Examen avec corrige en economie sociale et solidaire

Examen avec corrigé en économie sociale et solidaire
Cette épreuve comprend trois parties.
1 – Pour la partie 1 (Mobilisation des connaissances), il est demandé au candidat de répondre aux questions en faisant appel à ses connaissances personnelles dans le cadre de l’enseignement obligatoire.
2 – Pour la partie 2 (Étude d’un document), il est demandé au candidat de répondre à la question en adoptant une démarche méthodologique rigoureuse de présentation du document, de collecte et de traitement l’information.
3 – Pour la partie 3 (Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire), il est demandé au candidat de traiter le sujet :
- en développant un raisonnement ;
- en exploitant les documents du dossier ;
- en faisant appel à ses connaissances personnelles ;
- en composant une introduction, un développement, une conclusion.
II sera tenu compte, dans la notation, de la clarté de l'expression et du soin apporté à la présentation.
Première partie : Mobilisation des connaissances
1 – Présentez l’évolution des formes de la solidarité selon Durkheim ? (3 points)
2 – En quoi le chômage peut-il être à la source d’un processus d’exclusion ? (3 points)
Deuxième partie : Étude d’un document (4 points)
Question : Vous présenterez le document puis montrerez son intérêt pour analyser la mobilité sociale.
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Troisième partie : Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire (10 points)
Sujet = Le travail est-il toujours un facteur d’intégration sociale?
DOCUMENT 1 –
Loin de séparer, la division du travail renforce la complémentarité entre les membres d’une société.Non seulement elle donne
à chacun, si monotone que soit sa tâche, le sentiment de son utilité, mais elle le transforme de l’intérieur, le socialise, et lui fait partager avec d’autres une « même vie morale ».[…]
C’est ce que montre l’entretien avec Yves L., 62 ans, chauffeur-livreur à Rungis […]. Rungis ça a changé énormément, Rungis c’est une usine, vous comprenez ? Je vais vous expliquer. Aux Halles de Paris1, on se connaissait tous, on se voyait tous les jours, on voyait les mêmes personnes, on était en contact intimement avec tout le monde vous voyez, c’était une ambiance … Une vie collective, confraternelle parce que y en avait un qui peinait, qui poussait un chariot de viande [...] un type passait à côté, bah, il lui demandait même pas, il l’aidait à pousser le chariot [...] même les patrons des fois ils arrivaient, ils vous donnaient la main, vous voyez, or Rungis ça a été fini, ça n’a plus existé, on se connaissait plus, ça a été l’usine. [...] Et y avait plus cette ambiance qu’on avait pour casser la croûte par exemple, on sortait avec un kilo de bidoche, on allait au café, « Tiens, tu me feras cuire ça pour tout
à l’heure », on buvait un pot, on repartait au boulot.
(Source : C. BAUDELOT, M. GOLLAC, Travailler pour être heureux ? Le bonheur et le travail en France, Fayard, 2003).
1 Les Halles formaient le grand marché alimentaire de Paris jusqu’à la décision prise en 1962 de leur déplacement à Rungis et La Villette.
…
Travailleurs pauvres1 = est considéré comme un travailleur pauvre une personne ayant été actives au moins six mois dans l’année dont au moins un mois en emploi, tout en vivant dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté (60% du revenu médian).
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CORRIGE DE L’EPREUVE COMPOSEE
Première partie : Mobilisation des connaissances
1 – Présentez l’évolution des formes de la solidarité selon Durkheim ? (3 points)
Dans De la division du travail social (1893), Emile Durkheim cherche à comprendre les liens qui unissent les individus pour former une société. Peut-on craindre que les changements sociaux puissent remettre en cause la cohésion de la société ? La réponse de Durkheim est négative car la division du travail social croissante, qui accompagne ces transformations, ne provoque que le passage d'une « solidarité mécanique » à une « solidarité organique ».
- Dans les sociétés traditionnelles, la division du travail est faible, les individus sont semblables. En conséquence, la solidarité est « mécanique » (solidarité par similitude), c’est-à-dire qu’elle est fondée sur la ressemblance entre individus et leur conformité aux normes, aux valeurs et aux rôles sociaux traditionnels. Les actions sont conditionnées par l’appartenance au groupe et par la tradition. La conscience collective recouvre la conscience individuelle et tout manquement à la norme se traduit par contrôle social répressif. Ainsi, dans les sociétés traditionnelles, c'est la famille qui présidait au choix du conjoint dans le cadre de mariages arrangés visant à agrandir le patrimoine familial. Tout écart à la règle était sévèrement sanctionné. Le divorce était interdit et l'adultère était un crime (exemple, la lapidation des coupables).
- Dans les sociétés industrialisées modernes, la solidarité deviendrait « organique » car les individus spécialisés, sont dépendants les uns aux autres, comme des organes du corps humain. L'existence de sous-groupes spécialisés à l'intérieur de la société ouvre la possibilité d'une autonomie individuelle. Cette moindre prégnance de la conscience collective laisse place à l’individu. Les comportements qui ne respectent pas la norme sociale ne sont plus sanctionnés que par le droit restitutif, qui a pour objet la réparation. Ainsi, de nos jours, le mariage est un mariage d'amour indépendant de la volonté des parents. Le divorce par consentement mutuel est entré dans la loi et les mœurs ont fortement évolué sur le sujet.
2 – En quoi le chômage peut-il être à la source d’un processus d’exclusion ? (3 points)
Le chômage correspond à une situation dans laquelle un individu est sans emploi et à la recherche d’un emploi. En quoi cette situation peut-elle se traduire par une perte progressive de liens sociaux qui mène à l’exclusion ?
- Tout d’abord, le chômage peut conduire à la pauvreté. Est considéré comme pauvre tout individu ou tout ménage dont le niveau de vie (revenu disponible par unité de consommation) est inférieur à 60% du niveau de vie médian, soit 965€ par mois pour un individu en 2012. Or, lorsqu’on est au chômage, on peut être indemnisé si on a cotisé suffisamment longtemps mais les allocations chômage ne représentent en moyenne que 57% du dernier salaire ce qui fait que, pour le plus grand nombre, elles sont proches de ce seuil de pauvreté. Pour les chômeurs n’ayant pas droit à ces allocations ou en fin de droits, c’est-à-dire pour plus de la moitié des chômeurs, ils n’ont droit qu’au RSA s’ils ont plus de 25 ans. Or, celui-ci est de 485€ par mois en 2013. A moins d’avoir un conjoint bien rémunéré, le chômage se traduit donc par une entrée dans la pauvreté c’est-à-dire à une exclusion économique.
- Ensuite, vivre le chômage et la pauvreté, c'est rompre peu à peu les liens sociaux qui relient l'individus aux groupes primaires. On perd ses relations de travail lorsqu'on est au chômage. On ne peut s'en faire lorsqu'on change très souvent de lieux de travail (d'où la désyndicalisation). On perd ensuite ses amis car on n'ose plus accepter une invitation et on n'a plus les moyens d'inviter. Les relations de voisinage s'affaiblissent car on n'ose pas parler de son déclassement que l'on espère provisoire. Enfin, la probabilité est forte pour que les relations familiales se détériorent (anxiété, perte de valeur et d'autorité pour le conjoint,...) et se concluent par un divorce. Robert Castel parle d’un lent processus de désaffiliation qui affaiblit le lien marchand (les chômeurs se restreignent), le lien social (les chômeurs ont moins de relations) et le lien civique (les chômeurs participent moins à la politique).
- Enfin, vivre le chômage et la pauvreté, c'est connaître un processus de disqualification sociale. Basculer dans la pauvreté
à la suite d'une perte d'emploi ou d'une rupture familiale correspond à une perte de statut et à un déclassement social. L'individu qui perd son travail se sent inutile pour la société. Il perd peu à peu ses repères, ses habitudes (se lever à l'heure, sortir...). Il peut se trouve dans une situation d'anomie, avec une perte de repères. Cette perte de valeur de soi est
accentuée par le regard des autres qui déconsidèrent celui qui vit au crochet de la société, grâce aux aides sociales.
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Troisième partie : Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire (10 points)
Sujet = Le travail est-il toujours un facteur d’intégration sociale?
TRAVAIL ET INTEGRATION SOCIALE
Introduction :
ü Amorce = Le travail correspond à l'ensemble des activités intellectuelles et manuelles accomplies par l'homme pour produire des biens et des services. Dans les sociétés développées, il s'agit essentiellement d'un travail salarié qui fournit les revenus nécessaires pour s'intégrer au mode de vie proposé par la société, c'est-à-dire pour participer à ses valeurs et à ses normes. C'est par l’emploi que l'individu apprend la vie avec les autres, les contraintes, le conflit et la négociation.
ü Problématique = Les transformations des caractéristiques de l’emploi depuis les années 80 en France n’ont-elles pas fait perdre au travail son caractère intégrateur ? La capacité de la division du travail à fabriquer du lien social, mise en avant par Durkheim, a-t-elle diminué avec la montée du travail précaire et du travail tertiaire ? L’emploi salarié offre-t-il toujours aux individus la possibilité de s’intégrer dans notre société marchande ?
ü Annonce du plan = Après avoir montré que le travail salarié restait une instance importante de l’intégration sociale, nous analyserons l’affaiblissement du caractère intégrateur du travail à la suite des transformations de l’emploi salarié.
- – L’emploi est traditionnellement un puissant facteur d’intégration sociale…
ü Phrase introductive = Durant les trente glorieuses, le travail typique a été le principal responsable de l'insertion et de l'intégration des individus dans la société. Il s'agit d'un travail salarié, à temps plein, protégé par un contrat à durée indéterminée et des conventions collectives qui prévoient une augmentation régulière des salaires réels, indexés sur les gains de productivité, une promotion professionnelle et une forte protection sociale (« compromis fordiste »). Quels sont les apports du travail salarié à l’intégration sociale ?
A – L’emploi permet à l’individu de s’insérer dans la société
ü Tout d’abord, la division du travail est à l’origine du lien social. La division du travail crée de la complémentarité et de l’interdépendance entre les individus ce qui est à l’origine de la solidarité organique selon Emile Durkheim. Le travail crée également un sentiment d’utilité : en travaillant je participe au bon fonctionnement de la société (Doc 1).
ü Ensuite, le lieu de travail est aussi un lieu de sociabilité : relations professionnelles, amicales, syndicales qui rendent le lien social plus intense et permettent de s’intégrer dans des groupes sociaux. C'est dans le travail que se forgent des relations de coopération et de camaraderie entre travailleurs, qui pourront déboucher sur une adhésion syndicale et sur des mouvements sociaux. Certaines entreprises ou certains secteurs d’activité sont emprunts d’une forte culture d’entreprise où le collectif est valorisé. Des relations professionnelles peuvent également se nouer entre le travailleur et la clientèle, ce qui va donner naissance à la constitution d’un carnet d’adresse utile pour s’ouvrir à de nouveaux réseaux sociaux (Doc 1).
ü Enfin, ce travail typique fournit à l'individu son identité sociale. Le statut professionnel définit la position sociale que l'on occupe dans la hiérarchie sociale. Il conditionne les façons de voire, de penser et d'agir, c'est-à-dire la culture du groupe auquel on appartient. Pour Karl Marx, la place que l'on occupe dans le processus de production détermine la conscience et la culture de classe. De ce point de vue, le travail socialise. C'est dans le travail, que l'individu apprend à respecter les règles de la vie sociale en entreprise : arriver à l'heure, le respect du travail bien fait, l'obéissance aux ordres, la compétition, la solidarité avec les autres salariés...
B – L’emploi permet de s’intégrer à notre société de consommation
ü En premier lieu, les revenus du travail sont les principaux revenus des français. Ces revenus permettent aux individus de s’autonomiser vis-à-vis de la famille et vis-à-vis de l’Etat. C'est grâce au travail qu'un jeune s’autonomise vis-à-vis de ses parents et peut fonder une famille. Le travail salarié a permis aux femmes de s’émanciper au sein du couple et de s’ouvrir à d’autres univers que celui du foyer familial. Le travail permet la réalisation de soi lorsqu’il est choisi et lorsqu’il n’est pas taylorisé.
ü En second lieu, les revenus du travail permettent de consommer et de s’intégrer par là à notre société de consommation dans laquelle ne pas posséder certains objets est source d’exclusion (le téléphone portable, internet aujourd’hui par exemple) Pendant les 30 Glorieuses, le plein-emploi et les salaires en hausse ont favorisé la consommation de toutes les catégories sociales et uniformisé les comportements de consommation.
ü Enfin, le travail structure les temps sociaux puisqu’il conditionne la vie de famille, le temps libre et les loisirs. Il représente une bonne partie de la vie de l’individu et lui impose une régularité dans son mode de vie (études/travail/retraite, temps de travail/temps libre/vacances…).
C – L’emploi est à l’origine de droits sociaux
ü Les cotisations sociales reposent encore aujourd’hui essentiellement sur les revenus du travail. Notre système de redistribution crée de la solidarité (entre actifs occupés et chômeurs/ inactifs/ retraités, entre biens portants et malades,…).
ü Les allocations chômage, retraite dont peut bénéficier un individu suite à ses années de travail constitue une assurance en terme de revenus, et l’assurance de pouvoir continuer à participer à cette société de consommation (tout au moins temporairement).
ü La participation du travailleur à ces institutions de solidarité renforce le lien civique : plus l'individu est actif sur son lieu de travail, plus il est concerné par les réformes de la protection sociale, plus il s'intéresse à la vie politique de la nation (militantisme syndical, vote politique...).
Conclusion partielle = L'époque dans laquelle nous vivons n'est que l'apogée d'un mouvement qui prend son origine au XIXe siècle au cours duquel le travail a été conçu comme le dispositif central sur lequel s'édifie le lien social et se construit l'homme. Dans les sociétés développées, il s'agit essentiellement d'un travail salarié qui fournit les revenus nécessaires pour s'intégrer au mode de vie proposé par la société, c'est-à-dire pour participer à ses valeurs et à ses normes. C'est par le travail que l'individu apprend la vie avec les autres, les contraintes, le conflit et la négociation. Ce caractère intégrateur du travail a-t-il disparu avec les réformes du marché du travail mises en route à partir des années 1980 ?
2 –…mis à mal par les transformations opérées sur le marché du travail depuis les années 80
ü Phrase introductive = A partir des années 1980, la diffusion des idées libérales et la mondialisation ont conduit l’Etat et les entreprises à déréglementer le marché du travail et à individualiser les relations professionnelles. Quelles ont été les conséquences de ces transformations sur la capacité du travail à intégrer ?
A – Le développement des emplois atypiques a fragilisé l’aspect intégrateur du travail
ü La multiplication des emplois à durée déterminée et du temps partiel subi fragilisent les individus. En France, l’emploi typique a diminué d’un million entre 1975 et 2011. Dans le même temps, les emplois atypiques ont été multiplié par 5, soit une hausse de 6 millions d’emplois. Les emplois atypiques qui représentaient moins d’un emploi sur dix en 1975, en représentent de nos jours un sur trois (Doc 2).
ü La montée des emplois précaires a fait apparaitre le phénomène des travailleurs pauvres. Robert Castel utilise l’expression «précariat» pour désigner la situation de certains individus alternant les périodes d’emploi, de chômage et d’inactivité sans accéder de façon durable à l’emploi typique et ne pouvant de ce fait pas accéder à l’autonomie financière. En effet, pour ces individus, les revenus sont faibles ou incertains et freinent la possibilité de se projeter dans l’avenir, d’accéder à la propriété. Sur 100 travailleurs vivant en dessous du seuil de pauvreté en France en 2006 (965 € en 2012), un tiers ont un travail à temps complet ou à temps partiel (la moitié pour les femmes), un autre tiers sont des indépendants et un quart alternent emploi et chômage (Doc 3).
ü En conséquence, la précarisation de l’emploi a diminué la capacité intégratrice du travail. Les travailleurs intérimaires, en
CDD ou à temps partiel ne reste pas suffisamment dans l’entreprise pour être considérés comme y faisant partie. Ils sont mêmes vus comme des concurrents par le personnel permanent. Ils n’ont pas le temps de nouer des contacts et leurs revenus sont insuffisants pour leur permettre de s’intégrer pleinement à la société de consommation. Le marché du travail s’est segmenté. Il est devenu dual.
B – Les politiques des entreprises favorisent la concurrence et l’individualisation
ü Une division du travail excessive peut être pathogène comme l’avait montré Durkheim et favoriser la désintégration au travail. Les exigences se sont accrues vis-à-vis des salariés avec les nouvelles formes d’organisation (Toyotisme, juste à temps, zéro défaut…). La concurrence exacerbée que se livrent les entreprises se répercute sur les salariés à qui l’on demande d’atteindre des objectifs toujours plus ambitieux. Ceci engendre du stress pour les salariés et des Troubles musculo-squelettiques (TMS). L’épanouissement au travail est compromis, comme le montre les cas récents de suicides opérés sur le lieu de travail, indicateur de la décohésion sociale selon Durkheim.
ü L’individualisation de la relation salariale et de la rémunération déstabilisent le collectif des travailleurs. Les conventions collectives sont de plus en plus négociées au niveau de l’entreprise et les salaires sont aussi de plus en plus individualisés selon les salariés. Ceci contribue à la destruction du collectif de travail et l’exacerbation de la concurrence entre salariés.
ü Enfin, La tertiairisation des économies postindustrielles diminue également la capacité intégratrice du travail. D’une part, parce que le travail tertiaire est cloisonné dans des bureaux ou s’effectue en dehors de l’entreprise, ce qui raréfie les contacts qu’autorisait le travail en usine, dans les ateliers. Cet éclatement spatial ne permet plus de créer une identité collective. D’autre part, le travail tertiaire s’est traduit par un développement des horaires décalés et du temps partiel ce qui diminue les fréquences des rencontres (Doc 1). Enfin, le travail tertiaire substitue la relation client-salarié à la relation hiérarchie-salarié. En conséquence, les relations professionnelles prennent un caractère individuel, de face à face (la caissière ou la vendeuse et les clients), et non plus un caractère collectif (les ouvriers face à la hiérarchie).