé à 2,68 V (la tenue en tension des supercondensateurs utilisés est de 2,7 V) par le circuit intégré IC1, qui est une référence de précision, telle que la zener programmable TL431.
Figure 2.35 : Modules supercapacitifs NESSCAP pour réseau embarqué 42 V ……(a) : ME0085P-0540A, (b) : ME0175P-0540A [Yun03].
Figure 2.36 : Circuit d'équilibrage NESSCAP [Yun03].
Les performances dynamiques et l'efficacité d'un circuit d'équilibrage actif du type de celui représenté figure 2.34 dépendent du niveau de courant dérivé. Elles s'accroissent lorsque ledit niveau augmente, de même malheureusement que l'encombrement et le prix du circuit. De sorte que sur les dispositifs d'équilibrage disponibles industriellement, les résistances de décharge sont généralement dimensionnées de façon à dériver, sous pleine charge, un courant de l'ordre de 1 A. Ce qui fait bien peu, comparativement au courant nominal de charge des supercondensateurs, s'élevant quant à lui à plusieurs centaines d'ampères.
L'équilibrage des tensions élémentaires d'un module de supercondensateurs n’est pas une fin en soit, et la vocation première d'un circuit d'équilibrage est la sécurité, c'est-à-dire le respect des tensions nominales élémentaires. A moins d'une dérivation totale du courant de charge, ce qui, compte-tenu des ordres de grandeurs n'est pas envisageable, un circuit d'équilibrage basé sur le seul principe de la dérivation ne peut en aucun cas s'acquitter de cette mission. La société Saft a entrepris la production de modules supercapacitifs de puissance. Par exemple, dans la référence [Des03], P. Desprez et al. présentent un module comprenant 18 sous-modules 15 V en série (chaque sous-module est constitué de 6 supercondensateurs Saft 3500 F en série), pour une tension totale de 270 V au nominal (cf. figure 2.37).
Figure 2.37 : Module supercapacitif Saft 34 F - 270 V [Des03].
Saft a développé, en étroite collaboration avec le laboratoire universitaire GREEN, un système d'équilibrage actif dont la figure 2.38 donne une photographie. Ce système a été conçu pour équiper les sous-modules 15 V. Il permet bien sûr la dérivation d'une partie du courant de charge (courant de 1 A dérivé sous pleine charge), via des résistances pilotées par transistor MOS. Il génère en outre des signaux logiques permettant de communiquer avec le "chargeur". Ces signaux sont destinés à gérer la fin de charge du sous-module en fonction du maximum des six tensions élémentaires, selon un protocole plus ou moins élaboré, comme celui proposé figure 2.37 (en gris, la détection de surtension conduit à une brusque décroissance du courant de charge, de sa valeur nominale à la valeur du courant dérivé. En bleu, la décroissance se fait progressivement, par palier, selon un algorithme qui ne sera pas détaillé ici) [Des02].
Figure 2.38 : Circuit d'équilibrage Saft et protocoles de fin de charge [Des03].
2.8 Conclusion
Pour la plupart des applications décrites précédemment, il existe des solutions avec des composants conventionnels, tels que les batteries ou les condensateurs classiques. Ces composants sont disponibles sur le marché depuis de nombreuses décennies, et ils bénéficient d'une longue histoire de recherche et développement. Bien que les supercondensateurs de puissance soient souvent plus adéquats, soit en termes d'énergie spécifique comparativement aux condensateurs classiques, soit en termes de puissance spécifique et de durée de vie par rapport aux accumulateurs électrochimiques, ils souffrent d'un lourd handicap, à savoir leur prix. Il leur reste donc à devenir commercialement compétitif, à l'instar de leurs homologues de l'électronique de signal.
Un autre défi est celui de la haute tension, relativement aux quelques 2,5 V de tenue en tension pour le composant élémentaire (à électrolyte organique). Ce très faible niveau implique des mises en série de plusieurs dizaines, voire quelques centaines, de cellules supercapacitives élémentaires, associations viables que sous la condition d'une excellente homogénéité des composants en capacitance et courant de fuite. Un équilibrage fiable et efficace reste impératif, avec cependant deux contraintes supplémentaires : il doit en outre être bon marché, et peu encombrant.