Cours complet en Economie politique de la réforme
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Résumé
Cette étude a pour objet de recenser les leçons d’économie politique qui peuvent être utiles aux décideurs politiques, responsables de la conception, l’adoption et l’application des réformes structurelles. Un grand nombre des facteurs d’économie politique, qui ont facilité ou entravé les réformes économiques, ont été examinés dans de précédents travaux menés par le Département des affaires économiques de l’OCDE. La présente étude s’appuie sur ces travaux, adoptant une approche inductive, basée sur des études de cas - adoptions et mises en œuvre de réformes structurelles, dans le domaine des retraites, du marché du travail et de la réglementation des marchés des produits et des services. Cette étude permet d’approfondir certaines conclusions économétriques, et également d’examiner certains facteurs qu’il peut être extrêmement difficile de quantifier ou de mesurer dans le cadre d’analyses quantitatives.
La méthode adoptée est celle de la « comparaison ciblée », qui consiste à poser des questions similaires à travers les différents cas de réformes, de manière à discerner des similitudes susceptibles d’être généralisées. La démarche comparative basée sur des études de cas ne permet pas le même niveau de vérification formelle que l’étude économétrique, mais elle permet une analyse plus approfondie de la dépendance des variables de contexte et de leurs relations à d’autres type de variables. Elle permet également de voir les liens entre les causes possibles et les résultats des réformes, afin d’évaluer les liens de causalité entre une hypothèse donnée et la séquence d’événements qui s’ensuit. Les principales conclusions de l’étude peuvent être résumées comme suit:
• Il est essentiel d’avoir un mandat électoral pour mener à bien une réforme. C’est l’un des constats le plus évident de cette étude. Les réformes « furtives » se heurtent à de sérieuses contraintes et celles qui n’auront pas réussi à obtenir le soutien du public ne réussissent que si elles ont des effets bénéfiques visibles à très court terme, ce qui est rarement le cas des grandes réformes structurelles. Une crise offre parfois l’opportunité de « réformes surprises », permettant à un gouvernement de changer de cap face à de nouvelles situations économiques. Mais si leurs effets bénéfiques ne se font pas rapidement ressentir, ces réformes ne pourront être maintenues que si le gouvernement réformateur est en mesure de soutenir qu’elles sont souhaitables et indispensables dans le long terme d’un point de vue structurel. Les réformes justifiées comme réponses à une crise immédiate seront difficiles à pérenniser une fois la crise passée.
• L’importance d’un mandat significatif offre un rôle tout aussi important à une communication efficace. Les réformes majeures sont généralement accompagnées d’une action de communication coordonnée et cohérente. Elles visent à informer les électeurs et les parties prenantes de la nécessité des réformes et, plus particulièrement, des coûts implicites de la non-réforme. Lorsque le coût du statu quo est un coût d’opportunité, ce qui est souvent le cas, ce dernier tend à être politiquement « invisible » et rend le défi de réforme d’autant plus grand. On sait assez clairement qui paiera le prix de la réforme – quelles entreprises seront touchées et quels emplois seront mis en danger –mais on ne sait pas vraiment qui paie le prix du statu quo ; en effet, il est difficile d’identifier les entreprises qui ne sont jamais entrées sur le marché, les secteurs qui ne sont pas développés ou les salariés qui auraient pu être employés.
• Cela souligne la nécessité que la conception des politiques s’appuie sur des recherches et analyses robustes. Des éléments factuels et analytiques solides, permettront d’améliorer à la fois la qualité des réformes politiques et leurs chances d’adoption. Le pouvoir d’influence des analyses économiques dépend particulièrement de leur source : celles qui émanent d’un organisme non partisan, faisant autorité et jugées fiables dans tout l’éventail politique, auront beaucoup de crédibilité. Mais, la mise en place de tels organismes nécessite du temps, car leur pouvoir d’influence est largement fonction de leur réputation. En revanche, dans les pays qui en sont dotés, la présence de telles analyses paraissent avoir amélioré les perspectives de réforme dans certains domaines.
• C’est pourquoi, une réforme structurelle réussie requiert du temps. Les réformes les plus abouties, parmi celles revues dans l’étude, se sont déroulées sur une période de deux ans pour leur préparation et leur adoption. Cela est sans compter toute la phase de travail préparatoire, où les problèmes et les propositions sont débattus et examinés pendant des années avant que les autorités ne commencent à élaborer le cadre des réformes. En revanche, parmi les réformes les moins réussies, ces dernières ont été le plus souvent entreprises à la hâte en réponse à des pressions immédiates : en matière de réforme, la précipitation risque fort d’en ralentir le processus. Les réformes des retraites, par exemple, ont souvent une gestation longue, nécessitant de nombreuses études et consultations. Si un gouvernement doit être prêt à exploiter les « opportunités» politiques, les réformes peuvent se heurter à des difficultés si elles sont menées avec une hâte excessive.
• La cohésion gouvernementale est elle aussi cruciale. Si un gouvernement réformateur n’est pas uni autour de la politique souhaitée, il adressera des messages ambigus que l’opposition politique exploitera; le résultat aura de forte chance de se traduire par un échec. Il ressort des études de cas que la cohésion est plus importante que des facteurs comme la puissance ou l’unité des partis d’opposition ou les forces parlementaires sur lesquelles le gouvernement peut s’appuyer.
• Si la concertation est utile, elle ne remplace pas l’impulsion gouvernementale. La progression des réformes peut parfois être facilitée par d’intenses discussions tripartites impliquant le gouvernement et les partenaires sociaux dans un cadre fortement institutionnalisé. Mais la détermination du gouvernement semble être un élément clé du succès, dans ce cas de figure. Plusieurs études de cas montrent que l’approche de la concertation risque de ne pas aboutir si le gouvernement n’est pas en mesure de récompenser la coopération des partenaires sociaux ou de les menacer d’agir unilatéralement en l’absence d’accords, et ci de façon crédible. Lorsque le gouvernement est trop faible pour « prendre les commandes» ou ne veut pas le faire, les partenaires sociaux sont peu incités à faire des concessions. En revanche, une approche corporatiste peut bien fonctionner lorsque le gouvernement est disposé à prendre la direction des opérations. En effet, lorsque les partenaires sociaux sont impliqués dans la mise en œuvre de la réforme, il peut s’avérer utile de les intégrer de façon participative au niveau de la conception de la réforme.
• Une autre clé d’une réforme réussie est la persévérance. L’une des conséquences concernant la « maturité pour les réformes » est qu’il ne faut pas nécessairement considérer comme étant un échec toute tentative de réformes antérieures qui ont été bloquées, qui ont reculé ou mises en œuvre de façon très partielles : ces dernières peuvent contribuer à éroder le statu quo, permettant de jeter les bases pour de futures réformes plus fructueuses. Ainsi, les réformes les plus réussies sur les retraites et le marché du travail, revues dans la présente étude, ont le plus souvent fait suite à des échecs de réformes et/ou tentatives de réformes, dans les trois domaines considérés. Ce qui, aujourd’hui, peuvent être considérés comme avoir permis la mise en œuvre de réformes postérieures, qui pour certaines ont été de grande envergure.
Cette étude apportent de nouveaux résultats concernant les principales conclusions des travaux économétriques menés par le Département des affaires économiques, en particulier pour ce qui est de l’impact des crises et de l’importance de la solidité de la position fiscale. En revanche, elle remet en cause l’idée, souvent avancée, que les électeurs ont tendance à sanctionner par un vote négatif les gouvernements réformateurs : la probabilité de réélection n’était guère différente entre les réformes les plus et les moins réussies, et les taux de réélection de tous les gouvernements examinés dans l’étude, étaient proches de la moyenne des élections nationales dans les dix pays au cours de la période 1992-2008. Certes, le nombre de cas est trop limité pour en tirer des conclusions générales, mais on notera que presque tous les gouvernements qui ont fait adopter et mis en œuvre des réformes avec un mandat électoral clair, ont été reconduit.
Partie I Les réformes structurelles : Que peut-on apprendre du passé ?
Cette étude a pour objet principal de recenser les leçons d’économie politique qui peuvent être utiles aux responsables politiques pour la conception, l’adoption et l’application des réformes structurelles. Un grand nombre des facteurs facilitant ou entravant les réformes économiques ont été examinés dans les travaux antérieurs du Département des affaires économiques de l’OCDE1 et d’autres institutions et chercheurs2 . Cette étude s’appuie sur ces travaux, en particulier ceux du Département des affaires économiques, et contribue au projet horizontal élargi de l’OCDE « Réussir les réformes », qui s’intéresse également à identifier les moyens les plus efficaces pour mettre en œuvre les réformes mais dans différents domaines. À la différence des précédents travaux, on adoptera dans cette analyse une approche inductive, reposant sur des études de cas où les réformes structurelles ont été adoptées et/ou mise en œuvre3 .
Cette approche relativement ouverte permet de tirer des conclusions générales à partir de cas particuliers. Elle semble appropriée en l’absence de cadre d’analyse ou d’un modèle général qui pourrait servir de base théorique à une analyse couvrant un éventail aussi large de réformes. Cette étude se distingue à plusieurs égards des travaux précédents concernant l’économie politique des réformes. Premièrement, les travaux issus de la recherche universitaire sur l’économie politique des réformes, de même qu’une grande partie des études réalisées par les institutions internationales, ont longtemps été axées sur les pays en voie de développement et en situation de profonde mutation politique, en raison de crises économiques majeures4 .
L’importance d’un mandat significatif requiert, au même titre, une communication efficace : les grandes réformes doivent se doubler d’une action coordonnée et cohérente afin de persuader les électeurs et les autres parties prenantes de la nécessité de la réforme et, en particulier, de les informer sur les coûts de la nonréforme. Dans la plupart des cas, le coût du statu quo est un coût d’opportunité qui a souvent tendance à être politiquement « invisible ». Ce défi de communication souligne la nécessite que la conception des reformes politiques puisse s’appuyer sur des travaux de recherches et d’analyses solides, autant pour améliorer la qualité des indicateurs de mesures que les perspectives des réformes à adopter. En partie pour ces raisons, les études de cas montrent qu’une réforme structurelle réussie peut prendre du temps : parmi celles revues dans cette étude qui ont le mieux réussi, les réformes ont demandé une période de deux ans entre leur préparation et leur adoption.
Table des matières
Resumé ..................................... 9
Partie I Les réformes structurelles : Que peut-on apprendre du passé ?
Chapitre 1 Introduction : Le passé vu comme un prologue ........... 15
Annex 1.A1 Méthodes statistiques et sources des données ............... 27
Chapitre 2 Les facteurs déterminants de la réussite des réformes structurelles ........ 37
Partie II Études de cas : Les réformes des régimes de retraite
Chapitre 3 France : La réforme des retraites de 2003 ..................... 87
Chapitre 4 Italie : La bataille de 1994 pour la réforme des pensions ...................... 111
Chapitre 5 Mexique : La réforme du régime de retraite des fonctionnaires fédéraux, 2001-07 ...... 133
Chapitre 6 Pologne : La réforme du régime général des retraites 1996-99 ............. 151
Chapitre 7 Pologne : La réforme du régime de Sécurité Sociale des agriculteurs, 2003-05........... 175
Chapitre 8 États-Unis : Le débat sur le réforme de la Sécurité Sociale de 2005 ..... 195
Partie III Études de cas : Les réformes du marché de l’emploi
Chapitre 9 France : Le contrat d’insertion professionnelle, 1994 ........................... 225
Chapitre 10 Allemagne : Les réformes Hartz du marché du travail, 2002-05 .......... 247
Chapitre 11 Italie : Les réformes Treu (1997) et Biagi (2002) ...... 273
Chapitre 12 Mexique : La réforme du droit du travail, 2001-03 ..... 297
Chapitre 13 Pays-Bas : La réforme de l’assurance-invalidité, 2002-06 .................... 319
Chapitre 14 Espagne : La réforme du marché du travail, 1994 et 1997 .................... 343
Chapitre 15 Suède : L’assurance-maladie en Suède de 1990 à 2002 ........................ 367
Chapitre 16 Etats-Unis : La réforme de 1996 du système de protection sociale ....... 391
Partie IV Études de cas : La déréglementation du marché des produits et des services
Chapitre 18 Australie : La réforme de la politique de l’eau, 1994-2004 .................. 445
Chapitre 19 Allemagne : Les heures d’ouverture des magasins, 1999-2003 ............ 473
Chapitre 20 Pays-Bas : La libéralisation des loyers, 2004-07 ......... 495
Chapitre 21 Espagne : La réglémentation des implantations et des heures d’ouverture dans le commerce de détail, 1995-2004 ................ 515
Chapitre 22 Suède : La libéralisation des services postaux, 1992-99 ....................... 535
Encadrés
1.1. Des réformes plus ou moins « réussies » .............................. 18
1.2. Évaluation statistique des études de cas : la construction des indicateurs ...... 21
3.1. Le système de retraite français .................... 91
4.1. Le système de pension en Italie avant les réformes ............ 116
4.2. La réforme des pensions de 1992 .............. 117
5.1. L’Institut de la sécurité sociale et des services sociaux des travailleurs de la fonction publique (ISSSTE) ........... 137
5.2. Le plan de réforme de l’ISSSTE ............... 141
6.1. Le plan de réforme des retraites ............... 158
7.1. Le plan Hausner .............. 185
8.1. Le système de Sécurité sociale .................. 200
10.1. L’indemnisation du chômage et les prestations sociales avant les réformes Hartz................. 251
10.2. Les « lois Hartz » ............ 257
12.1. Les principaux éléments des projets de réforme de la loi sur le travail ........ 308
13.1. L'assurance invalidité professionnelle aux Pays-Bas avant 2000 ................ 324
14.1. Négociations collectives en Espagne dans le cadre du Statut des travailleurs ................ 347
14.2. Les coûts de licenciement dans le cadre du LET ................ 348
15.1. L'assurance-maladie en Suède .................. 372
17.1. Les conséquences économiques de la propriété de l'électricité..................... 423
17.2. La politique nationale de la consurrence (NCP) ................. 424
17.3. La privatisation du secteur de l'électricité en Australie-Méridionale ............ 433
18.1. Les caractéristiques économiques de l’eau et la création de marchés de l’eau ........................... 454
20.1. L’encadrement des loyers aux Pays-Bas ............................. 499
Tableaux
1.1. L’économie politique de la réforme structurelle : les études de cas ............... 19
1.2. Les corrélations de rang de Spearman ........ 22
1.A1.1. Les corrélations de rang de Spearman ........ 34
3.1. Durée escomptée de la retraite .................... 92
3.2. Le problème des retraites en France : le « choix 2040 » ....... 95
6.1. Les dépenses au titre des pensions d’invalidité et de retraite ........................ 153
6.2. Les projections des taux de remplacement moyens dans le nouveau système............. 159
7.1. Croissance, déficits et dette publique ........ 177
7.2. Les sources du revenu agricole par taille d’exploitation ..... 178
7.3. Les dépenses et les recettes du KRUS ................................ 181
9.1. Les principales caractéristiques de l’activité des jeunes en France,
1983-1994 ....................... 229
10.1. Principales recommandations de la « commission Hartz » ........................... 254
11.1. Les indicateurs du marché du travail 1995, 2000 ............... 278
15.1. Les absences des salariés pour maladie dans huit pays, par groupe d'âge .... 372
15.2. Les évolution du taux de remplacement, de 1987 à 2003 ............................. 376
16.1. Indicateurs économiques et sociaux, 1989-96 .................... 393
19.1. Les heures d'ouverture des magasins dans un certain nombre de pays européens, 1999....... 477
20.2. Objectifs indicatifs de la production immobilière des associations de logement ..................... 505
21.1. Barrières régionales à la concurrence dans le secteur de la distribution,
1997-2004 ....................... 526
Graphiques
1.1. Les indicateurs de réformes politiques pour les 20 études de cas ................... 20
2.1. Le mandat politique et les indicateurs de réformes ............... 39
2.2. La consolidation fiscale et les indicateurs de réformes ......... 44
2.3. La rapidité des réformes et les indicateurs politiques …………………….…50
2.4. Les réformes passées et les réformes d’aujourd’hui ............. 51
2.5. L’émergence de nouveaux acteurs et le succès des réformes ......................... 64
13.1. Les bénéficiaires de prestations d’invalidité, 1970-2004 .... 323
13.2. La réforme des prestations d’invalidité, 2000-04 ............... 328
15.1. Arrêts de maladie et journées perdues, 1970-2002 ............. 373
20.1. Étapes du débat sur le réforme des loyers, 2003-07 ............ 505
22.1. La croissance de CityMail ......................... 546