Support de formation sur les sources de la croissance economique au Maroc
Introduction
L’amélioration du niveau de vie de la population et la garantie du bien être social sont des objectifs ultimes des pouvoirs publics. Quelles que soient les politiques suivies, ces objectifs ne peuvent être atteints sans une croissance économique soutenue et durable. La croissance économique est synonyme de production de biens et services, de créations d’emplois et de richesses. Elle assure, lorsque, bien exploitée, la prospérité économique, sociale et humaine. Pour toutes ces raisons, la compréhension de la croissance, de ses mécanismes, de ses déterminants et de ses sources a toujours été un souci majeur des décideurs et des concepteurs des politiques économiques. Il est clair que la croissance économique n’est pas une panacée pour les problèmes du pays, mais elle facilite l’implémentation des politiques publiques qui complètent les insuffisances de la croissance. En bref la croissance est une condition nécessaire mais non suffisante pour assurer le bien être social.
Au Maroc, à l’instar des pays en voie de développement, la nécessite d’assurer une croissance économique forte et durable s’impose comme une solution pour plusieurs problèmes sociaux qui hypothèquent l’avenir du pays. Avec l’accumulation des problèmes économiques et des déficits sociaux (chômage, pauvreté, perte du pouvoir d’achat, etc.)1 les solutions conjoncturelles ou partielles ne peuvent plus servir de remèdes efficaces. Les problèmes doivent être traités à la source qui les génèrent, et cette dernière n’est autre que la faible croissance économique et la sous utilisation des potentialités du pays. Il est donc impératif de se mettre sur un sentier de croissance forte et soutenue pour sortir le pays d’un cercle vicieux de sousutilisation des potentialités et de faible croissance.
Entre 1960 et 2002, l’économie marocaine a progressé en terme réel à un taux d’accroissement annuel moyen de 4.2%. Sur la même période la population s’est accrue de 2,2% annuellement. Le résultat est que le PIB par habitant qui était de 591$ en 1960 (en dollar constant de 2000) s’élève à 1234$ en 2002, soit un rythme annuel de croissance de près de 1,8%. La performance de l’économie marocaine mesurée par cet indicateur de la richesse de la nation et du niveau de vie de la population reste de loin insuffisante comparée aux potentialités réelles du pays et comparée également à celles des autres pays ayant été au même niveau de développement que le Maroc en 1960. La Malaisie, la Corée du Sud, la Tunisie et même le Botswana sont des exemples de pays qui étaient au même niveau de développement que le Maroc, mais ces derniers ont pu améliorer les conditions de vie de leurs populations de façon significative grâce à une croissance économique rapide et continue. La figure ci-après montre le contraste dans la vitesse de croissance du PIB par tête dans ces pays.
La question se pose donc avec acuité, pourquoi le Maroc n’a pas pu emprunter le même sentier de croissance que ses semblables, pourquoi accuse t-il tout ce retard. L’importance d’apporter une réponse à cette question cruciale ne réside pas uniquement dans la compréhension du passé, mais également dans l’identification des pistes qui lui permettraient de rattraper le retard et de le hisser au même niveau de développement que ses semblables.
La question est également cruciale parce qu’en l’absence de politique forte et agressive, et si la tendance actuelle de croissance se maintient, il faudrait2 au Maroc 31 ans pour atteindre le niveau actuel de développement de la Tunisie, 65 ans pour atteindre celui de la Malaisie, 129 ans pour celui de la Corée du Sud et près de 2 siècles pour atteindre celui des Etats Unis. Evidemment ceci ne signifie pas un rattrapage, parce qu’au moment où le Maroc atteindrait ces niveaux, ces pays auraient déjà creusé davantage le fossé et il sera de plus en plus difficile de réduire l’écart, pour rattraper, ou du moins réduire l’écart, il faut donc emprunter un sentier de croissance plus rapide.
Sur le long terme, la vitesse de croissance revêt une importance capitale, une petite différence dans le rythme de croissance peut conduire à des écarts considérables. En effet, depuis 1960, si le Maroc avait les mêmes taux de croissance du PIB global et par tête que la Tunisie, le PIB du Maroc aurait été en 2002 de 56 milliards de dollars au lieu de 37 milliards et le PIB par tête aurait été de 2064 dollars au lieu de 12343 . Ceci montre combien le Maroc rate en terme de niveau de vie à cause de sa croissance économique lente.
Que devrions-nous faire pour accélérer la croissance économique ? La question est équivalente à s’interroger sur ce qui a retardé le Maroc autant par rapport à ses semblables. Cette question est pertinente parce que plusieurs études ont montré que la croissance n’est pas une fatalité et n’est pas tributaire des ressources naturelles dont est doté le pays, mais elle dépend principalement des politiques et des choix faits par le pays, de la volonté et de la détermination de ses hommes et de ses femmes. L’Etat a un rôle important dans la croissance économique. Il est donc primordial de comprendre comment les choix faits dans le passé par les pouvoirs publics ont affecté la croissance, mais surtout, que doit faire l’Etat pour accélérer la croissance économique et assurer un niveau de vie décent à la population.
La croissance de long terme n’est pas synonyme de conjoncture régulièrement favorable à court terme. A long terme, les fluctuations conjoncturelles n’ont que peu d’importance. En effet, des taux de croissance faibles ou élevés dus à des phénomènes conjoncturels tel que les privatisations ou de bonnes années agricoles, n’ont que peu d’impact sur le long terme. La croissance économique est un phénomène de long terme nécessitant des politiques structurelles dont les effets n’apparaissent généralement qu’après plusieurs années. Les politiques conjoncturelles visant à contrecarrer les effets de chocs de court terme n’ont pas d’effet notable sur la croissance économique. En résumé la croissance économique est un objectif de long terme et seules les réformes structurelles peuvent conduire à son amélioration. Il s’agit donc d’aller à la source du phénomène. D’où la question, objet de ce rapport : Quelles sont les sources de croissance de l’économie marocaine ? Autrement, quels sont les déterminants de la croissance économique au Maroc. Avant de répondre à cette question, deux clarifications importantes s’imposent.
Secundo, l’étude des sources de croissance n’est pas une étude sectorielle et ne consiste pas à identifier les secteurs porteurs de l’économie. Il s’agit de quantifier les effets transversaux de facteurs communs à tous les secteurs, c’est à dire les facteurs susceptibles de faire démarrer n’importe quel secteur économique. Evidement, la vitesse sera plus rapide pour les secteurs où nous possédons ou nous pouvons acquérir un avantage comparatif par rapport à nos concurrents. L’identification des avantages comparatifs ou potentiels nécessite des études sectorielles approfondies permettant de diagnostiquer les atouts et les faiblesses du Maroc dans chaque secteur et de les comparer à ses concurrents potentiels.
Ce rapport est organisé comme suit. Dans un premier chapitre, nous présentons le profil de la croissance économique au Maroc au cours des 40 dernières années, entre 1960 et 2004. Les différentes périodes de croissance sont associées aux politiques adoptées et aux événements exogènes survenus au cours de la période. Nous déclinons cette analyse par secteur économique et selon différentes composantes de la demande.
Dans le deuxième chapitre, nous présentons la méthodologie d’approche pour l’analyse des sources de croissance. Nous commençons par un bref survol des théories de la croissance et nous présentons les approches empiriques qui seront appliquées pour analyser les sources de croissance au Maroc.
Dans le troisième chapitre, nous présentons en détail les principaux déterminants de la croissance. Pour chacun de ces déterminants, nous présentons la définition, nous discutons les problèmes de mesure et nous présentons la performance du Maroc en terme de ces facteurs avec une comparaison à d’autres pays ayant eu des niveaux de développement similaires.
1. Profil de la croissance économique au Maroc : 1960 – 2004
Dès les premières années de l’indépendance, des politiques économiques et sociales ont été engagées pour garantir l’insertion de la société marocaine dans la voie du développement économique et social. Les choix stratégiques se sont matérialisés par l’option économique libérale, tout en faisant jouer à l’Etat un rôle dans la croissance économique. Ainsi, les années 60 et 70 se sont caractérisées par la mise en œuvre de Plans de développement économique et social visant à renforcer le tissu économique et à accompagner les différentes mutations sociales du pays.
Cependant, la crise de l'endettement et les grands déséquilibres macro- économiques apparus à la fin de la décennie 70 et au début des années 80 ont amené le Maroc à s'engager, en 1983, dans la mise en œuvre du programme de stabilisation et d'ajustement structurel sous les auspices du Fond Monétaire International et de la Banque Mondiale, en vue de redresser ces déséquilibres tout en visant à terme une croissance économique forte et soutenue. La réalisation de ce programme a été accompagnée par la mise en œuvre de réformes économiques et institutionnelles dont particulièrement celles relatives au désengagement graduel de l'Etat et au renforcement du rôle du secteur privé. Depuis cette date, la politique économique nationale s'est principalement caractérisée par une politique budgétaire restrictive et d'ouverture sur l'extérieur sans pour autant réussir à atteindre les résultats escomptés en matière de croissance économique.
Au Maroc, la croissance économique est caractérisée par une évolution en dents de scie, marquant des hauts et des bas selon les variations de la production agricole qui a toujours été fort dépendante des conditions climatiques. En effet, de 1960 à 2004, la croissance est tombée 10 fois au dessous de zéro et elle a dépassé rarement les 5%. Les plus importantes performances ont été, en général, réalisées suite à une forte baisse du taux de croissance l’année précédente, et pire encore elles sont souvent suivies par une faible croissance. En conséquence, l’évolution de la croissance est caractérisée par une forte volatilité. Cette volatilité qui semble être structurelle gène le bon fonctionnement du processus d’accumulation de la richesse à même de générer la croissance et garantir sa pérennité.
Croissance économique entre 1960 et 1971
Le Maroc a arrêté, depuis son indépendance, des objectifs visant la réalisation d’une croissance économique suffisante et soutenue en vue d’améliorer le niveau de vie de la population. C’est ce qui ressort de la plupart des plans de développement économique et social établis depuis 1960. Cependant, les résultats réalisés ont été en général en deçà des aspirations du pays et des objectifs fixés et ce, malgré les différentes stratégies et mesures entreprises à cet effet. Ces plans mettaient l’accent sur des priorités quasi constantes au profit des secteurs de l’agriculture, de l’industrie de base, du tourisme ainsi des ressources humaines.
Au cours de cette période, l’activité économique nationale a été marquée par une progression du PIB de 5%, sensiblement supérieure à la moyenne, de 4,2%, de toute la période étudiée (1960-2004). La prise en compte de la variation annuelle de la population globale de 2,7% durant la période 1961- 1971 indique que l’accroissement du PIB réel par habitant a été de l’ordre de 2,3%, soit 0,3 points en plus que la moyenne observée entre 1961 et 2004.
Durant cette période, le taux de croissance du PIB a été deux fois négatif, enregistrant la plus forte baisse (2,4%) en 1961, année qui a été suivie par la plus forte croissance de 12,5% en 1962. Ces performances et contre performances ont été fortement conditionnées durant cette période par les résultats des compagnes agricoles. Le secteur agricole a connu au cours de cette période une croissance économique moyenne de 7,9%, alors que les secteurs non agricoles ont enregistré une croissance moyenne de l’ordre de 4,8%.
L’analyse du PIB, réparti selon les différents emplois en biens et services, fait ressortir que la consommation finale intérieure constitue l’agrégat le plus important de la demande finale globale. Elle a représenté plus des trois quarts du PIB durant la période 1960 à 1971, avec une contribution à la croissance économique de 4,6 points.
Le taux d’investissement, mesuré par le montant de la FBCF rapporté au PIB, oscillait entre 10% et 15% pour toute la période 1960-1971, avec une contribution à la croissance économique de 2,8 points. Les efforts d’investissement durant cette période sont marqués par l’implantation d’une industrie de base et l’intervention de l’Etat dans le domaine industriel afin de valoriser les ressources nationales.
Croissance économique entre 1972 et 1982
Cette période a été caractérisée par un fort interventionnisme de l'Etat visant deux objectifs principaux, l'import substitution et la promotion des exportations.
Le premier axe d’intervention a été marqué par des investissements publics directs (sucreries, SOMACA, CIH, BNDE, ONI, etc.) associés à un système de protection de l'industrie marocaine naissante. Cette protection s'est basée sur une stricte réglementation des importations et un contrôle rigide de la tarification douanière. Trois listes (A, B et C) de biens et de matériaux à importer ont été imposées en vue de limiter les importations surtout des biens qui pourraient concurrencer les produits nationaux.
Le second axe a été couplé à la promotion des exportations. Encouragé par la hausse des prix des phosphates en 1974, l'Etat est intervenu en tant que promoteur et entrepreneur notamment, pour la réalisation d'importants projets dans divers secteurs (cimentier, industrie chimique, etc.). En parallèle, l'Etat a tenté de mobiliser l'initiative privée notamment par la promulgation de la loi sur la marocanisation (1973). Le code d’investissements, quant à lui, prévoyait notamment la modulation du niveau des avantages selon la localisation géographique et la taille du projet.
Par rapport à la période précédente, la croissance économique, enregistrée entre 1972 et 1982, a été légèrement inférieure avec un taux de croissance annuel moyen de 4,9%. La prise en compte de la variation annuelle de la population globale de 2,3% durant cette période indique que l’accroissement du PIB réel par habitant a été de l’ordre de 2,6%, soit 0,4 points de plus que la moyenne observée entre 1960 et 2004.
De son coté le PIB non agricole a affiché un taux annuel moyen de 6,2%. Ces performances sont dues aux programmes d’investissement publics lancés par l’Etat durant cette période. Le secteur des services avait nettement contribué à cette performance puisque sa part dans le PIB s’est située à 48,6%, et ce malgré la dépendance des performances des activités du commerce, des transports de marchandises et de certains autres secteurs des conditions qui prévalaient dans le reste de l’économie notamment en agriculture et en industrie.
L’analyse de la demande finale fait ressortir que la consommation finale continuait à constituer l’agrégat le plus important de la demande finale globale en contribuant à la croissance par 5 points (gagnant 0,4 points par rapport à la période précédente). Elle a représenté de ce fait des niveaux qui dépassaient les 90%.
Pour cette deuxième période, le développement des investissements publics, suite aux retombées de l’augmentation des prix des phosphates et aux conditions favorables du financement extérieur, a entraîné, à partir de 1975, des augmentations importantes du taux d’investissement et ce malgré le premier choc pétrolier de 1973-1974. Ce taux a, en effet, grimpé de 12,4% à 22,9% du PIB. Toutefois, cette hausse considérable du taux d’investissement, comparativement à la période précédente, semble ne pas avoir eu d’effet notable sur le niveau de la croissance économique avec une contribution de 2 points seulement au lieu de 2.8 points durant la période 1960-1971. Ainsi, malgré le doublement du taux d’investissement entre les deux périodes, il n’y a pas eu de gain notable en terme de croissance. Ceci montre que, globalement, les investissements réalisés entre 1972 et 1982 étaient beaucoup moins efficaces que ceux réalisés durant la période antérieure.