Les comptes de l’environnement et l’approche par capitaux
Introduction
Au Québec comme ailleurs, les liens entre l’économie et l’environnement se resserrent. Les décisions relatives à l’environnement influencent de plus en plus les décisions d’ordre économique, notamment par le biais de la politique environnementale, alors que les décisions économiques continuent d’influer sur la qualité de l’environnement, de plus en plus mis à mal. La complexité grandissante des enjeux environnementaux-économiques rend l’issue des décisions plus incertaine et, d’une manière globale, ravive le problème de la mesure du progrès de la société.
D’une manière analogue au Système de comptabilité nationale qui, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, a contribué à la stabilisation économique, le Système de comptabilité économique et environnementale intégrée, ou « comptes de l’environnement », aidera à équilibrer les avantages économiques et les coûts environnementaux à l’heure des crises écologiques. La finalité des comptes de l’environnement est de suppléer aux limites du Système de comptabilité nationale (SCN) au regard de l’environnement1 , tout en préservant ses avantages. Parce qu’il repose sur une base théorique solide, que sa structure est complète et détaillée et que sa méthodologie est rigoureuse, le SCN est devenu la référence incontestée pour la bonne conduite de l’économie.
Cependant, le SCN ne prend pas en compte l’épuisement des ressources naturelles et la dégradation de l’environnement. Les comptes de l’environnement le complètent en intégrant les statistiques environnementales aux statistiques économiques.
À noter que les comptes de l’environnement procurent la matière première pouvant servir à la mesure des indicateurs de la dimension environnementale du développement durable. Selon son mandat de coordination de la statistique officielle, l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) a le projet d’implanter des comptes de l’environnement au Québec.
Ce projet implique naturellement une collaboration étroite avec les ministères et organismes producteurs et utilisateurs de données environnementales. Ainsi, la publication du présent document institue le projet innovant d’une démarche de réflexion interministérielle pour l’élaboration de comptes de l’environnement au Québec. Il vise à stimuler l’intérêt des utilisateurs de la statistique environnementale pour les nombreuses applications des comptes de l’environnement en démontrant leur pertinence et en renseignant sur leur portée.
Il a été conçu dans la perspective générale de servir de première pièce de référence au Québec pour quiconque désire comprendre les comptes de l’environnement. Ce document s’articule en six chapitres, suivant une perspective économique.
Le chapitre 1 décrit la problématique liée à la mesure du progrès de la société. Le chapitre 2 couvre les principaux éléments de la théorie économique qui sous-tendent l’idée de progrès, en particulier en ce qui a trait à la dimension environnementale. Issue de cette théorie, l’approche par capitaux est présentée au chapitre 3 comme cadre conceptuel des comptes de l’environnement2 . Cette approche propose de mesurer le développement durable à l’aide des différentes composantes de la richesse vue au sens large, soit le capital produit, financier, humain, social et naturel.
Les chapitres 4 et 5 décrivent les cadres statistiques qui servent à transformer les données de base en une information qui soit conforme au cadre conceptuel sous-jacent, selon des méthodologies et des règles d’organisation précises. Le SCN, présenté au chapitre 4, mesure le capital produit et financier, ainsi qu’un aspect du capital naturel. Il se traduit par les comptes économiques, disponibles sur le plan provincial. Le chapitre 5 propose une description relativement détaillée des comptes de l’environnement, selon l’ensemble de recommandations internationales que constitue le Système de comptabilité économique et environnementale intégrée de 2003 (SCEE 2003). Comme les comptes de l’environnement ne sont pas encore réalisés au Québec, le chapitre 6 rend compte de considérations plus pratiques liées à leur implantation
1 Problématique
La problématique générale dans laquelle ce document s’inscrit concerne la mesure du progrès de la société, où le progrès s’entend comme l’amélioration durable du bien-être global des personnes. La mesure du progrès est cruciale, parce qu’elle sert de référence à l’élaboration et à l’évaluation de la politique publique. En effet, des décisions basées sur une mesure impropre pourraient ne pas aboutir à un progrès réel4 .
Toutefois, puisqu’elle couvre des aspects immatériels « tels que la qualité de l'environnement, la sécurité nationale, la sécurité individuelle, et les libertés politiques et économiques », la notion de progrès est difficile à mesurer5 . Le concept de croissance économique, qui représente une amélioration de la qualité de vie sur le plan strictement matériel, a généralement servi à mesurer le progrès de la société. L’indicateur de performance économique communément utilisé est le produit intérieur brut (PIB) : son évolution dans le temps procure une mesure de la croissance économique. Le PIB est un indicateur agrégé de production calculé à l’aide des données du SCN; il s’agit de la valeur des biens et services produits par les acteurs économiques résidents d’un territoire durant une année.
Cependant, le PIB n’est pas une mesure du bien-être et n’a jamais été censé l’être. En effet, la croissance économique a pour corollaire l’épuisement des ressources naturelles et la dégradation de l’environnement. Ainsi, d’un côté, la croissance améliore le niveau de vie des personnes, mais, de l’autre, l’épuisement et la dégradation du capital naturel qui s’ensuit nuisent à leur bien-être. Par exemple, un indicateur de progrès qui exclurait la pollution de l’air introduirait un biais dans l’évaluation du bien-être des personnes si celles-ci se préoccupent de la qualité de l’air (Stiglitz et autres, 2009).
Les changements climatiques, l’acidification de l’environnement, l’eutrophisation des plans d’eau, l’accumulation des déchets solides et la perte de biodiversité sont autant de problèmes préoccupants qu’il faudrait incorporer à une mesure du progrès. En 1972 à Stockholm, la Conférence des Nations unies sur l’environnement humain reconnaissait que l’environnement était un déterminant important du bien-être des populations6 .
Par la suite, avec le rapport Brundtland en 1987, le concept de progrès a été formellement élargi pour devenir le développement durable. Celui-ci étant un concept beaucoup plus englobant que la croissance économique, le SCN ne suffit plus comme cadre de mesure. Comment suppléer aux lacunes du SCN tout en préservant ses avantages? Le présent document concerne la dimension environnementale de cette question. Avant de l’entamer, il est intéressant de revisiter la théorie économique dans une perspective plus large, qui permet de prendre les impacts environnementaux en considération.
2 Théorie économique sous-jacente : économie du bien-être et économie de l’environnement
Les considérations économiques liées à l’environnement naturel ne sont pas une nouveauté, elles étaient prises en compte par les premiers économistes. Les idées élaborées par les économistes classiques il y a plus de deux siècles (dont Adam Smith, 1723-1790, Thomas Robert Malthus, 1766-1834, David Ricardo, 1772-1823 et John Stuart Mill, 1806-1873) tenaient compte de la place fondamentale de la nature dans l’économie. Dans le sillon de la tradition physiocrate, selon laquelle la terre (comme territoire) était « la principale source de valeur », les économistes classiques reconnaissaient la terre, au même titre que le travail, comme facteur de production à part entière (Gómez-Baggethun et autres, 2009, p. 3).
Or, l’importance accordée aux ressources naturelles s’est beaucoup amenuisée dans l’économie néoclassique qui a émergé au début du 20e siècle. À présent, la maxime du développement durable nécessite que le courant dominant de l’économie, issu de l’économie néoclassique, soit remis en question. Dans cette perspective, il s’agit ici de revisiter la théorie économique pour établir les fondements d’un cadre conceptuel (la théorie des capitaux) qui puisse sous-tendre la mesure du développement durable. 2.1 Économie néoclassique et économie du bien-être L’école de pensée néoclassique qui, avec le keynésianisme, forme la base du courant dominant de l’économie jusqu’à aujourd’hui, considère que les personnes sont des agents rationnels et informés qui cherchent à satisfaire leur intérêt personnel.
Cette hypothèse de base sous-tend également les principes de l’économie du bien-être, qui s’inscrit dans la pensée néoclassique. La satisfaction que les personnes retirent de la consommation d’un bien ou d’un service se nomme l’utilité ou le bien-être. Ainsi, selon la théorie néoclassique du bien-être, le bien-être global de la société dépend du niveau de consommation des personnes qui la composent. Au-delà du domaine de la consommation des biens et services échangés sur les marchés, considérés traditionnellement, l’économie du bien-être admet que la consommation soit prise dans un sens très large : « Dans son sens large, la consommation inclut la jouissance de tous les biens et services qui contribuent au bien-être, incluant ce que la nature procure gratuitement, tels que les produits de la forêt et les beaux couchers de soleil. Il est même possible d’envisager, de façon abstraite, la jouissance des avantages liés aux droits humains ou à la santé psychologique comme une forme de consommation. » (Commission économique des Nations unies pour l’Europe, 2009.)
L’utilité associée aux aspects non marchands de la qualité de vie, tels que les biens et services environnementaux, se mesure en argent par le biais de la « disposition à payer ». Par exemple, le revenu que les personnes seraient prêtes à sacrifier pour que l’ours polaire ne disparaisse pas correspond à leur disposition à payer pour que cette espèce animale continue d’exister. L’agrégation des dispositions à payer procure une mesure du bien-être global de la société. À cette échelle, la théorie du bien-être stipule que, dans le cadre de « la concurrence pure et parfaite », un équilibre de marché optimise le bien-être des personnes (au sens où le bien-être d’aucune personne ne peut être augmenté sans que celui d’une autre soit diminué).
Toutefois, lorsque les conditions d’un marché parfait ne sont pas satisfaites, il y a des défaillances de marché, lesquelles sont étudiées en économie de l’environnement. 14
2.2 Économie de l’environnement et économie écologique
Bien que prenant appui sur les principes de l’économie néoclassique (Victor, 1991), le domaine de l’économie de l’environnement épouse une vision d’ensemble plus globale que l’économie telle qu’elle est conçue traditionnellement (Pearce et Turner, 1990). De la même manière que les économistes classiques, qui concevaient une limite écologique à l’activité économique, les économistes de l’environnement ont réintroduit la considération environnementale au cœur de l’économie.
À partir des années 1950, Resources for the Future, une organisation de recherche indépendante située à Washington, D.C., a appliqué des notions économiques à un large éventail d’enjeux environnementaux. En parallèle avec le mouvement environnemental, des études parues au cours des années 1960 ont mis en évidence l’ampleur des défaillances du marché liées aux impacts de l’activité économique sur l’environnement (Pearce, 2002). Les défaillances du marché, telles que les externalités et l’accès ouvert aux ressources naturelles, empêchent que le système économique fondé sur le marché optimise le bien-être de la société. Les dommages causés par la pollution représentent un cas évident « d’externalités ».
Une externalité est l’effet, négatif ou positif, de l’activité d’une tierce partie sur des personnes, qui n’est pas ressenti (ou « internalisé ») par la tierce partie. Le cas d’une aciérie qui se trouverait en amont de la rivière par rapport à un centre de villégiature est un exemple classique d’externalité. Les polluants que l’aciérie rejette dans le cours d’eau font diminuer la qualité des activités récréatives offertes par le centre de villégiature, ce qui représente un coût pour le centre.
Puisque l’aciérie ne tient pas compte de ce coût, elle continuera de polluer au-delà du niveau socialement optimal. L’idée d’externalité vient des travaux d’Arthur Cecil Pigou (1877-1959), économiste dans la lignée des néoclassiques, au cours des années 1920. Les externalités sont estimées à l’aide des méthodes d’évaluation monétaire des biens et services environnementaux (voir encadré 1).
ENCADRÉ 1. L’ÉVALUATION MONÉTAIRE DES BIENS ET SERVICES ENVIRONNEMENTAUX
Partie intégrante de l’économie de l’environnement, l’évaluation monétaire des biens et services environnementaux consiste à estimer, à l’aide de diverses méthodes, la valeur monétaire des dommages causés par une dégradation de l’environnement (ou des avantages issus d’une amélioration de l’environnement). Les méthodes d’évaluation monétaire ont été élaborées pour l’analyse avantages-coûts, qui vise à établir la désirabilité de projets ou de politiques publiques au regard du bien-être de la société7 .
L’évaluation monétaire des biens et services environnementaux permet la comparaison directe des avantages financiers et des coûts environnementaux de l’activité économique. La plupart des biens et services environnementaux (la biodiversité, la qualité de l’air ou de l’eau, les paysages, etc.) ne sont pas négociés sur les marchés. Ces biens et services ont néanmoins une valeur – dite « valeur économique totale » – composée de trois éléments (Tietenberg et Lewis, 2009) : la valeur d’usage provient de l’utilisation directe des biens et services environnementaux- (p. ex., la valeur d’usage de l’environnement procure du bien-être au pêcheur, au randonneur ou à l’ornithologiste); la valeur d’option est la valeur qui découle de l’option d’utiliser les biens et services- environnementaux, soit de l’éventuelle valeur d’usage; la valeur de non-usage ou d’existence est la valeur intrinsèque attribuée aux composantes- de l’environnement, comme les animaux ou les paysages, qui découle notamment de la sympathie envers ces choses et qui « n’est pas reliée à [leur] utilisation actuelle ou éventuelle » (Pearce et Turner, 1990, p. 134).
L’estimation monétaire de la valeur économique totale repose sur des méthodes qui révèlent la disposition à payer des personnes. La disposition à payer permet d’évaluer « le surplus du consommateur », équivalant à l’écart entre ce qu’une personne serait disposée à payer et le prix qui serait effectivement payé si un marché existait. Ainsi, le surplus du consommateur correspond à la valeur attribuée au bien ou au service en excédent du prix qui serait payé.
En l’absence de prix de marché, c’est le surplus du consommateur qui sert à mesurer l’utilité ou le bien-être du consommateur. Dans le cas des biens et services marchands, la disposition à payer peut être dérivée des prix observés sur le marché. Les défaillances de marché, telles les externalités, et les transferts, comme les taxes et les subventions, créent toutefois des distorsions de prix. Les prix doivent donc être corrigés pour refléter la valeur réelle des biens ou des services. Le cas des biens et des services qui ne sont pas négociés sur le marché est plus complexe.
Parmi les différents types de méthode d’évaluation monétaire des biens et services non marchands, il y en a quatre principaux : La méthode des coûts de transport consiste à interroger les visiteurs d’un site récréatif sur- les coûts de leur voyage. Ces coûts sont assimilés à la disposition à payer des personnes pour l’utilisation du site. Cette méthode est utile pour estimer la valeur des services récréatifs. La méthode des prix « hédoniques » repose sur l’analyse des prix sur un marché existant, tel- le marché immobilier. Puisque la valeur d’une maison dépend, entre autres, des attributs de son environnement (comme le bruit environnant, la pollution de l’air ou le paysage), l’analyse du prix des maisons en fonction de ces attributs révèle la valeur de ces aspects non marchands.
L’évaluation contingente, basée sur des questionnaires d’enquête, sert à estimer les valeurs- de non-usage. Placés devant un marché hypothétique, les répondants sont amenés à déclarer le montant qu’ils seraient disposés à payer pour la préservation d’un bien ou d’un service environnemental. Cette méthode pose cependant de nombreuses difficultés, dont l’absence de restrictions budgétaires réelles, qui peut amener le répondant à déclarer un montant plus grand que la disposition réelle à payer8 . La méthode des dépenses d’évitement utilise les dépenses engagées par les personnes pour- éviter de subir des dommages, par exemple, l’achat d’eau embouteillée pour prévenir les dommages à la santé causés par une eau contaminée.
Cette méthode fournit une borne inférieure de la valeur des dommages. Les résultats de ces méthodes sont habituellement des estimations grossières qui représentent un ordre de grandeur de la disposition à payer des personnes. Les gains et les pertes de bien-être social associés à un projet ou à une politique sont estimés par l’agrégation des dispositions à payer individuelles. Toutefois, l’agrégation par la disposition à payer moyenne peut poser problème, car elle ne dépend pas de la distribution de l’utilité entre les membres de la société et ignore donc la question de l’inégalité9 .
De plus, l’évaluation monétaire des biens et services environnementaux constitue une approche microéconomique dont les résultats ne peuvent pas être simplement agrégés dans un cadre macroéconomique tel que le SCN10. Une autre défaillance du marché est « l’accès ouvert » aux ressources naturelles, par exemple, au stock de poissons, qui peut faire en sorte qu’elles soient exploitées jusqu’à l’extinction. Cette défaillance, assimilable à « la Tragédie des communs » de Hardin, se rapporte au domaine de l’économie des ressources naturelles.
Connexe à l’économie de l’environnement, ce domaine concerne « principalement les taux d’épuisement des ressources non renouvelables et le taux optimal de récolte des ressources renouvelables ». (Pearce, 2002, p. 59.) L’économie des ressources naturelles et l’économie de l’environnement ont été fusionnées dans la théorie de la croissance économique optimale au cours des années 1970. Notamment, la contribution de Dasgupta et Heal (en 1979) suggère que l’épuisement d’un stock de ressources n’empêche pas le maintien du niveau global de production, même en l’absence de progrès technologique, puisque le capital produit peut se substituer aux ressources naturelles.
Table des matières
Introduction ....................................9
1 Problématique.........................11
2 Théorie économique sous-jacente : économie du bien-être et économie de l’environnement ... 13
2.1 Économie néoclassique et économie du bien-être............13
2.2 Économie de l’environnement et économie écologique ..14
2.3 Mesure du développement durable ..................................16
3 Approche par capitaux pour la mesure du développement durable .................................19
3.1 Capital, stock et flux.........19
3.2 Catégories de capitaux .....20
Capital naturel ........................21
3.3 Richesse totale, substitution et capitaux critiques............22
4 Mesure du capital produit : le Système de comptabilité nationale (SCN) ........................25
4.1 Composantes du SCN.......25
4.2 Comptes économiques du Québec ...................................26
4.3 Comptes satellites.............27
5 Mesure du capital naturel : les comptes de l’environnement.............................................29
5.1 Comptes d’actifs naturels .................................................30
5.1.1 Comptes d’actifs physiques........................................31
5.1.2 Comptes d’actifs monétaires ......................................33
5.2 Comptes de flux de matières et d’énergie ........................38
5.2.1 Comptes de flux physiques ........................................38
5.2.2 Comptes hybrides.......41
5.3 Comptes des transactions environnementales ..................43
5.4 Ajustement du SCN selon l’épuisement, la dégradation et les dépenses de protection ...44
6 Implantation des comptes de l’environnement au Québec.45
6.1 Obstacles à l’implantation de comptes de l’environnement.............................................45
6.2 Démarche proposée pour l’implantation de comptes de l’environnement.......................46
Conclusion.....................................49
Bibliographie.................................51
Liste des encadrés Encadré 1. L’évaluation monétaire des biens et services environnementaux ..14
Encadré 2. Groupe de travail conjoint sur les statistiques du développement durable (WGSSD) ....19
Encadré 3. Compte des terres du Canada......................................31
Encadré 4. Comptes du patrimoine national du Canada (en fin d’années, 1989-2008)................35
Encadré 5. Comptes de capital-écosystème de l’Agence européenne pour l’environnement.......36
Encadré 6. Tableau entrées-sorties physique hypothétique ..........39
Encadré 7. Compte des émissions de gaz à effet de serre du Canada ...........................................42
Liste des figures
Figure 1. Classification des actifs naturels selon le SCEE 2003...22
Figure 2. Schéma décrivant l’organisation du SCEE....................30
Figure 2. Structure des comptes d’actifs naturels .........................31
Figure 3. Variation du PIB et des émissions de GES de l’industrie, Québec (1990-2007) ..........40
Figure 4. Principaux déterminants du programme statistique établissant des comptes de l’environnement pour le Québec...47
Les comptes de l’environnement et l’approche par capitaux
Introduction
Au Québec comme ailleurs, les liens entre l’économie et l’environnement se resserrent. Les décisions relatives à l’environnement influencent de plus en plus les décisions d’ordre économique, notamment par le biais de la politique environnementale, alors que les décisions économiques continuent d’influer sur la qualité de l’environnement, de plus en plus mis à mal. La complexité grandissante des enjeux environnementaux-économiques rend l’issue des décisions plus incertaine et, d’une manière globale, ravive le problème de la mesure du progrès de la société.
D’une manière analogue au Système de comptabilité nationale qui, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, a contribué à la stabilisation économique, le Système de comptabilité économique et environnementale intégrée, ou « comptes de l’environnement », aidera à équilibrer les avantages économiques et les coûts environnementaux à l’heure des crises écologiques. La finalité des comptes de l’environnement est de suppléer aux limites du Système de comptabilité nationale (SCN) au regard de l’environnement1 , tout en préservant ses avantages. Parce qu’il repose sur une base théorique solide, que sa structure est complète et détaillée et que sa méthodologie est rigoureuse, le SCN est devenu la référence incontestée pour la bonne conduite de l’économie.
Cependant, le SCN ne prend pas en compte l’épuisement des ressources naturelles et la dégradation de l’environnement. Les comptes de l’environnement le complètent en intégrant les statistiques environnementales aux statistiques économiques.
À noter que les comptes de l’environnement procurent la matière première pouvant servir à la mesure des indicateurs de la dimension environnementale du développement durable. Selon son mandat de coordination de la statistique officielle, l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) a le projet d’implanter des comptes de l’environnement au Québec.
Ce projet implique naturellement une collaboration étroite avec les ministères et organismes producteurs et utilisateurs de données environnementales. Ainsi, la publication du présent document institue le projet innovant d’une démarche de réflexion interministérielle pour l’élaboration de comptes de l’environnement au Québec. Il vise à stimuler l’intérêt des utilisateurs de la statistique environnementale pour les nombreuses applications des comptes de l’environnement en démontrant leur pertinence et en renseignant sur leur portée.
Il a été conçu dans la perspective générale de servir de première pièce de référence au Québec pour quiconque désire comprendre les comptes de l’environnement. Ce document s’articule en six chapitres, suivant une perspective économique.
Le chapitre 1 décrit la problématique liée à la mesure du progrès de la société. Le chapitre 2 couvre les principaux éléments de la théorie économique qui sous-tendent l’idée de progrès, en particulier en ce qui a trait à la dimension environnementale. Issue de cette théorie, l’approche par capitaux est présentée au chapitre 3 comme cadre conceptuel des comptes de l’environnement2 . Cette approche propose de mesurer le développement durable à l’aide des différentes composantes de la richesse vue au sens large, soit le capital produit, financier, humain, social et naturel.
Les chapitres 4 et 5 décrivent les cadres statistiques qui servent à transformer les données de base en une information qui soit conforme au cadre conceptuel sous-jacent, selon des méthodologies et des règles d’organisation précises. Le SCN, présenté au chapitre 4, mesure le capital produit et financier, ainsi qu’un aspect du capital naturel. Il se traduit par les comptes économiques, disponibles sur le plan provincial. Le chapitre 5 propose une description relativement détaillée des comptes de l’environnement, selon l’ensemble de recommandations internationales que constitue le Système de comptabilité économique et environnementale intégrée de 2003 (SCEE 2003). Comme les comptes de l’environnement ne sont pas encore réalisés au Québec, le chapitre 6 rend compte de considérations plus pratiques liées à leur implantation
1 Problématique
La problématique générale dans laquelle ce document s’inscrit concerne la mesure du progrès de la société, où le progrès s’entend comme l’amélioration durable du bien-être global des personnes. La mesure du progrès est cruciale, parce qu’elle sert de référence à l’élaboration et à l’évaluation de la politique publique. En effet, des décisions basées sur une mesure impropre pourraient ne pas aboutir à un progrès réel4 .
Toutefois, puisqu’elle couvre des aspects immatériels « tels que la qualité de l'environnement, la sécurité nationale, la sécurité individuelle, et les libertés politiques et économiques », la notion de progrès est difficile à mesurer5 . Le concept de croissance économique, qui représente une amélioration de la qualité de vie sur le plan strictement matériel, a généralement servi à mesurer le progrès de la société. L’indicateur de performance économique communément utilisé est le produit intérieur brut (PIB) : son évolution dans le temps procure une mesure de la croissance économique. Le PIB est un indicateur agrégé de production calculé à l’aide des données du SCN; il s’agit de la valeur des biens et services produits par les acteurs économiques résidents d’un territoire durant une année.
Cependant, le PIB n’est pas une mesure du bien-être et n’a jamais été censé l’être. En effet, la croissance économique a pour corollaire l’épuisement des ressources naturelles et la dégradation de l’environnement. Ainsi, d’un côté, la croissance améliore le niveau de vie des personnes, mais, de l’autre, l’épuisement et la dégradation du capital naturel qui s’ensuit nuisent à leur bien-être. Par exemple, un indicateur de progrès qui exclurait la pollution de l’air introduirait un biais dans l’évaluation du bien-être des personnes si celles-ci se préoccupent de la qualité de l’air (Stiglitz et autres, 2009).
Par la suite, avec le rapport Brundtland en 1987, le concept de progrès a été formellement élargi pour devenir le développement durable. Celui-ci étant un concept beaucoup plus englobant que la croissance économique, le SCN ne suffit plus comme cadre de mesure. Comment suppléer aux lacunes du SCN tout en préservant ses avantages? Le présent document concerne la dimension environnementale de cette question. Avant de l’entamer, il est intéressant de revisiter la théorie économique dans une perspective plus large, qui permet de prendre les impacts environnementaux en considération.
2 Théorie économique sous-jacente : économie du bien-être et économie de l’environnement
Les considérations économiques liées à l’environnement naturel ne sont pas une nouveauté, elles étaient prises en compte par les premiers économistes. Les idées élaborées par les économistes classiques il y a plus de deux siècles (dont Adam Smith, 1723-1790, Thomas Robert Malthus, 1766-1834, David Ricardo, 1772-1823 et John Stuart Mill, 1806-1873) tenaient compte de la place fondamentale de la nature dans l’économie. Dans le sillon de la tradition physiocrate, selon laquelle la terre (comme territoire) était « la principale source de valeur », les économistes classiques reconnaissaient la terre, au même titre que le travail, comme facteur de production à part entière (Gómez-Baggethun et autres, 2009, p. 3).
Cette hypothèse de base sous-tend également les principes de l’économie du bien-être, qui s’inscrit dans la pensée néoclassique. La satisfaction que les personnes retirent de la consommation d’un bien ou d’un service se nomme l’utilité ou le bien-être. Ainsi, selon la théorie néoclassique du bien-être, le bien-être global de la société dépend du niveau de consommation des personnes qui la composent. Au-delà du domaine de la consommation des biens et services échangés sur les marchés, considérés traditionnellement, l’économie du bien-être admet que la consommation soit prise dans un sens très large : « Dans son sens large, la consommation inclut la jouissance de tous les biens et services qui contribuent au bien-être, incluant ce que la nature procure gratuitement, tels que les produits de la forêt et les beaux couchers de soleil. Il est même possible d’envisager, de façon abstraite, la jouissance des avantages liés aux droits humains ou à la santé psychologique comme une forme de consommation. » (Commission économique des Nations unies pour l’Europe, 2009.)
L’utilité associée aux aspects non marchands de la qualité de vie, tels que les biens et services environnementaux, se mesure en argent par le biais de la « disposition à payer ». Par exemple, le revenu que les personnes seraient prêtes à sacrifier pour que l’ours polaire ne disparaisse pas correspond à leur disposition à payer pour que cette espèce animale continue d’exister. L’agrégation des dispositions à payer procure une mesure du bien-être global de la société. À cette échelle, la théorie du bien-être stipule que, dans le cadre de « la concurrence pure et parfaite », un équilibre de marché optimise le bien-être des personnes (au sens où le bien-être d’aucune personne ne peut être augmenté sans que celui d’une autre soit diminué).
2.2 Économie de l’environnement et économie écologique
Bien que prenant appui sur les principes de l’économie néoclassique (Victor, 1991), le domaine de l’économie de l’environnement épouse une vision d’ensemble plus globale que l’économie telle qu’elle est conçue traditionnellement (Pearce et Turner, 1990). De la même manière que les économistes classiques, qui concevaient une limite écologique à l’activité économique, les économistes de l’environnement ont réintroduit la considération environnementale au cœur de l’économie.
À partir des années 1950, Resources for the Future, une organisation de recherche indépendante située à Washington, D.C., a appliqué des notions économiques à un large éventail d’enjeux environnementaux. En parallèle avec le mouvement environnemental, des études parues au cours des années 1960 ont mis en évidence l’ampleur des défaillances du marché liées aux impacts de l’activité économique sur l’environnement (Pearce, 2002). Les défaillances du marché, telles que les externalités et l’accès ouvert aux ressources naturelles, empêchent que le système économique fondé sur le marché optimise le bien-être de la société. Les dommages causés par la pollution représentent un cas évident « d’externalités ».
Une externalité est l’effet, négatif ou positif, de l’activité d’une tierce partie sur des personnes, qui n’est pas ressenti (ou « internalisé ») par la tierce partie. Le cas d’une aciérie qui se trouverait en amont de la rivière par rapport à un centre de villégiature est un exemple classique d’externalité. Les polluants que l’aciérie rejette dans le cours d’eau font diminuer la qualité des activités récréatives offertes par le centre de villégiature, ce qui représente un coût pour le centre.
ENCADRÉ 1. L’ÉVALUATION MONÉTAIRE DES BIENS ET SERVICES ENVIRONNEMENTAUX
Partie intégrante de l’économie de l’environnement, l’évaluation monétaire des biens et services environnementaux consiste à estimer, à l’aide de diverses méthodes, la valeur monétaire des dommages causés par une dégradation de l’environnement (ou des avantages issus d’une amélioration de l’environnement). Les méthodes d’évaluation monétaire ont été élaborées pour l’analyse avantages-coûts, qui vise à établir la désirabilité de projets ou de politiques publiques au regard du bien-être de la société7 .
L’évaluation monétaire des biens et services environnementaux permet la comparaison directe des avantages financiers et des coûts environnementaux de l’activité économique. La plupart des biens et services environnementaux (la biodiversité, la qualité de l’air ou de l’eau, les paysages, etc.) ne sont pas négociés sur les marchés. Ces biens et services ont néanmoins une valeur – dite « valeur économique totale » – composée de trois éléments (Tietenberg et Lewis, 2009) : la valeur d’usage provient de l’utilisation directe des biens et services environnementaux- (p. ex., la valeur d’usage de l’environnement procure du bien-être au pêcheur, au randonneur ou à l’ornithologiste); la valeur d’option est la valeur qui découle de l’option d’utiliser les biens et services- environnementaux, soit de l’éventuelle valeur d’usage; la valeur de non-usage ou d’existence est la valeur intrinsèque attribuée aux composantes- de l’environnement, comme les animaux ou les paysages, qui découle notamment de la sympathie envers ces choses et qui « n’est pas reliée à [leur] utilisation actuelle ou éventuelle » (Pearce et Turner, 1990, p. 134).
En l’absence de prix de marché, c’est le surplus du consommateur qui sert à mesurer l’utilité ou le bien-être du consommateur. Dans le cas des biens et services marchands, la disposition à payer peut être dérivée des prix observés sur le marché. Les défaillances de marché, telles les externalités, et les transferts, comme les taxes et les subventions, créent toutefois des distorsions de prix. Les prix doivent donc être corrigés pour refléter la valeur réelle des biens ou des services. Le cas des biens et des services qui ne sont pas négociés sur le marché est plus complexe.
Parmi les différents types de méthode d’évaluation monétaire des biens et services non marchands, il y en a quatre principaux : La méthode des coûts de transport consiste à interroger les visiteurs d’un site récréatif sur- les coûts de leur voyage. Ces coûts sont assimilés à la disposition à payer des personnes pour l’utilisation du site. Cette méthode est utile pour estimer la valeur des services récréatifs. La méthode des prix « hédoniques » repose sur l’analyse des prix sur un marché existant, tel- le marché immobilier. Puisque la valeur d’une maison dépend, entre autres, des attributs de son environnement (comme le bruit environnant, la pollution de l’air ou le paysage), l’analyse du prix des maisons en fonction de ces attributs révèle la valeur de ces aspects non marchands.
Cette méthode fournit une borne inférieure de la valeur des dommages. Les résultats de ces méthodes sont habituellement des estimations grossières qui représentent un ordre de grandeur de la disposition à payer des personnes. Les gains et les pertes de bien-être social associés à un projet ou à une politique sont estimés par l’agrégation des dispositions à payer individuelles. Toutefois, l’agrégation par la disposition à payer moyenne peut poser problème, car elle ne dépend pas de la distribution de l’utilité entre les membres de la société et ignore donc la question de l’inégalité9 .
De plus, l’évaluation monétaire des biens et services environnementaux constitue une approche microéconomique dont les résultats ne peuvent pas être simplement agrégés dans un cadre macroéconomique tel que le SCN10. Une autre défaillance du marché est « l’accès ouvert » aux ressources naturelles, par exemple, au stock de poissons, qui peut faire en sorte qu’elles soient exploitées jusqu’à l’extinction. Cette défaillance, assimilable à « la Tragédie des communs » de Hardin, se rapporte au domaine de l’économie des ressources naturelles.
Connexe à l’économie de l’environnement, ce domaine concerne « principalement les taux d’épuisement des ressources non renouvelables et le taux optimal de récolte des ressources renouvelables ». (Pearce, 2002, p. 59.) L’économie des ressources naturelles et l’économie de l’environnement ont été fusionnées dans la théorie de la croissance économique optimale au cours des années 1970. Notamment, la contribution de Dasgupta et Heal (en 1979) suggère que l’épuisement d’un stock de ressources n’empêche pas le maintien du niveau global de production, même en l’absence de progrès technologique, puisque le capital produit peut se substituer aux ressources naturelles.
Table des matières
Introduction ....................................9
2 Théorie économique sous-jacente : économie du bien-être et économie de l’environnement ... 13
2.1 Économie néoclassique et économie du bien-être............13
2.2 Économie de l’environnement et économie écologique ..14
2.3 Mesure du développement durable ..................................16
3 Approche par capitaux pour la mesure du développement durable .................................19
3.1 Capital, stock et flux.........19
3.2 Catégories de capitaux .....20
Capital naturel ........................21
3.3 Richesse totale, substitution et capitaux critiques............22
4 Mesure du capital produit : le Système de comptabilité nationale (SCN) ........................25
4.1 Composantes du SCN.......25
4.2 Comptes économiques du Québec ...................................26
4.3 Comptes satellites.............27
5 Mesure du capital naturel : les comptes de l’environnement.............................................29
5.1 Comptes d’actifs naturels .................................................30
5.1.1 Comptes d’actifs physiques........................................31
5.1.2 Comptes d’actifs monétaires ......................................33
5.2 Comptes de flux de matières et d’énergie ........................38
5.2.1 Comptes de flux physiques ........................................38
5.2.2 Comptes hybrides.......41
5.3 Comptes des transactions environnementales ..................43
5.4 Ajustement du SCN selon l’épuisement, la dégradation et les dépenses de protection ...44
6 Implantation des comptes de l’environnement au Québec.45
6.1 Obstacles à l’implantation de comptes de l’environnement.............................................45
6.2 Démarche proposée pour l’implantation de comptes de l’environnement.......................46
Conclusion.....................................49
Bibliographie.................................51
Encadré 2. Groupe de travail conjoint sur les statistiques du développement durable (WGSSD) ....19
Encadré 3. Compte des terres du Canada......................................31
Encadré 4. Comptes du patrimoine national du Canada (en fin d’années, 1989-2008)................35
Encadré 5. Comptes de capital-écosystème de l’Agence européenne pour l’environnement.......36
Encadré 6. Tableau entrées-sorties physique hypothétique ..........39
Encadré 7. Compte des émissions de gaz à effet de serre du Canada ...........................................42
Liste des figures
Figure 1. Classification des actifs naturels selon le SCEE 2003...22
Figure 2. Schéma décrivant l’organisation du SCEE....................30
Figure 2. Structure des comptes d’actifs naturels .........................31
Figure 3. Variation du PIB et des émissions de GES de l’industrie, Québec (1990-2007) ..........40
Figure 4. Principaux déterminants du programme statistique établissant des comptes de l’environnement pour le Québec...47