Cours decision financiere a long terme

Cours décision financière à long terme
Tout phénomène financier peut s'appréhender comme un transfert temporel de richesse, lequel est fondamentalement risqué. Aucun agent économique n'est certain de la richesse réelle qu'il percevra à la fin du contrat qui réglemente ce transfert. Le risque encouru varie dans sa nature et dans son intensité, selon le support du transfert, c'est-à-dire en fonction du type d'actif utilisé. Les deux dimensions fondamentales du raisonnement financier sont donc le temps et le risque.
La théorie financière a pour objet l'explication et la compréhension des différents phénomènes financiers, par exemple la création de valeur par les entreprises. Son champ d'investigation ne se limite pas à l'étude des seuls marchés financiers ; il inclut également l'étude des décisions financières de l'ensemble des agents économiques et notamment des firmes. A ce dernier titre, la théorie financière devrait jouer à terme le même rôle, vis à vis de la gestion financière, que la science physique par rapport à l'art de l'ingénieur et conduire à l'élaboration d'une technologie financière.
La multiplication des échanges, la croissance du nombre de firmes et l'expansion des marchés financiers se sont accompagnées d'un développement parallèle de la théorie financière. Près de quarante ans après son émergence, le stade de développement auquel elle est parvenue apparaît déjà très avancé. Nous présenterons, dans une première section, les principales contributions qui ont permis de constituer la théorie financière. Les principaux éléments caractérisant cette théorie: son champ d'investigation, son référentiel et sa méthodologie seront discutés dans une deuxième section.
1 - La constitution de la théorie financière
La théorie financière actuelle s'est construite sur un ensemble de travaux dont les préoccupations divergent sensiblement tant dans leurs ambitions théoriques (explicatives, normatives...) que dans la nature très dispersée des questions abordées qui touchent notamment à des réflexions fondamentales sur le fonctionnement des marchés, à l'évaluation des actifs financiers, à la gestion de portefeuille, à l'évaluation des firmes, aux décisions d'investissement et de financement. Nous rappellerons l'influence de certains précurseurs sur la théorie financière, avant de présenter les contributions qui nous semblent les plus fondamentales.
1.1. Les précurseurs: Bernoulli, Fisher, Bachelier
Tout économiste ayant abordé les théories des taux d'intérêt et du risque peut être classé comme précurseur et la liste des contributeurs serait alors trop longue à établir. Le caractère fondamental des contributions de Bernoulli (1738), Fisher (1930) et Bachelier (1900) apparaît cependant incontestable. part, décrit le comportement décisionnel par une fonction d'utilité de la richesse totale. Il a ainsi proposé le critère de maximisation de l'espérance d'utilité de la richesse, fondement de la théorie financière moderne. Son travail n'a connu véritablement de prolongements qu'au XXe siècle.
En s'appuyant sur l'arbitrage entre le principe de désir de consommation immédiate et le principe d'opportunité d'investir, Fisher a présenté une théorie de l'intérêt extrêmement féconde qui constitue la base de la théorie financière, notamment de la théorie de la décision d'investissement. Le modèle fishérien représente sans aucun doute la contribution la plus importante, dans la mesure où il fondait un cadre cohérent pour le développement ultérieur de la théorie financière.
Enfin, le troisième précurseur, probablement le plus méconnu, est Bachelier, dont la thèse de doctorat en mathématiques, soutenue en 1900, comportait des résultats en matière d'efficience des marchés financiers et d'évaluation des actifs qui n'ont été redécouverts que plus de soixante ans plus tard. Bachelier a, le premier, développé une théorie mathématique des prix des actifs financiers fondée sur l'hypothèse d'indépendance des variations de cours, c'est-à-dire sur le modèle de promenade aléatoire. Partant de cette hypothèse et adoptant une représentation continue du temps, il a proposé une modélisation des mouvements des cours qui s'appuie sur des processus aléatoires de diffusion couramment utilisés en physique et en a déduit, notamment, une relation d'évaluation des options sur obligations.
1.2. Les contributions fondamentales
Le cadre théorique financier actuel s'est constitué à partir d'un certain nombre de contributions fondamentales, qui se rattachent tant à la finance de marché qu'à la finance de la firme, la séparation entre les deux domaines étant le plus souvent artificielle, compte tenu du rôle central occupé par la théorie de l'évaluation. On peut distinguer un peu arbitrairement neuf contributions: la théorie des marchés contingents et le rôle des marchés boursiers, l'efficience informationnelle des marchés, la théorie du portefeuille, le modèle d'évaluation des actifs financiers (MEDAF), la relation entre la valeur de la firme et la structure de financement, la théorie des options, le modèle de l'évaluation par arbitrage (MEA), la théorie de l'agence et la théorie de la signalisation.
1.2.1. La théorie des marchés contingents et le rôle des marchés boursiers
L'étude des échanges dans une économie en présence d'incertitude a conduit Arrow (1953) et Debreu (1959) à proposer la théorie des marchés contingents qui constitue un élément prépondérant du référentiel financier. Cette théorie est née d'une extension du modèle d'équilibre micro-économique traditionnel. Elle intègre l'incertitude, en postulant la possibilité de représenter les biens de façon contingente, autrement dit, en supposant que l'existence d'un bien dépend de la réalisation de certains événements. On associe ainsi à un bien autant de formes contingentes qu'il y a analytique de référence, dans la mesure où il permet une répartition optimale des ressources dans l'économie.
Un tel modèle ne peut prétendre représenter la réalité car son fonctionnement nécessite l'ouverture d'un très grand nombre de marchés. Il constitue cependant un outil très utile pour analyser de nombreux phénomènes financiers et comprendre le rôle des titres et des marchés financiers. Ceux-ci permettent, dans une certaine mesure et sous certaines conditions, de pallier l'inexistence d'un système complet de marchés contingents ; ils conduisent ainsi à une meilleure allocation des risques et de ce fait à une meilleure performance du système économique.
1.2.2. L'efficience informationnelle des marchés financiers
L'idée d'efficience informationnelle des marchés financiers, déjà contenue dans les travaux de Bachelier, est probablement une des idées les plus révolutionnaires que diffuse la théorie financière 1.
L'étude de l'évolution des cours boursiers révèle qu'ils suivent une promenade aléatoire ; en d'autres termes, les variations successives des cours sont indépendantes. En conséquence, il est inutile de vouloir utiliser l'information contenue dans les cours passés pour tenter de prédire les cours futurs. Ce résultat s'explique par la concurrence intense que se livrent les investisseurs sur le marché financier. Les cours intègrent toute l'information disponible pour les investisseurs à un instant donné et ne peuvent évoluer qu'en fonction d'informations nouvelles. Bien qu'il ait eu de nombreux précurseurs, Samuelson (1965) a été le premier à fournir une explication cohérente de l'hypothèse d'efficience, fondée sur la concurrence.
L'efficience informationnelle des marchés peut être plus ou moins parfaite selon la nature de l'ensemble des informations considéré par les investisseurs. L'efficience est dite faible, si l'ensemble des informations ne contient que les cours passés. L'efficience est dite semi-forte, si l'ensemble des informations retenu contient toute l'information publique, par exemple les informations diffusées par la presse. Les tests empiriques réalisés confirment le plus souvent ces deux formes d'efficience. Enfin, l'efficience forte prend en compte toute l'information publique ou privée qu'il est possible d'acquérir. Les résultats des tests sur ce dernier point sont plus nuancés. Dans l'ensemble, l'hypothèse d'efficience apparaît cependant robuste. Ses conséquences sont importantes, car elle justifie le recours aux valeurs de marché dans les décisions financières. Les dirigeants doivent maximiser la valeur de marché courante de la firme.
La théorie de l'efficience des marchés constitue, en fait, une analyse du comportement temporel des prix d'équilibre des actifs financiers et son étude est intimement liée à la théorie des marchés contingents ainsi qu'aux différents modèles d'évaluation des actifs financiers.
1.2.3. La théorie du portefeuille
La contribution de Markowitz (1952) a originellement un objectif normatif et opérationnel. En supposant, d'une part, que le risque d'un titre financier puisse s'appréhender par la variance des taux de rentabilité, d'autre part, que sa rentabilité anticipée puisse se mesurer par l'espérance mathématique, comment peut-on construire un portefeuille optimal? À partir d'un ensemble de titres, dont les espérances de rentabilité et les variances sont connues, Markowitz détermine tout d'abord l'ensemble des portefeuilles efficaces, qui, pour une variance donnée, offrent une rentabilité maximale et inversement qui, pour une espérance mathématique donnée, présentent une variance minimale. Bénéficiant de l'effet de diversification du risque, ces portefeuilles dominent les titres individuels et constituent l'ensemble des choix, au sein duquel l'investisseur sélectionne finalement le portefeuille optimal, en fonction de son attitude particulière face au risque. Ainsi, un investisseur prudent choisira un portefeuille moins risqué, mais également moins rentable.
Dans le cadre simplificateur espérance-variance, cette analyse a permis d'appréhender précisément le phénomène de diversification et de mettre en évidence l'importance des corrélations entre les taux de rentabilité des différents titres et la notion de contribution au risque global d'un portefeuille. Les travaux de Markowitz ont constitué la base de la construction du MEDAF qui a été le premier modèle d'évaluation des actifs en incertitude.
1.2.4. Le modèle d'équilibre des actifs financiers
En supposant que les différents investisseurs raisonnent dans un cadre espérance-variance, que leurs anticipations soient homogènes et que le marché financier soit parfait (absence de coûts de transaction et d'impôts, libre accès à l'information...), Sharpe (1964) et Lintner (1965) sont parvenus séparément à démontrer qu'à l'équilibre du marché, le taux de rentabilité requis pour un actif financier quelconque était égal au taux de rentabilité sans risque, augmenté d'une prime de risque fonction de la prime de risque de marché et du coefficient de sensibilité, le bêta, qui représente le risque non diversifiable associé à la détention du titre 1.
Bien que la validation empirique de ce modèle se soit heurtée à de nombreuses difficultés, son apport à la théorie des décisions d'investissement en incertitude est primordial, puisqu'il permet de quantifier de façon précise le prix du risque et procure ainsi une solution simple aux problèmes d'ajustement pour le risque, des taux d'actualisation ou des flux. Il se révèle en outre relativement robuste lorsqu'on lève certaines des hypothèses initiales et il est extensible à un cadre multipériodique.
1.2.5. La valeur de la firme et la structure de financement
Alors que les contributions précédentes privilégiaient l'étude des marchés financiers, l'apport de Modigliani et Miller (1958) se rapporte à la finance d'entreprise avec l'étude de la relation entre la valeur de marché de la firme et la composition de la structure de financement, et son corollaire : la détermination du coût du capital qui sert de taux d'actualisation pour évaluer la rentabilité des investissements.
En raisonnant dans le cadre d'un marché financier parfait, et en s'appuyant sur un modèle d'équilibre partiel fondé sur la notion de classe de risque, Modigliani et Miller ont démontré que la structure de financement, c'est-à-dire la proportion fonds propres-dettes financières, évaluée en valeurs de marché, n'avait aucune incidence sur la valeur d'une firme et, par conséquent, sur le coût du capital 1. Mis à part le fait que ce résultat s'opposait à l'orthodoxie qui prévalait, l'aspect fondamental de leur démonstration ne résidait pas tant dans le résultat présenté que dans la démarche proposée, qui comportait trois apports essentiels. En premier lieu, elle replaçait les problèmes d'évaluation de la firme et de choix des investissements dans le cadre du marché financier. En deuxième lieu, le lien déterminant entre la valeur de la firme et la composition de la structure de l'actif était clairement mis en évidence. Enfin, le processus d'arbitrage mis en œuvre par les investisseurs, qui sous-tend la loi du prix unique pour un même actif et qui constitue la base de nombreux raisonnements économiques et financiers, devenait une composante essentielle du raisonnement financier.
Cette contribution marquait une rupture dans la logique financière traditionnelle, en suggérant que les facteurs explicatifs d'une éventuelle structure optimale de financement ne pouvaient se situer que dans les imperfections du marché (impôts, coûts de transaction, asymétrie d'information...). Elle ouvrait ainsi la voie à la plupart des recherches ultérieures.
1.2.6. La théorie des options
Contrairement à l'évaluation d'actifs financiers, tels que les actions ou les obligations, dont l'évaluation dépend directement des flux futurs qui leur sont associés, l'évaluation d'une option dépend de la valeur de l'actif sous-jacent. Considérons, par exemple, une option d'achat sur une action, c'est-à-dire le droit d'acheter l'action à un prix - le prix d'exercice - et à une date (ou pendant une période) - la date d'échéance (ou la période d'exercice) - déterminés lors de la conclusion du contrat. La valeur de cet actif financier dépend de l'évolution du cours de l'action sous-jacente. En retenant pour simplifier l'hypothèse que l'option est exercée à la date d'échéance, si, à cette date, le cours de l'action est inférieur au prix d'exercice, l'option expire sans valeur et l'acheteur perd le premium, c'est-à-dire la somme versée pour acquérir l'option. Inversement, si le cours est supérieur au prix d'exercice, l'option est exercée et l'acheteur réalise un gain. Sur les marchés modernes, les options sont négociables en permanence, et le cours d'une option évolue constamment, en liaison avec celui de l'action sous-jacente.
L'intérêt de disposer d'une théorie de l'évaluation des options n'est pas uniquement lié à la seule évaluation de ce type d'actif financier. De nombreux phénomènes économiques peuvent s'analyser comme des options particulières. Ainsi, les fonds propres d'une firme endettée peuvent, par analogie, s'interpréter comme une option d'achat sur les actifs de cette même firme ; les actionnaires achetant cette option aux créanciers.
Si les premiers modèles d'évaluation des options sont dus à Bachelier, il revient à Black et Scholes (1973), auxquels il serait injuste de ne pas associer Merton (1973), d'avoir proposé le premier modèle analytique simple, en s'appuyant sur le raisonnement d'arbitrage. Il est en effet possible de constituer une position sans risque, à partir d'un portefeuille composé d'une action et d'un certain nombre d'options sur cette action. Pour éviter la possibilité de profits d'arbitrage sans risque, une telle position doit rapporter le taux de rentabilité de l'actif sans risque. A partir de ce raisonnement et en supposant que les cours d'une action se distribuent de façon lognormale, Black et Scholes ont établi une relation d'évaluation des options, dépendant de cinq facteurs : le cours et la volatilité de l'action sous-jacente, le prix d'exercice, le taux d'intérêt sans risque et le temps restant à courir avant l'échéance 1. Cette relation est actuellement d'un usage courant sur les marchés financiers.
1.2.7. Le modèle d'évaluation par arbitrage
Si le modèle d'équilibre des actifs financiers (MEDAF) permet d'obtenir une relation d'évaluation des taux de rentabilité et des cours des actifs financiers, il le fait au prix d'hypothèses fortes, en supposant la réalisation de l'équilibre sur le marché financier et en attribuant un rôle central au portefeuille de marché. À la suite de ces critiques et de celles qui ont porté sur la non-testabilité du MEDAF, Ross (1976) a proposé un modèle alternatif, le MEA ou APT ( Arbitrage Pricing Theory ).
Ce modèle suppose uniquement l'impossibilité de réaliser des profits d'arbitrage sans risque sur le marché financier. Il est à la fois plus souple et plus général que le MEDAF. Reposant sur des hypothèses moins rigides, il permet de représenter la rentabilité requise d'un actif, de façon plus fine, en fonction d'une structure à plusieurs facteurs, auxquels sont associées plusieurs primes de risque liées à des variables-clés, telles que le niveau des taux d'intérêt, le taux de croissance du PNB, le taux d'inflation. La relation du MEDAF peut être obtenue comme cas particulier du MEA. Cependant, comme le MEDAF, ce modèle rencontre de nombreux problèmes de testabilité.
1.2.8. La théorie de l'agence
La contribution de Jensen et Meckling (1976) remet en cause le référentiel établi par Modigliani et Miller pour analyser la politique financière. Ce référentiel restait très sommaire. Deux classes d'agents y sont implicitement considérées, les actionnaires et les créanciers; les dirigeants gèrent conformément aux intérêts des actionnaires; il n'y a pas d'asymétrie informationnelle. Enfin, la firme en tant que mécanisme institutionnel est ignorée. Jensen et Meckling fondent au contraire leur approche de la politique financière sur une vision rénovée de la firme, assimilée à un ensemble de contrats établis entre des individus aux objectifs divergents et conflictuels et dont le niveau d'information diffère. Ainsi, les dirigeants, tout en étant les agents des actionnaires, ont des objectifs divergents de ceux de ces derniers.
Dans ce cadre, les principales composantes de la politique financière deviennent des moyens de résoudre les conflits qui existent entre les dirigeants, les actionnaires et les créanciers et qui naissent des divergences d'objectifs et des asymétries informationnelles. Différents types de coûts, dénommés coûts d'agence, sont associés à ces conflits. La structure optimale de financement, obtenue par un compromis entre les coûts d'agence associés au financement par fonds propres externes et ceux liés à l'endettement, permet de minimiser les coûts d'agence totaux. Les politiques de dividendes, les prises de contrôle, les clauses contractuelles et les financements hybrides s'expliquent comme outils permettant de discipliner les dirigeants ou de résoudre les problèmes posés par l'asymétrie informationnelle.
Cette analyse entraîne trois conséquences. Premièrement, la séparabilité des décisions d'investissement et de financement est remise en cause. La théorie justifie l'existence d'interactions entre les politiques d'investissement et de financement; certaines situations conduisent à un sous-investissement. Deuxièmement, elle soulève le problème du choix des objectifs; faut-il maximiser la valeur pour les actionnaires, pour les dirigeants, celle de la firme en tant que coalition...? Troisièmement, elle élargit le champ des préoccupations de la finance à des questions organisationnelles telles que la structure de propriété, le conseil d'administration ou les systèmes de rémunération des dirigeants, dans la mesure où elles ont une incidence directe sur la politique financière.
1.2.9. La théorie de la signalisation
Même si l'asymétrie informationnelle entre les dirigeants et les apporteurs de capitaux externes apparaît être une des caractéristiques du cadre d'analyse posé par la théorie de l'agence, l'élément central de l'analyse se situe dans la relation d'agence et dans les conflits d'intérêt qui lui sont liés. La démarche utilisée, reposant sur l'analyse marginaliste, reste par ailleurs très traditionnelle dans la mesure où les décisions financières s'obtiennent par la minimisation des coûts d'agence.
La théorie de la signalisation rompt avec ce schéma en plaçant au premier plan les problèmes posés par l'asymétrie d'information et en instaurant un cadre d'étude dirigeants supposés mieux informés et les investisseurs. La modélisation des décisions financières, proposée par Myers et Majluf (1984), peut s'interpréter comme un jeu intervenant entre les dirigeants et les apporteurs de capitaux, nouveaux actionnaires ou créanciers. Les résultats obtenus révèlent des interactions entre les décisions d'investissement et de financement et sont à l'origine d'une théorie hiérarchique des financements où il s'avère préférable de financer en priorité par autofinancement, puis par dette et enfin par augmentation de capital. Le travail initial de Myers et Majluf allait être suivi de très nombreuses recherches, fondées sur la théorie des jeux et qui, selon les hypothèses adoptées, peuvent conduire à des hiérarchies de financement différentes.
2 - Les composantes de la théorie financière
Pour caractériser la théorie financière, nous retiendrons trois composantes: son champ d'investigation, son référentiel et sa méthodologie.
2.1. Le champ d'investigation de la théorie financière
Les questions relatives au rôle et au fonctionnement des marchés financiers, à l'évaluation des actifs et à la finance d'entreprise sont trois grands domaines qui relèvent du champ d'investigation de la théorie financière.
2.1.1. Le rôle et le fonctionnement des marchés financiers
Ce domaine constitue le prolongement direct de la voie ouverte par Arrow et Debreu sur l'allocation du risque dans les économies et des recherches sur l'efficience; il est très fortement imbriqué avec la théorie économique de l'incertitude et de l'information. Il recouvre notamment l'étude de la réalisation des équilibres et de leurs propriétés dans les systèmes de marchés incomplets, les problèmes d'efficience informationnelle, en particulier, ceux liés à la transmission d'informations par les prix 1, la réalisation des échanges en présence d'asymétrie de l'information entre les différents agents économiques et de coûts de transaction.
Les recherches entreprises dans cette voie privilégient l'étude des questions fondamentales. Toutefois, leurs résultats actuels et futurs auront des incidences directes pour la gestion des organisations puisqu'ils portent, par exemple, sur la structure optimale des contrats, le rôle des intermédiaires financiers, les propriétés des systèmes de cotation, le rôle des analystes financiers, l'intérêt des systèmes de régulation et de contrôle des marchés, les systèmes d'assurance, les liens entre les marchés financiers et les marchés physiques, en particulier celui du capital humain. Les résultats issus de cette voie de recherche dépassent d'ailleurs largement le domaine de la finance, puisqu'ils constituent des contributions fondamentales dans des domaines aussi divers que la théorie de l'équilibre économique général, les théories économiques du droit, de la comptabilité ou des organisations.
2.1.2. L'évaluation des actifs
Ce deuxième domaine s'inscrit dans le prolongement des recherches sur les modèles d'équilibre tels que le MEDAF, les modèles d'évaluation par arbitrage et la théorie des options. Des modèles plus ambitieux ont été élaborés ou sont en cours de développement, avec pour souci d'aboutir à la plus grande généralité possible. Certains d'entre eux prennent en compte les variables réelles, telles que la consommation, la production et l'investissement, et établissent explicitement le lien avec les variables financières, notamment en endogénéisant la détermination du taux d'intérêt, dans un cadre simultanément dynamique et stochastique. Ils doivent permettre de comprendre des phénomènes aussi importants que la structure temporelle des taux d'intérêt 1.
D'autres modèles considèrent un cadre international et permettent d'analyser la détermination des taux de change et leur incidence sur l'évaluation des actifs financiers.
Enfin, la théorie financière progresse sensiblement dans la compréhension des liens entre l'inflation et l'évolution des cours des actions, en introduisant certaines variables réelles, telles que la production et l'investissement.
Les retombées actuelles et futures de ce type de travaux touchent aux domaines suivants : l'évaluation des produits financiers, la protection contre le risque de taux d'intérêt 2, la gestion des portefeuilles (problèmes de couverture, étude de la performance des gérants3...), la protection contre le risque de change4.
1.2.3. La finance d'entreprise
Les questions incluses dans le domaine de la finance d'entreprise recouvrent notamment l'explication des décisions d'investissement et de financement des firmes. Depuis Modigliani et Miller, l'étude de ces questions est indissociable de la problématique issue de l'étude des marchés financiers et la plupart des modèles théoriques s'appuient sur les résultats des recherches réalisées sur les marchés, en particulier en matière d'évaluation des actifs. Cette association a conduit jusqu'à l'émergence de la théorie de l'agence à oblitérer les aspects organisationnels, vraisemblablement déterminants dans l'explication de ce type de décisions et à négliger l'étude des conditions et des modalités de création de la valeur.
L'analyse de la décision d'investissement repose initialement sur les travaux de Fisher et sur le critère de maximisation de la valeur. Dans une perspective normative, elle a posé les bases théoriques de l'évaluation de la rentabilité d'un investissement et de ses conditions d'acceptation. Le développement des modèles d'évaluation des actifs financiers a conduit à adapter la théorie fishérienne pour y introduire l'incertitude. La théorie des options, qui permet de sauvegarder en l'aménageant le cadre de la théorie de l'évaluation, a conduit à apporter des réponses à des questions telles que la justification de la détention d'encaisses, l'évaluation des investissements dans un cadre séquentiel ou encore celle des actifs non renouvelables. Si l'introduction des aspects organisationnels avec la théorie de l'agence permet d'aboutir à un meilleur pouvoir explicatif des phénomènes financiers, elle conduit cependant à contester la théorie traditionnelle de l'évaluation et des choix d'investissement.
L'étude de la structure et des choix de financement traditionnellement séparée de celle des décisions d'investissement dans le cadre défini par Modigliani et Miller a également été profondément renouvelée. Au delà de la question irrésolue et non nécessairement prioritaire de l'optimalité de la structure de financement, il s'agit notamment d'expliquer les pratiques en matière de politique de dividendes1 et de justifier l'existence des multiples instruments de financement utilisés par les entreprises. La résolution de ces problèmes a progressé avec l'introduction successive de différents types d'imperfections : la fiscalité, les coûts de faillite, les asymétries d'information et les conflits d'intérêts entre les dirigeants, les actionnaires et les créanciers. Délaissant l'analyse marginaliste traditionnelle, le cadre d'analyse dominant dans ce domaine devient celui de la théorie des jeux et la plupart des modèles conduisent à un abandon du principe de séparabilité entre l'investissement et le financement.
À la suite de la prise en compte des aspects organisationnels, le traitement des questions de finance d'entreprise est désormais étroitement imbriqué à la problématique du corporate governance, du gouvernement de l'entreprise2. Les décisions financières majeures apparaissent liées à des problèmes de contrôle et de discipline des dirigeants. On cherche ainsi à comprendre les liens qui associent les décisions financières à la structure de propriété, à la structure organisationnelle interne et, de façon plus large, à l'ensemble des facteurs qui délimitent l'espace décisionnel des dirigeants. L'objectif final est de comprendre le rôle des système de gouvernement des entreprises dans la création de valeur, ce qui conduit par exemple à s'interroger sur les vertus respectives des systèmes anglo-saxon et germano-nippon.
2.2. Le référentiel de la théorie financière
La présentation successive des contributions, qui constituent les fondements de la théorie financière moderne, pourrait laisser supposer que cette dernière est constituée d'une juxtaposition, sinon d'une superposition de modèles indépendants. Une telle représentation ne reflète cependant pas la situation de la théorie financière. Certes, cette théorie est récente et ne présente pas encore le caractère unifié d'une science parvenue à un stade de maturité avancée. Mais, une vision rétrospective des apports précédents fait apparaître qu'aujourd'hui ils sont quasiment intégrés dans un même corpus théorique et qu'un certain consensus s'est formé au sein de la communauté des chercheurs en théorie financière, sur les modes d'appréhension et de représentation des phénomènes financiers.
Si l'on tentait de cerner le noyau dur de la théorie financière qui se retrouve dans la plupart des publications scientifiques traitant des marchés et des actifs financiers, celui-ci apparaîtrait composé des éléments suivants : l'utilisation des probabilités subjectives pour représenter l'incertitude, le principe de maximisation de l'espérance d'utilité de la richesse pour régir les choix, les hypothèses d'anticipations rationnelles et d'efficience des marchés et le recours de plus en plus fréquent à des processus aléatoires continus pour représenter les variations de cours des actifs financiers.
Le recours aux probabilités subjectives exprime l'idée que chaque agent économique peut émettre une conjecture et apprécier le caractère plus ou moins vraisemblable de la survenance d'un état du monde donné. L'utilisation de telles probabilités suppose qu'il est possible d'appréhender l'incertitude et que les agents ne sont pas dans l'ignorance totale.
L'utilisation du critère de maximisation de l'espérance d'utilité est quasi générale. Issu originellement des travaux de Bernoulli, il a été formalisé et axiomatisé, et la notion de rationalité en finance s'identifie désormais à ce critère. Les critiques adressées à l'axiomatique sont, le plus souvent, considérées au nom de la méthodologie retenue comme secondaires et non pertinentes.
L'hypothèse des anticipations rationnelles et celle conjointe d'efficience des marchés sont utilisées de façon quasi systématique dans les recherches portant sur les marchés financiers. Dans sa version simple, l'hypothèse des anticipations rationnelles suppose que le prix actuel d'un titre est égal à l'espérance mathématique conditionnelle du prix futur, évaluée à partir de l'ensemble des informations pertinentes et accessibles. Cette hypothèse qui implique l'efficience des marchés financiers est cependant contestée et certains tests semblent l'infirmer. Cependant, elle demeure au cœur même des principaux modèles financiers.
Enfin, la nécessité d'adopter un cadre de raisonnement multipériodique, l'hypothèse d'efficience et le caractère continu des transactions ont conduit les financiers à retenir, à la suite de Bachelier et de Merton (1971), un mode de représentation des variations de cours des titres financiers fondé sur des processus aléatoires continus. La majeure partie des travaux actuels portant sur l'évaluation des produits financiers s'appuie sur ce type de modélisation. Les relations identifiées donnent des résultats, le plus souvent, proches des cours observés.
L'introduction des aspects organisationnels dans la théorie financière de la firme semble actuellement remettre en cause ce référentiel. Certains modèles n'hésitent pas à portefeuilles ou n'anticipent pas la réaction des autres agents. On fait parfois intervenir de façon explicite des éléments d'irrationalité tels que le sentiment de supériorité ( hubrishypothesis) pour expliquer certains phénomènes de surévaluation dans les prises decontrôle. L'immixtion de la théorie des organisations, notamment de la théorie des coûts de transaction, pour expliquer les phénomènes financiers conduit à recourir aux notions de rationalité limitée et de pouvoir, qui sont étrangères au référentiel financier traditionnel. La notion d'équilibre se sépare de celle d'optimum, explicitement dans les modèles issus de la théorie des jeux et implicitement dans les modèles proposés par la branche positive de la théorie de l'agence.
Il existe ainsi un risque d'éclatement du référentiel financier entre les deux branches de la finance, celle de la finance de marché, attachée au référentiel traditionnel qui s'est révélée efficace dans son domaine, et celle de la finance de la firme qui, face à son incapacité relative à disposer d'une théorie suffisamment explicative des décisions financières, s'oriente vers un rapprochement avec les théories des organisations.
2.3. La base méthodologique de la théorie financière
Fondamentalement, sous l'influence prépondérante de Popper et de Friedman, la méthodologie sur laquelle s'appuie la théorie financière est hypothético-déductive. Le test de la théorie porte sur certaines de ses conclusions et, en aucun cas, sur les hypothèses initiales du modèle, dont il est admis que certaines peuvent être fausses. Ainsi, on sait pertinemment dans le MEDAF que l'hypothèse d'homogénéité des anticipations des investisseurs n'est pas vérifiée.
Une présentation un peu caricaturale du glissement d'un modèle à un autre peut être faite en analysant le passage qui s'est produit entre le MEDAF et le MEA. Pendant plus d'une décennie, le MEDAF a constitué le modèle de référence, tout en connaissant des aménagements divers, soit pour tenter de lui donner un caractère plus général en assouplissant certaines de ses hypothèses (absence d'un actif sans risque, généralisation à un cadre multipériodique, extension à un cadre international...), soit en y ajoutant des hypothèses auxiliaires, afin de parvenir à des tests plus concluants, par exemple, en prenant en compte la fiscalité. La crise qui conduisit finalement à abandonner le modèle fut de nature méthodologique, lorsqu'on s'aperçut qu'aucun des tests existants n'était concluant et que la mise en œuvre d'un test véritable présentait des difficultés difficilement surmontables. Concomitamment, Ross avec le MEA avait proposé un modèle à la fois plus souple dans ses hypothèses, plus général et, en principe, plus aisément testable. La transition s'est faite progressivement. D'une part, on a tenté de "sauver" le MEDAF en proposant de nouvelles façons de le tester, d'autre part, la testabilité du modèle d'arbitrage soulève d'importants problèmes économétrique et méthodologique.