Cours complet sur la consommation et epargne economique
INTRODUCTION
L’analyse économique et, surtout, l’étude du comportement des consommateurs, sont compliquées par le fait que, dans un contexte inflationniste, les mesures du revenu et de l’épargne que fournissent les comptes nationaux, ne tiennent pas compte des effets des variations de prix sur la valeur réelle des actifs. Or, on sait apprécier désormais les conséquences des augmentations du niveau général des prix sur les actifs et les passifs monétaires. Ces augmentations influencent probablement le comportement économique d’une faqon systématique qu’il est difficile de saisir en utilisant le concept de revenu et d’épargne tel qu’il est défini dans les systèmes comptables, comme le Système de Comptabilité Nationale (SCN) reconnu au niveau international et utilisé par l’OCDE, les Nations Unies et par la plupart des bureaux statistiques nationaux. Le problème se complique davantage en période d’accélération rapide de l’inflation, comme celte qui est apparue au milieu des années 1970, dans la plupart des pays de l’OCDE, ou de ralentissement important, comme on a pu l’observer au début des années 1980, dans beaucoup d’Etats Membres.
Actuellement, l’une des grandes préoccupations des responsables politiques est de déterminer si le récent ralentissement de l’inflation stimulera en soi une progression soutenue de ta consommation des ménages, augmentant ainsi les taux de croissance économique. Malheureusement, les données reiatives au revenu et à l’épargne, que fournissent les comptes nationaux, ne permettent pas de répondre à ces questions critiques. En effet, cette information est incomplète et peut même induire en erreur car elle ne tient pas compte des moins-values réelles qu’accusent régulièrement les actifs monétaires des ménages à cause de I’inflation. Ce problème n’est pas limité aux ménages: il touche aussi le revenu et l’épargne d’autres secteurs économiques, notamment les administrations publiques, comme l’indiquent les comptes nationaux. Ainsi, on peut objecter que les mesures existantes de l’épargne publique, et donc des excédents ou des déficits budgétaires, ne sont sans doute pas toujours appropriées et pourraient éventuellement donner une fausse indication de l’orientation de la politique budgétaire en période de forte inflation. C’est pourquoi les économistes et les comptables nationaux constatent tous, avec de plus en plus d’inquiétude, que les mesures actuelles du revenu et de l’épargne que fournissent les comptes nationaux, ont besoin d’être complétées par d’autres données relatives aux plus-values et aux moins-values réelles des actifs, en particulier des actifs financiers, détenus par les divers secteurs économiques, et qu’il faudrait donner la priorité à l’obtention de ces informations. Aussi l’objet du présent document est-il d’expliquer les limites de ces mesures du revenu et de l’épargne, dans un contexte inflationniste, telles que les présentent les comptes nationaux, et d’indiquer la nature des corrections qu’il conviendrait d’apporter du point de vue de l’analyse économique et de la politique qui en découle’.
I. LE CONCEPT DE REVENU
On a beaucoup écrit sur le concept de << revenu >> avant même de s’interroger sur la valeur de la mesure du revenu et de l’épargne dans des conditions inflationnistes *. La définition la plus communément admise, au départ, était celle de Hicks (1946) pour qui le revenu est la valeur maximale qu’un individu peut dépenser pendant une période donnée tout en espérant se trouver dans une situation aussi favorable à la fin de cette période qu’au début3. On peut rendre cette formule plus opérationnelle en définissant le revenu comme le montant maximum qui peut être dépensé pendant une période donnée tout en maintenant intacte la valeur nette réelle du patrimoine, ce qui, à son tour, peut se traduire par la somme de la consommation effective et de la variation du patrimoine réel. C’est la version que l’on trouve dans l’article bien connu de Meade et Stone sur la comptabilité nationale, qui a été pubtié, en 1941, dans The Economic Journai4.
La valeur nette du patrimoine est un poste rééquilibrant, un résidu comptable, qui est égal à la valeur totale courante de tous les actifs détenus par un individu moins le total du passif. C’est un montant monétaire qui représente le potentiel net d’acquisition de biens et de services à un moment donné. Ainsi, la variation de la valeur nette réelle du patrimoine entre deux périodes données dépend non seulement des changements de la valeur nominale de l’actif et du passif de l’intéressé, mais aussi des variations des prix de tous les biens et services qu’il consomme. Par conséquent, pour obtenir ta variation de la valeur nette réelle du patrimoine, les valeurs monétaires du patrimoine, au début et à la fin de la période comptable, doivent être exprimées en unités de pouvoir d’achat constant. Etant donné que la variation du patrimoine réel doit aussi être mesurée de la même manière que la consommation à une période identique, elle doit prendre pour référence les prix moyens à la consommation en vigueur au cours de cette période comptable. C’est la démarche que nous adoptons ici. Bien que l’on parie de variation du patrimoine réel, on mesure néanmoins cette valeur aux prix de la période courante et non à ceux d’une période de référence donnée.
Dans la pratique, le SCN ne donne aucune définition complète du revenu qui corresponde au concept de Hicks, c’est-à-dire la consommation plus la variation du patrimoine réel. Au contraire, il distingue trois différents types de revenu, le revenu des facteurs, le revenu de la propriété et les transferts courants non contractuels, tous étant basés sur des transactions effectives ou imputées. Une mesure comme le revenu total des ménages est obtenue à partir des divers éléments qui la composent mais l’agrégat lui-même n’est pas défini séparément. Le chapitre 7 du SCN fournit des définitions précises des divers types de revenu, qu’il n’est pas nécessaire d’approfondir ici.
La distinction entre les transferts courants et les transferts en capital est assez vague, ce qui est sans doute inevitable. Les transferts courants sont définis comme étant des transferts prélevés sur le revenu courant et servant normalement à la consommation. Les transferts en capital sont des transferts forfaitaires qui sont prélevés sur la fortune à intervalles irréguliers et de manière occasionnelle. Toutefois, il n’existe pas de critère précis qui permette de distinguer les transferts courants des transferts en capital. Les intérêts sont considérés comme un transfert de revenu provenant de t’utilisation, par un agent économique, des actifs financiers appartenant à un autre agent économique.
II. VARIATIONS DU PATRIMOINE RÉEL
Nous nous contenterons d’utiliser ici un bilan simplifié qui distingue quatre types d’actifs tout en sachant qu’il faudrait procéder à une décomposition plus importante si l’on voulait calculer effectivement les plus-values et les moinsvalues. Tout d’abord, il convient de faire la différence entre les actifs corporels et financiers. En second lieu, les actifs financiers doivent être subdivisés en actions, en obligations et en actifs monétaires. les actifs monétaires sont des actifs dont la valeur nominale reste constante, comme les bons du Trésor, les comptes d’épargne, les prêts et les espèces elles-mêmes. Dans la pratique, la distinction entre les actifs monétaires et les obligations est quelque peu arbitraire et, par souci de commodité, la frontière utilisée ici correspond à la distinction qui existe entre les bons à court terme et les obligations, conformément à la définition du tableau 7.2 du SCN. Ce qui compte ici, c’est que le cours d’une obligation peut beaucoup varier en un an, contrairement à celui d’un bon à court terme dont la première échéance est toujours inférieure à un an et dont le cours ne varie pas beaucoup par rapport à sa valeur nominale. Etant donné l’importance des actifs monétaires dans l’analyse qui suit, on indiquera séparément les actifs et les passifs monétaires.
Soit : A, =valeur des actifs corporels nets détenus à l’instant t
s, =valeur des actions détenues à l’instant t
f3, =valeur des obligations détenues à l’instant t
M,=valeur brute des actifs monétaires détenus à l’instant t
L, =valeur des passifs monétaires en cours à l’instant t
L’indice t se rapporte à la fin de la période comptable t. période t, s’écrit ainsi : La valeur nette du patrimoine d’une unité économique, Wt, à la fin d’une Wt = At + S, + B, + Mt - L t
Soit : pf =UR indice de prix spécifique pour les actifs corporels
pf =un indice de prix pour les actions
pf =un indice de prix pour les obligations
P,=un indice général de prix pour tous les biens et services,
tous prenant comme référence le milieu de la période f. Les actifs détenus au début et à la fin de la période t peuvent ensuite être réévalués aux prix en vigueur au milieu de cette période, en utilisant les indices appropriés. La différence entre les deux chiffres obtenus doit refléter les acquisitions nettes d’actifs qui ont eu lieu au cours de cette période. Ainsi,
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t-1 représentant la fin de la période précédente, c’est-à-dire le début de la période t.
Les deux termes ne sont pas strictement égaux, sauf si les prix moyens auxquels les opérations sont effectuées coïncident avec les prix observés effectivement au milieu de la période. En pratique, cette approximation a des chances d’être assez proche de la réalité pour les actifs corporels dont les prix évoluent généralement sans à-coups et de façon monotone, mais on ne peut en dire autant des actions et des obligations. Toutefois, pour ces actifs financiers, on peut toujours améliorer l’approximation en retenant une période comptable plus courte, par exemple, un trimestre au lieu d’une année. Si l’on utilisait la continuité au lieu de l’analyse périodique, l’écart disparaîtrait complètement. C’est pourquoi l’équation (2) est traitée ci-après comme une égalité bien qu’elle ne soit, en pratique, qu’une approximation quand on utitise les données comptables effectives pour des périodes discrètes.
…
111. PLUS-VALUES ET REVENU
SS pf /p:- 7 =pt /pt-,= P,/P*- f I
les deux premiers termes de l’équation (9) sont nuls mais le quatrième est positif ou négatif selon que le passif est supérieur ou inférieur aux actifs mpnétaires. Le troisième terme qui fait intervenir les obligations sera probablement négatif parce que, même si le prix de l’obligation varie pendant la durée de cette obligation, il finit par revenir à sa valeur nominale qui reste fixe en termes courants. Par consequent, alors que le prix des obligations peut beaucoup varier au cours d’une période comptable donnée, il possède les mêmes caractéristiques que les actifs monétaires dont la valeur réelle est constamment érodée par l’inflation. Ainsi, les consequences pures de l’inflation, c’est-à-dire un même pourcentage d’augmentation de prix pour tous les biens et services, ne concernent que les actifs et les passifs monétaires et les obligations. Quand tous les prix augmentent dans la même proportion, ce sont les seuls actifs qui produisent des plus-values ou des moins-values réelles.
Revenons, à présent, à notre principale question, à savoir s’il est juste de définir le revenu disponible, dans un contexte inflationniste, comme la somme de la consommation et de la variation du patrimoine réel quand cette variation comporte forcément d’importantes plus-values ou moins-values réelles, du moins au titre des actifs et des passifs monétaires. Toul d’abord, if convient de noter que cette définition du revenu n’a jamais été appliquée systématiquement, même en période de stabilité des prix parce que les transferts en capital, surtout les transferts exceptionnels, n’ont jamais été considérés comme revenu. La décision de distinguer les transferts en capital des transferts courants et d’exclure les premiers du revenu, dans les comptes nationaux, traduit le principe selon lequel les consommateurs réagissent différemment aux deux formes de transfert. Les transferts en capital ont, par définition, un caractère occasionnel et ont peu de chances d’être dépensés intégralement pendant fa période où ils sont perçus. Cela ne veut pas dire pour autant que toutes les plus-values ou moins-values réelles doivent être incluses automatiquement dans le revenu, même si l’objectif est de se rapprocher du concept de Hicks. Certaines d’entre elles peuvent être rejetées pour les mêmes raisons qui justifient l’exclusion de certains types de transfert du revenu courant, comme les transferts en capital. On a déjà souligné que les plus-values ou les moins-values réelles des actifs ou passifs monétaires différaient fondamentalement d’autres formes de plus-values ou moins-values, et il convient d’approfondir davantage les répercussions économiques de ces différences.
Contrairement aux plus-values ou moins-values réelles des actifs corporels ou des titres, celles des actifs ou des passifs monétaires reviennent régulièrement, d’année en année, dans une conjoncture inflationniste, quoique leur montant absolu puisse varier d’une période à l’autre, comme c’est d’ailleurs le cas de la plupart des recettes courantes ordinaires. En fait, les plus-values et les moinsvalues réelles des actifs ou des passifs monétaires peuvent être considérées comme permanentes et irréversibles et finiront par être traitées ainsi par la plupart des agents économiques. Même si, au début d’une période d’inflation, les agents économiques ne sont pas très conscients des gains et des pertes, ils en tiendront forcément compte tôt ou tard, à cause de leur caractère cumulatif. En outre, les plus-values et les moins-values réelles de l’actif ou du passif monétaire ont pour Caractéristique importante de donner lieu à un transfert de patrimoine réel entre des unités économiques identifiables que l’on peut observer et enregistrer. En revanche, il n’est pas possible d’identifier les deux parties QU! participent au transfert dans le cas des actifs corporels et des titres. Le titulaire d’un actif corporel et d’un titre peut obtenir une plus-value mais celle-ci ne se fait pas au détriment d’une autre unité économique. Inversement, si les détenteurs d’actifs enregistrent des moins-values réelles, il n’est pas possible d’identifier les bénéficiaires correspondants.