Les instruments économiques et la protection de l’environnement
LES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES ET LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT INTRODUCTION Contexte
La complexité et les coûts des problèmes environnementaux ne cessent d’augmenter et conduisent les gouvernements et la population à remettre en question les modèles de développement et les stratégies de protection élaborés par le passé. Jusqu’à maintenant la législation a été l’outil majeur utilisé en matière de protection de l’environnement. Cependant de nombreuses interrogations concernant la pertinence économique et environnementale de l’approche législative ont été soulevés au cours des dernières années.
De plus, nous croyons que c’est la fiscalité, davantage que les lois, qui dicte les règles de nos sociétés. Même si elle se veut neutre, c’est-à-dire sans influence sur les décisions de consommation ou de production et d’investissement, la fiscalité est un instrument qui oriente les économies nationales et les décisions des consommateurs et des entreprises. Elle est probablement l’outil le plus puissant pour diriger le développement vers la viabilité. Depuis la fin des années 80, plusieurs économistes prônent l’utilisation de la fiscalité et des instruments économiques, en complément des réglementations pour assurer la protection de l’environnement et le développement durable. Les instruments économiques, en modifiant les prix et les signaux du marché, permettent de décourager certains modes de production et de consommation et d’en encourager d’autres entraînant une moindre dégradation de l’environnement. En Europe, de plus en plus de pays intègrent les considérations environnementales à leur politique de développement et plusieurs ont entrepris de véritables réformes fiscales vertes pour assurer la protection de l’environnement et un développement durable.
L’utilité de recourir à la fiscalité et aux instruments économiques à des fins environnementales est de plus en plus évidente et les expériences étrangères en la matière devraient inspirer le Québec à faire de même.
Objectifs Ce document s’adresse d’abord aux intervenants des organismes environnementaux. Il a été conçu de façon à enrichir et approfondir les connaissances des intervenants concernant les instruments économiques relatifs à la protection de l’environnement et au développement durable. Le document a été élaboré à partir des objectifs suivants:
• Démontrer l’utilité de recourir à la fiscalité et aux instruments économiques pour changer les comportements et les habitudes des individus et des entreprises en vue d’atteindre un développement durable en faisant un survol des expériences étrangères.
• Proposer quelques possibilités d’application de ces instruments au Québec. Ce rapport se veut également un point de départ à l’approfondissement de certains aspects concernant l’utilisation des instruments économiques. Il permettra également aux intervenants environnementaux de promouvoir l’utilisation des instruments économiques et de l’écofiscalité auprès de la population et des décideurs publics. Contenu Le document est structuré en sept chapitres.
Le chapitre 1 présente l’évolution des outils de protection de l’environnement (l’approche réglementaire et l’approche économique ou l’écofiscalité).
Le chapitre 2 s’attarde plus particulièrement à la définition et à la description des instruments économiques utilisés à des fins de protection de l’environnement. On y voit les principaux avantages de recourir à ces instruments de mêmes que les principaux problèmes qui s’y rattachent. Le chapitre 3 présente les expériences étrangères d’utilisation des instruments économiques. Les expériences choisies touchent principalement les domaines des transports, de l’eau et de l’agriculture.
Au chapitre 4 on présente les pays d’Europe qui ont intégré des considérations environnementales à leur fiscalité et qui ont entrepris de véritables réformes fiscales vertes. Le chapitre 5 fait état de la situation concernant l’utilisation des instruments économiques au Canada. Au chapitre 6 il est question de l’affectation des recettes et des fonds dédiés. On y présente quelques exemples de fonds à vocation environnementale.
Et enfin le dernier chapitre porte sur une brève présentation de l’évolution des outils de protection de l’environnement et de la situation des instruments économiques au Québec. À la lumière des expériences étrangères présentées au chapitre 3, des pistes, impliquant une plus grande utilisation des instruments économiques au Québec sont proposées.
Chapitre 1 LES OUTILS DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT
Les politiques de l’environnement occupent une place de plus en plus importante dans les préoccupations économiques et politiques de plusieurs pays. Outre les problèmes de pollution existant depuis de nombreuses années (déversements toxiques dans les cours d’eau), de nouvelles formes de détérioration de l’environnement apparaissent. Des problèmes qui ne sont pas seulement locaux, mais qui dépassent les frontières. Les changements climatiques, la destruction de la couche d’ozone et les pluies acides sont au premier plan de la scène internationale. Des problématiques qui conduisent les gouvernements et la population à remettre en question les modèles de développement et les stratégies de protection élaborés par le passé.
Le concept de développement durable, mis de l’avant par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, nous indique qu’on ne peut plus dissocier les politiques économiques et les politiques de l’environnement. Il est nécessaire de réaliser une intégration efficace de l’économie et de l’environnement et de développer des outils et des stratégies qui satisfont aux impératifs d’un développement durable, c’est-à-dire un “ développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ”1 , Jusqu’à maintenant la législation a été l’outil majeur utilisé en matière de protection de l’environnement.
1.1 Mécanismes de marché et la protection de l’environnement Selon une étude réalisée pour le gouvernement du Québec2 , à l’origine du problème de pollution, il y a défaillance des mécanismes de marché. Par marché on entend l’institution qui met en présence fournisseurs et utilisateurs de biens et services. Cette institution fonctionne bien, lorsque les agents économiques s’efforcent d’obtenir les prix les plus bas et que l’obtention de ces prix n’a pas de répercussions sur des tiers (ex. l’environnement). Cette défaillance du marché provient de l’absence de droits de propriété sur des ressources environnementales comme l’eau et l’air.
Parce que de telles ressources appartiennent à tous et donc à personne en particulier, les entreprises et les individus n’ont pas à inclure le coût de la pollution qu’ils génèrent dans le calcul du coût de leurs activités. Même si l’utilisation de l’air et de l’eau est gratuite pour ces agents, elle génère un coût bien réel pour l’ensemble de la société (par exemple le coût de filtration de l’eau, de l’épuration des eaux usées déversées, coûts de santé, etc.).
Il y a donc ici divergence entre la somme des coûts privés et le coût social, divergence que les économistes appellent coût externe ou externalité négative. À l’inverse, si le marché fonctionnait parfaitement, si une valeur était attribuée à chaque ressource, celles-ci seraient utilisées de la meilleure façon possible.
3 . Pour que le marché soit efficace, il est nécessaire que les prix des biens incluent l’ensemble des coûts environnementaux et sociaux. À défaut de quoi le gouvernements se doivent d’intervenir pour assurer que la quantité produite soit socialement optimale. Les autorités peuvent corriger la situation lorsqu’il y a des externalités négatives en utilisant divers outils4 .
1.2 L’approche commande-contrôle Lorsque le marché connaît des ratés, il est légitime que les gouvernements interviennent pour les corriger. Traditionnellement, la plupart des gouvernements ont utilisé la réglementation ou l’approche dite commande et contrôle dans les politiques de protection de l’environnement et des ressources. Cette approche s’appuie sur des réglementations faisant appel essentiellement au système légal et à des activités de contrôle et de surveillance pour atteindre les résultats recherchés.
Les réglementations imposent des normes de performances ou de moyens, que les entreprises doivent respecter et établissent des mécanismes de surveillance pour s’assurer qu’elles le font. La norme de performance consiste à fixer le niveau maximal de pollution acceptable et laisser les firmes choisir les moyens de l’atteindre. Cependant, comme il est souvent difficile de déterminer le niveau maximal de pollution acceptable en fonction des milieux, on a plutôt recours aux normes de moyens. Celles-ci stipulent plutôt le type de moyen de contrôle de la pollution qui doit être installé. L’utilisation de ces normes fait en sorte que les résultats en terme de rejets varient d’une industrie à l’autre. L’approche réglementaire a fait ses preuves dans certains secteurs malgré un coût élevé en termes d’interventions bureaucratiques, de litiges et de charges pour l’industrie. Elle présente cependant quelques lacunes et a aussi entraîné des problèmes découlant des facteurs suivants:
• certains ministères de l’environnement n’ont pas la capacité d’enquête ou une expertise scientifique suffisantes pour imposer la réglementation. Au fil des ans, ces facteurs sont devenus de plus en plus problématiques et les coupures budgétaires qu’ont subies de nombreux ministères de l’environnement ont réduit de plus en plus la capacité d’application de la réglementation directe. Force nous est d’admettre que si l’on veut avancer dans la préservation de l’environnement, le cadre réglementaire devrait être complété par d’autres approches dont l’utilisation des instruments économiques.
1.3 L’utilisation de la fiscalité et des instruments économiques à des fins de protection de l’environnement Les instruments économiques reposent sur les principes et les forces du marché. Il s’agit d’utiliser les prix, c’est-à-dire de modifier les coûts et les avantages des options offertes aux agents économiques, en fonction d’objectifs environnementaux. Le fondement théorique des instruments économiques ne date pas d’hier, il remonte à 1920 où l’économiste britannique Arthur Pigou recommandait que le prix des biens et services devrait dans l’idéal refléter l’intégralité des coûts sociaux, y compris les coûts du point de vue de l’environnement liés à la pollution, à l’exploitation des ressources et à d’autres formes de dégradation de l’environnement. L’absence de prise en compte de ces coûts dans la formation des prix sur le marché conduirait à une surexploitation des ressources et à une pollution supérieure au niveau optimal du point de vue social.5 .
On y fait explicitement référence dans la Déclaration de Rio: le principe 16 de la Déclaration de Rio de la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement proclame que: “les autorités nationales devraient s’efforcer de promouvoir l’internalisation des coûts de protection de l’environnement et l’utilisation d’instruments économiques en vertu du principe selon lequel c’est le pollueur qui doit, en principe, assumer le coût de la pollution...” (Agenda 21 Déclaration de Rio - Principes relatifs aux forêts. Conférence des Nations Unis sur le développement et l’environnement. Editions des Nations Unies, New York ). Les pays membres de l’OCDE reconnaissent ce principe depuis 1972 qu’ils énoncent dans les termes suivants:
Principe pollueur-payeur “Le principe à appliquer pour l’imputation des coûts des mesures de prévention et de lutte contre la pollution, principe qui favorise l’emploi rationnel des ressources limitées de l’environnement tout en évitant des distorsions dans le commerce et les investissements internationaux, est le principe dit “pollueur-payeur”. Ce principe signifie que le pollueur devrait se voir imputer les dépenses relatives aux mesures arrêtées par les pouvoirs publics pour que l’environnement soit dans un état acceptable. En d’autres termes, le coûts de ces mesures devrait être répercuté dans le coût des biens et services qui sont à l’origine de la pollution du fait de leur production ou de leur consommation.”
L’objectif d’influencer les comportements des agents économiques en faveur de la protection de l’environnement n’étant pas encore priorisé, ces redevances étaient instaurées principalement pour générer des recettes afin de financer certains services relatifs à la gestion des eaux. Comme on l’a vu précédemment, les activités anthropiques génèrent non seulement des problèmes de pollution mais également des problèmes d’épuisement des ressources. Différents systèmes de tarification ont donc été mis en place dans le but de réduire l’utilisation des ressources dans les années 80, le principe utilisateur-payeur faisait ainsi son apparition.
L’OCDE formulait ce principe dont l’élément essentiel est, qu’il incite l’utilisateur à se montrer économe dans l’utilisation des ressources. Ce principe s’applique également à l’utilisation des services publics. Dans le contexte de rationnement budgétaire, les autorités locales se doivent de trouver d’autres sources de financement et la tarification de certains services aux usagers semble une voie de plus en plus étudiée et empruntée.
La tarification vise à faire supporter les coûts de ces services par ceux qui en bénéficient directement plutôt que par l’ensemble des contribuables. Ce n’est que depuis le début des années 90 que certains pays ont vraiment recours à l’écofiscalité et aux instruments économiques comme les taxes, redevances, permis échangeables et systèmes de consigne dans le cadre de leur politique d’environnement. L’emploi de taxes vertes dans le contexte d’une réforme fiscale verte, bénéficie d’un soutien récent mais de plus en plus large.6 .
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION...................... 1
Chapitre 1 LES OUTILS DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT....... 3
1.1 Mécanismes de marché et protection de l’environnement ............. 3
1.2 L’approche commande-contrôle ........... 5
1.3 L’utilisation de la fiscalité et des instruments économiques à des fins de protection de l’environnement ............................... 6
Chapitre 2 LES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES........................ 9
2.1 Définition des instruments économiques .................. 9
2.2 Avantages des instruments économiques.................. 10
2.3 Problèmes posés par les instruments économiques....................... 11
2.4 Les objectifs des instruments économiques .............. 12
2.5 Les types d’instruments économiques...................... 13
2.5.1 Les taxes et redevances sur les nuisances .................. 13
2.5.2 Les incitations financières à la mise en conformité .... 17
2.5.3 Les garanties financières........................ 17
2.5.4 Les encouragements fiscaux ou incitatifs financiers...................... 18
2.5.5 Les systèmes de permis échangeables ....................... 19
2.5.6 Responsabilité à l’égard de l’environnement............. 20
2.5.7 Les systèmes de consigne...................... 21
Chapitre 3 LES EXPÉRIENCES ÉTRANGÈRES ........................... 22
3.1 Énergie et Transport............................. 22
3.1.1 Taxation des carburants......................... 24
3.1.2 Taxes sur le carbone et l’énergie ........... 28
3.1.3 Taxes sur les véhicules à moteur neufs...................... 33
3.1.4 Taxes périodiques sur la circulation ou l’utilisation des véhicules. 35
3.1.5 Tarification des routes........................... 36
3.1.6 Gestion des espaces de stationnement ....................... 41
3.2 Production d’énergie ............................ 43
3.2.2 Taxe sur les NOx (Suède)..................... 44
3.2.3 Les droits d’émissions négociables de soufre (États-Unis).......... 45
3.3 Protection de l’eau............ 47
3.3.1 Taxes et redevances sur l’eau ................ 47
3.4 Agriculture ...................... 49
3.4.1 Redevances sur les pesticides et les engrais............... 49
3.4.2 Taxe sur les lisiers............. 50
Chapitre 4 LES RÉFORMES FISCALES VERTES ........................ 51
4.1 Intégration des considérations environnementales......................... 51
4.1.1. La suppression des subventions et dispositions fiscales................ 52
4.1.2. Refonte des taxes existantes .................. 53
4.1.3. Instauration de nouvelles taxes.............. 54
4.2 Quelques réformes fiscales vertes......... 54
4.2.1 Pays-Bas,............................ 54
4.2.2 Suède.............. 54
4.2.3 Danemark ........................... 55
Chapitre 5 L’UTILISATION D’INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES AU CANADA........... 56
5.1 Transport ...................... 59
5.2 Protection de l’eau............ 59
5.3 Matières résiduelles .............................. 60
5.3.1 Les taxes et redevances.......................... 60
5.3.2 Les systèmes de consigne...................... 62
5.4 Mesures fiscales favorisant la protection de l’environnement ....... 63
Chapitre 6 UTILISATION DES RECETTES ET FONDS DÉDIÉS................... 64
6.1 Les fonds dédiés............... 64
6.1.1 Colombie-Britannique (Sustainable Environment Fund)............... 65
6.1.2 Nouveau-Brunswick.......... 65
6.1.3 New-York (Superfunds)........................ 66
6.2 Pour ou contre les fonds dédiés............ 66
6.3 Importance d’un fonds en environnement................. 68
Chapitre 7 L’UTILISATION D’INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES AU QUÉBEC............ 69
7.1 Les coûts associés à la protection de l’environnement .................. 69
7.3.1 Approche traditionnelle de réglementation................. 70
7.3.2 Tendance vers la déréglementation et instauration de mesures ...... volontaires (responsabilisation)............. 71
7.4 L’utilisation de la fiscalité à des fins environnementales au Québec ................. 72
7.4.1 Encouragement fiscaux.......................... 73
7.4.2 Droits, taxes et redevances..................... 74
7.5 Possibilités pour le Québec d’instaurer certains instruments économiques relatifs à la protection de l’environnement........... 75
7.5.1 Transport........................... 75
7.5.2 Efficacité d’énergie............ 78
7.5.3 Eau ................ 79
7.5.4 Agriculture......................... 80
7.5.5 Services du ministère de l’environnement et de la faune................ 81
7.5.6 Amendes............................ 81
BILIOGRAPHIE 86
LISTE DES TABLEAUX
1. Prix et taxes par litre d’essence sans plomb vendu aux ménages (TVA incluse) $ É.U. ...........................26
2. Prix et taxes par litre de diesel vendu à l’industrie (hors TVA) $ É.-U........... 27
3 Taux appliqués aux combustibles, aux carburants et à l’électricité: Finlande.....29
4 Taux appliqués aux combustibles et aux carburants: Pays-Bas....................30
5 Taux appliqués aux combustibles et à l’électricité: Suède.......31
6 Taux appliqués aux combustibles et à l’électricité: Norvège....32
7 Taux appliqués aux combustibles et à l’électricité: Danemark......................33
8 Exemples de dispositions fiscales préjudiciables à l’environnement dans le secteur des transports.........................53
9 Utilisation actuelle des instruments économiques au Canada...58
10 Systèmes de consigne au Canada..............62
11 Débats sur les fonds dédiés.....................67
LISTE DES ANNEXES I. Taux de change en vigueur au 31 mars 1998......................i
III. Instruments économiques utilisés dans les pays de l’OCDE....vi
IV. Taxes sur les véhicules dans les pays de l’OCDE................ix
V. Étude du Grame.............xix