L’économie sociale familiale dans le développement rural
1. SITUATION DE L’ECONOMIE SOCIALE FAMILIALE
a) EVOLUTION DE L’ECONOMIE SOCIALE FAMILIALE DANS LES PAYS OCCIDENTAUX
Sans doute n’est-il pas inutile, pour présenter l’éducation en economie familiale rurale, d’en tracer un bref historique qui rende compte de son évolution - particulièrement en France - et la situe dans notre époque. Les mères ont, de tout temps, transmis à leurs filles leurs connaissances conernant la tenue de la maison, le travail sur l’exploitation agricole, les soins aux enfants et leur éducation. Fonctionnant en totale économie de subsistance, à des rythmes différents suivant les régions, les cellules familiales sont devenues des lieux d’activités multiples : ménagères, agricoles, artisanales. Plusieurs types de formation ont successivement tenté de répondre à l’évolution des besoins.
ECONOMIE DOMESTIQUE
L’économie domestique, science de la maison, a tout d’abord été l’apprentissage des travaux qui S’av&aient indispensables : cuisine et conservation des aliments, entretien de la maison et des vêtements, puériculture, jardinage et petits élevages, mais aussi soins aux troupeaux et activités de laiterie, productions agricoles . . . Une formation à caractère techniques et économique s’avèrait nécessaire, et s’y sont ajoutées, au fil des temps, des notions de gestion des ressources, d’économie de marché et d’organisation du travail. Seule une élite campagnarde pouvait en bénéficier. Cependant, le monde est en perpétuel changement : révolutions industrielles, accroissement de l’urbanisation . . . bouleversant les pays de façon plus ou moins rapide, plus ou moins aiguë, et partout l’équilibre des sociétés est compromis, l’inadaptation des systèmes économiques se fait sentir.
ENSEIGNEMENT MENAGER
L’Enseignement Ménager s’est alors adressé à une plus grande fraction de la population féminine dont on reconnaissait le rôle social et economique. La formation ménagère des jeunes paysannes se développe. Diminuer la fatigue des femmes, améliorer l’habitat rural, augmenter les revenus de la famille deviennent des impératifs. Il faut résoudre les problèmes nouveaux créés par l’exode rural et l’éloignement des générations. En ville, les femmes, trop vite entrées dans le monde du travail, n’ont pu s’initier au savoir-faire de leur mère. Elles sont désemparées face à une économie qui les oblige à acheter les produits que la famille ne fabrique plus. Par des formules appropriées, originales, (cours du soir ou sur les lieux de travail, sessions ambulantes, etc...) l’enseignement ménager a pris une dimension sociale. Actuellement les besoins des familles se sont considérablement uniformisés ainsi que les moyens utilisés pour les satisfaire, grâce à la facilité des échanges et à la rapidité des communications, du moins dans les pays fortement industrialisés.
ECONOMIE SOCIALE FAMILIALE
Si certains problèmes restent toujours liés aux besoins vitaux : se loger, se nourrir, se vêtir, élever ses enfants et préserver sa santé, 1’Economie Sociale Familiale élargit toutefois sa recherche aux difficultés dues à l’environnement, à l’évolution technologique, aux relations entre générations et entre groupes sociaux . . . L’informatique est à l’horizon et transformera une fois de plus les modes de vie et les mentalités. L’Economie Sociale Familiale ne s’adresse plus exlusivement aux femmes.
Les méthodes pédagogiques ne sont plus les mêmes. Autrefois la monitrice montrait aux femmes ce qu’il fallait faire. Aujourd’hui elle essaie de rendre les familles aptes à trouver elles-mêmes leurs solutions. Hier elle travaillait seule dans un secteur féminin bien défini. Actuellement la conseillère agricole cherche à faire partie d’une équipe où se retrouvent travailleurs sociaux, agronomes, économistes, sociologues . . . et tous s’ingénient à replacer les problèmes dans leur contexte économique, social et culturel. C’est la famille tout entière (et non seulement la femme) qui devrait analyser ses difficultés et participer à la prise des décisions qui la concernent.
b) IMPLANTATION DE L’ECONOMIE SOCIAL FAMILIALE EN AFRIQUE
Une semblable évolution de YEconomie Sociale Familiale, dans ses objectifs et dans ses méthodes, a-t-elle pu être constatée dans les pays en développement? Quelle a été sa place, sa fonction économique, sa dimension sociale? Quelle est son ouverture aux problèmes actuels? Une telle étude exigerait des descriptions très nuancées, compte tenu du nombre et de la disparité des pays, des groups sociaux, de leur environnement, de leur histoire et de la diversité des institutions mises en place. Cependant on peut dire, de façon assez générale, que les premiers essais de formation féminine n’ont pas été demandés par la population concernée, en particulier par les paysannes. Ils ont été transposés de la ville à la campagne à partir du “modèle occidental”, celui de la femme dépendante du chef de famille réduite à des tâches d’épouse et de mère, auquel les organisations coloniales, puis l’assistance technique étrangère donnaient valeur universelle. Cette image acculait, quand elle ne le détruissait pas, le statut de la paysanne, et ignorait l’importance de son rôle économique. Les programmes, bien souvent copiés sur l’étranger, n’ont pas été adaptés aux conditions locales, ni aux mentalités, ni au pouvoir d’achat. Peu d’études ont été menées qui auraient dû permettre de comprendre les valeurs sociales, les coutumes, les modes de vie et les traditions, et auraient dû aider à l’expression des besoins, à la recherche de solutions et de formation adaptées.
LA VIE QUOTIDIENNE DES VILLAGEOISES AFRICAINES
Le rôle économique et social des femmes a-t-il jamais été reconnu? Ont-elles toujours été “les grandes oubliées du développement” comme l’indique le titre d’un article récemment paru (l)? Pourtant, dès le début de la colonisation, des études ethnologiques été réalisées, d’autant plus nombreuses que les sociétés observées semblaient originales à leur auteur. Cependant, leurs limites ont été bien précisées, lorsqu’il s’agissait des femmes :
“L’enquête ethnographique étant presque toujours menée à l’aide et auprès des seuls éléments masculins de la population, l’image qui en résulte se trouve être, dans une très large mesure celle que les hommes, et eux seuls, se font de leur société. Obstacles de la langue, du milieu, rapports entre dominés et dominants, la difficulté devient presque insurmontable, les femmes africaines réagissent d’abord par l’indifférence. Qu’importe l’opinion d’une étrangère qui, dès son arrivée, s’est située du côté des hommes. Que cette étrangère vienne ensuite trouver les femmes, accueil réservé ou franchement hostile, fin de non recevoir, trop souvent accueillera ses efforts.ff(2)
La vie des femmes est cependant bien observée et décrite, si elle n’est pas complètement comprise :
Dès cette époque (nous sommes en 1960) la question alimentaire était posée, de vastes enquêtes étaient menées et des stations de recherche créées. Il peut sembler dommage que les programmes féminins s’en soient si peu inspiré, leurs responsables (missionnaires et femmes européennes, à l’origine) continuant à transposer le modèle occidental dans lequel la cuisine, la couture, le tricot . . . avaient une telle importance! Pourtant se mettaient en place des structures pour la santé des mères et des enfants, dans les villes et plus timidement dans quelques régions rurales pilotes. Elles ont largement contribué à diminuer la mortalité infantile, par un meilleur sevrage et une protection contre les maladies contagieuses. Devenus indépendants de nombreux pays ont organisé des services d’ “Animation des paysans” et la nécessité de la participation des femmes a été mise à l’ordre du jour.
“Les femmes ont-elles un rôle à jouer dans le développement? Il est probable qu’à une telle question il n’est aujourd’hui personne qui réponde par la négative. Et pourtant, quand on examine de près la politique menée par les différents pays de l’Afrique de l’Ouest pour aider réellement les femmes à jouer leur rôle on reste confondu par le décalage qui existe entre les discours et les faits. La plupart du temps, en effet, l’effort d’éducation et de formation féminine se limite aux actions entreprises par quelques Centres Sociaux qui ne s’intéressent qu’à un nombre réduit de problèmes dont il faut bien reconnaître qu’ils ne sont pas toujours les plus urgents et avec des méthodes dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles ne sont pas toujours les plus adaptées.“(41)
L’INADAPTATION DES FORMATIONS FEMININES
Lorsqu’on analyse les échecs répétés d’actions de développement destinées aux femmes rurales, l’on constate :
- la trop grande spécialisation des actions ponctuelles
Elles ont fait perdre de vue la globalité du développement : “Selon un plan établi à l’avance, l’agronome visite la famille paysanne et discute avec le mari, la nutritionniste ou l’infirmière parlent uniquement à la femme tandis que l’enfant reçoit des rudiments sur l’agriculture par son maître de classe. Les intéressés souhaiteraient s’entretenir ensemble avec les différents spécialistes, mais il n’ont aucun pouvoir pour modifier les programmes de formation offerts . . . formations conçues non pas pour répondre plus efficacement aux attentes de la population mais bien par conformisme aux habitudes occidentales qui ont inspiré le contenu de tels programmes. La marginalité economique et sociale augmente lorsque les plans de développement rural ne procèdent pas d’une vision globale du changement”.(5)
- le méconaissance de la vie des femmes de la campagne
L’instabilité des unions, la polygamie, l’exode masculin sont des facteurs qui ajoutent à la complexité du groupe familial. Dans celui-ci chacun peut avoir une relative indépendance sur ses propres terres, organisant le travail, commercialisant la récolte et disposant du revenu, sans qu’il y ait toujours pouvoir unique de décision. Mais les coutumes déterminent tout un réseau de dons et d’échanges, resté fort dans certaines régions, complètement perdu ailleurs.
Les femmes n’ont pas la même “vision” du développement que les hommes. Le paysan est intégré à son village. Il vit sur des terres ancestrales. La paysanne s’installe au foyer de son mari. Mais elle reste très attachée à sa famille d’origine, y retourne lors des conflits et peut s’y rétablir définitivement si elle ne se remarie pas après un divorce ou un veuvage. Elle doit alors souvent quitter ses enfants, fixés dans la famille de leur père et lui restant très attachés sur le plan affectif, mais aussi économique. Un vie1 adage nigérien déclare : “la femme est mobile comme le feu, l’homme est stable comme les trois pierres du foyer”.
En effet, dans l’économie de marché, l’unité de production devient vendeuse de force de travail et de marchandises. Mais les rapports de production “traditionnel” étant maintenus, c’est le chef de l’unité qui reçoit la rémunération du travail des femmes, des jeunes et de la clientèle. ffL’homme acquiert de nouvelles fonctions patronales comme ordonnateur du travail et dépositaire des gains de la famille, tandis que sa femme ou ses femmes prennent certaines des caractéristiques du prolétariat rural” (Revue internationale de travail, janvier 1977) D’autre part, les innovations techniques augmentent bien souvent les tâches des femmes. E. BOSERUP a constaté que : “Les femmes exécutent 55% du travail agricole dans un village traditonnel et 68% dans un village où on applique des techniques agricoles perfectionnées” (Woman’s role in economic development Londres : ALLEN & UNWIN, 1970.
Il est même apparu dans certains pays que l’introduction de nouvelles cultures, si elle accroît la participation des femmes à la main-d’oeuvre, n’accroît pas toujours leurs revenus. Les seuls efforts dirigés vers les femmes sont faits pour leur apprendre à mieux gérer la production familiale, à devinir de meilleures nutritionnistes et de bonnes couturières. Ce sont les fameux “projets féminins” dont le résultat est de renforcer la statut inférieur des femmes dans la production en les cantonnant dans les circuits de la production marchande (cf. Dossier FIPAD 14) Ainsi la modernisation crée au sein de l’unité de production des différences de productivité non seulement entre les hommes (chef de l’unité et les “cadets”) mais aussi avec les femmes, ce qui aggrave encore l’inégalité déjà existante, et renforce leur subordination dans la mesure où l’essentiel de leur travail n’étant pas rémunéré, est dévalorisé.” (7)
II. QUELQUES OBJECTIFS D’ACTION
“Dans sa recherche d’une organisation harmonieuse et efficace de la vie familiale en vue de satisfaire les besoins de chacun dans ses rapports avec la société, 1’Economie Sociale Familiale procède de la façon suivante:
- elle suscite une prise de conscience des situations, replacées dans leur contexte économique, social et culturel,
- elle participe à l’éveil des besoins d’information et de formation nécessaires aux choix et aux prises de décisions,
- elle aide à assumer les changements par acquisition de connaissances et de techniques, dans les domaines de la vie quotidienne”. (8)
Il a été vu combien l’application de modèles étrangers peut bouleverser un développement encore fragile, ou le freiner. Chaque pays doit établir ses lignes d’action et en privilégier tel ou tel aspect, qui se définit d’ailleurs davantage par des objectifs à atteindre que par une énumération de tâches. Il peut cependant être utile de dégager ici quelques suggestions d’orientation que des programmes nationaux pourraient retenir comme prioritaires. D’autres ne feront pas ces choix. Mais force est de constater que tous les domaines de la recherche en Economie Familiale ont entre eux de profondes interpénétrations. Ces suggestions concernent l’autosuffisance alimentaire des familles rurales, la technologie à mettre au service des villages, la recherche de revenus propres aux femmes.
“La contribution spécifique de 1’Economie Sociale Familiale consiste en sa possibilité de faire le lien entre les politiques globales de développement et l’individu au sein de la cellule familiale”. (9)
a) L’AUTO-SUFFISANCE ALIMENTAIRE DES FAMILLES RURALES “