Organisation economique de la production agricole
Organisation économique de la production agricole
Résumé
Les « organisations de producteurs » correspondent à une forme d’associations entre les producteurs agricoles, développée et encouragée depuis les premières lois agricoles des années 60. Le principe guidant ces regroupements d’agriculteurs parmi d’autres, était qu’associés les agriculteurs seraient mieux à même de se défendre face à leur premier client de l’aval, transformation et commerce. Avec le temps, ce type d’organisation a connu des évolutions très différentes selon les secteurs : dans les grandes cultures les OP n’existent pas alors que la coopération détient des parts de marché importantes. Dans le secteur de la viande bovine, des « OP non commerciales », c’est à dire permettant de ne pas mettre en commun la vente de produits, ont été autorisées et se sont développées à côté des « OP commerciales ». Enfin dans le secteur des fruits et légumes frais l’OCM réformée en 2008, conditionne les aides communautaires à l’appartenance à une OP reconnue par les pouvoirs publics, qui doit comprendre l’obligation de commercialiser (sauf exceptions) la totalité de la production des adhérents à l’OP. Avec entr’autre la diminution de l’intervention publique sur les marchés agricoles, la nature des relations entre l’amont et l’aval agricole a beaucoup évolué. Pour en tenir compte la Loi de Modernisation de l’agriculture du 27 juillet 2010 a instauré de nouvelles règles et organisé en la privilégiant la passation de contrats. A l’occasion du vote de cette loi, un débat sur l’efficacité des OP a amené le Gouvernement à s’engager sur un état des lieux de ces OP. Le présent rapport tente de dresser cet état des lieux.
Il apparaît tout d’abord que, quelle que soient leur qualité, les éléments d’information sur les OP détenus par l’Administration, sont insuffisants pour prétendre disposer d’une information statistique fiable, cohérente et actualisée. Pour leur part les acteurs rencontrés par la mission ont des avis pour le moins partagés sur l’efficacité des OP, qu’elles soient commerciales ou non. Le regroupement apparaît en effet aux acteurs rencontrés, comme un élément éventuel de l’efficacité économique de leur entreprise, mais un élément parmi d’autres que sont l’efficacité technique, la mise en commun de services, notamment de commercialisation, la qualité de leur portefeuille commerciale et de leur force de vente… Le point le plus délicat concernant les OP reste par ailleurs, l’application du droit de la concurrence. Le regroupement de producteurs agricoles en vue de renforcer leur force de négociation les amène en effet à parler de prix, et les autorités de la concurrence ont des difficultés bien compréhensibles à fixer par avance les limites précises de « l’entente », voire de la position dominante et de ses abus qu’elles doivent réprimer. Enfin la mise en place d’une nouvelle catégorie d’OP décidée dans le cadre du « paquet lait », sans vocation commerciale mais à visée de négociation collective, impose une nouvelle réflexion d’ensemble sur les différentes formes de groupements de producteurs.
Après avoir analysé l’ensemble de ces caractéristiques, la mission établit des propositions qui visent à disposer d’un meilleur tableau de bord sur les organisations de producteurs, et à préciser dans quelles conditions pourraient être améliorées la compréhension et l’application des règles de la concurrence.
Quant à la modification de la réglementation de la reconnaissance des OP par l’Etat, la mission recommande :
- de tenir compte des particularismes de filière et de fixer des règles adaptées pour chacune d’entre elles
- de ne pas mettre en place de dispositif national, tant que ne sont pas fixées les règles de la future OCM unique en cours de réforme
INTRODUCTION
Depuis plusieurs années, les agriculteurs ont créé avec l’appui des pouvoirs publics, diverses formes de groupements, destinées notamment à renforcer leur poids économique. Au fur et à mesure du temps, et selon les particularismes des régions et des filières, des exceptions ont été crées au statut des « organisations de producteurs ».
Les agriculteurs toujours trop dispersés, se retrouvent souvent sans défense face à des industriels plus concentrés et une grande distribution approvisionnée par 5 à 6 centrales d’achat. Cette situation où un tout petit nombre de demandeurs domine le marché face à un grand nombre d’offreurs est ressentie par les producteurs comme faussant d’une certaine manière la concurrence. Il est donc apparu nécessaire de renforcer le pouvoir de négociation des agriculteurs.
La loi de modernisation de l’agriculture du 27 juillet 2010 vise notamment à atteindre cet objectif. Parmi les moyens mis en œuvre dans cette loi pour éviter une trop forte « intégration » de la production par son aval, figure l’obligation de passer un contrat ayant vocation à équilibrer les relations entre les producteurs et leurs acheteurs, ainsi que la volonté de renforcer les organisations de producteurs.
Ces organisations reconnues par l’Etat, participent à la consolidation de l’organisation économique. Depuis les lois de 1960 et 1962, de nombreux textes sont venus compléter la réglementation des OP, la rendant complexe et difficilement lisible. L’enchevêtrement des objectifs et des réglementations, ne permet pas, ou difficilement, d’apprécier aujourd’hui l’efficacité du dispositif de reconnaissance des organisations de producteurs. De plus, la méconnaissance et l’incompréhension des exigences du droit de la concurrence créent des malentendus entre les autorités publiques responsables et les producteurs organisés. Car s’ils partagent l’objectif de renforcer leur poids dans la négociation, par le regroupement, les agriculteurs ne comprennent pas toujours les raisons pour lesquelles, le droit de la concurrence est invoqué pour faire obstacle à certains de leurs projets allant dans ce sens. Enfin pour encourager le développement des organisations de producteurs, le Ministère de l’Agriculture a renforcé les soutiens qui leurs sont apportés, sans toutefois pouvoir en apprécier l’efficacité économique réelle.
C’est pourquoi, à la suite d’un débat parlementaire très nourri, la loi de modernisation a décidé de mesurer au mieux l’impact réel de l’efficacité des organisations de producteurs et d’en tirer les conséquences éventuelles, notamment au plan réglementaire. L’ article 25 de la Loi du 27 Juillet 2010 ( Loi de modernisation de l’agriculture), prévoit en effet la possibilité de dresser « un bilan de l’organisation économique de la production (…)au regard de l’ efficacité, de [sa] contribution au revenu des producteurs, et de [sa] sécurité juridique vis à vis des règles de la concurrence. ». A la suite de ce bilan, un décret « peut écarter la possibilité de reconnaître les organisations de producteurs ».
Le rapport ci-après tente de dresser ce bilan en rappelant les caractéristiques des organisations de producteurs juridiquement reconnues, en droit et par rapport aux règles de la concurrence, en essayant de déterminer sur quels critères pourrait s’apprécier leur efficacité aujourd’hui non mesurée Puis après avoir dressé un état des lieux des OP reconnues dans les filières viande et fruits et légumes, le rapport présente quelques recommandations générales sur l’évolution possible des organisations de producteurs.
CHAPITRE 1 : DEFINITION DES ORGANISATIONS DE PRODUCTEURS
La mission s’est tout d’abord attachée à définir précisément les organisations de producteurs1 .
A / Les OP par rapport à d’autres formes d’organisation
Les organisations de producteurs (« OP ») sont une des formes d’organisation de la production reconnues et définies par le code rural et le droit communautaire. Le code rural distingue et définit plusieurs sortes d’« organismes professionnels agricoles » dans son livre V. Chacun de ces organismes répond à des règles particulières. Les groupements de producteurs ainsi que les « associations entre producteurs agricoles régies par la loi de 1901 » ne bénéficient ni de définition juridique ni de reconnaissance publique. Ils ne font pas partie des organismes repris dans le code rural.
Les organisations de producteurs (OP) sont définies dans une section particulière du code rural. Même si leurs objectifs d’action et de regroupement peuvent se ressembler, elles se distinguent en particulier des coopératives. En effet, il faut insister sur le fait que vis à vis de l’appréciation des autorités de la concurrence, et des modalités de commercialisation, les questions ne se posent pas dans les mêmes termes entre elles. Ainsi le code rural prévoit dans sa partie réglementaire :
« Toute coopérative agricole, union de coopératives agricoles ou société d'intérêt collectif agricole (SICA) polyvalente, c'est-à-dire comportant plusieurs secteurs d'activité, qui demande sa reconnaissance en qualité d'organisation de producteurs pour une ou plusieurs catégories de produits doit constituer un groupe spécialisé pour chaque organisation de producteurs reconnue. Chaque groupe spécialisé réunit les producteurs concernés par la catégorie de produits ayant fait l'objet d'une reconnaissance ».(Article D 551-8)
Cette précision est importante, dans la mesure où il semble au vu de la jurisprudence, que les autorités de la concurrence aient un préjugé favorable à l’égard de la coopération.
De même les OP se distinguent des interprofessions. Ces dernières sont régies par un livre différent du code rural (« Livre VI production et marchés »). Initiées par les accords interprofessionnels, les interprofessions s’insèrent dans une logique collective concernant la production et les marchés. Ainsi les interprofessions, ont des missions collectives concernant l’ensemble d’une filière et de ses acteurs : l’adhésion des producteurs à une interprofession n’est pas individuelle. Les interprofessions sont en effet des associations d’organisations, et elles relèvent d’une approche plus macro économique. Elles n’ont pas pour objet d’assurer la commercialisation directe de la production de leurs mandants.
B / Les organisations de producteurs dans le code rural après la LMAAP.
Les organisations de producteurs se caractérisent par le fait que des producteurs agricoles s’associent essentiellement pour regrouper la commercialisation de leurs produits, et les conditions qui peuvent en améliorer les conditions (appui technique, conditionnement…) L’article L551-1 du code rural définit les conditions dans lesquelles peuvent être reconnues les organisations de producteurs « par l’autorité administrative ». Parmi ces conditions générales, on note en particulier, sur les points qui intéressent plus particulièrement la mission (droit de la concurrence et commercialisation commune de la production) :
(….) 3/ « ils justifient d’une activité économique suffisante au regard de la concentration des opérateurs sur le marché » Les critères- « activité économique suffisante » et « concentration des marchés »- doivent en être définis par décret (Art L 551-3 II / Loi du 27 juillet 2010)2
4/ « leurs statuts prévoient que tout ou partie de la production de leurs membres associés ou actionnaires leur est cédé en vue de sa commercialisation ». Le principe de la cession (vente), est donc une des conditions de la reconnaissance des organisations de producteurs, mais sans qu’en soient fixées les limites.
Toutefois, l’article L551, prévoit que « des organismes qui ne satisfont pas au 4°/(…) peuvent être reconnus(…) s’ils mettent à la disposition de leurs membres les moyens(…) nécessaires à la commercialisation de la production de ceux-ci. (…) Lorsqu’ils sont chargés de la commercialisation, ils y procèdent dans le cadre d’un mandat. Les articles L 551-6, L551-7, L551-8, créés par l’ordonnance 2010-459 du 6 mai 2010 précisent, pour les organisations de producteurs dans le secteur des fruits et légumes et de la pomme de terre, les conditions d’extension des règles, et de perception de cotisations.
La partie réglementaire du code rural – non modifiée depuis 2008- définit les conditions de reconnaissance des organisations de producteurs (décret de 2006), et notamment l’engagement de « vendre par l’intermédiaire de l’organisation de producteurs, dans les conditions prévues par les dispositions applicables au secteur concerné une quantité déterminée de leur production pour les produits concernés »3 . ( D551-2 1° g)
Sont ensuite définies les dispositions particulières concernant les organisations de producteurs par secteur4 : élevage bovin et ovin, fruits et légumes et quelques autres (tabac, porcin, aviculture, etc…). Le secteur viticole fait l’objet de discussions, non abouties à ce jour, pour mettre au point un projet de décret fixant les règles pour ce secteur.
Pour le secteur de l’élevage bovin et ovin, le code rural distingue l’« organisation de producteur dite commerciale »,(D 551-23) qui « vend en tant que propriétaire la production de ses adhérents » (au moins 75 % de ladite production), et « l’ organisation de producteurs dite non commerciale» (D551-24/D551-29). Pour cette catégorie la règle est la suivante: « L'organisation de producteurs dite non commerciale est constituée d'éleveurs et d'un collège associé d'acheteurs comprenant au moins une entreprise d'abattage ou un exportateur, selon les types de production. »5 L’ensemble de ces dispositions pour l’élevage bovin a été fixée par un décret du 22 Décembre 2006.
Pour le secteur des fruits et légumes, c’est un décret du 17 Octobre 2008 qui fixe les règles reprises dans le code rural (D 551-34/D551-63). Cinq producteurs au moins doivent adhérer au groupement qui constitue l’OP, commercialiser au moins 75 % de la production de ses membres pour un montant minimum de 100.000 euros. Les règles générales concernant ce secteur des fruits et des légumes, se placent dans le contexte du règlement communautaire de l’OCM des fruits et légumes.
C.Le droit communautaire
Le particularisme de certaines productions a justifié la reconnaissance communautaire des OP (organisations de producteurs) pour commercialiser la production, tout en restant dans le cadre des règles de la concurrence. C’est le cas des producteurs de fruits et légumes frais, disséminés géographiquement et structurellement, soumis à une forte variabilité climatique et conjoncturelle, avec pas ou peu de stockage ou de conditionnement. Pour ces productions on espère une meilleure efficacité de leur offre par leur regroupement reconnu en OP, mais à condition de mettre en commun la totalité – avec des exceptions mineures -de leur production.
C’est le règlement UE 2007/R1234 du 1 mai 2010 – actualisation du texte de l’OCM fruits et légumes- qui prévoit que « les Etats Membres reconnaissent les organisations de producteurs » pour les secteurs [du houblon, des olives, des vers à soie et] des fruits et légumes. Parmi les cinq conditions obligatoires pour la reconnaissance d’une organisation de producteurs dans le secteur des fruits et légumes, figure : « vendre par l’intermédiaire de l’organisation de producteurs la totalité de leur production concernée » (quelques exceptions sont possibles et précisées par ailleurs). Il est vrai que l’objectif du règlement est explicitement « de concentrer l’offre et mettre sur le marché la production de ses membres. » La réglementation française prend en compte les conditions du règlement communautaire pour les secteurs concernés (voir ci-dessus décret du 17 octobre 2008), et fixe les conditions de reconnaissance des organisations de producteurs, notamment dans le domaine des fruits et légumes.
Quelques conclusions générales sur la définition des organisations de producteurs
La notion d’organisation de producteurs répond aujourd’hui sur le plan communautaire à une logique stricte : regrouper l’offre pour la mettre en meilleure position de négociation par rapport à l’aval. Pour être efficace, une telle organisation doit regrouper réellement la vente de la production de ses adhérents, tout en évitant de se trouver en infraction avec le droit de la concurrence en constituant une entente6 . Le secteur des fruits et légumes compte tenu de ses particularismes, correspond bien à la nécessité de ce regroupement. Le droit européen en fait une des conditions du soutien à la filière.
En droit français :
1. les organisation des producteurs sont définies de manière large ayant notamment pour mission « de renforcer l’organisation commerciale des producteurs » ( L.551-1)
2. les régimes particuliers prévus pour chaque filière induisent une série d’exceptions à cette règle générale d’organisation commerciale
3. seule la filière des fruits et des légumes correspond à une définition renforcée pour la commercialisation en commun par les organisations de producteurs et ce pour des raisons communautaires
4. pour la viande bovine et ovine il existe deux catégories d’OP : commerciales et non commerciales dérogeant à l’une des principales caractéristiques de la reconnaissance.
Bien entendu la mise en commun de l’offre dont on peut percevoir les effets bénéfiques à condition qu’elle corresponde à une véritable dynamique des acteurs, doit aussi être compatible avec le droit de la concurrence, point sur lequel, en l’absence de textes trop précis, une clarification s’impose7 En définitive, les pouvoirs publics considèrent que le regroupement des producteurs doit renforcer leur pouvoir de négociation. Ce renforcement va dans le sens de la demande des syndicats agricoles qui y voient une protection contre l’intégration par l’aval. Toutefois les exigences de l’organisation des producteurs au sens fort du terme qui impliquent une discipline collective sur la durée, ne sont pas toujours compatibles avec les mentalités, les pratiques et les particularismes de certaines filières, comme l’élevage. Pour ces raisons ont été instaurées des exceptions aux principes généraux des organisations de producteurs et notamment pour celles dites « non commerciales ». Pour sa part, malgré l’encouragement qu’apportent les aides communautaires avec les programmes une bonne partie de la filière des fruits et des légumes frais reste assez peu organisés8 .
CHAPITRE 2 : ORGANISATIONS DE PRODUCTEURS ET DROIT DE LA CONCURRENCE
A/ La compatibilité des organisations de producteurs avec les règles de la concurrence entre les acteurs.
La plupart des agriculteurs ont une perception négative du droit de la concurrence. En effet ils considèrent que celui-ci constitue un obstacle aux solutions à leurs problèmes économiques auxquels la politique agricole commune (PAC) est censée apporter remède. Ce sentiment est renforcé par le fait que le Traité a entendu imposer la primauté de la PAC sur le droit de la concurrence9.
L'inquiétude des agriculteurs est d'autant plus grande que les outils d'intervention sur les marchés précédemment utilisés dans le cadre de la PAC sont remis en cause, laissant à terme les marchés sous la seule régulation concurrentielle.
-1 /L'applicabilité de principe des règles de concurrence.
Le législateur européen a peu utilisé jusqu'à présent la possibilité que le Traité lui donne d'aménager les règles de la concurrence au bénéfice des agriculteurs: l'article 175 du règlement 2007/1234 pose ainsi l'applicabilité des règles de la concurrence aux accords et pratiques des producteurs agricoles ou de ceux qui les commercialisent.
Table des matières :
Résumé 3
Liste des recommandations 4
Introduction 5
Chapitre 1 : définition des organisations de producteurs 6
Chapitre 2 : organisations de producteurs et droit de la concurrence 10
Chapitre 3 : la mesure de l’efficacité 15
Chapitre 4 : l’état des lieux dans les filières viandes et fruits et légumes 18
Carte des organisations de producteurs bovines 24
Carte des organisations de producteurs ovines 26
Carte des organisations de producteurs porcines 28
Chapitre 5 : conclusions et recommandations 30
Liste des recommandations 33
Liste des administrations, syndicats, organisations et personnes rencontres 35
Les OP reconnues dans le secteur de l’élevage en 2011 38