Support de cours avancé en économie monétaire
ULA1 : LA MONNAIE
Avant de développer les notions de base en économie monétaire, il convient de préciser « l’objet de l’étude : la monnaie » : « Qu’est ce que la M ? ». Quel est son rôle dans l’économie ? Quelles sont ses formes ? Comment la mesurer ?
Leçon 1 : L’émergence des études d’économie Monétaire
Introduction
La science économique est une science sociale s’intéressant aux faits économiques et aux institutions qui régissent les rapports entre les individus. Elle cherche à découvrir l’utilisation la plus efficace des ressources productives afin d’atteindre la satisfaction maximale des désirs matériels des hommes.
Or, les questions de l’économie politique se posent sous des angles variés et donnent lieu à diverses disciplines : l’économie de travail, l’économie du développement, l’économie monétaire…… L’économie monétaire est une branche de la science économique qui s'intéresse aux fonctions et au rôle de la monnaie dans l'économie.
Elle a également pour objectif essentiel d'analyser les liens existants entre la monnaie et l’activité économique notamment es relations causales entre le volume de la monnaie en circulation et certaines variables économiques afin de mettre en œuvre la politique monétaire la plus efficace.
1-La domination de la vision dichotomique
Historiquement, le début effectif des études d’économie monétaire était conditionné par la considération de l’importance de la monnaie.
En effet, la vision dichotomique entre la sphère réelle et la sphère monétaire conduisait les économistes classiques tels que J B Say à éliminer la monnaie de l'analyse économique. La monnaie est un "voile " qui cache les transactions réelles qui s'opèrent entre les agents «les produits s'échangent contre les produits». A cet effet, J S Mill déclare qu'« il n'y a rien plus insignifiant que la monnaie». Et même Walras qui considère la monnaie, il ne lui attribut qu'un rôle secondaire dans sa théorie de l'équilibre général puisqu'elle sert uniquement à convertir les prix relatifs en prix absolus. Si on considère que la monnaie est un « voile » dissimulant la réalité de l’économie, ceci revient à considérer que la sphère réelle et la sphère monétaire de l’économie sont strictement séparées. L’équilibre au niveau de la sphère réelle est indépendant de l’équilibre monétaire. La monnaie était alors «neutre». En effet, la variation de la quantité de monnaie en circulation n'a aucune influence sur la production et l'échange.
De ce fait, la préoccupation principale était d'étudier l'équilibre au niveau de la sphère réelle (Production, Investissement, Consommation). L’étude de la monnaie est alors en dehors des préoccupations des économistes. Elle n'influence pas les décisions qui portent sur la consommation, l'offre du travail, etc….
2-La considération de l’importance de la monnaie par Keynes
Toutefois, J.M Keynes a qui a publié en 1930 le «Treatise on Money »1 et « La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » en 1936 a montré que le volume et la valeur de la production dépendent de la monnaie et du crédit. Ceci a permis de dépasser la vision dichotomique et démontrer que la monnaie est un déterminant important du niveau de l’activité économique. En effet, selon l’auteur, le taux d’intérêt est déterminé sur le marché de la monnaie (tel que O de M = D de M) et le taux d’intérêt influence l’investissement. Ainsi, dans cet esprit, le taux d’intérêt fait le lien entre sphère réelle et sphère monétaire. D’une part, le taux d’intérêt est une variable monétaire : il résulte de la confrontation entre la demande et l’offre de monnaie et d’autre part, le taux d’intérêt détermine le niveau de l’investissement. C’est donc grâce à l'œuvre de Keynes que l’économie monétaire soit imposée au sein de l’analyse économique. L'économie keynésienne est une «économie monétaire de production» et non comme «économie réelle d'échange» considérée par la théorie classique. Par ailleurs, Keynes est le fondateur de la macroéconomie.
3-La monnaie dans l’économie moderne
La simple observation de la réalité démontre que la monnaie joue un rôle fondamental dans l'économie moderne: il existe plusieurs interactions entre la sphère réelle et la sphère financière: contrainte de financement, l'influence de l'endettement, le rôle des marchés…. La dernière crise financière de septembre 2008, « crise des subprimes » a affecté et continue à peser sur les économies nationales et l’économie mondiale. En 2009, les taux de croissance des pays développés étaient très faibles. De même, l’activité réelle pèse sur le secteur monétaire : par exemple, l’augmentation de la production entraîne une demande additionnelle de monnaie ou une augmentation des possibilités nouvelles de financement offertes par les banques ou les marchés financiers.
Leçon 2 : Les fonctions de la monnaie
Introduction
La définition de la monnaie pose des problèmes étant donné son usage répandu et ses formes diverses. Ainsi, il existe plusieurs définitions de la monnaie.
• La monnaie peut être définie comme tout ce qui sert à payer. Or, tout ce qui permet de payer n’est pas systématiquement une monnaie. Ex : le ticket restaurant.
• Juridiquement, c'est tout moyen de paiement qui permet de régler sans délai et définitivement une dette ou un achat.
• L’approche historique et institutionnelle définit la monnaie en se référant aux différentes étapes historiques de l’émergence de la monnaie et développement des banques.
• L’approche essentialiste de la monnaie relève d’une lecture sociologique de la monnaie. La monnaie n’est pas un instrument technique au service de l’échange marchand car elle précède les sociétés de marché : la monnaie est un fait social qui permet de normaliser les rapports marchands. Elle fonde l’économie marchande et permet de représenter institutionnellement le social.
• La définition fonctionnelle de la monnaie considère les fonctions spécifiques de la monnaie ou les propriétés qu’elle doit remplir afin de jouer son rôle.
1-Les fonctions de la monnaie
Généralement, on privilégie la définition fonctionnelle de la monnaie c-à-d définir la monnaie non par ce qu'elle est mais plutôt parce qu'elle fait. La définition de la monnaie par ses fonctions est une approche instrumentale. Comme le note Hawtrey «Certains objets trouvent dans l'usage que l'on en fait leur meilleur définition»2 . Selon Walker «Money is that money does».
La monnaie remplit trois fonctions, à savoir:
• la fonction d'unité de compte
• la fonction d'intermédiaire d'échange
• la fonction de réserve de valeurs
1-1- La fonction d'unité de compte:
Certains économistes considèrent que cette fonction est la première qui se manifeste puisque même avec le troc, une référence unique de la valeur des différents biens et services s'impose. Cette référence unique des biens est d'autant plus nécessaire que le nombre des éléments de l’échange augmente multipliant ainsi le nombre des combinaisons possibles. En effet, en présence de n biens, l'opération bilatérale des échanges c-à-d l'échange de 2 à 2 donne lieu à l'analyse combinatoire : = n !/2 ! (n-2) ! = n (n-1)/2. Toutefois, lorsqu'un bien parmi les autres joue le rôle de la monnaie, les rapports de l'échange se réduisent à (n-1) et on abandonne les prix relatifs au profit des prix absolus. Comme unité de compte, la monnaie réduit le nombre des prix nécessaires dans une économie, ce qui réduit les coûts de transaction. Par exemple : Si on a 20 biens à évaluer, il faut établir 190 combinaisons possibles.
En effet, grâce à l’analyse combinatoire. = n!/(n-2)!*2! = n ( n-1 ) / 2 = (20* 19)/2 Si un des biens set d’étalon en lui donnant la valeur 1, le nombre de combinaisons est moins important, il est de n-1 ( 20-1 = 19 ) soit 19 prix. Ainsi, en harmonisant les multiples évaluations, la monnaie simplifie le système des prix, les négociations, les comparaisons et les calculs économiques et favorise les transactions économiques. Cette fonction nécessite la confiance en la valeur de la monnaie, une confiance que la Banque Centrale cherche à entretenir.
1-2- La Fonction d'intermédiaire d'échange
La monnaie est un intermédiaire dans la circulation des marchandises. A chaque fois que les marchandises circulent, la monnaie circule. Cette situation succède au régime du troc (marchandises contre marchandises) qui pose des difficultés :
• La rencontre de deux agents présentant une désidérabilité mutuelle.
• L’indivisibilité des biens. Le troc entraîne que les agents consacrent beaucoup de temps, d'effort, des coûts d'information et de transaction pour pouvoir réaliser des transactions.
Or, grâce à un intermédiaire général dans les échanges, les transactions se trouvent facilitées et le processus d'échange devient plus facile et plus efficient. Ainsi, la monnaie dissocie le troc (flux réel contre flux réel) en 2 opérations: une opération de vente qui permet d'obtenir la monnaie utilisée ensuite pour une opération d'achat. L'économie monétaire se distingue de l'économie de troc par la circulation de la monnaie. Pour que la monnaie joue d'une façon unanime le rôle d'intermédiaire, elle doit circuler et jouir d’un :
- Cours légal : la monnaie ne peut pas être refusée en paiement dans un espace économique ou une zone monétaire donnée bien déterminée.
- Pouvoir libératoire : la monnaie doit permettre d'effectuer des paiements immédiats et définitifs et donc se libérer immédiatement des dettes.
1-3- La Fonction de réserve de valeurs
Si la monnaie permet d’acheter un bien et un service, elle offre aussi la possibilité de différer une telle acquisition. Ainsi, elle autorise le transfert du pouvoir d’achat d’une période à une autre sans pour autant garantir le « pouvoir réel » étant donné l’inflation. La monnaie serait un instrument permanent de réserve de valeurs. Elle permet d'aménager les décisions par rapport au présent, au passé et à l'avenir et offre les avantages des choix temporels. Selon Keynes: " l'importance de la monnaie découle essentiellement du fait qu'elle constitue un lien entre le présent et l'avenir ".
• Actifs réels : terrains, constructions, équipements,….
• Actifs financiers : actions, obligations……..
• Actifs monétaires : Billets de banque, compte courant…. Les actifs réels procurent des satisfactions ou des revenus. De plus, ils peuvent être une source de plus-value. De même, les actifs financiers peuvent offrir des revenus alors que les actifs monétaires ne rapportent quasiment rien, au contraire, ils peuvent être source de « moins-value réelle » en cas d'inflation. Ainsi, chaque agent détermine la répartition de son patrimoine par arbitrage entre tous les actifs qui peuvent composer son patrimoine afin de minimiser le risque et les moins values tout en maximisant les gains. Généralement, les déterminants du choix de détention d’actifs des individus dépendent de la richesse de l’individu, du rendement anticipé pour une période d’un actif relativement aux autres actifs, du risque d’un actif par rapport aux autres et aussi de la liquidité d’un actif par rapport aux autres.
La monnaie possède la qualité d'être un moyen de paiement général, immédiat et plus liquide. Depuis son traité de 1930, Keynes a développé la « notion de préférence pour la liquidité » définit la liquidité comme des éléments réalisables dans un bref délai et sans pertes :
La liquidité englobe deux caractéristiques : - la disponibilité - la surêté nominale En effet, il existe trois degrés de liquidité:
• La liquidité primaire que l'on confère aux actifs monétaires qui sont immédiatement mobilisables et sans coûts : ex : billets de banques, dépôts à vue
• La liquidité secondaire est attribuée aux actifs financiers non immédiatement disponibles mais réalisables rapidement sans coûts onéreux : ex : dépôts à terme
- Les coûts de transactions les plus faibles en raison de sa liquidité qui tient à son aptitude à être utilisée pour régler des dettes et des achats sans délai.
Toutefois, tous les autres actifs doivent d'abord être transformés en monnaie pour assurer ce rôle, ce qui entraîne des coûts. - Son rendement est nul alors que les dépôts à terme et les obligations rapportent des intérêts. - Sa valeur nominale est constante. Toutefois, elle peut présenter un risque de moins value réelle en cas de l’inflation. Il s’en suit que la détention de la monnaie comme réserve de valeurs résulte de la préférence pour la liquidité.
Leçon 3: Les formes de la monnaie
La monnaie actuelle est l'aboutissement d'une évolution longue et mouvementée. Elle se présente sous des formes diverses: M métallique, M fiduciaire-papier et M scripturale. Suite à la spécialisation, la division du travail et le développement des échanges, le troc a été abandonné et un bien s'est imposé comme intermédiaire dans les échanges: c'est l'émergence de la «Monnaie- marchandise : Commodity money». C’est une marchandise connue et d’usage courant qui en plus de son utilisation normale comme bien de consommation ou bien de production, sert aussi de moyen de paiement. Par exemple : le blé dans les sociétés agricoles, le poisson séché ou les coquillages sur les îles, le riz, le sel, le thé…
4 1- La Monnaie-métallique
Il s'en suit que les bonnes pièces n'étaient jamais utilisés alors que les pièces usées et mauvaises demeurent toujours en circulation, d'où la loi de Gresham « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». Au début, l’Etat intervient sous forme d’une apposition d’un sceau (attestant du poids et de teneur en métaux précieux) sur les pièces en circulation. Mais ceci n’était pas suffisant. Ensuite, le droit de battre la M sera confié à la puissance publique.
Or, le besoin grandissant de la M des princes et des souverains de même que la rareté relative des métaux ont entraîné une dépréciation de la valeur de la monnaie. On abandonne la correspondance entre la valeur réelle et la valeur nominale grâce à des mutations réelles (modification soit de l'alliage de la pièce de M soit de la qualité du métal qu'elle contient) ou encore des mutations nominales (modification du rapport d'équivalence liant la M de compte à la M réelle).
Rq : La M divisionnaire actuelle admet une valeur faciale qui n'a aucun rapport avec la valeur du métal qu'elle contient. Elle permet d’assurer les transactions de faible valeur.
2- La Monnaie fiduciaire-papier
Historiquement, la monnaie métallique est devenue un instrument peu commode pour les transactions à distance qui se multiplient avec le développement du commerce. Pour éviter le risque de perte et de vol, les commerçants se sont mis à confier leurs fonds aux orfèvres contre des reçus. Ils peuvent ainsi trouver un endroit sûr pour stocker leurs monnaies et les reprendre quand ils en avaient besoin. Les reçus permettent de régler les transactions. Ultérieurement, les orfèvres londoniens Goldsmith ont pensé à fractionner les reçus en coupons de sommes rondes, ainsi, les reçus anonymes se substituent à la M métallique, c’est l’apparition du billet de banque.
Ainsi, l'émission de la M-papier bénéficie de la garantie des pouvoirs publics, tout le monde lui fait confiance et elle est acceptée en règlement de toutes les transactions. L'Etat donne donc à la M fiduciaire-papier un cours légal (Fidus= Confiance). Les billets de banque étaient entièrement couverts par une contrepartie métallique5 . Toutefois, à l'issu de la première guerre mondiale, les pays de l'Europe ont été obligé de décréter l’inconvertibilité des billets. C'est le passage du cours légal au cours forcé (imposé). 3- La monnaie scripturale Lorsque un agent confie son argent à la banque, cette dernière ouvre un compte au nom du déposant, inscrit à son crédit le montant déposé et enregistre le dépôt dans ses livres comptables. La monnaie revêt alors la forme écrite sur les livres de la banque: c'est la monnaie scripturale (Script = écriture).
C’est l’ensemble des inscriptions dans les comptes en banque. La monnaie scripturale est l’ensemble des dépôts auprès des institutions financières6. Elle est plus commode que la monnaie de papier : facilite les paiements à distance, évite les transports d’espèces et ses mouvements, laisse des traces écrites, simplifie la tenue de la et l’apport des preuves de paiement…. Les moyens de mobilisation de la M scripturale sont : -Le retrait de l’argent : le retrait d’une partie de l’avoir à la banque sous forme de billets. -Le chèque : c’est un ordre de paiement écrit adressé à la banque que le tireur remet au bénéficiaire. -Le virement c-à-d un transfert de fonds d'un compte à un autre compte. Or, le chèque et le virement présentent à coté de leurs nombreux avantages pour les usagers, l'inconvénient d'un coût de gestion élevé pour les banques.