Formation avancé de l’Economie Géographique pas à pas
La Nouvelle Economie Géographique:
Survol de la littérature Ce chapitre consacré à la nouvelle économie géographique a pour objet de mettre en évidence les principaux mécanismes qui permettent d'expliquer les phénomè- nes de concentration spatiale de l'activité économique (Ellison and Glaeser, 1999), en particulier le développement des villes (Huriot and Thisse, 2000) et des districts industriels, afin d'en retirer des indications pour une analyse empirique des déterminants de l'organisation spatiale de l'activité économique en milieu urbain en Belgique et pour la recommandation d'instruments de politique économique susceptibles d'influencer les choix de localisation.
Le principal apport de la nouvelle économie géographique (Neary, 2001) est de traiter des questions traditionnelles de l'économie régionale et urbaine relatives à la localisation dans un cadre théorique cohérent, et d'expliquer les processus endogènes qui sont à l'origine des phénomènes de concentration géographique de l'activité économique et de l'émergence de structures centre-périphérie. Dans un texte précurseur, Krugman (1991) a montré que ces formes de concentration sont liées à l'existence d'économies d'agglomération, selon lesquelles la concentration spatiale crée elle-même un environnement économique favorable.
Selon la nouvelle économie géographique (Fujita, Krugman and Venables, 1999; Fujita and Thisse, 2002), le processus de caractère cumulatif dérivant de la concentration spatiale de l'activité économique est lui-même le résultat de plusieurs facteurs: les économies d'échelle, les coûts de transport et les relations amont-aval des entreprises, dont l'interaction détermine la localisation de l'activité économique. En présence de rendements d'échelle croissants, chaque producteur est incité à concentrer sa production en un seul endroit. Afin de minimiser les coûts de transport, le producteur aura tendance à se localiser là où la demande locale est la plus importante.
Mais la demande se concentre précisément là où les autres entreprises se sont déjà localisées. Si une activité économique spécifique se développe davantage dans une région donnée, en raison de l'histoire (Arthur 1994), celle-ci attirera les entreprises des autres régions, renforçant ainsi l'avantage dérivant de la taille de son propre marché. Ce processus circulaire de causalité cumulée entraîne finalement la concentration de l'industrie dans une seule région. Les effets de la concentration géographique de l'activité économique peuvent être renforcés par l'existence d'économies d'échelle externes (Black and Henderson, 1999), comme la diffusion de la technologie et des connaissances à travers l'amé- lioration des flux d'information (contacts informels facilités par la proximité), l'accès des entreprises à une plus grande variété de produits intermédiaires et de services complémentaires à l'activité industrielle, et les avantages liés à la disponibilité d'une main d'oeuvre qualifiée spécialisée.
La littérature économique distingue en outre les économies de localisation, associées aux entreprises appartenant à un même secteur, et les économies d'urbanisation, associées à la présence des entreprises, tous secteurs confondus, en un même lieu. La prise en compte des interactions entre proximités technologiques, sectorielles et géographiques s'inspire des travaux sur la croissance endogène, qui considère ces externalités comme le moteur de la croissance (Romer, 1994). A côté de ces économies d'agglomération existent des effets de congestion, selon lesquels la concentration entraîne une augmentation des prix des facteurs locaux non mobiles et des biens qui peut conduire à un processus inverse de dispersion de l'activité économique.
Ces forces de dispersion, qui permettent d'expliquer l'existence de plusieurs lieux de concentration, sont liées aux coûts de transport et d'occupation du sol, à la concurrence sur le marché du travail et sur le marché des biens et services, ainsi qu'aux externalités négatives (congestion en matière de transport, pollution). D'un point de vue de politique économique, il est très important de comprendre les processus sous-jacents aux décisions de localisation des entreprises et leur impact éventuel sur la structure industrielle et sur la répartition des activités dans une zone géographique donnée, car la prépondérance des forces d'agglomération peut être à l'origine d'inégalités entre le centre et la périphérie.
L'idée principale de la nouvelle économie géographique est que la distribution spatiale de l'activité économique est le résultat de la confrontation entre forces centripètes et forces centrifuges dont la nature peut varier en fonction de l'échelle spatiale à laquelle on se situe: locale, régionale ou internationale. Tandis que le rôle des externalités pécuniaires (via les mécanismes de marché), sur lequel la nouvelle économie géographique met l'accent (Ottaviano and Puga, 1998), est notamment pertinent pour l'explication des phénomènes d'agglomération à l'échelle européenne (Martin, 1998; Ciccone, 2002), des études empiriques tendent à montrer que l'existence d'externalités liées à la diffusion de la technologie et des connaissances (Audretsch and Feldman, 1999), favorisées notamment par la présence d'une main d'oeuvre qualifiée spécialisée, est vraissemblablement une meilleure explication des phénomènes d'agglomération à l'échelle locale. Ce mécanisme a donc toute son importance pour comprendre, par exemple, l'impact des technologies de l'information et de la communication sur la configuration spatiale des villes.
II Agglomération et dynamique des activités économiques dans les villes belges: une analyse descriptive A. Questions et méthodologie L’agglomération géographique des activités économiques est un phénomène universellement reconnu. La Belgique est-elle à ce titre une exception à la règle? Grâce à des données décentralisées sur l’emploi salarié1, il est possible d’analyser la concentration géographique des activités économiques et de son évolution ré- cente (période 1994-2000). Les questions principales sont les suivantes: - Les activités économiques sont-elles concentrées géographiquement en Belgique? - Les villes sont-elles les lieux de concentration privilégiés des activités?
Un cadre spatial urbain sert de référence pour l’analyse de la concentration urbaine. Ensuite, nous tentons d’évaluer dans quelle mesure la concentration géographique des activités présente un caractère urbain, en appliquant au territoire belge un canevas urbain présentant différentes subdivisions3: (i) la ville-centre, c’est-à- dire le centre de haute concentration d’organes de décision et d’activités tertiaires 1. Statistiques décentralisées provenant de l’ONSS. 2. L’emploi indépendant, qui constitue une part non négligeable de l’emploi (environ 17% de l’emploi total et 22% de l’emploi dans le secteur marchand), n’a pas la même ventilation sectorielle que l’emploi salarié. Une étude sectorielle spécifique à l’emploi indépendant serait donc requise afin de traiter la problématique de manière rigoureuse. 3. Les subdivisions proposées sont basées sur le travail de géographes urbains, et essentiellement sur Van der Haegen et al. (1996). de la région urbaine.
La ville-centre de Bruxelles est élargie à l’ensemble de la Ré- gion de Bruxelles-Capitale, étant donné la spécificité des communes de Bruxelles ; (ii) la ville-agglomération, constituée de la ville-centre et des communes d’agglomération, caractérisées par une forte densité de la population; (iii) la ville-région urbaine, constituée de la ville-agglomération et des communes de banlieue, caractérisées par leur forte dépendance fonctionnelle vis-à-vis de l’agglomération. Dix-sept régions urbaines, comptant au moins 80.000 habitants, ont pu être définies sur cette base, dont 5 grandes : Bruxelles, Anvers, Liège, Gand et Charleroi.
Certains secteurs d’activité sont particulièrement concentrés géographiquement. Ils relèvent principalement du secteur manufacturier (industrie lourde, industrie textile) et des services à main-d’oeuvre hautement qualifiée, tels que les assurances, l’intermédiation financière et la R&D. Pour les uns, c’est principalement la concentration de l’emploi au sein de quelques gros établissements qui est le principal moteur de leur regroupement spatial, tandis que pour d’autres, c’est la recherche d’externalités dues à la présence d’autres firmes et l’accessibilité au marché qui semblent avoir été déterminantes. La concentration géographique est dépendante de l’échelle d’analyse. Ainsi, l’intermédiation financière est caractérisée par une forte concentration à l’échelle de l’arrondissement, mais relativement faible à l’échelle communale. D’autres secteurs sont particulièrement dispersés sur le territoire belge car ils répondent à une demande finale dispersée (secteurs de la construction, du commerce de détail), à une finalité de service public (éducation, santé) ou encore au facteur sol (agriculture). Afin d’illustrer ces propos, le tableau ci-dessous reprend les indices de concentration (de type Gini) des 10 secteurs les plus concentrés et des 10 secteurs les plus dispersés.
…
La lecture de ces quelques résultats marquants suffit à souligner le rôle prépondérant qu’ont joué les forces d’agglomération pour façonner la géographie économique actuelle de la Belgique. La concentration des activités économiques en territoire urbain n’est cependant pas généralisée à tous les secteurs: elle se marque surtout pour le secteur tertiaire privé, dont les services financiers, les services aux entreprises sensu lato, les postes et télécommunications et les activités de transport. Outre le secteur primaire, le secteur manufacturier (particulièrement le textile) et la construction présentent un caractère non urbain, à l’exception de quelques sous-secteurs. Le tableau ci-dessous reprend la concentration territoriale de l’ensemble des activités dans les 5 grandes régions urbaines (Major5), les 12 autres régions urbaines (Other12) et en dehors de régions urbaines (Hors RU). Ensuite, les spécialisations relatives de ces 3 grandes entités pour les grands secteurs d’activité sont reproduites (valeur = 1 si pas de spécialisation).
Les secteurs des activités de transport et des activités commerciales sont les principaux responsables de ce processus de dépolarisation, mais aussi, et de manière plus surprenante, les services aux entreprises et les services financiers. Le tableau ci-dessous indique l’évolution différentielle des différentes entités pour l’ensemble des secteurs d’activité à trois échelles géographiques.
C. Enseignements Cette analyse, quoique essentiellement descriptive, permet de poser quelques jalons pour l’analyse théorique et économétrique des déterminants de l’agglomération. Tout d’abord, au niveau macro-sectoriel, des forces d’agglomé- ration semblent co-exister avec des forces de dispersion, mais à deux échelles différentes : méso-géographique (inter-urbaine) pour les premières, micro-géographique pour les secondes. Ces résultats sont partiellement en phase avec la littérature empirique dans le domaine.
La périphérisation des sites d’activités, et donc l’existence de forces de dispersion, est confirmée par la saturation des villes-centres au profit de l’agglomération et de la banlieue. Par contre, à l’échelle macro-géographique, la polarisation urbaine des activités, dans le cas de la Belgique, ne se fait pas aux dé- pens du territoire non urbain mais bien entre les régions urbaines. Cette étude met également en évidence l’importance de la composante sectorielle pour la compréhension des processus de concentration ou de déconcentration géographique des activités économiques ; les préférences en matière de localisation urbaine varient fortement d’un secteur à l’autre.
Si la période d’investigation (1997-2000) est courte, elle n’en est pas moins riche en enseignements sur le plan descriptif. Toutefois, la prudence est de mise pour les questions de politique économique. Comparativement à l’ensemble des activités, les activités manufacturières ont un degré de concentration géographique plus élevé Dans la plupart des pays, les activités manufacturières se concentrent dans quelques régions industrielles. C’est également le cas en Belgique. Si l’on compare l’industrie manufacturière avec l’ensemble des autres activités, le degré de concentration semble plus élevé dans le secteur manufacturier. Les deux cartes ciaprès illustrent le phénomène, elles présentent la concentration de l’emploi total et de l’emploi manufacturier en Belgique.
Deux remarques méritent d’être formulées: (i) l’emploi total est beaucoup plus concentré que la population et l’emploi manufacturier est plus concentré que l’emploi total; (ii) En Wallonie, l’emploi est davantage regroupé spatialement qu’en Flandre. Cela se vérifie également pour l’emploi manufacturier et l’emploi total. Près d’un tiers de tous les secteurs manufacturiers présentent une concentration forte mais tous ne relèvent pas pas nécessairement des secteurs de haute technologie Prenant pour référence l’emploi manufacturier, nous calculons la concentration géographique de chaque industrie NACE sur base d’un indice de concentration classique tiré de la littérature, l’indice Ellison-Glaeser. Il s’agit d’un indice de concentration nette qui neutralise l’effet de la concentration industrielle1 . Ces calculs nous ont permis d’aboutir aux résultats suivants:
• Entre 1997 et 2000, l’évolution de la concentration géographique est assez stable, ce qui peut s’expliquer par l’inertie des profils de concentration géographique constatée dans la plupart des secteurs;
• Toutefois, sur la période étudiée, on observe quelques variations importantes de l’indice de concentration dans certains secteurs, à savoir les industries de technologie de pointe mais aussi et surtout les secteurs de moindre envergure se limitant à quelques établissements et de ce fait fort sensibles aux petites variations. La plupart des entreprises d’un même secteur tendent à se concentrer dans les mêmes lieux alors que pour quelques autres, la diversité du lieu est un facteur non négligeable Ensuite, nous analysons plus en profondeur certains problèmes spécifiques rencontrés lors de l’étude de profils de concentration à des niveaux spécifiques de désagrégation géographique et industrielle. Dans un premier temps, nous tentons d’identifier si la concentration des secteurs (NACEBEL à 2 chiffres) s’explique par une concentration au sein des sous-secteurs (NACEBEL-4) ou entre ces derniers. Dans la plupart des secteurs, la concentration intra-sectorielle prévaut en raison d’externalités de localisation.
…
Finalement, nous analysons la question de l’autocorrélation spatiale à un niveau géographique fin, à savoir les communes. Par le biais de l’autocorrélation, nous tentons d’évaluer le degré de similitude de valeur entre des unités géographiques voisines. On peut démontrer que la grande majorité (95%) des secteurs présentent une autocorrélation spatiale positive dont 30% est significative. Pour ces secteurs, la portée géographique de l’agglomération ne semble pas se limiter aux petites unités géographiques mais bien les dépasser (niveau de l’arrondissement, voire même au-delà). En conclusion, ce chapitre nous éclaire sur quelques caractéristiques descriptives de l’agglomération de l’industrie manufacturière. Bien qu’elle propose quelques pistes pour des facteurs explicatifs potentiels, elle n’a pas pour ambition de développer un cadre1 explicatif, encore moins de suggérer des mesures politiques. Nous espérons pouvoir mener de nouvelles recherches en la matière.