Cours economie des institutions de la sante
Cours Economie des institutions de la santé
L’économie des institutions est le lieu d’un âpre débat théorique. Ce premier chapitre a pour but d’éclaircir les lignes de fracture entre les différents corpus théoriques poser les bases conceptuelles de la thèse et construire un cadre analytique original qui permettra dans les chapitres suivants d’évaluer les systèmes de santé de deux pays en développement – la Colombie et le Venezuela – et plus précisément leur capacité à résoudre les problèmes inhérents à l’extension de l’accès aux soins dans les catégories les plus défavorisées de la population.
Tout d’abord il semble important de souligner qu’un système de santé est un agrégat complexe d'acteurs dont la finalité G garantir à tout individu une prévention et des soins efficaces G est l'un des objectifs majeurs de tout Etat de droit. La santé est avec l'éducation et le logement la raison d'être des Etats et c'est bien de ces fondements qu'ils tirent leur légitimité auprès des individus. Ainsi de par son caractère central et décisif dans la politique publique des Etats l'analyse théorique des systèmes de santé se rattache inéluctablement à l'analyse des institutions de leur architecture de leur dynamique de leur soutenabilité et de leur impact.
En effet l'institution comme objet d'étude à part entière permet : 1) de sortir de l'écueil de la lecture strictement néo-classique des interactions entre les agents d'un système de soins G interactions dont le concept de "rationalité" est le cœur G et 2) de rendre pleinement compte de la complexité des problématiques posées par les systèmes de santé d'un point de vue organisationnel et dans notre cas précis des enjeux qui en résultent en termes de « développement ». De ce point de vue tout un pan de l'analyse économique érigé en "opposition" ou du moins en « remise en question » de l'analyse néo-classique étudie la nature et l'évolution des institutions dans le champ économique d'une société. Nous retenons en premier lieu la lecture néo-institutionnelle bâtie en particulier sur les apports de Douglass North et surtout ses prolongements récents notamment le concept "d'idéologie" qui semble pouvoir se transposer aux cas vénézuélien et colombien. Deux frontières théoriques viennent ensuite délimiter notre analyse de l’économie institutionnelle : la théorie des conventions et la théorie de la régulation.
Ce cadre théorique ainsi défini puis appliqué dans le chapitre 2 à l’analyse de deux systèmes de santé très différents aura pour but de contribuer à préciser les contours d’une vision institutionnaliste de l’économie de la santé et plus spécifiquement dans l’esquisse de catégories particulières aux pays en développement (PED).
En effet l’analyse des PED requiert incontestablement un socle théorique adapté et ce pour trois raisons principales :
1) la dynamique des systèmes institutionnels des PED n’est pas encore stabilisée contrairement aux pays développés qui connaissent sans aller jusqu’à parler d’achèvement du moins un équilibre dans le fonctionnement de leurs institutions ;
2) une instabilité évolutive des institutions qui est à la fois cause et conséquence de divers facteurs notamment des soubresauts politiques caractéristiques des sociétés en développement élément qui ne peut en aucun cas manquer à cette étude ;
3) ces variables supplémentaires introduites dans le raisonnement seront les marqueurs de comportements spécifiques à l’échelle des individus comportements que nous vérifierons en pratique dans une analyse de terrain approfondie.
Dynamique instable caractéristiques propres et conséquences particulières sur les comportements des agents ces trois éléments plaident en faveur d’une analyse institutionnelle spécifique des PED. Il s’agira donc dans un premier temps de proposer une définition générique des institutions en étudiant les différentes conceptions érigées par les principaux courants de l’économie institutionnelle (Section 1) puis d’étendre l’examen des institutions au champ de l’économie de la santé dans ses frontières actuelles (Section 2). Enfin une démarche conceptuelle originale sera proposée démarche qui sera l’outil utilisé lors des développements ultérieurs de la thèse.
Section 1- Les Institutions entre Idéologie Convention et Régulation : le point sur a théorie
Le terme « Institution » est défini selon le dictionnaire comme étant une « norme ou une pratique socialement sanctionnée qui a valeur officielle légale ; organisme visant à les maintenir » (Larousse 2011). En admettant cette seule acception du terme institution la réflexion se heurte à une limite évidente : l’Institution est elle une « norme » un « organisme » visant à faire appliquer cette norme ou les deux à la fois ? L’ambiguïté du concept nous amène donc naturellement à en définir plus clairement les contours.
Comment définir l’institution ? La réponse à cette question est primordiale dans la mesure où d’elle dépend l’analyse des architectures institutionnelles et celui de leur impact sur les populations et donc indirectement de leur « performance » dans une société donnée. Le marché lieu de l’interaction entre agents économiques est l’une des institutions les plus caractérisable et est de ce fait l’objet d’étude privilégié de la science économique. Cependant l’institution ne se limite pas à cette forme d’interaction sociale. En effet l’analyse sociologique dont le concept d’institution est central – Durkheim définit même la sociologie comme « science des institutions » (Durkheim 1975) – apporte une définition plus précise du concept d’institution :
« Toute institution (…) se présente d’abord comme un ensemble de pratiques de tâches particulières de rites et de règles de conduite entre des personnes. Mais l’institution est aussi l’ensemble des croyances ou des représentations qui concernent ces pratiques qui définissent leur signification et qui tendent à justifier leur existence » (Lagroye 2002).
« Croyances et représentations » : dans le champ de l’économie au-delà des frontières de l’économie standard plusieurs courants de pensée ont tenté d’intégrer ces notions comme déterminants du comportement humain théoriquement « rationnel » et « maximisateur » selon le dogme de l’orthodoxie économique. C’est à partir de cette simple remise en question que s’érige le concept d’institution s’interposant Entre l’individu désormais imparfaitement rationnel et la complexité de son environnement l’appelant systématiquement à faire des choix. Pour comprendre les grands principes sur lesquels s’érige la recherche économique en matière d’institutions il conviendra d’analyser dans un premier temps les grands courants institutionnalistes (Section 1) depuis les fondements néo-institutionnalistes (A) jusqu’aux développements plus hétérodoxes (B). La littérature étant très dense le choix sera fait de porter l’éclairage sur d’une part les concepts-clés de chaque courant de pensée et d’autre part l’analyse faite par chacun de la dynamique des institutions c’est à dire les processus par lesquels une institution est amenée à se transformer se développer améliorer son action voire même étendre son champ d’action.
A. Les bases)posées)par)le)courant)néoGinstitutionnaliste)ne)suffisent)pas)à) expliquer)les)dynamiques)institutionnelles)inhérentes)à)un)système
L'institutionnalisme historique de Commons et Veblen (1920) avait pour particularité d'adopter une démarche holiste allant à contre-pied du modèle néo-classique. Ce courant a été occulté après la seconde guerre mondiale par le courant béhavioriste axé sur les comportements observables. C'est au début des années 1980 aux Etats-Unis que le "néo-institutionnalisme" s'est développé. En réaction aux limites des analyses béhavioristes il réintroduisit les institutions comme variable explicative autonome. Dès lors il se distingua de l'institutionnalisme historique par une acception plus complexe des institutions : une prise en compte de la rationalité individuelle des règles formelles et informelles des coûts de transaction des droits de propriété du déterminant technologique etc. Cependant bien que ce courant soit à la base d’une littérature très riche qui permet entre autre de mieux saisir l’inertie des dynamiques institutionnelles et qui élabore un cadre interprétatif ouvert aux institutions et à leurs effets en incluant notamment le concept d’ « idéologie » il n'en définit pas moins une approche dynamique des institutions fondée en grande partie sur la complexité des transactions ce qui en plus d’être une vision uniquement endogène et a-historique ne tient pas compte des rapports de pouvoir entre les nations.
1. Une dynamique générale des institutions se heurtant au « path dependence »
Le dilemme évoqué plus haut à savoir l’ambiguïté du concept d’institution est levé par Jütting Johannes (2003) en distinguant trois grandes approches économiques des institutions : la première fondée sur l’opposition entre formel et informel ; la deuxième fondée sur un ordre hiérarchique des institutions ; la troisième fondée sur la distinction de plusieurs « aires » (économie politique légale et sociale). L’intérêt de l’analyse Northienne est qu’elle fait la synthèse de ces différentes catégories. Nous suivons en cela Prévost (2010) et partons de la définition généralement admise en économie c’est à dire celle donnée par Douglass North l’un des fondateurs de la nouvelle économie institutionnelle :
« Les institutions sont les contraintes établies par les hommes qui structurent les interactions humaines. Elles se composent des contraintes formelles (comme les règles les lois les constitutions) de contraintes informelles (comme les normes de comportement des conventions des codes de conduite imposés) et des caractéristiques de leur application » (North 1994).
Ainsi la variation dans le caractère plus ou moins formel des règles amène à distinguer les règles informelles parmi lesquelles les « conventions » seront analysées avec plus de précision ultérieurement des règles formelles qui se divisent en trois sous-catégories (Masahiko Aoki 2006) : 1) les règles politiques (lois constitution etc.) 2) les règles économiques et 3) les contrats qui sont intimement liés aux règles du droit de la propriété et sont avant tout des « accords de volonté » par opposition aux conventions qui ne font pas l’objet la plupart du temps de choix conscients de la part des individus.
Plus fondamentalement il apparaît que les institutions sont pour North une tentative de la part des hommes d’échapper à l’incertitude qui pour lui « n’est pas une condition exceptionnelle : c’est la condition sousKjacente qui est responsable de la structure de l’organisation humaine tout au long de l’histoire et de la préhistoire » (North 2005 p.32). Dans ce monde d’incertitude (ou « non-ergodique ») les êtres humains érigent les institutions afin de mieux maitriser leur environnement et le rendre ainsi plus « prévisible ». Mais ces institutions en tant qu’environnement à part entière échappent en partie à leur contrôle ce qui conditionne la nature de la croissance économique.
Ainsi à partir du postulat Northien de division des règles formelles et de leur interaction dans le but de réduire l’incertitude nous retrouvons in fine au cœur du débat sur les institutions la question de la croissance essentielle en économie.
En effet selon North les règles économiques « suppléent » l’ordre politique dans les ajustements institutionnels nécessaires au fonctionnement efficace d’une société donnée c’est à dire à sa croissance économique. A l’instar de Williamson (1985) le lien entre ordre politique et ordre économique est analysé par North au moyen des coûts de transactions concept occupant une position centrale dans les branches de la nouvelle économie institutionnelle (NEI) que ces deux auteurs représentent. En effet bien qu’utilisant des niveaux d’analyse différents les deux auteurs s’accordent sur l’importance de la réduction des coûts de transaction dans le développement économique (Chabaud 2004) : les institutions modifient les coûts de transaction supportés par les agents facilitant ainsi les échanges et donc la performance économique. En d’autres termes dans cette vision une hiérarchie institutionnelle existe parmi les agents qui « font » les règles institutionnelles et entre eux une interaction spécifique se met en place pour parvenir à un état de développement optimal. Et dans cette interaction « c’est le politique qui définit et fait respecter les droits de propriété » (North 1995) ce qui dans le raisonnement de North implique la définition de nouvelles explications à la croissance économique et donc in fine son éloignement progressif des thèses néoclassiques.
Car au départ North souhaite compléter la théorie néoclassique qui présente la recherche des opportunités d'enrichissement fondées sur l'accumulation du capital G c'est à dire la recherche de profits G l'investissement dans le progrès technique et l'investissement en capital humain comme seules sources de croissance. North explique que si c'était le cas l'ensemble des sociétés connaitraient une croissance équivalente car étant soumises à égalité à cette même tendance des individus à vouloir augmenter leur richesse par ces trois biais. Or l'un des premiers constats de la science économique G et qui est pratiquement sa raison d'être G est celui de l'existence de différents niveaux de richesse et de croissance économique entre les pays. Donc logiquement l'existence de ces différentiels de croissance conduit North à rechercher d'autres moteurs à la croissance économique : il conceptualise ainsi au cœur des mécanismes économiques qui produisent la croissance les contraintes dites "informelles" (traditions codes de conduite etc.) et les contraintes formelles c'est à dire les institutions.
L'importance du cadre institutionnel ainsi théorisé par North se concrétise dans l'interrelation qui se noue entre les structures économiques et les structures politiques : ces dernières seraient plus ou moins performantes à créer un contexte propice à l'échange économique et "harmonieux" pour les agents économiques agents qui seront en conséquence plus où moins à même de redéfinir à leur tour les contours du cadre institutionnel (Cf. Schéma 1.1 : les institutions dans la théorie néo-institutionnaliste). Dans l'esprit de North le développement des structures institutionnelles et celui des structures économiques sont donc corrélés. En ce sens son raisonnement apparaît clairement comme étant une tentative d'endogénéisation des dynamiques institutionnelles par opposition aux présupposés néoclassiques selon lesquels les institutions constituent une contrainte « exogène » au cadre rationnel cadre à l'intérieur duquel les individus adoptent des comportements « optimisateurs ».
Dans le schéma ci-dessous l’interrelation entre l’ordre politique et l’ordre économique est représentée par les flèches à double sens. Cette interrelation entre les deux ordres définit le contour des règles institutionnelles représentées ici par le cône rouge. Ces règles institutionnelles impactent le sentier de croissance d’une société donnée représenté ici par le dernier compartiment du cône. Notons que la forme conique du schéma permet de représenter d’une part l’idée de hiérarchie que North établit entre l’ordre politique et l’ordre économique et d’autre part le fait que l’architecture institutionnelle influence le comportement des agents (flèche rouge) mais repose également sur eux : leur consentement étant l‘une des conditions essentielle à la stabilité des institutions.
A cette dynamique institutionnelle North ajoute le concept de « path dependence » (« dépendance du sentier ») initialement introduit dans la littérature économique sur le changement technique par David (1985) et Arthur (1989) et qui caractérise le poids des choix effectués dans le passé sur les décisions présentes. En arrimant sa théorie à ce concept North s’inscrit clairement dans une approche évolutionniste des institutions c’est à dire prenant en compte les reconfigurations et adaptations des institutions au contexte historique sans toutefois éluder le caractère parfois sous-optimal d’un système institutionnel et de son maintien dans le temps. Pour North (1990) cette analyse s’explique entre autre par le fait qu’un changement implique cinq effets fondamentaux : 1) une perte de l’amortissement et des rendements croissants des investissements de départ (« increasing returns ») ; 2) devoir investir à nouveau ; 3) reprendre le processus d’apprentissage ; 4) risquer de ne plus être coordonné avec les autres institutions et enfin ; 5) il faudrait prévoir les nouveaux comportements modifier les « anticipations adaptatives ». Cette analyse explique pourquoi les institutions même inefficaces sont stables et résistent au changement : elles sont soumises à des effets d’autoG renforcement elles n’évoluent que progressivement et même les changements pouvant apparaître comme étant une discontinuité (révolution etc.) sont interprétés par North comme étant le résultat de l’imbrication (« embeddedness ») des contraintes informelles de la société.
Cette idée de résistance au changement dans un système peut également se comprendre sous l’angle de la psychologie sociale comme étant une dynamique spécifique aux groupes comme l’ont théorisé Anzieu et Martin (2000) : « Toute modification apportée à l’équilibre d’un système entraîne au sein de celuiKci l’apparition de phénomènes qui tendent à s’opposer à cette modification et à en annuler les effets ». Ce concept d’inertie ou plus précisément de non=réversibilité institutionnelle est également souligné par Pierson (1994) qui explique : « Les politiques publiques créent des incitations qui encouragent les individus à agir de telles façons que les politiques suivantes se trouvent par la suite enfermées sur une voie de développement ». Ainsi bien que les limites de ce concept de « policy lockKin » aient été démontrées dans l’analyse des systèmes sociaux européens (Palier 1999) il semble toutefois permettre d’éclairer la dynamique des institutions dans le cas des systèmes de santé de deux pays en développement tels que la Colombie et le Venezuela.
En effet il apparaît logiquement que cette non-réversibilité institutionnelle est d’autant plus forte que : 1) la complexité du système est grande ce qui est le cas des systèmes de santé étant donné leur échelle le nombre d’acteurs économiques en présence et surtout la complexité de leur interaction ; et 2) les fondamentaux démocratiques d’où sont issues les institutions sont fragiles et instables ce qui implique que les sphères décisionnelles sont perméables aux pressions des réseaux et de la corruption qui peuvent ainsi exercer une force de résistance aux changements institutionnels. Cette caractéristique définit les contours d’un cadre institutionnel spécifique aux pays en développement du moins pour la Colombie et le Venezuela que nous décrirons avec précision dans le chapitre 2.
Par ailleurs le concept de dépendance au sentier a deux conséquences fondamentales sur l’analyse des institutions (Erhel 2004) : la première c’est qu’il est impératif d’analyser les institutions en dynamique autrement dit il est nécessaire de prendre en compte leur histoire ; la seconde c’est qu’un choc identique par exemple un changement politique violent n’aura pas nécessairement les mêmes conséquences sur deux architectures institutionnelles différentes. Ces deux propriétés sont particulièrement intéressantes pour étudier la dynamique de modèles nationaux hétérogènes.
Ainsi le concept de « path dependence » semble s’adapter en partie à une analyse du contexte latino-américain et contribuer à expliquer d’un point de vue institutionnel les « trappes à sous-développement » c’est à dire le maintien de formes institutionnelles inefficaces consécutives à un effort trop important à fournir pour modifier les structures existantes.
Cette idée de maintien d’institutions parfois inefficaces amène North à s’interroger sur la rationalité des individus.
2. Le concept de rationalité limitée : le trait d’union entre l’analyse néo= institutionnelle et la théorie des conventions
Les développements théoriques sur les institutions trouvent leurs racines dans la remise en question du concept d’homo œconomicus. En effet en plaçant ce qu’il appelle le « marché politique » au cœur de sa lecture des dynamiques institutionnelles North qui reprend sur ce thème les travaux de Simon se place à contre-courant des thèses néoclassiques qui d’une part évacuent la question des institutions de leur champ d’étude mais qui surtout se basent sur le concept de rationalité parfaite ou substantive des individus pour appréhender les mécanismes économiques. Alors que les néoclassiques considèrent que l’individu cherche à tout prix à maximiser son profit et qu’il dispose pour cela de toutes les informations nécessaires Simon à travers la notion de rationalité procédurale ou limitée et North (1993) par l’introduction du concept « d’idéologie » montrent que les motivations des individus sont diverses et qu’elles ne sont pas systématiquement compatibles avec l’idée de maximisation de la fonction d’utilité.
Simon (1991) part du principe que les individus ont une capacité cognitive limitée et que par conséquent ils ne peuvent pas saisir les millions d’informations qui composent leur environnement. Dans ce contexte les individus ont une représentation parcellaire et surtout subjective de la « réalité ». Etant donné que l’action d’un individu dépend de la représentation qu’il se fait d’une situation le fait que cette représentation soit subjective aura deux conséquences principales (Parthenay 2004) : 1) le milieu organisationnel dans lequel se trouve la personne doit être pris en compte et 2) il faut tenir compte de l’écart entre l’action et la réalisation des buts. L’approche de la rationalité retenue par Simon observe donc les quatre contraintes fondamentales suivantes :
« Premièrement les acteurs peuvent avoir (et la plupart du temps auront) une information incomplète ou erronée sur la situation et les changements potentiels de la situation au cours du temps (...) Deuxièmement même si l’information est complète un acteur peut être incapable (et généralement sera incapable) de calculer toutes les conséquences de l’action (...) Troisièmement les acteurs n’ont généralement pas qu’un seul but et il peut y avoir des incompatibilités entre les buts la réalisation de l’un d’entre eux interférant avec la réalisation des autres (...) Quatrièmement un acteur peut ne pas parvenir à atteindre un but en raison de son ignorance des moyens d’action. » (Simon 1991b p.2).
Pour ces quatre raisons Simon (1976) va produire le concept de rationalité procédurale sur lequel va se baser par la suite la Nouvelle Economie Institutionnelle pour expliquer l’importance des institutions dans la mise en place d’une coordination plus efficace entre les individus. La rationalité procédurale est une analyse de la rationalité à partir des procédures par lesquelles l’action d’un individu s’exerce. Dès lors et comme le souligne Parthenay (2004) la compréhension d’une action relève d’une interrogation sur le « comment » plutôt que sur le « pourquoi ». En effet dans une situation où un choix complexe doit être fait un individu met en place une « procédure délibérative » c’est à dire qu’il va concevoir différentes solutions possibles différentes alternatives au problème qui se pose à lui. L’individu choisira non pas la solution optimale dans l’absolu mais la solution qui lui semblera simplement satisfaire ses besoins son « niveau d’aspiration » en fonction de ses aptitudes. Il s’agit donc d’une rationalité dans laquelle l'agent modifie au cours de sa délibération l'objectif qu'il considère comme satisfaisant en fonction des difficultés rencontrées ou des nouvelles opportunités qui s'offrent à lui.
Autrement dit dans ce cadre d’analyse et par opposition à la rationalité substantive la rationalité limitée des individus ne leur permet pas : 1) d’envisager l’ensemble des solutions possibles à un problème en raison de la limitation de ce que Simon appelle les « capacités computationnelles des agents » et 2) parmi le sous-ensemble de solutions qu’ils envisagent leur choix d’actions possibles est limité par leurs capacités et leur niveau d’aspiration.
Ainsi étant donné la capacité cognitive limitée des individus ceux-ci prennent des décisions qui sont rationnelles par rapport aux objectifs qu’ils se fixent. Cette rationalité même limitée permet de mettre en évidence les procédures de décision des agents et amène au constat suivant : la rationalité limitée conduit les individus à faire la plupart du temps des choix sousGoptimaux. Au final Simon s’oppose frontalement à l’homo œconomicus dans la mesure où pour lui dans le comportement d’un agent l’optimalité est l’exception.
C’est sur ce socle que va s’ériger le questionnement sur l’efficacité d’une organisation d’une société et par extension le rôle fondamental des institutions dans un système à savoir : diminuer l’incertitude des agents et améliorer leur coordination. Ainsi North (1990) à la suite de Williamson (1975) reprend et approfondit le concept de rationalité limitée développé par Simon qu’il ajoute avec quelques nuances1 à la théorie des droits de propriété et des coûts de transactions pour en augmenter la puissance explicative et ainsi rendre mieux compte du rôle des institutions.