Document de formation : Les moteurs de la croissance économique
INTRODUCTION
Au cours des dix dernières années, on a assisté à un regain d’intérêt pour les principaux moteurs de la croissance économique des pays de l’OCDE. Quelques pays – dont les États-Unis, leader dans le secteur de la technologie – ont vu s’accé- lérer la croissance de leur PIB par habitant, tandis que d’autres grandes économies restaient à la traîne, ce qui soulève des questions quant au rôle respectif du progrès technologique, de la politique et des institutions. Ce document vise à apporter quelques réponses à ces questions, en mettant en évidence les liens qui existent à long terme entre le cadre politique, les institutions et la croissance économique dans les pays de l’OCDE, tout tenant compte des différences structurelles relatives au progrès technologique. Cette étude est plus particulièrement axée sur deux points. On étudiera tout d’abord les influences que peuvent avoir le capital humain, les activités de recherche-développement, le cadre macroéconomique et le cadre structurel de l’action des pouvoirs publics, la politique de commerce extérieur et la situation des marchés financiers sur l’efficience économique ; on examinera ensuite les effets de bon nombre de ces facteurs sur l’accumulation du capital physique.
La pertinence de ces facteurs aux fins de l’analyse de la croissance économique est attestée par des études empiriques, mais celles-ci reposent souvent sur un large ensemble de pays, parmi lesquelles de nombreuses économies ne faisant pas partie de l’OCDE. Or, une fois rapportées à l’échantillon de l’OCDE, ces études donnent généralement des résultats décevants (Temple, 1999). La variabilité transnationale constatée à la fois dans les schémas de croissance et pour les variables explicatives potentielles est bien plus faible quand on ne considère que les pays de l’OCDE. Ainsi, la qualité des données et la technique d’estimation jouent un rôle plus important encore au regard de l’analyse empirique. Pour traiter ces deux aspects, nous utilisons les données harmonisées de l’OCDE et une approche économétrique nouvelle qui concilie les hypothèses du modèle de croissance et les données disponibles.
Comme dans un grand nombre d’études récentes, nous nous servons ici de données agrégeant des séries chronologiques transnationales qui permettent d’expliquer à la fois les différences de croissance entre les pays et l’évolution dans le temps des performances de chaque pays. En outre, notre technique économétrique permet de faire varier les ajustements à court terme et les vitesses de convergence selon les pays, tout en n’imposant de restrictions (et en ne les vérifiant) que sur les coefficients à long terme (c’est-à-dire sur les coefficients liés à la fonction de production). Pour anticiper les principaux résultats de cette étude, nous parvenons à la conclusion que l’accumulation du capital physique et humain constitue le principal moteur de croissance économique. De plus, les activités de R-D, un environnement macroéconomique solide, l’ouverture aux échanges et des marchés financiers particulièrement développés contribuent eux aussi à la progression du niveau de vie dans les pays de l’OCDE. Certains des facteurs opérant directement sur la croissance l’influencent aussi de manière indirecte par l’intermédiaire de la mobilisation de ressources pour les investissements fixes.
Cette étude s’organise de la façon suivante. Dans la première section, on présentera brièvement les politiques et les dimensions institutionnelles prises en compte dans les recherches empiriques des sources de la croissance économique. Cette section s’attache particulièrement aux mécanismes de transmission qui relient la politique à la croissance ainsi qu’aux différences de cadre politique transnationales et chronologiques. Les variables institutionnelles et politiques considé- rées ont trois caractéristiques fondamentales : i) elles sont essentiellement de nature macroéconomique ; ii) leurs effets sur la croissance économique peuvent être vérifiés ; et iii) on peut les évaluer grâce aux données disponibles sur les différents pays et sur la durée. Dans la seconde section, on présentera l’équation d’estimation de la croissance et on traitera de l’approche économique utilisée dans les régressions. La troisième section présente les résultats économétriques. Les coefficients estimés à partir des régressions appliquées à la croissance serviront également, dans la quatrième section, à déterminer le rôle des différents cadres politiques dans l’évolution de la croissance et dans le temps et selon les pays de l’OCDE. La dernière section servira de conclusion.
LES DÉTERMINANTS DE LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE
Les ouvrages traitant de la croissance économique sont légion et, en particulier, les études politiques sur le sujet foisonnent depuis dix ans (voir Temple, 1999 et Ahn et Hemmings, 2000 pour une vue d’ensemble). Toutefois, il n’y a pas de consensus concernant les mécanismes qui relient les cadres politiques à la croissance. Par exemple, on peut admettre, conformément au modèle de croissance néoclassique standard, les hypothèses suivantes : des rendements décroissants des facteurs reproductibles, des taux d’épargne exogènes, une croissance démographique et un progrès technologique ; dès lors, les politiques n’ont pas d’influence sur la croissance économique à long terme. Dans ce cas, les pays les plus riches croissent à un rythme plus lent que les pays les plus pauvres, si l’on ne tient pas compte des différences démographiques. Toutefois, ce processus de convergence inconditionnelle s’est avéré moins évident au cours des dernières décennies, au moins dans les pays de l’OCDE (graphique 1)1. Ainsi, le concept de convergence n’est compatible avec les données que si l’on adopte une convergence conditionnelle, c’est-à-dire si l’on admet une relation entre le taux de croissance et les conditions initiales après neutralisation des autres variables
Une autre catégorie de modèles de croissance tempère l’hypothèse de rendement décroissant des facteurs reproductibles. Certains auteurs additionnent le capital humain et le capital physique pour calculer un concept de capital « élargi » caractérisé par la constance, voire la croissance des rendements d’échelle (Lucas, 1988 ; Rebelo, 1991 par exemple). D’autres encore prennent en compte des externalités de l’accumulation du capital physique ce qui fait que les rendements d’échelle privés peuvent être décroissants, alors que les rendements sociaux peuvent être constants ou augmenter – grâce à l’apprentissage « sur le tas » (Romer, 1986 ; Young, 1991 par exemple) ou à la R-D (Romer, 1990 ; Grossman et Helpman, 1991 ; Aghion et Howitt, 1992 par exemple). En cas de constance (ou d’augmentation) du rendement du capital (« élargi »), le taux de croissance à long terme devient endogène, dans la mesure où il devient dépendant des décisions d’investissement, qui peuvent elles-mêmes être influencées par des facteurs politiques et institutionnels. Certains de ces modèles de croissance endogènes impliquent une convergence « conditionnelle » et d’autres non, selon les hypothèses formulées quant à la spécification de la fonction de production et de l’évolution de l’accumulation du capital élargi (voir les analyses de Barro et Sala-i-Martin, 1995 ; Durlauf et Quah, 1999).
Principaux déterminants de la croissance : l’accumulation du capital physique et humain
L’accumulation du capital physique
Le taux d’accumulation du capital physique est l’un des principaux facteurs déterminant le niveau de production réel par habitant bien que, comme nous l’avons souligné précédemment, ses effets peuvent être plus ou moins permanents selon que le progrès technologique a été plus ou moins intégré dans le nouveau capital. Quel que soit le mécanisme de transition entre l’accumulation du capital et la croissance, les différences notables qui existent entre le taux d’investissement des différents pays et au fil du temps en font l’une des sources possibles des écarts de production par habitant entre les pays. En particulier, le taux d’investissement moyen à long terme du secteur des entreprises est compris entre 10 pour cent et 20 pour cent du PIB. De plus, d’importantes variations du taux d’investissement dans un pays ne sont pas rares, ce qu’illustre bien la rapide augmentation du taux d’investissement aux États-Unis ces dernières années.
Dans l’analyse empirique, nous considérons l’accumulation du capital physique par des agents économiques privés (représentée par la part de l’investissement des entreprises dans le PIB). L’investissement du secteur public est également pris en compte dans les équations de croissance élargies afin d’évaluer son impact sur la production, comme l’a proposé Aschauer (1989), ainsi que son effet potentiel sur le coefficient estimé du taux d’investissement du secteur des entreprises.
Capital humain
Dans cette étude, le capital humain est mesuré au moyen d’estimations de la durée moyenne de scolarisation de la population en âge de travailler, qui se fondent elles-mêmes sur les niveaux de formation atteints et sur l’hypothèse du nombre d’années de scolarisation que représente un niveau de formation donné. Il est vrai que ces estimations sont grossières et restrictives, dans la mesure où elles ne tiennent compte ni de l’aspect qualitatif de la formation scolaire, ni d’autres aspects importants du capital humain. La durée moyenne de scolarisation de la population en âge de travailler ne témoigne pas moins du fait qu’il subsiste encore, malgré une certaine convergence dans le temps, des différences considé- rables entre les pays concernant le niveau de formation atteint. En 1970, la durée moyenne de scolarisation de la population en âge de travailler était comprise entre 5.7 ans (Espagne) et 11.6 ans (États-Unis), alors que les dernières études en date font encore état d’une fourchette allant de 7.7 ans à 13.6 ans (le Portugal et l’Allemagne respectivement) (graphique 2). Ces chiffres indiquent également une progression moyenne de la durée de scolarisation de moins de six mois en dix ans (aux États-Unis par exemple) à plus d’un an en dix ans (l’Allemagne et l’Italie par exemple, cette dernière étant partie d’un chiffre assez faible).
Recherche-développement
Les dépenses de recherche-développement (R-D) peuvent être considérées comme un investissement dans le savoir, qui se traduit par l’élaboration de nouvelles technologies aussi bien que par une utilisation plus efficiente des ressources humaines et physiques existantes. En effet, on s’accorde plutôt à penser que la R-D peut avoir un effet persistant sur la croissance, autrement dit, qu’une augmentation des dépenses de R-D devrait entraîner, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation permanente des taux de croissance.
Les dépenses totales de R-D en proportion du PIB ont augmenté dans la plupart des pays de l’OCDE depuis les années 80 (graphique 3), reflétant principalement l’augmentation des activités de R-D des entreprises, qui sont généralement responsables de la majeure partie des dépenses dans ce domaine. En effet, dans la plupart des pays de l’OCDE, la R-D financée par des fonds publics a reculé ces dix dernières années par suite de la contraction des budgets de R-D à des fins militaires
Plusieurs facteurs doivent être pris en compte dans l’évaluation du rôle que joue la R-D dans la croissance. Premièrement, la relation entre R-D privée et publique peut être un lien de complémentarité ou de substitution. Deuxièmement, la R-D publique vise généralement à des progrès dans des domaines qui ne sont pas directement liés à la croissance, comme la défense et la recherche médicale ou dont l’impact éventuel sur la croissance de la production pourrait être diffus et long à faire sentir ses effets (voir OCDE, 1998). Ces considérations impliquent que toute analyse quantitative de la croissance doit tenir compte des activités de R-D en tant que forme supplémentaire d’investissement et différencier les types de dépenses de R-D. Compte tenu des données disponibles, nous examinons les dépenses de R-D totales (en part du PIB) et leurs composantes, à savoir les dépenses de R-D du secteur public et celles du secteur privé.
Politique macroéconomique et croissance
Inflation et croissance
Parmi les arguments habituels en faveur d’une modération et d’une stabilité de l’inflation, on retiendra la moindre incertitude au sein de l’économie et l’amé- lioration de l’efficience du mécanisme des prix. Un recul de l’inflation pourrait avoir un effet global sur le niveau de l’accumulation du capital en cas de distorsions fiscales (des abattements définis en termes nominaux, par exemple) ou lorsque les décisions d’investissement sont prises dans une perspective à long terme (changement de technologie, par exemple). De plus, l’incertitude liée à une forte instabilité de l’inflation pourrait dissuader les entreprises d’investir dans des projets à fort rendement, mais dont le niveau de risques inhérent est également beaucoup plus élevé3 .
Les éléments attestant d’une relation entre l’inflation et la croissance ne sont pas sans équivoque : alors qu’il est avéré que l’investissement pâtit d’une forte inflation, la relation est moins évidente en cas d’inflation modérée ou faible (voir Edey, 1994 ; Bruno et Easterly, 1998, par exemple). De plus, dans la mesure où l’incertitude réside dans la relation entre et l’investissement et la croissance, cette relation tendrait à préconiser de s’attacher aux variations de l’inflation. Compte tenu de la corrélation entre le niveau et la variabilité de l’inflation, les deux effets risquent néanmoins d’être difficiles à distinguer.
Table des matières
Introduction ............. 8
Les déterminants de la croissance économique.............. 9
Principaux déterminants de la croissance : l’accumulation du capital physique et humain ...... 12
Recherche-développement ............. 13
Politique macroéconomique et croissance................... 16
Développement financier et croissance........................ 19
Commerce international et croissance........................... 20
Spécification de l’équation de croissance et technique d’estimation......... 20
Les équations d’estimation de la croissance................ 20
La technique économétrique........... 22
Résultats des régressions et interprétation de ces résultats......................... 24
Rôle de la convergence et de l’accumulation de capital dans le processus de croissance ............... 24
Rôle de la politique macroéconomique et du cadre institutionnel dans la croissance ............ 28
Recherche-développement ............. 31
Influence de la politique économique et du cadre institutionnel sur l’accumulation du capital ................... 33
Implications quantitatives des résultats des régressions............................... 35
Effet à long terme des modifications de la politique économique et du cadre institutionnel .. ... 35
Explication des différences de taux de croissance moyens entre les pays............................ 37
Rôle de la politique économique et du cadre institutionnel dans le processus de croissance ces deux dernières décennies ........... 40
Conclusion ................................................ 42
Annexe 1. Le modèle de croissance élargi aux facteurs politiques et institutionnels.............. 48
Annexe 2. Les données......................... 51
Bibliographie........................................... 55