L’economie agricole et le developpement rural
L’économie Agricole et le développement rural
II. La structure des marchés agricoles et agro-alimentaires et leur évolution
2.1.2.1.4. La libéralisation de la filière arachide (1979-1994)
Les processus de réforme des marchés agricoles sont liés à l’échec des politiques d’intervention. La NPA en 1984 a marqué une étape dans les réformes avec le transfert des fonctions. Dans le cas de l’arachide, la libéralisation a été marquée par la suppression de l’ONCAD en 1980.
Du point de vue de l’organisation de la filière arachide, cette première étape de libéralisation est partielle avec le retrait de l’Etat des fonctions de collecte et de commercialisation et l’implication des privés. Ces fonctions sont ainsi assurées directement par la SONACOS et sa filiale la SONAGRAINES ainsi que la NOVASEN qui s’impliquent ainsi en amont de la filière dans le processus de production par la gestion des intrants. Un prix d’achat unique de l’arachide est fixé en début de campagne en concertation avec les producteurs.
Le financement de la filière a reposé jusqu’en 2001 sur des compromis. Les arrangements mis en place à partir de 2001 ont porté sur le préfinancement de l’achat de 335 000 tonnes par la SONACOS réparti pour 70% aux OPS, 19% à l’UNCAS, 9% à la SOSEN et 2% aux divers. La privatisation partielle avec la dissolution de l’ONCAD n’a pas permis de réduire le déficit de la filière arachide qui était de 74 milliards entre 1987 et 1989 et 65 milliards en 2001.
2.1.2.1.5. La situation actuelle : l’impasse des réformes ou la fin de la filière arachide ? La situation actuelle de la filière arachide est marquée depuis 2003 par le processus de privatisation totale de la SONACOS qui a vu en mars 2005 son adjudication à un consortium français Advens associé à la SODEFITEX (contrôlée par DAGRIS), Desmet, KRANAPOP et SPI. Advens détient 66,9% des parts de la société, l’Etat du Sénégal 20,15% et les autres privés 12,15%. Cette privatisation doit être également complétée par la levée des protections sur les huiles végétales importées.
En effet, le processus de libéralisation de la filière arachide initié en 1995 n’a connu un début d’exécution qu’en 2001 avec la liquidation de la SONAGRAINES. La privatisation marque ainsi la fin des processus d’intégration horizontale et verticale ainsi que les systèmes de contrat de fourniture de facteurs de production et d’approvisionnement initiés lors de l’économie de traite avec les SIP et avec le monopole étatique. Ces contrats sont remplacés au niveau de la commercialisation par le système carreau-usine centré sur le fonctionnement des marchés spots. La production est assurée au niveau des exploitations agricoles familiales individuelles organisées sous forme de sections villageoises ou de GIE. Les producteurs doivent vendre leur production au niveau des points de vente fixes. Les prix de vente carreauusine reposent en théorie sur un prix différencié en fonction des zones. Les huiliers ne s’impliquent plus en amont dans le processus de collecte de la production. L’organisation actuelle de la filière est marquée ainsi par le retour des opérateurs privés stockeurs qui assurent la collecte et la livraison aux huileries. Pour l’achat de la production, les opérateurs privés stockeurs agréés se chargent de trouver les financements auprès des banques pour assurer l’achat de la production (Figure 10). Cependant le prix fait l’objet de négociation entre les huileries et le Comité National Interprofessionnel de l’Arachide (CNIA).
Le CNIA a été créé en 1992 dans le cadre de la privatisation de la filière. Il sert de dispositif mixte de coordination regroupant les différents acteurs de la production, de la transformation, de la fourniture d’intrants et de services dans le cadre d’un accord signé avec l’Etat en 1997 puis renouvelé en 2003. Par cet accord, l’Etat délègue à cette interprofession les fonctions de gestion de la filière. Les fonctions du CNIA sont : i) le suivi, la coordination et l’animation des négociations internes à la filière ; ii) l’appui à l’émergence, la structuration ou la consolidation des différents membres de l’interprofession, des autres opérateurs qui interviennent dans la collecte et la commercialisation (ADIRA, 2004).
La transformation industrielle est réalisée par la SONACOS, la NOVASEN et le Complexe agro-industriel de Touba. La SONACOS est la structure industrielle la plus importante avec une capacité annuelle de trituration de 600 000 tonnes. Il approvisionne le marché local en huile raffinée végétale (importée brute puis raffinée) et le marché extérieur essentiellement en huile brute et en tourteaux d’arachide. La NOVASEN avec une capacité de trituration de 50 000 tonnes a un statut d’entreprise franche d’exportation. Elle commercialise sa production d’huile brute et de tourteaux d’arachide à l’exportation. Le Complexe Agroindustrielle de Touba a une capacité de trituration de 30.000 tonnes. Il commercialise de l’huile raffinée et des aliments de bétail sur le marché local.
La nouvelle configuration de la filière centrée sur un dispositif de développement des marchés spots avec l’implication du privé à travers les organismes privés stockeurs constitue une limite importante dans la libéralisation de la filière. Les 450 opérateurs agréés pour les 1500 points de collecte ne parviennent pas à organiser la collecte durant la campagne de commercialisation. A cela, il faut ajouter des défauts de paiement de la production. Les producteurs se retrouvent avec des bons impayés. Contrairement aux stratégies de collecte et commercialisation lors de l’économie de traite et du monopole étatique centré sur la réduction des coûts de transaction par l’intégration horizontale puis verticale, le dispositif de carreau usine et d’intermédiation avec les OPS augmente les incertitudes de l’approvisionnement pour la SONACOS. Ces incertitudes s’expliquent par la forte atomicité de l’offre, l’absence de contrats et la forte concurrence des circuits alternatifs de commercialisation constitués par le commerce transfrontalier et la transformation artisanale.
La crise de la filière arachide met ainsi en exergue l’absence de maturité et le décalage entre les options politiques et les stratégies mises en place par les producteurs pour se réajuster. La filière arachide ne s’est pas préparée au nouveau contexte de marché notamment du point de vue des stratégies à long terme mises en place par la SONACOS pour se positionner sur le marché des huileries et des sous produits de l’arachide mais également par l’Etat pour palier à la crise du système minier de production d’arachide. La protection a été préjudiciable au positionnement de la SONACOS et sa compétitivité sur le marché mondial des huiles. La taxe sur les huiles végétales mise en place à l’origine pour permettre à la SONACOS de générer des ressources servant à l’appui de la filière n’a jamais été utilisée à cette fin. La subvention de la filière notamment le prix au producteur était assurée par l’état. La crise de l’arachide est certes liée à la libéralisation mais également aux problèmes structurels de la filière (Encadré).
Encadré : Extrait interview Madani Tall Directeur des opérations de la Banque mondiale au Sénégal : La taxe sur les huiles ne va pas sauver l’arachide au Sénégal » Journal Le Quotidien du 30 mars 2006. Même avec la protection à 15 ou 20%, sur trois, quatre ou cinq ans, si l’on ne met pas le doigt sur les problèmes de fonds, la filière arachide risque d’être compromise. Si l’on n’a pas abordé des problèmes de semences, les problèmes des outils agricoles, ceux du foncier ou de la fixation des prix payés au producteur, toute la protection dont pourrait bénéficier la Sonacos ne va pas régler les problèmes de l’arachide au Sénégal.
Les analyses effectuées dans la période de 1992 à 1996 montrent des pertes nettes de 3 à 136 FCFA par kg d’arachide transformée par les huileries. La dévaluation n’a eu qu’un effet de courte durée sur le secteur de la transformation (Badiane, 1997). Ces pertes sont liées aux fluctuations des cours mondiaux mais surtout aux coûts élevés de la collecte. Les résultats du CEPOD montrent que la transformation industrielle est le segment le moins rentable de la filière. Son coût en ressources domestiques qui mesure sa compétitivité est de 1.86, donc largement au-dessus de 1 c'est-à-dire qu’il n’y a pas d’efficacité économique globale des facteurs domestiques utilisés (MEF/CEPOD, 2005).
Dans le contexte actuel marqué par la poursuite de la libéralisation, notre hypothèse est plutôt à un réajustement de la filière avec le développement de systèmes alternatifs de valorisation de la production et de nouveaux dispositifs de coordination pour limiter les imperfections du marché. En effet, bien qu’étant une culture industrielle et d’exportation, l’arachide n’en demeure pas moins une spéculation fortement autoconsommée. Il s’y ajoute que le niveau de collecte des graines dépend du cours mondial du prix de la production et du niveau d’importation des autres huiles végétales. Les huileries locales développent des stratégies de maîtrise du niveau de collecte en fonction de la subvention accordée par l’Etat. Elles limitent ainsi les déficits de plus en plus importants causés par la fluctuation des cours mondiaux Le circuit informel s’est toujours maintenu avec un commerce important au niveau des marchés ruraux où sont commercialisés de l’huile et les tourteaux transformés par les exploitations. C’est le cas actuellement avec l’émergence d’un marché informel qui se substitue de plus en plus aux opérateurs agrées par l’Etat. Cette situation se traduit par le développement d’une collecte parallèle des graines sur les marchés traditionnels et collecte bord champ à des prix fluctuants, la spéculation sur les prix lors de périodes où l’offre est moins importante, la production artisanale d’huile d’arachide écoulée sur les marchés.
2.1.2.2. La filière riz : l’équation de la satisfaction de la demande du marché intérieur
La vallée du fleuve Sénégal et la région de la Casamance naturelle sont les principales zones de production du riz. Les autres zones de production sont les régions de Fatick, Kaolack et Tambacounda. Les rendements moyens sont de 5,5 t/ha dans les systèmes irrigués de la vallée, 1 t/ha dans les systèmes pluviaux de la Casamance. La production de la vallée provient à 71% de la zone du delta où sont localisées 62 % des terres de culture irriguée. Les revenus tirés de la riziculture représentent 89 % des revenus de l’agriculture dans la vallée. Le secteur représente plus de 400 000 personnes (ISRA, 1996). La production de riz pluvial en Casamance représente 29 % de la production nationale. La production rizicole locale est essentiellement autoconsommée dans les zones de culture pluviale tandis qu’au niveau des systèmes irrigués de la vallée et de l’Anambé la production est destinée à l’approvisionnement du marché local (DAPS, 2006).
2.1.2.2.1. L’organisation de la filière
Le développement de la filière riz a été étroitement lié à celui de la filière arachide. Dans l’économie de traite, le riz a été utilisé comme aliment stratégique dans l’introduction de la culture arachide. Parallèlement à l’exportation d’arachide, les maisons de négoce étaient également impliquées dans l’importation du riz pour le marché intérieur. Les acteurs de la filière riz sont constitués par les fournisseurs d’intrants et de services, les producteurs, les transformateurs, les commerçants, les acheteurs (Figure 11).
Les fournisseurs d’intrants sont constitués par les opérateurs semenciers agréés pour la plupart fédérés au sein de l’Union Interprofessionnelle des Semences (UNIS) et certains producteurs. La fourniture d’engrais et de produits phytosanitaires est assurée par les commerçants tandis que le matériel agricole est fourni par les artisans locaux ou les structures d’importation de matériel agricole à Dakar.
Les producteurs de riz sont des exploitations agricoles individuelles ou organisées en GIE ou en associations. L’action collective sous forme de GIE ou d’associations est relative à la gestion des périmètres et des crédits pour l’approvisionnement en intrants. La commercialisation du riz blanc issu de la transformation du paddy riz passe en majorité par le circuit des riziculteurs. Les riziculteurs industriels et artisanaux sont à la fois des transformateurs et des commerçants. Ils contrôlent plus de 65 % du marché du riz local. Les autres acteurs impliqués dans la commercialisation du riz sont des commerçants détaillants ou grossistes et des « baba-bana ».
La transformation est assurée par trois types d’unités. Les décortiqueuses villageoises qui sont de petites unités avec une capacité moyenne de 100 sacs par jour. Elles assurent la transformation de plus de 75 % de la production nationale de riz (SAED, 2000). Les unités de transformation semi-industrielle qui se sont développées avec la libéralisation de la filière et les mini-rizeries.
Les marchés du riz sont structurés autour de circuits de commercialisation courts. Le producteur peut s’accorder avec le transformateur sur un contrat implicite de décorticage du riz moyennant une rémunération de 7 à 10 F CFA/kg de riz usiné. Il s’agit d’une production de riz blanc, de la brisure et du son. Le producteur peut vendre également son riz paddy à des transformateurs-commerçants, des détaillants ou des « bana-bana ». Le producteur peut également s’appuyer sur l’intermédiation des groupements pour la transformation et la commercialisation. La production est également vendue à des acteurs institutionnels comme le Programme Alimentaire Mondial et le Commissariat à la Sécurité Alimentaire.
2.1.2.2.2. La libéralisation et les tendances évolutives de la filière
La suppression de la Caisse de péréquation et de stabilisation des prix en 1996 dans le cadre du PASR et du même coup l’importation de riz par l’intermédiaire des structures gouvernementales a marqué une étape déterminante dans l’évolution de l’environnement économique et institutionnel de la filière riz. Le CPSP s’est retirée de la vente de riz local et de l’importation au profit des importateurs privés. La levée des mécanismes de protection basée sur les prix administrés a accentué la concurrence entre le riz importé et le riz local.
2.1.2.2.3. Amélioration de compétitivité du riz local
L’analyse de la compétitivité du riz local à partir de la MAP montre que la filière locale est à la limite de la compétitivité avec une forte variation au niveau des régions de production. Le riz produit dans la vallée du fleuve Sénégal a un coût en ressources internes ou domestique (CRI) inférieur à 1 et est, par conséquent, économiquement compétitif par rapport au riz importé. Le riz produit dans le bassin de l’Anambé avec un CRI de 2,94 n’est pas compétitif. La filière du riz local reçoit dans son ensemble un transfert net de 6,772 milliards de francs CFA du reste de l’économie. Les producteurs peuvent être considérés comme gagnants. Mais l’absence de protection de la filière locale, avec un coefficient de protection nominale de 0,95, rend les producteurs perdants de la libéralisation. Dans cette situation, les petits producteurs dont le rendement est inférieur à 4 t/ha sont, avec le même prix d’achat du riz paddy généralisé, sont les plus lésés. Cette catégorie de petits producteurs représente près de 20- 30 % de l’ensemble des producteurs et subit encore les effets de la libéralisation (ISE/PNUE, 2005).
Dans le cas de la vallée, les analyses réalisées par la SAED montrent néanmoins des impacts positifs sur les revenus des producteurs. Les revenus financiers nets par hectare ont augmenté de 54 % en valeur nominale entre 1993 et 1995, après une baisse initiale de 22 % en 1994 (SAED, 1997). Si les incitations financières à la production semblent être accrues avec la libéralisation en 1996, il n’en demeure pas moins que les prix à la production et les revenus des producteurs restent soumis aux variations des prix des intrants mais également aux risques de production en rapport avec la variabilité des rendements.
Au-delà du prix, la compétitivité entre riz local et importé repose également sur des facteurs hors prix liés à la qualité. En effet, malgré la hausse des prix à l’importation de 29 à 40% et de 13 à 14% au niveau de la vente au détail. Les enquêtes de consommation de l’observatoire national du riz montrent par exemple qu’à Dakar une pénétration du marché du riz brisé 100% parfumé à 43% et 32% pour le non parfumé (MAE/DAPS/ONRS, 2001). L’inefficacité de la commercialisation est liée également à la segmentation partielle de l’offre. Malgré l’augmentation des rendements à la production qui sont passés de 4,1 tonnes par ha en 1996- 1997 à 5,6 tonnes par hectare en 2003-2004, l’offre locale est irrégulière et constituait en moyenne 26% de l’offre totale entre 1997 et 2005.
2.1.2.2.4. Ouverture croissante des marchés
La libéralisation a été ainsi marquée par une très faible hausse de la production locale et une ouverture croissante du marché sur les importations de riz. Cette tendance n’a pas été freinée par la dévaluation du F CFA intervenue en 1994, même s’il y a eu une très forte concentration du secteur des importations par la suite. Les importateurs de riz étaient au nombre de 43 en 1996. Ce nombre s’est progressivement réduit passant de 33 en 1997, 25 en 1998 et 7 en 2000 dont 4 contrôlant 63 % du volume total de riz importé. De 1995 à 2002, les importations de riz ont augmenté de près de 63 % passant de 435 500 à 709 575 tonnes soit, en valeur monétaire, de 59 à 110 milliards de francs CFA. Les parts du marché se situent entre 7 et 13 % pour le riz domestique et 87 et 93 % pour le riz importé. Après la faible baisse intervenue en 1996 de 400 000 à 300 000 Tonnes, les importations ont ainsi repris leur tendance à la hausse (Figure 12).
Les importations de riz ont ainsi atteint la valeur de 110 milliards de francs CFA en 2002. Ces importations sont constituées à 95 % de riz brisé et proviennent pour 92 % d’Asie et 8 % d’Amérique du Sud (ISE/PNUE, 2005).
2.1.2.2.5. Changements institutionnels
La libéralisation a cependant induit des changements importants dans le dispositif organisationnel et institutionnel de la filière riz local. La SAED, créée en 1965, était chargée d’assurer toutes les fonctions de développement de la vallée. Les activités de services et de conseil agricole sont assurées par la SAED dans le cadre de sa mission de maîtrise d’ouvrage déléguée des investissements hydroagricoles. Elle a entamé son désengagement des fonctions productives en 1987 et le transfert des différentes fonctions à d’autres acteurs. Avec ce processus de désengagement, les superficies aménagées et cultivées par les privés sont passées de 4 000 en 1993 à plus de 27 000 en 1999.
La filière rizicole a connu ainsi une autre configuration avec l’intervention de différents acteurs, l’émergence de prestataires de services privés ainsi que différents dispositifs collectifs privés de coordination. Ces dispositifs concernent directement la production comme l’union nationale interprofessionnelle du riz (UNIRIZ), le Comité interprofessionnel du riz et la fédération des producteurs autogérés (Encadré ).