Les concepts de l'économie du développement
Ce premier glossaire du développement aborde les concepts de base du développement, concepts qui sont souvent à double sens. Ces "mots du développement" sont définis ici de façon très simplifiée et le plus souvent critique.
Ce glossaire est suivi du glossaire approfondi, rédigé par Jean-Luc DUBOIS qui réintègre les concepts du développement dans le débat sur les travaux d'Amartya SEN. L'éthique économique, y compris de l'aide au développement, est traité dans le glossaire éthique économique.
Agencéité/Agentivité/Agency.
L'agencéité est plutot sociologique et désigne la pratique ; l'agency héritée de A.Giddens, désigne « la capacité d’action propre des acteurs ».
L'agentivité se situe dans la philosophie de l'action, particulièrement renouvelée par Davidson et désigne la puissance d'agir. Ricoeur rend hommage à cette notion qu'il assimile à la capacité de Sen.
L'agency est une capacité individuelle, d'action, de décision ou encore à émettre librement des préférences rationnelles. Elle peut traduire des considérations supérieures qui dépassent et peuvent être contradictoires à son bien-être; Sen évoque un "agency achievement" sans que la responsabilité individuelle intervienne.
Aide. Dès la fin des années 1940 l’aide financière internationale est reconnue comme une nécessité économique : le développement est un problème de financement (l’épargne intérieure est insuffisante car le revenu est bas). L’aide a des effets pervers qui ont été critiqués, soit parce qu’elle renforce la dépendance, soit parce qu’elle développe l’opportunisme dans une relation de type "rotten kid" (Becker) / "samaritain" (Buchanan).
Ajustement structurel. Volonté des institutions de développement de corriger la structure de l’économie d’un pays (par exemple : échangeables/non échangeables), conditionnant l'octroi d'une assistance financière. Dénoncée comme une mise sous tutelle abusive.
Avantages comparatifs dynamiques. Des productions abandonnées par les économies développées peuvent être bénéfiques dans des économies pauvres. Technologie adaptée … technologie sous-développée (Harry Johnson).
Brain drain. Fuite des cerveaux, déplorée dans un premier temps, puis réabilitée par des économistes qui, arguant de la compétition pour s'expatrier et des échecs dans les candidatures, soutiennent que cette fuite est bénéfique.
Big push. Effort massif d'investissement, financé par l'aide internationale, devant permettre aux pays enfermés dans une « trappe à pauvreté » d’amorcer leur « décollage ».
Capacité d’absorption. Exprime la demande effective dans le domaine du développement, une des rares survivances du message keynésien depuis la domination monétariste au début des années 1950.
Capacité à l’aspiration, empowerment, empuissancement. Lutte par les pauvres pour être reconnus. Pour Arjun Appaduraï (Condition de l’homme global, Payot 2013), il s’agit d’un atout collectif sinon d’une capabilité collective, complétant l’analyse de Sen. Entre autres, il s’agit de donner la parole aux communautés de pauvres, afin de privilégier les "possibilités" plutôt que les "probabilités".
Capacity building. Capacité à gérer le développement avec sa propre administration sinon son expertise locale. Ce projet a souvent provoqué un détournement de compétences au détriment des administrations ordinaires; leurs meilleurs cadres étant embauchés dans des agences d'expertise, souvent au niveau des primatures. L'African Capacity Building Fund (ACBF), basé à Harare, a bénéficié de financements importants.
Capital d’amorçage (seed money). Capital versé par une institution ou une de ses composantes pour un programme de développement qui sera retenu en fonction des capitaux envoyés par d’autres institutions.
Cercle vertueux. L’épargne « forcée » (Raymond Barre) crée l’investissement et la croissance.
Charges récurrentes. Un piège du développement tel que les investissements créent des charges de fonctionnement insurmontables pour le pays. Il faudrait se méfier des investissements à caractère social (éducation, santé) qui ont les charges récurrentes les plus élevées.
Code des investissements. Faveurs, principalement fiscales accordées aux entreprises étrangères par un pays dont l’économie est sous-développée. En voie de disparition dans les années 1980, de nouveaux codes d’investissement réapparaissent, par exemple en Côte d’Ivoire, depuis 2012.
Consensus de Washington. Mesures de politique économique recommandées par les deux institutions financières internationales (Fonds monétaire international et Banque mondiale) aux pays qui font appel à leur assistance financière (principe de conditionnalité de l'ajustement structurel). Ces mesures sont basées sur l’analyse que les institutions font de la situation de chaque pays. Malgré des analyses différentes, les deux institutions sont globalement d’accord sur les causes des problèmes (crise d’illiquidité, rôle de l’Etat) et les solutions (moins d’Etat/discipline budgétaire, remettre les pays sur le chemin de la croissance/libéralisation).
Constance de la monétarisation, v. Point central de l’analyse monétariste : le rapport entre éléments de l’actif ne varie pas dans le court terme. Il faut stabiliser le développement comme un afflux excessif de crédits.
Courbe de Lorenz. Formulée en 1905, elle est obtenue, sur un diagramme où la part cumulée de la population figure en abscisse et la part cumulée des revenus en ordonnée, en reliant les points qui représentent ce que chaque fraction de population perçoit comme part du revenu. Plus la courbe s’éloigne de la bissectrice, plus la répartition du revenu est inégale.
Plus récemment des travaux ont décelé une « courbe environnementale de Kuznets » : relation en U renversé entre le niveau de revenu par tête et la dégradation de l’environnement.
Crédits. Ce sont des produits sur le marché du développement : offre et demande de crédits évoluent jusqu’à une position d’équilibre.
Crime passif. Désigne ceux qui dénoncent le crime dans leur société, mais admettent qu’il faut laisser les pauvres mourir (Peter Singer).
Critères de l’économie du bien-être ou encore critère de Lange/Lerner. Au nom de l’équivalence entre équilibre général et optimum, la planification du développement débute avec la conception par l’expert de l’optimum et donnera lieu à la répartition des activités (équilibre général).
Croissance. Relative au RNB et à l’investissement, la croissance n’est pas (forcément) le développement.
Croissance endogène. Due à un troisième facteur de production (au-delà du capital et du travail), la connaissance (Lucas) ou le capital social (Paul Collier).
Décollage (take-off). Etape cruciale de la théorie des "étapes de la croissance" de Rostow. La hausse de l’épargne et de l’investissement permet d’enclencher le cercle vertueux de la croissance conduisant à l’étape de maturité puis l’étape ultime de la consommation de masse.
Développement. "Combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître cumulativement et durablement, son produit réel global" , F. Perroux, 1964.
"Processus d’expansion des libertés réelles dont jouissent les individus", A. Sen, 2000.
Développement durable. "Répond aux besoins du présent sans compromettre les capacités des générations futures à répondre aux leurs", Rapport Brundtland, 1987. Souvent confondu avec le préservationnisme de la nature.
Développement financier. Le monétarisme dénonce la "répression financière" et propose la libéralisation financière, notamment en laissant augmenter les taux d'intérêt au lieu de les maintenir à un niveau artificiellement bas. Mais cette libéralisation pose des problèmes dans le cadre du dualisme financier, formel/informel, qui caractérise les économies en développement. Cette segmentation du marché financier est sociale, le secteur informel attirant les agents plus pauvres, le secteur formel les plus riches avec les risques de défaillance et donc des coûts très importants. D'où l'idée d'un secteur formel spécifiquement rationné et "réprimé" (Bencivenga et Smith, 1992).
Cet informel financier a fait l'objet des travaux des économistes structuralistes anglo- saxons, Van Wijnbergen et L. Taylor, notamment pour reconnaître (contrairement aux hétérodoxes européens) le caractère "économiquement idéal" de l'informel financier. En effet, non régulé par l'Etat, il obéit aux règles de la concurrence pure et parfaite.... sauf à le considérer comme segmenté. Il est plus "efficient" dans l'intermédiation financière que le secteur formel car il évite la réglementation bancaire étatique.
Dès lors que l'on admet le dualisme financier, la politique de libéralisation monétaire doit être prudente, accepter un certain "gradualisme" et endogéniser l'informel dans le cadre du "développement financier". A ce stade, l'informel financier permet d'apprendre les mécanismes financiers. L'informel financier n'est plus une solution de refuge face à la répression financière de l'Etat, il est un mode volontaire de régulation monétaire.
Développement humain et social soutenable. Ensemble des décisions économiques, environnementales, humaines et sociales, qui n’engendrent pas de dysfonctionnements humains et sociaux tels que les acquis en terme de capacités d’être et de faire soient remis en cause pour les générations actuelles et futures. Sinon, les conditions de la soutenabilité économique et de la soutenabilité environnementale seraient remises en cause.
Dualisme. Représentation du sous-développement par un modèle à deux secteurs : échangeables/non échangeables, formel/informel, privé/public, masculin/féminin, etc... Ce "baromètre" du développement est une représentation simplifiée, un "modèle outil" qui peut dire tout et son contraire.
Ethique du développement.
Hamiltonien. Le développement est conçu comme le chemin idéal (téléologie) qui mène au bien-être. Ce chemin peut être traité comme un programme d'optimisation dynamique (Pontryagin, 1962). Il fait appel à un hamiltonien, l'équivalent du Lagrangien en dynamique.
Incidence de la pauvreté. Indique la part d’une population touchée par la pauvreté monétaire . Elle est mesurée par le taux de pauvreté.
Income gap (I) : I = ∑q(z – yi / qz)
Il mesure l’intensité de la pauvreté
Indicateurs de développement
Indice de Développement Humain. Publié par le PNUD, il traduit les avancées dans les capacités humaines de base. Pour cela il mesure le niveau moyen auquel se trouve chaque pays dans trois domaines jugés essentiels pour un développement humain : santé et longévité, accès à l’éducation et niveau de vie décent.
Indice FGT :
Pα = 1/n ∑q(z – yi /z) α
Indice (ou coefficient) de Gini. Il varie entre 0 et 1. Il est égal à 0 dans une situation d'égalité parfaite où les revenus sont égaux. A l'autre extrême, il est égal à 1 dans une situation la plus inégalitaire possible, celle où les revenus, sauf un, seraient nuls. Entre 0 et 1, l'inégalité est d'autant plus forte que l'indice de Gini est élevé. Il est basé sur la courbe de Lorenz.
Indice de Pauvreté multidimensionnel. Publié par le PNUD, il mesure la part de la population pauvre de façon multidimensionnelle, ajustée par l’intensité des privations.
Cet indice identifie les privations concomitantes au niveau d’un ménage pour les trois dimensions de l’IDH, et montre le nombre moyen des personnes pauvres, ainsi que les privations auxquelles sont confrontés les ménages pauvres.
Indice de Sen. Tient compte simultanément de l’incidence de la pauvreté (taux de pauvreté, H), de l’intensité de la pauvreté (income gap, I) et de l’inégalité de répartition des revenus parmi les pauvres (coefficient de Gini). Ps = H [ I + (1- I )G
Inégalités. Sont en général analysées comme un "défaut" dans la distribution des revenus mesuré le plus souvent par l’indice de Gini.L’analyse des inégalités s’est élargie à de nouveaux espaces plus difficiles à repérer et surtout à évaluer : inégalités dans la distribution de la richesse, du patrimoine, inégalités spatiales, régionales, inégalités de genre, de droit, inégalités dans l’accès aux biens, aux services, aux marchés des facteurs, inégalités en termes de risques liés à la dégradation de l’environnement, etc.
Informel. Qui échappe à la réglementation, non déclaré. Il faut distinguer l'informel urbain de la pluriactivité rurale ; mais aussi l’informel de production de l’informel financier, et encore des transferts informels.
Intensité de la pauvreté. Ecart pour chaque personne pauvre, entre son revenu et le seuil de pauvreté ou encore "revenu manquant" ; montre la "profondeur" de la pauvreté. Elle est mesurée par l’indice d’intensité de la pauvreté ou "income gap".
Lettre d’intention. Rédigée par les experts des institutions financières internationales et présentée comme un engagement des pays sous-développés qui demandent, en contrepartie, une assistance financière.
Ligne (ou seuil) de pauvreté. Elle permet, à un moment donné, dans un lieu donné, de séparer les pauvres des non-pauvres par un niveau de revenu (ou de consommation).
Deux approches : - pauvreté absolue : par rapport à une norme (par exemple, 1$ par personne et par jour)
- pauvreté relative : en fonction du revenu de la société dans son ensemble (par exemple, moitié du revenu médian)
Marché du développement. Entre des offreurs de crédits et des demandeurs sur un plan international (marché externe) et national (marché interne), se solde par des quantités de crédits avec des prix d'équilibre.
Migration. Consécutive au sous-développement, soit mécanique, par attirance directe pour la ville ; soit réfléchie en tant que culture de migration.
Monétarisme en économie ouverte. Théorie dominante dans l’économie du développement, particulièrement au FMI avec des auteurs tels que Khan et Knight. Le monétarisme étudie la relation entre les actifs réels dans une perspective de long terme, contrairement à l’horizon de court terme de Keynes. Curieusement le monétarisme est une pensée qui nie la monnaie pour étudier les actifs réels dont la monnaie n’est qu’une composante parmi d’autres.
Noircissement du Tableau d’échanges interindustriels (De Bernis) ou triangulation (Tinbergen). Le développement s’effectue par effet d’entraînement venant des pôles de croissance (ou de développement).
Paradoxe du dollar marginal d’aide. Efficace s’il permet de modifier le statut d’une personne qui passera de « plus riche des pauvres » à « plus pauvre des riches ».
Pauvreté. Privation/non accès à, des biens (de consommation, de production), des services (éducation, santé, crédit), des droits fondamentaux (travail,..) au-delà de la seule faiblesse du revenu monétaire. On distingue la pauvreté absolue considérée au niveau d'une personne, de la pauvreté relative (personnes considérées les unes par rapport aux autres). On accorde une place de plus en plus grande à la pauvreté subjective et "ressentie".
Plan ou marché ? A première vue, l’aide au développement apparaît sous la forme d’un marché, avec des vendeurs et acheteurs de crédits pour un équilibre prix /quantités. Mais derrière cette apparence, se développe une planification autoritaire pour un certain nombre d’objectifs, notamment de ratios globaux (dette et budget de l’Etat, commerce extérieur, taux de croissance). Cette planification s’exerce aussi bien à Washington qu’à Bruxelles et s’impose auprès des pays concernés de façon particulièrement brutale ; par exemple, en allant directement ponctionner les comptes bancaires individuels.
Projet. "Décidé" par le donateur en fonction de sa planification du développement. Subit des coûts importants par son suivi/évaluation.
Programme. "Révélé", regroupe des projets décidés en fonction de la demande et de l’offre de développement.
Protection effective : de multiples définitions
- Concept intialement lié au dualisme échangeables/non échangeables et donc estimant le sous-développement par la surévaluation du non échangeable par rapport à l'échangeable.
- Le taux nominal de protection estime en pourcentage en quoi le prix domestique des produits importés excède ce qu'il serait en l'absence de protection.
Randomisation. Méthode d’évaluation à caractère aléatoire d’abord introduite par les sciences médicales dans l’évaluation des médicaments. En sciences sociales, elle est utilisée depuis une quarantaine d’années, en particulier aux États-Unis, dans le cadre de l’évaluation des programmes sociaux et d’éducation (notamment programmes de lutte contre l’absentéisme et l’échec scolaire au moyen d’incitations financières).Cette méthode est recommandée en économie du développement, sous l’impulsion notamment d’Abjhiit Banerjee et d’Esther Duflo (Banerjee et Duflo, 2009) et des membres du laboratoire J-PAL, pour évaluer des programmes de lutte contre la pauvreté. Cette expérimentation sociale pose de nombreux problèmes éthiques.