Télécharger cours Economie consommation des ménages
La dépense de consommation des ménages joue un rôle essentiel dans les évolutions conjoncturelles de l’économie française. Elle est en effet équivalente à près de 55 % du PIB et est ainsi le poste le plus important de la demande finale. En outre, même si l’amplitude de ses variations est plus faible que pour d’autres postes de la demande, comme l’investissement, elle contribue pour environ 30 % à la volatilité du PIB chaque trimestre. Or, depuis l’éclatement de la crise de 2008, la consommation des ménages a fléchi, progressant à un rythme moyen inférieur à celui d’avant-crise (+0,1 % par trimestre depuis 2008 contre +0,5 % par trimestre entre 2000 et 2007).
Ce ralentissement est en grande partie expliqué par les déterminants habituels de la consommation des ménages français. D’une part, le pouvoir d’achat a ralenti. D’autre part, confrontés à un chômage en hausse et à une incertitude accrue sur l’environnement économique, les ménages ont constitué une épargne de précaution.
Depuis 2008, les ménages ont également effectué certains arbitrages sur la composition de leur panier de biens. Face au ralentissement du pouvoir d’achat, l’ajustement de la consommation a ainsi davantage porté sur certains postes. Par exemple, alors que les dépenses d’alimentation ont peu ralenti, certaines dépenses de services se sont fortement ajustées : ainsi, les dépenses de services de loisir (hôtels, cafés restaurants, sorties culturelles et sportives) qui progressaient en moyenne de 2,1 % par an entre 2000 et 2007 se replient depuis 2008. Dans ces arbitrages, l’évolution des prix relatifs des produits a aussi joué un rôle. En diminution avant la crise, le prix relatif des biens par rapport à celui des services s’est stabilisé depuis 2008, ce qui a tendance à freiner la consommation des biens.
La consommation des ménages en France est peu dynamique depuis 2008
Un net ralentissement de la consommation des ménages depuis 2008...
Depuis le premier trimestre 2008, la consommation des ménages a nettement ralenti (cf. graphique 1). Après avoir crû en moyenne de 2,1 % par an entre 2000 et 2007, elle a progressé seulement de 0,3 % entre 2008 et 2011. La consommation par tête des ménages français était en moyenne plus dynamique que celle des ménages allemands avant 2008, mais les évolutions sont comparables depuis lors (cf. graphique 2).
... avec des à -coups très marqués
Le ralentissement d’ensemble de la consommation en termes annuels n’a pas été sans à -coups. Ces à -coups ont notamment résulté du calendrier du dispositif de prime à la casse. Mis en place fin 2008, ce dispositif destiné à soutenir l’achat de véhicules neufs a été durci au 1er janvier 2010 puis supprimé le 1er janvier 2011. Ceci a généré un profil très particulier de la consommation de véhicules neufs, avec des pics de consommation au quatrième trimestre 2009, au quatrième trimestre 2010 et encore au premier trimestre 2011 (1) (cf. graphique 3). Les contrecoups de ces pics de consommation ont conduit à un fort recul des immatriculations, et donc de la consommation des ménages début 2010 et au deuxième trimestre 2011.
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Le ralentissement de la consommation concerne l’ensemble des grands postes
Le ralentissement de la consommation des ménages depuis 2008 a affecté l’ensemble de ses composantes : tous les grands postes de consommation ont eu une progression plus faible depuis 2008 qu’auparavant (cf. tableau 1). Certains produits ont toutefois contribué plus fortement que d’autres au ralentissement d’ensemble.
Ainsi, pour certains produits, la consommation a baissé en moyenne depuis 2008, alors qu’elle progressait auparavant. Il s’agit de l’énergie, des produits textiles-cuirs, des services de loisir (hôtels, cafés restaurants, sorties culturelles et sportives) et des « autres services » (transport, réparation de véhicules, construction, services personnels et domestiques, services opérationnels). Concernant les autres postes de consommation, les ménages ont ralenti leurs dépenses sans les diminuer.
Le ralentissement de la consommation des ménages depuis 2008 est pour une grande part expliqué par ses déterminants habituels
Le ralentissement global de la consommation des ménages est en premier lieu une conséquence de la crise économique. De fait, les déterminants usuels de la consommation expliquent en grande partie ce ralentissement.
Estimation d’une équation de consommation des ménages
La consommation des ménages peut être modélisée sous la forme d’une équation à correction d’erreur. Celle-ci établit, d’une part, une cible de long terme, et explicite, d’autre part, la dynamique d’ajustement vers cette cible (cf. encadré 1). La cible de long terme retenue ici est très simple : conformément au cadre théorique du cycle de vie, elle indexe de façon unitaire le niveau de la consommation des ménages à celui de leur pouvoir d’achat. Elle traduit donc une hypothèse de stabilité du taux d’épargne à long terme.
Autour de cette cible, les fluctuations de court terme de la consommation des ménages sont déterminées par les variations de court terme du pouvoir d’achat, des taux d’intérêt, de l’inflation, du taux de chômage et de la confiance des ménages. Le taux de chômage et la confiance des ménages rendent notamment compte de comportements de « précaution » des ménages : quand leurs anticipations sur leur situation économique se dégradent, les ménages peuvent choisir d’intensifier leur effort d’épargne.
Enfin, des indicatrices permettent de capter des évènements exceptionnels : la mise en place de primes ou les effets climatiques. Ainsi, les températures du quatrième trimestre ont un effet significatif et jouent notamment sur les dépenses de chauffage. Les déterminants économiques sont à l’origine du ralentissement de la consommation depuis 2008, comme en témoignent leurs contributions à la croissance de la consommation (cf. tableau 2).
En premier lieu, le pouvoir d’achat, explique plus de la moitié du ralentissement de la consommation des ménages (1,1 point sur 1,9 point de ralentissement en moyenne annuelle). La consommation des ménages étant déterminée avant tout par le revenu qu’ils perçoivent, ses évolutions, même faibles, ont un effet important sur la consommation.
Encadré 1 - Modélisation de la consommation des ménages
Le dossier de la Note de conjoncture de décembre 2011 : « Où en est-on de l’ajustement de l’épargne des ménages américains ? » contient une revue détaillée des déterminants théoriques de la consommation des ménages. Ce dossier s’appuie sur cette analyse pour proposer une modélisation de la consommation des ménages français. La consommation des ménages est modélisée par une équation à correction d’erreur. Ce type de modèle permet de capter les fluctuations de court terme autour d’une cible de long terme avec une « force de rappel » : si les ménages consomment plus que le niveau estimé par la relation de long terme, une correction de ce déséquilibre devrait se traduire par une moindre consommation qu’impliquée par l’évolution de ses déterminants
Dans l’équation suivante, le taux d’épargne (présent sous la forme (log (C) -log (Y)) est considéré comme stationnaire sur la période d’estimation. En effet le test ADF permet de rejeter l’hypothèse nulle de non stationnarité du taux d’épargne au seuil de 10 %.
Équation de consommation des ménages
où Ct sont les dépenses de consommation des ménages aux prix de l’année précédente chaînés, Yt le revenu disponible brut déflaté par l’indice de prix de la consommation des ménages (pouvoir d’achat), Yt HIt le revenu disponible brut déflaté par l’indice de prix de la consommation des ménages, hors impôts, Rt 10 ans le taux d’intérêt réel à 10 ans en %, pt la hausse du prix de la consommation des ménages (inflation), ut le taux de chômage au sens du Bureau international du travail en %,
conft le résidu de la régression de l’indicateur synthétique de l’enquête auprès des ménages sur le pouvoir d’achat du revenu disponible brut hors impôts, tempT4t l’écart entre la température au quatrième trimestre considéré et la moyenne de la température des quatrièmes trimestre (en dixièmes de degré Celsius) ; cette variable vaut zéro les autres trimestres,
I93T1une indicatrice valant 1 au premier trimestre 1993 pour isoler les effets liés à la fin de la première aide gouvernementale à l’achat d’automobiles, I95T2T3 une indicatrice valant 1 au deuxième trimestre 1995 et -1 au troisième trimestre 1995 afin d’isoler l’impact de l’aide gouvernementale à la consommation d’automobile instaurée par Édouard Balladur, I96T1T4 une indicatrice valant 1 au premier trimestre 1996 et -1 au quatrième trimestre 1996 pour isoler l’impact de la prime à la casse instaurée par Alain Juppé,
I04T4 une indicatrice valant 1 au quatrième trimestre 2004 pour isoler l’effet des différentes mesures de soutien à la consommation (épargne salariale, hausse de la limite des dons vers les enfants, petits-enfants ou arrière-petits-enfants et réduction d’impôts sur les intérêts de crédits à la consommation). Période d’estimation : 1990 T1 - 2007 T4 R2 =0 72 , SER = 0,31 %
La consommation des ménages s’ajuste à leur revenu
À court terme, le revenu utilisé est le revenu disponible avant impôts, déflaté par le prix de la consommation, qui apparaît comme ayant une plus grande significativité que le revenu disponible brut au regard des tests statistiques. Ce résultat semble indiquer que les ménages sont indifférents aux évolutions de court terme des prélèvements obligatoires. En outre, les impôts en comptabilité nationale présentent un profil temporel heurté, en raison notamment d’une saisonnalité particulière du système fiscal. La mesure du revenu disponible brut peut donc être affectée par la volatilité de ces impôts. L’élasticité de court terme de la consommation au glissement annuel du revenu disponible brut avant impôts est de 12,7 %. Dans cette modélisation, les effets conjugués de court et de long terme d’une hausse de 1 % du niveau des revenus entraînent une augmentation progressive de la consommation, de 0,71 % à l’horizon d’un an. Le revenu est le déterminant principal de la consommation des ménages (cf. graphique).
Comportements de précaution
Les décisions de consommation sont également affectées par les anticipations de revenu formées par les ménages : lorsque les ménages attendent une contraction de leur revenu futur, ou pensent que les perspectives de revenu sont plus incertaines, ils peuvent former une épargne de précaution. Deux variables permettent de rendre compte de ces comportements de précaution : d’une part le taux de chômage, et d’autre part l’enquête mensuelle de conjoncture auprès des ménages qui renseigne sur la perception par les ménages de la situation économique actuelle et anticipée.
Autres déterminants
Les ménages sont sensibles à l’inflation des prix de la consommation qui déprécie le pouvoir d’achat de leur épargne liquide. Deux comportements opposés peuvent être théoriquement justifiés. Face à une hausse des prix anticipés, soit les ménages avancent leurs achats en diminuant leur épargne, on parle alors de fuite devant la monnaie, soit ils cherchent à maintenir le pouvoir d’achat de leur épargne (s’il s’agit par exemple d’une épargne de précaution) et augmentent leur épargne, on parle alors d’effet d’encaisses réelles. Dans la modélisation retenue, une accélération de l’inflation de 1 point entraîneà courttermeuneaugmentationdelaconsommationde0,3%.
L’effet des taux d’intérêt est également théoriquement ambigu : une hausse des taux améliore les flux de revenus tirés de l’épargne existante ; mais, face à une hausse des taux, les ménages pourraient être tentés d’accroître leur épargne afin de profiter de cette hausse de rendement. L’effet estimé des taux d’intérêt, est ici positif : à court terme l’effet de revenu prédomine sur l’effet de substitution. Cet effet reste cependant assez limité : une hausse du taux d’intérêt réel de 100 points de base augmente la consommation de 0,3 %.
Enfin, une température plus élevée au quatrième trimestre par rapport à la moyenne des 17 années joue un rôle négatif sur la consommation des ménages. Tout degré supplémentaire, en moyenne sur le trimestre, réduit les dépenses de consommation des ménages (notamment en chauffage) de 0,2 %.
Robustesse de la modélisation
De même, il n’a pas été possible de faire apparaître des effets de richesse liés au patrimoine. En théorie, lorsque le patrimoine s’apprécie, les revenus anticipés que peut espérer en tirer un ménage s’accroissent, ce qui doit l’inciter à consommer plus. Mais divers phénomènes peuvent amortir cet effet : la volonté de transmettre son patrimoine à sa descendance ; ou le fait que contrairement à certains pays (États-Unis, Royaume-Uni), une hausse du patrimoine immobilier ne permet pas aisément un accès accru au crédit à la consommation.
L’effet de richesse reste en tout état de cause plus incertain en France. Si certaines études parviennent à en estimer un (Chauvin et Damette, 2010), d’autres études montrent que l’effet de richesse n’est que limité en France (Chataignault et Thesmar, 2001, Aviat et al., 2007) ou n’améliore pas significativment la pertinence des modélisations de comportement de consommation (Dubois, 2010).
La constitution d’une épargne de précaution pèse sur la consommation des ménages
En parallèle, la montée du chômage et le climat économique global ont pesé sur le moral des ménages, les incitant à accroître leur épargne de précaution : ces deux variables contribuent pour 0,3 point en moyenne par an au ralentissement de la consommation des ménages entre les deux sous-périodes. De fait, le taux d’épargne, qui était en moyenne de 14,9 % au début des années 2000 s’est établi autour de 16,3 % en moyenne entre 2008 et 2011.
Un comportement des ménages particulièrement précautionneux
Jusqu’ici, l’analyse s’est attachée à décrire le comportement de consommation des ménages de façon agrégée. Or, certains produits ont davantage contribué que d’autres au ralentissement des dépenses observé depuis 2008. La suite du dossier examine donc la question de l’arbitrage parmi les différents produits au cours de la période récente.
L’arbitrage des ménages sur leur panier de biens : élasticité aux prix et élasticité aux revenus
Comment les ménages choisissent-ils les produits qu’ils vont consommer ?
Sur longue période, les choix de consommation des ménages évoluent entre les différents biens et services (cf. encadré 2). Pour décider du volume de consommation d’un produit donné, un ménage va prendre en compte (cf. encadré 3) :
- le niveau de son revenu (« élasticité revenu ») : certains produits doivent être consommés en une quantité difficilement ajustable. Leur élasticité au revenu sera faible, inférieure à l’unité, voire proche de zéro. D’autres produits au contraire seront largement consommés quand le revenu est haut et peuvent être sacrifiés sinon. Leur élasticité au revenu sera supérieure à l’unité ;
- le prix relatif d’un produit (« élasticité prix ») : à budget donné, un ménage est incité à renoncer à un produit qui renchérit par rapport aux autres. Cet effet est d’autant plus faible que le ménage considère la consommation de ce produit comme indispensable.
De fortes hétérogénéités entre les différents types de produits