Formation finance de l’économie sur les nouveaux canaux pour la croissance
Introduction
L’après‑crise et le financement de l’économie : enjeux et défis pour la stabilité financière Christian NOYER, Banque de France 7
Le nouveau cadre de financement de l’économie Achever l’intégration du marché des capitaux Benoît CŒURÉ, Banque centrale européenne 15
Quelles sont les conséquences du nouveau visage de l’intermédiation financière internationale pour les économies de marché émergentes ? Hyun Song SHIN et Philip Turner, Banque des règlements internationaux 27
Quels financements pour soutenir la croissance des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire et préparer la compétitivité de demain ? Arnaud CAUDOUX et Julien GEFFROY, Bpifrance 41
La relance de la titrisation Miguel SEGOVIANO, Bradley JONES, Peter LINDNER et Johannes BLANKENHEIM, Fonds monétaire international 55
Le rôle des systèmes bancaires dans le soutien apporté à la croissance Soutenir une croissance durable : le rôle des systèmes bancaires sûrs et stables Stefan INGVES, Banque de Suède et Comité de Bâle sur le contrôle bancaire 69
En quoi un ratio de levier complémentaire peut‑il améliorer la stabilité financière, les activités de prêt traditionnelles et la croissance économique ? Sheila C. BAIR, Conseil du risque systémique 79
Comment faciliter l’accès des entreprises européennes au crédit bancaire ? Philippe de FONTAINE VIVE, Banque européenne d’investissement 87
L’impact du nouveau paradigme réglementaire sur le rôle des banques dans le financement de l’économie Marie‑Laure BARUT, Nathalie ROUILLÉ et Marion SANCHEZ, Banque de France 95
Les contraintes qui pèsent sur les banques pour le financement de l’économie Impact de la réglementation financière sur le financement à long terme de l’économie par les banques Michel PÉBEREAU, BNP Paribas 111
Les banques internationales et l’adoption d’un nouveau dispositif réglementaire : effets sur le financement des marchés émergents et des économies en développement Agustín CARSTENS, Banque du Mexique 119
Le coût d’opportunité du collatéral mis en dépôt : réforme des marchés de produits dérivés et activité de prêt des banques Guillaume VUILLEMEY, Sciences Po et Banque de France 129
La contribution des sociétés d’assurance et des gestionnaires d’actifs au financement de l’économie Épargne de long terme: le cas de l’assurance‑vie en France Christian GOLLIER, École d’économie de Toulouse 139
Le financement à long terme de l’économie dans le nouveau contexte réglementaire Denis KESSLER, Groupe SCOR 149
Le rôle des investisseurs dans la promotion d’une croissance durable à long terme Barbara NOVICK, BlackRock 159
Réallouer l’épargne à l’investissement – Le nouveau rôle des gestionnaires d’actifs Yves PERRIER, Amundi 171
Études publiées 181
Introduction
L’après‑crise et le financement de l’économie : enjeux et défis pour la stabilité financière Christian Noyer Gouverneur Banque de France Les nombreux changements que connaît aujourd’hui le système financier sont de natures diverses. Certains semblent structurels, d’autres seulement transitoires. Nombre d’entre eux découlent tout d’abord des enseignements directement tirés de la crise par les acteurs eux‑mêmes : la crise financière semble avoir entraîné chez les agents économiques un comportement d’une grande prudence face au risque, à l’instar de ce que l’on a pu observer lors des crises financières passées 1 ; la finance sécurisée, qui s’appuie sur des garanties, est en forte augmentation ; les prêts sont octroyés à des maturités plus courtes, toutes choses égales par ailleurs ; et de façon générale, les investisseurs demandent toujours plus de transparence.
D’autres changements sont les conséquences attendues des réglementations mises en place en réponse à la crise. Le programme des réformes réglementaires du G20 recouvre plusieurs volets s’adressant aux différentes composantes du système financier mondial : réglementation bancaire (Bâle III) ; identification en cours des institutions systémiques, qu’il s’agisse des banques, des sociétés d’assurance, des infrastructures de marchés ou des institutions financières qui ne sont ni des banques ni des sociétés d’assurance ; traitement des dérivés sur les marchés de gré à gré ; objectif de transformation de la finance parallèle (shadow banking) en source de financements de marché sains, etc. Il en découle notamment un renchérissement du coût de l’intermédiation bancaire par le biais d’une meilleure prise en compte du coût du risque, une incitation à la standardisation des produits dérivés et à la compensation centrale et une diminution du risque de défaut.
Enfin, d’autres évolutions sont le fruit des interactions entre les deux premières formes de changement, dans un contexte où la mise en œuvre des nouvelles normes réglementaires s’effectue à un rythme ou selon des modalités différentes entre juridictions, ce qui est parfois source d’incohérences. De ces interactions découlent de nouvelles incitations et de nouvelles formes de financement. Si celles‑ci sont parfois utiles pour compléter le financement bancaire, elles sont également porteuses de risques pour la stabilité financière. En effet, la hausse du coût de l’intermédiation bancaire et les contraintes nouvelles qui pèsent sur les banques ont conduit, en particulier en Europe où ces dernières jouent un rôle prépondérant, à l’apparition ou au développement de sources alternatives de financement, en particulier le financement direct de marché.
1| Les nouveaux enjeux du financement de l’économie
1|1 Assurer le financement de l’économie est une des priorités des autorités dans un contexte de reprise graduelle mais encore incertaine de l’activité Huit ans après le déclenchement de la crise, de nombreuses économies n’ont pas encore retrouvé les niveaux d’activité et d’emploi connus antérieurement.
Ainsi, en France, le niveau de la production industrielle est, au début de 2015, inférieur d’environ 18 % à celui qui prévalait au début de l’année 2008 et l’investissement des entreprises en volume inférieur de près de 10 %, tandis que le nombre de chômeurs a progressé, dans le même intervalle de temps, de près de 1,5 million. Les perspectives de reprise restent très modérées à court terme, tout comme en Europe, en particulier s’agissant de l’investissement. Or, la reprise de l’investissement est essentielle pour reconstituer nos capacités de production. Il est dès lors crucial que les banques mais également le reste du système financier soient en mesure de financer les besoins d’investissement qui iront croissant à la faveur de la reprise.
1|2 Le financement de l’investissement à long terme et celui des petites et moyennes entreprises sont au cœur des préoccupations
1|3 L’enjeu principal est de favoriser le développement du financement de marché en complément du financement bancaire
La capacité des banques à financer l’économie semble aujourd’hui contrainte, d’une part, par la poursuite nécessaire de l’ajustement de leur bilan et, d’autre part, par la mise en œuvre progressive des nouvelles réglementations à partir de 2018, bien que celle‑ci ait déjà été largement anticipée sous la pression de la concurrence, des investisseurs, voire des régulateurs eux‑mêmes, et que le calibrage des dispositifs réglementaires en matière de solvabilité et de liquidité des banques ait été revu de façon à en réduire les effets potentiellement négatifs sur le financement des entreprises.
Le défi principal auquel sont confrontées les économies européennes et plus encore les économies émergentes est donc d’assurer cette transition vers l’accroissement du financement de marché. Cette tendance est déjà enclenchée mais à des degrés et des rythmes divers. Ainsi, pour faire face aux difficultés de financement durant la crise, les entreprises ont recouru davantage au financement de marché, via des émissions obligataires et, dans une moindre mesure, des augmentations de capital. Cette tendance a été particulièrement marquée en France mais n’a concerné que les grandes entreprises, non les PME ou les entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui restent essentiellement dépendantes des financements bancaires.
1|4 L’action des pouvoirs publics est nécessaire pour faciliter ce développement
La transition d’une économie où le financement est pour l’essentiel assuré par les banques vers un système plus équilibré, faisant une place plus large au financement de marché, est un processus long. Aux États‑Unis, il aura fallu plusieurs décennies pour y parvenir. Dans ce processus, entre autres facteurs, l’action des pouvoirs publics a été déterminante via l’action réglementaire et la création des agences gouvernementales, créant des conditions favorisant la titrisation des créances immobilières. Conduire cette transition se pose dans les mêmes termes en Europe, et particulièrement depuis la crise.
En France, les autorités publiques ont par exemple lancé de nombreuses initiatives pour développer les financements alternatifs au financement bancaire. Ainsi, depuis août 2013, les entreprises régies par le Code des assurances sont autorisées à accorder des prêts non garantis aux entreprises non cotées. Ces prêts doivent entrer dans le cadre d’un programme spécifiquement approuvé par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’approbation tenant notamment compte de l’adéquation de l’analyse et de la mesure des risques de crédit au sein de l’établissement.
Il en est de même de la Banque de France qui, avec la place financière de Paris, a souhaité exploiter les gisements importants de créances privées présents dans les bilans bancaires. Les banques qui le souhaitent peuvent ainsi, via un véhicule de Place (Euro secured note issuer – ESNI), adosser ces créances à des titres obligataires, eux‑mêmes négociables et leur permettant de lever des ressources à moyen/long terme. Ces obligations devraient être en outre mobilisables, sous réserve de remplir les conditions d’éligibilité, en tant que collatéral pour le refinancement auprès de l’Eurosystème.
Ce mécanisme, non déconsolidant, permet aux banques de diversifier leurs sources de financement et encourage la fourniture de crédit aux PME. La Banque de France fournit quant à elle les informations sur la qualité des créances qui garantissent ces obligations grâce à son système de cotation qui porte sur plus de 280 000 entreprises en France, dont une large majorité de PME. Tout récemment, la Commission européenne a lancé une consultation sur un cadre européen pour des opérations de titrisation simples, transparentes et normalisées.
S’agissant des supports d’investissement, le placement privé apparaît également comme une voie prometteuse. Ainsi, pour accompagner le développement du marché du placement privé en euro (Euro PP), la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Île‑de‑France et la Banque de France ont été à l’origine d’une réflexion de place qui a abouti, en avril 2014, à une charte, désormais adoptée par les associations professionnelles, qui précise les droits et devoirs des investisseurs, des entreprises et des banques arrangeuses et qui permet d’assurer une égalité de traitement entre les créanciers bancaires et les investisseurs en Euro PP.
2| Défis pour la stabilité financière
L’essor des financements de marché pose néanmoins deux défis principaux pour la stabilité financière.
2|1 S’assurer que les réglementations diverses ne viennent pas pénaliser le financement à long terme et la liquidité des marchés financiers
Le foisonnement réglementaire peut être parfois source d’incertitude. Il en est ainsi de l’effet cumulé des réformes mises en œuvre de manière séquentielle depuis la crise. Du fait de l’ampleur de l’action réglementaire, c’est pratiquement toute la structure des incitations qui a été modifiée au sein du système financier. L’analyse des interactions débute à peine, sous l’égide du Conseil de stabilité financière et du Comité de Bâle. Dans ce contexte, la vigilance est requise pour s’assurer que la mise en œuvre des réformes n’entraîne pas une réduction d’activités critiques pour le financement de l’investissement et des entreprises. L’une des fonctions clés du système financier est notamment liée aux activités de tenue de marché.
Un récent rapport publié par le Comité sur le système financier mondial (CGFS) 2 met en évidence l’impact de certaines réformes sur l’activité de tenue de marché effectuée par les banques. Le fort accroissement du coût réglementaire de cette activité et la concurrence accrue d’acteurs non soumis aux mêmes exigences réglementaires se sont déjà traduits par un recul de ces activités au sein du secteur bancaire. Ce recul peut être problématique à un moment où l’on souhaite développer le financement de marché et où les banques, par les services d’introduction sur les marchés qu’elles procurent aux entreprises, sont appelées à jouer un rôle déterminant.
2|2 S’assurer que les sources de financement ne se déplacent pas massivement vers des secteurs non ou insuffisamment régulés
Alors que les financements de marché étaient largement réservés aux grandes entreprises et que les entreprises de plus petite taille avaient presque exclusivement recours au crédit bancaire, la situation s’est aujourd’hui modifiée à la faveur des nouvelles réglementations encadrant les opérations de crédit et les émissions de titres de dette. On peut désormais penser que, progressivement, presque tous les agents économiques seront en mesure de financer directement les entreprises. Cette évolution s’inscrivant dans une tendance européenne voire mondiale, il importe de l’organiser pour qu’elle bénéficie dans la durée à l’ensemble des agents économiques : les entreprises, qui ont besoin de canaux de financement peu coûteux et stables ; les investisseurs, institutionnels ou non, qui ont besoin d’adapter les risques qu’ils prennent à leur capacité à les porter ; les intermédiaires, qui ont la responsabilité d’assurer une bonne adaptation entre les besoins et les capacités de financement.
Or les risques associés à ce mouvement de désintermédiation sont clairs : mauvaise appréciation des risques par les investisseurs ; dépendance des entreprises à des modes de financement non pérennes ; capacité réduite à traiter les situations difficiles qui appellent des restructurations ; intermédiaires éphémères qui n’assurent pas dans la durée la qualité de service qu’on attend d’eux. Quels que soient les instruments utilisés, les différentes parties prenantes devront agir avec prudence et développer un dispositif robuste de gestion des risques, dans la mesure où les risques pesant sur les entreprises sont souvent complexes à analyser et où les émetteurs ne sont généralement pas notés par un tiers.
3| Conclusion Au total, il convient de souligner que les banques et les marchés interagissent constamment dans le financement des entreprises de toutes tailles.
Cette complémentarité entre banques et marchés sera, à l’avenir, encore plus nécessaire que dans le passé. Les entreprises auront toujours besoin des banques, que ce soit pour des prêts classiques ou pour lever des fonds auprès d’investisseurs. Mais les nouvelles exigences prudentielles – qui renforcent la solidité des banques mais aussi le coût d’utilisation de leurs bilans – conduiront aussi à une distribution plus sélective du crédit.
C’est pourquoi il est essentiel de favoriser l’accès à des financements non bancaires diversifiés à toutes les entreprises, y compris les petites et moyennes, qu’elles puissent émettre des actions et obligations et trouver des financements sur les marchés comme auprès des banques. Le développement d’une titrisation saine – à travers des instruments transparents, simples, homogènes, réglementés et surveillés – devrait y contribuer et être encouragé. Il faut toutefois garder à l’esprit que ce mouvement de rééquilibrage en faveur des financements directs peut avoir des conséquences importantes sur le fonctionnement de la sphère bancaire : une mise en cause de l’approche globale de la tarification bancaire pourrait induire une hausse des coûts de financement et susciter, chez les investisseurs, un renoncement à la liquidité en l’absence de garanties publiques, compte tenu de la spécificité des pools de crédits titrisés.