Cours Comptabilité Générale pas à pas
Chapitre I : INTRODUCTION – L'HISTOIRE ET LA NORMALISATION DE LA COMPTABIITE
Le modèle comptable, souvent présenté ex abrupto comme s'il s'imposait logiquement à l'intelligence, est en réalité le résultat d'une longue histoire marquée par des enjeux successifs différents qui ont ensuite coexisté au fur et à mesure de leur émergence. Sa forme actuelle traduit une certaine forme de compromis – en constante évolution – entre ses divers utilisateurs, entreprises, actionnaires, prêteurs, investisseurs, analystes financiers, fisc, etc. Pour bien comprendre les fondements de la comptabilité, il est donc utile d'analyser ce processus historique, comme nous allons tenter de le faire ci-après.
Histoire rapide de la comptabilité
1.1. L'origine de la comptabilité à parties doubles
Il existe de remarquables ouvrages historiques sur l'évolution de la comptabilité depuis l'antiquité jusqu'à nos jours. Ils se fondent entre autres sur de nombreuses traces de comptabilités tenues chez les Sumériens, les Egyptiens, les Grecs, les Romains par des propriétaires terriens, des marchands, des administrateurs des temples, des banquiers et plus près de nous par les commerçants de la fin du Moyen Age et de la Renaissance. Les premiers, bien que parfois handicapés par des mathématiques peu développées (les Egyptiens) et par un système de numération peu adapté à la visualisation des calculs, établissaient ou faisaient établir des comptes déjà assez sophistiqués pour tenir des inventaires d'objets, en termes physiques ou monétaires, suivre des comptes bancaires (l'équivalent du virement existait dans l'antiquité), suivre des paiements de salaires, et surtout tenir des comptes de caisse de type recettes-dépenses.
Il s'agissait d'une comptabilité à partie simple, une inscription dans un compte ne se traduisant pas par une autre dans un autre compte. Le haut moyen âge constitua une rupture dans les pratiques comptables qui ne subsistèrent que sous des formes très rudimentaires excluant quasiment l'écriture. Les croisades provoquèrent un développement des échanges, des marchands s'associèrent et eurent recours à des mandataires pour négocier à distance. La répartition des bénéfices et le contrôle des mandataires nécessitaient une technique comptable plus évoluée qui consista d'abord en une comptabilité de caisse de type recettes-dépenses ainsi réinventée. Le crédit, peu développé jusque vers 1250, ne donnait lieu qu'à de simples aide-mémoire extra comptables. Mais son accroissement donna naissance aux "comptes de personnes", correspondant aux créanciers et aux débiteurs et qui constituaient le germe de notre moderne comptabilité à parties doubles.
Lorsqu'un tiers devait de l'argent au marchand, on inscrivait la somme dans une colonne "doit". lorsque c'était l'inverse dans une colonne "avoir". C'est là l'origine des colonnes débit et crédit des comptes d'une comptabilité et celle de l'inversion sémantique qui trouble tant les élèves : une créance est un débit ! Peu à peu l'idée vint aux commerçants et à leurs comptables de tenir des comptes de valeurs, d'abord des stocks puis des autres biens mobiliers et immobiliers. Nous passerons sur les multiples errements et tâtonnements qui aboutirent au schéma définitif de la comptabilité en partie doubles et notamment à l'invention d'un compte "de Pertes et Profits" qui seule permettait de constater l'écart entre une sortie de stock au coût d'achat et une rentrée en caisse incluant un bénéfice. On peut suivre cette évolution dans les registres de grands commerçants italiens du 14e siècle.
La pratique précéda largement la théorie puisque le premier et le plus célèbre ouvrage de comptabilité, le "Tractatus" du grand savant mathématicien Luca Pacioli, souvent considéré un peu abusivement comme le père de la comptabilité, ne parut à Venise qu'en 1494 1 . A partir de cette date, de très nombreux ouvrages théoriques se succédèrent dans tous les pays, qui ne firent que perfectionner et approfondir les principes de Pacioli : trois types de comptes, de personnes, de valeurs, de pertes et profits, réunis par une écriture double, le mouvement de l'un impliquant nécessairement celui d'un autre.
Au XVIème siècle apparaît la notion de bilan d'abord présenté comme le simple état récapitulatif des balances des comptes puis comme un état où apparaît le souci de prévision. C'est la notion de réserve qui donna naissance peu à peu à celle de capital social : sur le bénéfice, somme qui apparaissait disponible au commerçant au travers du bilan comptable, on réservait les sommes qui paraissaient nécessaires pour le maintien ou le développement de l'activité sociale. Plus tard le capital apparut également comme une garantie constituée au profit des créanciers de l'entreprise.
Les XVIIème, XVIIIème et XIXème siècles virent se multiplier des ouvrages, de plus en plus éloignés des préoccupations concrètes de gestion et de contrôle des marchands, et des industriels pour se tourner soit vers la doctrine pure (quelle est la "nature" de la comptabilité ?), soit vers la pédagogie aux futurs comptables à grand renfort de procédés explicatifs souvent artificiels ou des présentations algébriques de la "théorie mathématique" des comptes. Quittons donc là l'histoire des techniques et des théories comptables pour nous tourner vers l'histoire des obligations légales et fiscales qui conditionnèrent largement l'évolution de l'usage de l'information comptable et de sa présentation.
1.2. L'évolution des normes légales
Dès le XIVème siècle, les marchands de nombreuses villes devaient aller à un bureau des marchands exposer les règles qu'ils suivaient pour la tenue de leurs comptes et faire apposer un visa spécial sur la première page de leurs registres, lesquels étaient fréquemment montrés aux partenaires commerciaux pour faire preuve de bonne gestion.
L'ordonnance de Colbert en 1673 institua officiellement l'usage des livres de commerce et fut reprise presque textuellement dans le code de commerce de 1808, ancêtre du code actuel. De là date l'obligation stricte faite aux commerçants de tenir un "livre qui contiendra tout leur négoce, leurs lettres de change, leurs dettes actives et passives et leurs deniers employés à la dépense de leur maison". Ils étaient tenus également de faire tous les 2 ans "l'inventaire de tous leurs effets mobiliers et immobiliers et de leurs dettes actives et passives" c'est-à-dire d'établir leur bilan. Cette obligation légale correspondait au souci de réglementer l'information entre commerçants et de disposer de preuves en cas de litige judiciaire, de succession, de partage de société et de faillite. Cette optique a prévalu jusqu'à la fin du XIXème siècle.
1.3. La comptabilité analytique : une origine récente
On voit donc comment historiquement l'évolution du contexte socio-économique a façonné l'outil comptable par l'apparition successive d'usages différents. Hormis l'usage d'origine des commerçants italiens de la Renaissance, ces usages sont essentiellement externes, juridiques puis fiscaux. La comptabilité de gestion à usage interne n'a commencé à apparaître qu'à la fin du XIXème siècle où quelques entreprises industrielles ont commencé à calculer les coûts de leurs produits pour définir leur politique de prix. Mais ce n'est qu'à partir de 1930, surtout aux Etats-Unis que la comptabilité analytique s'est vraiment développée.
L'Europe, qui connaissait ces outils mais les utilisaient peu ou mal ne commença à s'y intéresser que dans les années 50 sous l'effet de missions d'information aux Etats-Unis, de l'émergence d'une plus forte concurrence sur les marchés, due notamment à l'ouverture progressive des frontières. Axées tout d'abord vers la connaissance des prix de revient complets des produits par la méthode des sections homogènes, inventée en 1928 par un militaire et promue par le plan comptable de 1947, les entreprises se tournèrent à partir de 1960 vers des systèmes destinés au contrôle à court terme, de type gestion budgétaire. Parallèlement des méthodes de comptabilité en coûts partiels ("directs" ou "variables") apparurent pour parer aux difficultés d'usage des coûts complets dans une optique de contrôle et d'aide à la décision.
Le début de l'effort de normalisation de la comptabilité date en France de là seconde guerre mondiale. Après un premier plan comptable, inspiré du plan comptable allemand de 1937 et publié en 1942 de manière non officielle, furent élaborés successivement :
Le PCG actuel, qui s’applique à toutes les entreprises industrielles et commerciales, ainsi qu’à toute structure dès lors qu’il y a obligation légale de comptes annuels, correspond à la version de 1999, mise à jour par des règlements divers d’un nouvel organisme, le CRC (Conseil de la Réglementation comptable) créé en 1998 pour coordonner le processus d’élaboration des normes comptables et élaborer des textes qui ne l’étaient jusqu’à présent que par voie législative ou réglementaire. Le plus important de ces règlements concerne l’amortissement et la dé- préciation des actifs et deviendra obligatoire à compter du 1er janvier 2005.
A cette normalisation d'origine législative et réglementaire s'ajoutent les effets de l'élaboration d'une jurisprudence, les tribunaux étant amenés à préciser les règles quand ils ont à juger de délits, et d'une doctrine comptable, sans cesse perfectionnée, dont les sources sont diverses : Conseil national de la comptabilité, Ordre des experts comptables4 , Compagnie nationale des commissaires aux comptes5 , Autorité des Marchés Financiers (AMF), qui a remplacé la Commission des opérations de bourse6 .
A la normalisation française correspond le même mouvement dans les autres pays. L'Allemagne s'est dotée dès 1937 d'un plan comptable qui a, comme on l'a vu, fortement influencé les premières versions du Plan comptable français. Aux Etats-Unis, les institutions comptables qui régissent cette normalisation ont été créées à la suite de la crise de 1929. Il s'agit de :
Les différentes normalisations nationales sont de plus en plus coordonnées par divers organismes internationaux. Au niveau mondial, un organisme fondé en 1973, appelé International Accounting Standard Committee (IASC), en français Commission des normes comptables internationales, réunissait au départ des représentants des principales organisations comptables7 de nombreux pays, dans le but d'élaborer et de publier des normes comptables internationales.
Ces normes dites IAS (il y en a 41) n’étaient pas obligatoires pour les entreprises, mais visaient à prendre une place de plus en plus grande, compte tenu de l'importance croissante des marchés financiers non nationaux pour les grands groupes qui souhaitent y être cotés pour y lever des capitaux. Pour gagner en influence et se rapprocher du modèle de l’organisme américain de normalisation, l’IASC a été refondé en mars 2001 selon une organisation complexe que nous ne décrirons pas ici, mais dont l’organe de normalisation, qui reprend les activités d’harmonisation de l’ancien IASC est l’IASB, International Accounting Standard Board. L’IASB publie des normes dites IFRS (International Financial Reporting Standards) qui remplacent progressivement les normes IAS. On notera l’influence très grande des Anglo-Saxons dans l’IASC-IASB, qui rend finalement les normes IAS-IFRS assez semblables aux US GAAP.
En résumé, les nouvelles normes IFRS vont avoir à brève échéance des conséquences très importantes sur les comptes consolidés des groupes et sur le jugement porté sur ces derniers par les investisseurs, mais peu sur les comptes individuels qui sont l’objet principal du pré- sent cours.
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Chapitre II : LA NOMENCLATURE COMPTABLE, LES ECRITURES ET LES DOCUMENTS DE SYNTHESE
Les fonctions de la comptabilité générale sont définies par le Plan Comptable Général comme étant de faire apparaître périodiquement, à travers les deux documents de synthèse que sont le bilan et le compte de résultat :
La deuxième fonction, qui pourrait a priori sembler être d'ordre économique, est en fait étroitement liée à la première. Pour analyser la construction et le fonctionnement du modèle de comptabilité en parties doubles, nous partirons de la notion de patrimoine et du classement des éléments de ce patrimoine défini par le PCG. Compte tenu de cette nomenclature, nous étudierons ensuite comment s'effectue concrètement l'enregistrement des faits qui font évoluer le patrimoine. Nous verrons enfin comment sont obtenus à date périodique les documents de synthèse.